Dans cette lettre ouverte, publiée par le quotidien allemand Handelsblatt, le 13 janvier 2015, soit douze jours avant les élections législatives qui le portèrent au pouvoir, le leader de la gauche grecque explique son point de vue sur la crise de la dette : le problème réside dans la doctrine de la troïka qui pousse à la fois l’Union européenne et la Grèce vers la catastrophe.
Chers lecteurs,
Je sais d’avance que la plupart d’entre vous ont probablement une opinion déjà formée sur le contenu de cette lettre. Je vous invite, cependant, à la lire sans préjugés. Les préjugés n’ont jamais été un bon conseiller, et encore moins à un moment où la crise économique les renforce, en entretenant l’intolérance, le nationalisme, l’obscurantisme, et même la violence.
Avec cette lettre ouverte, je souhaite vous exposer un récit différent de celui qui vous a été fait au sujet de la Grèce depuis 2010. Et je tiens aussi et surtout à exposer avec franchise les projets et les objectifs de SYRIZA, si le 26 Janvier par le choix des électeurs devient le nouveau gouvernement grec.
En 2010, l’État grec a cessé d’être en mesure de servir sa dette. Malheureusement, les dirigeants européens ont décidé de faire croire que ce problème pourrait être surmonté par l’octroi du plus grand prêt jamais consenti à un État, sous condition que certaines mesures budgétaires seraient appliquées, alors que celles ci, manifestement, ne pouvaient que diminuer le revenu national destiné au remboursement des nouveaux et anciens prêts. Un problème de faillite a été donc traité comme s’il s’agissait d’un problème de liquidité. En d’autres termes, l’attitude adoptée, était celle du mauvais banquier qui, au lieu d’admettre que le prêt accordé à la société en faillite a « sauté », lui accorde des prêts supplémentaires, prétextant que les anciennes dettes restent servies et prolonge ainsi la faillite à perpétuité.
Il s’agissait pourtant d’une question de bon sens de voir que l’application de la doctrine « extend and pretend » [étendre les maturités de la dette et prétendre que payer les intérêts ne pose aucun problème] dans le cas de mon pays aboutirait à une tragédie. Qu’au lieu de stabiliser la Grèce, l’application de ce dogme installerait une crise auto-alimentée qui sape les fondations de l’UE.
Notre parti et moi-même, nous nous sommes opposés à l’accord de prêt de mai 2010, non pas parce que l’Allemagne et nos autres partenaires ne nous ont pas donné assez d’argent, mais parce que vous nous avez donné beaucoup plus d’argent que ce qu’il fallait et que nous pouvions accepter. De l’argent qui par ailleurs ne pouvait ni aider le peuple grec puisqu’il disparaissait aussitôt dans le trou noir du service de la dette, ni arrêter l’alourdissement continu de celle-ci, obligeant de la sorte nos partenaires prolonger ce fardeau à perpétuité aux frais des citoyens.
Et cette vérité était bien connue par les gouvernants allemands, mais ils n’ont jamais voulu vous la dévoiler.
Et en effet, et avant même que la première année ne se soit écoulée et depuis 2011, nos prévisions ont été vérifiées. L’enchaînement des nouveaux prêts aux réductions drastiques des dépenses a non seulement échoué à dompter la dette, mais il a par surcroît puni les citoyens les plus faibles, en transformant les citoyens ordinaires qui avaient un emploi et un toit à des chômeurs sans-abri qui ont tout perdu, de plus, leur dignité.
L’effondrement des revenus a conduit à la faillite de milliers d’entreprises, augmentant ainsi le pouvoir oligopolistique des entreprises qui ont survécu. De ce fait, les prix diminuaient moins que les revenus tandis que les dettes, publiques et privées, ne cessaient de s’alourdir. Dans ce contexte, où le déficit d’espoir a dépassé tous les autres déficits « l’œuf du serpent » n’a pas mis longtemps pour éclore – et les néo-nazis ont commencé à patrouiller les quartiers en semant la haine.
