On trouvera ici la réponse du gouvernement syrien à ce rapport.
I. Introduction
1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2235 (2015) du Conseil de sécurité portant création du Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et de l’Organisation des Nations Unies, chargé d’identifier dans toute la mesure possible les personnes, entités, groupes ou gouvernements qui ont perpétré, organisé ou commandité l’utilisation comme armes, en République arabe syrienne, de produits chimiques, y compris le chlore ou tout autre produit chimique toxique, ou qui y ont participé d’une manière ou d’une autre, dans les cas où la Mission d’établissement des faits de l’OIAC avait déterminé que des produits chimiques, y compris le chlore ou tout autre produit chimique toxique, avaient été utilisés ou probablement été utilisés comme armes en République arabe syrienne.
2. Dans ses deux rapports précédents (S/2016/142 et S/2016/530), le Mécanisme a fourni des informations sur les méthodes qu’il a appliquées et les enquêtes qu’il a menées du 24 septembre 2015, date de sa création, au 10 juin 2016. En outre, il a tenu le Conseil de sécurité informé de ses progrès chaque mois.
3. Dans le présent rapport, le Mécanisme fait le point de ses activités au 19 août 2016. Il présente également l’évaluation du Groupe de direction et ses conclusions à ce jour, établies sur la base des résultats de l’enquête menée sur les neuf cas sélectionnés d’utilisation présumée de produits chimiques comme armes en République arabe syrienne. Le rapport contient 10 annexes : une sur les méthodes de travail du Mécanisme, et une pour chacune des situations faisant l’objet d’une enquête, comme suit :
a) Kafr Zeïta (province de Hama), le 11 avril 2014 ;
b) Kafr Zeïta (province de Hama), le 18 avril 2014 ;
c) Tell Méniss (province d’Edleb), le 21 avril 2014 ;
d) Tamaniaa (province d’Edleb), les 29 et 30 avril 2014 ;
e) Tamaniaa (province d’Edleb), les 25 et 26 mai 2014 ;
f) Qaminas (province d’Edleb), le 16 mars 2015 ;
g) Sarmin (province d’Edleb), le 16 mars 2015 ;
h) Binnich (province d’Edleb), le 24 mars 2015 ;
i) Marea (province d’Alep), le 21 août 2015.
4. Les annexes contiennent une description des faits et présentent en détail les constatations, les évaluations et les conclusions du Groupe de direction jusqu’à présent.
II. Historique
5. Le Mécanisme est dirigé par un Groupe de direction composé de trois membres : un chef, Virginia Gamba (Argentine), et deux adjoints, Adrian Neritani (Albanie) et Eberhard Schanze (Allemagne), chargés respectivement des composantes questions politiques et enquêtes.
6. Le Mécanisme compte un bureau politique, basé à New York et chargé de procéder à des analyses politiques, de donner des conseils juridiques et de gérer l’information et les relations avec les médias ; un bureau d’enquête, basé à La Haye et chargé de procéder à des analyses chimiques et médicales, à des analyses de médecine légale, à des analyses de matériel militaire et à des analyses d’autres informations pertinentes ; un bureau de planification et d’appui des opérations, basé à New York et chargé d’apporter un appui au Groupe de direction, à la composante questions politiques et à la composante enquêtes.
7. Le Mécanisme a également établi un bureau de liaison à Damas, pourvu d’un spécialiste des questions politiques, qui est aussi le principal point de contact avec le Gouvernement de la République arabe syrienne et qui fournit des informations actualisées et des recommandations au Groupe de direction s’agissant de questions politiques de fond.
8. Pour donner au Mécanisme les ressources nécessaires à la conduite de l’enquête, six spécialistes, dont des traducteurs, ont été recrutés pour renforcer son équipe à La Haye. Ils ont les compétences nécessaires pour mener une enquête dans les règles de l’art. Le fonds d’affectation spéciale créé pour répondre aux besoins matériels et techniques du Mécanisme a été utilisé à cette fin.
III. Activités du Mécanisme
9. Le Mécanisme a consacré la période initiale de ses travaux, entre le 24 septembre et le 13 novembre 2015, à la mise en place des bureaux de New York et de La Haye. Il ressort de son premier rapport (S/2016/142) que durant cette période, le Mécanisme a recruté du personnel justifiant des compétences et connaissances spécialisées voulues ; tenu des réunions de planification et des consultations avec les États Membres ; pris des dispositions pour garantir l’intégrité et la confidentialité de ses travaux, y compris la protection des documents, des éléments de preuve et des témoins ; commencé à élaborer et mettre en place un système de gestion des dossiers répondant à des normes de sécurité très strictes, applicable à toutes les informations obtenues ou générées par lui ; et commencé à se procurer des ressources extrabudgétaires pour appuyer ses activités et répondre à ses besoins matériels et techniques. Le 9 novembre 2015, le Secrétaire général a informé le Conseil de sécurité que le Mécanisme commencerait pleinement ses activités le 13 novembre (S/2015/854).
10. La phase I de l’enquête, qui s’est déroulée du 13 novembre 2015 au 29 février 2016, a été consacrée à la collecte d’informations et à planification pour le traitement des cas. Le 26 novembre 2015, le Mécanisme et l’OIAC ont conclu un mémorandum d’accord sur l’accessibilité, le stockage et le traitement des informations, y compris des preuves, obtenues par la Mission d’établissement des faits et le Mécanisme. Sur la base de ces dispositions, le travail du Mécanisme a commencé en décembre avec un examen et une analyse, par les enquêteurs, des informations et des éléments de preuve obtenus de la Mission d’établissement des faits au sujet des situations pour lesquelles elle avait conclu, à l’issue de son enquête, que des produits chimiques toxiques avaient été utilisés ou probablement utilisés.
11. Le 11 décembre 2015, l’ONU et la République arabe syrienne ont signé un accord sur le statut du Mécanisme en vue d’assurer l’exécution en temps voulu et dans des conditions de sûreté et de sécurité du mandat du Mécanisme en République arabe syrienne. Peu après, le Groupe de direction s’est rendu à Damas pour discuter avec le Gouvernement des modalités de sa coopération à l’appui de l’application de la résolution 2235 (2015) du Conseil de sécurité.
12. Au cours de la phase I, le Groupe de direction a mis au point les méthodes de travail du Mécanisme pour la conduite de ses enquêtes, y compris la collecte de preuves et d’autres renseignements connexes, ainsi que pour l’analyse, la vérification et la corroboration des informations. Il a décidé de la méthodologie à utiliser pour rendre compte de ses conclusions au Conseil de sécurité (voir la section IV ci-après). Sur la base de la méthode établie par le Mécanisme, il a été décidé que neuf situations feraient l’objet d’une enquête approfondie, ce qui a marqué la conclusion de la phase I.
13. La phase II a débuté le 1er mars 2016, lorsque le Mécanisme a commencé ses enquêtes au cas par cas. Il a notamment élaboré un plan d’enquête pour chaque affaire, afin d’orienter l’ensemble des activités et le processus de planification lui-même. Il a continué de recueillir des informations supplémentaires, provenant de sources autres que la Mission d’établissement des faits, et d’interroger des témoins. Plusieurs visites en République arabe syrienne et dans la région ont été organisées à l’appui de l’enquête. À mesure que davantage d’informations étaient recueillies, le Mécanisme est passé à l’analyse, la vérification et la corroboration des informations, tout en continuant de recueillir des données.
14. Pendant toute la durée du mandat du Mécanisme, le Groupe de direction a continué de rechercher activement et de recueillir des informations utiles à l’enquête auprès des États Membres, d’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales et d’autres entités et personnes compétentes.
15. Le Groupe de direction a envoyé des demandes officielles d’informations à 28 États Membres, dont les membres du Conseil de sécurité, les pays de la région et d’autres États Membres concernés, et s’est rendu dans 11 d’entre eux, à leur invitation. Les enquêteurs ont aussi effectué des visites techniques. Au cours de ces visites, ainsi que dans ses bureaux à New York et à La Haye, le Mécanisme a reçu des informations et entendu des exposés techniques utiles à l’enquête. Il a examiné et analysé toutes les informations communiquées par la Mission d’établissement des faits, en plus des informations et des documents qu’il avait rassemblés, soit plus de 8 500 pages de documents, les procès-verbaux de plus de 200 auditions, plus de 950 photographies, plus de 450 vidéos obtenues auprès de sources publiques ou fournies par les témoins eux-mêmes, plus de 300 pages d’analyses de médecine légale et plus de 3 500 fichiers contenant des vidéos, des photographies et des enregistrements audio. Étant donné que nombre des informations collectées par le Mécanisme n’étaient disponibles qu’en arabe, il a fallu traduire un grand nombre de documents pour pouvoir les examiner. En outre, les enquêteurs ont enregistré de nombreuses auditions de témoins.
16. Le Groupe de direction n’a cessé d’exhorter le Gouvernement de la République arabe syrienne à répondre rapidement aux demandes d’information présentées par le Mécanisme. Il a maintenu des échanges constants avec le Gouvernement : il s’est rendu à Damas en décembre 2015 et août 2016, a tenu plus de 20 réunions bilatérales avec le Représentant Permanent de la République arabe syrienne auprès de l’Organisation des Nations Unies, et est resté en contact avec le bureau de liaison du Mécanisme à Damas. En outre, les enquêteurs du Mécanisme ont effectué quatre visites techniques à Damas.
17. Depuis le 24 septembre 2015, le Groupe de direction a tenu plus de 150 réunions bilatérales avec les membres du Conseil de sécurité et d’autres États Membres, à New York et à La Haye. Bien que plusieurs États Membres aient appuyé activement l’enquête menée par le Mécanisme en fournissant des informations et en tenant des réunions d’information technique, le Groupe de direction regrette que certains pays de la région n’aient pas contribué de manière plus substantielle à l’enquête.