Malgré son échec manifeste, la logique de « extend and pretend » continue à s’appliquer systématiquement encore aujourd’hui. Le deuxième accord de prêt de 2012, a ajouté une charge supplémentaire sur les épaules affaiblies de l’État grec, en réduisant les fonds de pension, en donnant un nouvel élan à la récession, en finançant aussi une nouvelle kleptocratie avec l’argent de nos partenaires.
Des commentateurs sérieux ont parlé récemment de stabilité et même de croissance à propos de mon pays pour « prouver » que les politiques appliquées ont été efficaces. Aucune analyse sérieuse ne soutient cette « réalité » virtuelle. L’augmentation récente de 0,7 % du revenu national réel ne marque pas la fin de la récession mais sa poursuite, puisqu’elle a été réalisée dans une période d’inflation de 1,8 %, ce qui signifie que (en euros) le revenu national a continué de baisser. Simplement, il diminue moins que la moyenne des prix – tandis que les dettes augmentent.
Cet effort de mobilisation des « statistiques grecques », pour démontrer que l’application de la politique de la troïka est efficace en Grèce, est outrageant pour tous les Européens qui ont enfin le droit de connaître la vérité.
Et la vérité est que la dette publique grecque ne peut pas être honorée tant que l’économie sociale grecque se trouve en situation de simulation de noyade budgétaire (fiscal waterboarding).
En outre, persévérer dans ces politiques misanthropes et sans issue, dans le refus de reconnaître une simple question d’arithmétique, coûte au contribuable allemand et condamne en même temps un peuple fier à l’indignité. Et le pire : de cet fait, les Grecs se retournent contre les Allemands, les Allemands contre les Grecs, et l’idée d’une Europe unie démocratique est offensée cruellement.
L’Allemagne, et plus particulièrement le contribuable allemand qui travaille dur, n’a rien à craindre d’un gouvernement SYRIZA. Au contraire. Notre objectif n’est pas d’entrer en conflit avec nos partenaires. Notre objectif n’est pas d’obtenir des prêts supplémentaires ou un blanc-seing pour de nouveaux déficits. Notre objectif est la stabilité économique, des budgets primaires équilibrés et, bien sûr, la cessation des saignées fiscales opérées sur les contribuables depuis quatre ans par un accord de prêt inadéquat aussi bien pour la Grèce que pour l’Allemagne. Nous exigerons la fin de l’application du dogme « extend and pretend » non pas contre le peuple allemand, mais pour le bénéfice de nous tous.
Je sais, chers lecteurs, que derrière les demandes d’une « stricte application des accords » se cache la peur que « si nous laissons les Grecs faire ce qu’ils veulent, ils vont refaire le même coup ». Je comprends cette inquiétude. Mais ce n’était pas SYRIZA qui a érigé en institutions dans mon pays la collusion des intérêts privés et la kleptocratie qui feignent de se soucier de l’observation « des accords » et des réformes puisque celles ci ne les affectent pas, comme le démontrent les quatre dernières années des réformes engagées par le gouvernement Samaras sous la direction de la troïka. Nous, nous sommes prêts à entrer en conflit avec ce système afin de promouvoir des réformes radicales au niveau du fonctionnement de l’État, en établissant la transparence de l’administration publique, la méritocratie, la justice fiscale, la lutte contre le blanchissement d’argent. Ce sont ces réformes que nous soumettons à l’appréciation des nos citoyens aux prochaines élections.
Notre objectif est la mise en place d’ un New Deal pour l’ensemble de la zone euro qui permettra aux Grecs comme à l’ensemble des peuples européens de respirer, de créer, de vivre avec dignité. Avec une dette publique socialement viable. Avec une croissance qui est stimulée par des investissements publics financés – seul moyen de sortir de la crise – et non pas par la recette échouée de l’austérité qui ne fait que recycler la récession. En renforçant la cohésion sociale, la solidarité et la démocratie.
Le 25 janvier en Grèce, une nouvelle opportunité surgit pour l’Europe. Ne ratons pas cette chance .
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