IV. Considérations d’ordre méthodologique
18. Le Groupe de direction a noté qu’il n’existait pas de précédent pour la conduite d’enquêtes destinées à identifier ceux ayant perpétré, organisé ou commandité l’utilisation comme armes de produits chimiques ou y ayant participé d’une manière ou d’une autre, contrairement au Mécanisme permettant au Secrétaire général d’enquêter sur les allégations d’emploi d’armes chimiques, biologiques et à toxines, pour lequel existaient des lignes directrices et des procédures (voir A/44/561). Par conséquent, il a adopté des méthodes de travail pour le Mécanisme (voir annexe I).
19. Les déclarations et conclusions figurant dans les rapports de la Mission d’établissement des faits concernant l’utilisation de produits chimiques comme armes ont été le point de départ de l’enquête du Mécanisme sur les neuf situations. En outre, le Mécanisme a examiné les informations et les éléments de preuve fournis par la Mission d’établissement des faits « en l’état », sans évaluer la véracité de ses sources ou toute méthodologie ou méthode de travail adoptée par elle.
20. Le Mécanisme, dont les travaux étaient assujettis aux principes d’impartialité, d’objectivité et d’indépendance, a fonctionné en tant qu’instance d’enquête non judiciaire. Dans le cadre de ses enquêtes, il a cherché à identifier les groupes ayant perpétré, organisé ou commandité l’utilisation comme armes de produits chimiques ou y ayant participé d’une manière ou d’une autre.
21. En plus de rappeler le contexte, les enquêteurs ont cherché à établir, pour chaque situation, les principaux éléments ci-après : a) la date et l’heure des faits ; b) les conditions météorologiques ; c) le site ; d) le type de munitions (les restes et débris, par exemple) ; e) le mode de dispersion (les moyens et la direction, par exemple) ; f) les dommages (aux bâtiments notamment) et les effets (sur l’environnement, la flore et la faune, etc.) ; g) les effets sur la santé. Les principaux éléments ont été établis par le Mécanisme grâce aux plans d’enquête et aux dossiers, et au moyen des informations suivantes : pièces de la Mission d’établissement des faits (examinées et analysées en vue d’en extraire les informations utiles à l’enquête du Mécanisme) ; entretiens avec des témoins et des déclarations (si possible sous forme d’enregistrements audio et vidéo ou de procès-verbaux) ; documents, y compris rapports, documents officiels, dossiers médicaux et pièces manuscrites (telles que dessins et liste de noms) ; images, y compris images satellite, photographies et vidéos ; cartes ; graphiques d’information et autres données.
22. Pour chaque situation, le Mécanisme a établi un plan d’enquête permettant d’orienter l’ensemble des activités. Un dossier a également été créé pour chacune, qui contenait des précisions sur les informations et les éléments de preuve recueillis, y compris tous les renseignements pertinents obtenus par la Mission d’établissement des faits. Il contenait aussi une analyse des informations rassemblées et des renseignements sur la méthode suivie et précisait, pour certaines informations données, dans quelle mesure elles étaient corroborées.
23. Le Mécanisme entendait vérifier toutes les informations. Celles-ci ont été soumises à une analyse distincte, en tant que de besoin. Au cas par cas, le Mécanisme a fait appel à quatre instituts médico-légaux et de défense reconnus sur le plan international, qui avaient aidé des organismes des Nations Unies par le passé. Pareille analyse, de par sa nature, prend du temps.
24. Le Groupe de direction a examiné les neuf dossiers, ainsi que les informations et les éléments de preuve que les enquêteurs y avaient insérés. Il a évalué les informations et les éléments de preuve recueillis, notamment leur exactitude, leur crédibilité et leur fiabilité, le degré de corroboration et l’analyse provenant des instituts médico-légaux et de défense, et a établi ses constatations, évaluations et conclusions par consensus. Pour ce faire, il s’est laissé guider par les normes suivantes (voir S/2016/142) :
a) Preuves accablantes (éléments de preuve très convaincants étayant une constatation) ;
b) Preuves substantielles (éléments de preuve très solides étayant une constatation) ; ou
c) Preuves suffisantes (éléments de preuve crédibles et fiables permettant au Mécanisme de constater qu’une partie a été impliquée dans l’utilisation de produits chimiques comme armes).
25. Quand le Groupe de direction a conclu que les preuves relatives à une affaire sur laquelle le Mécanisme enquêtait étaient insuffisantes, il a fait rapport en conséquence.
V. Évaluations, constatations et conclusions
26. Conformément aux termes de son mandat, le Mécanisme n’a enquêté que sur les cas dans lesquels la Mission d’établissement des faits avait déterminé que des faits spécifiques survenus en République arabe syrienne avaient impliqué ou avaient probablement impliqué l’utilisation de produits chimiques comme armes, notamment le chlore ou tout autre produit chimique toxique, sachant que la Mission s’est penchée sur les faits survenus dans le pays entre avril 2014 et septembre 2015.
27. La difficulté d’accéder aux sites faisant l’objet d’une enquête en raison de la très grande insécurité qui règne sur le terrain a entravé le travail des enquêteurs du Mécanisme. S’ils avaient pu se rendre sur certains sites, ces derniers auraient été en meilleure position pour confirmer avec précision les sites présentant un intérêt, recueillir des échantillons environnementaux à des fins de comparaison, identifier de nouveaux témoins et évaluer physiquement les matériaux présentant un intérêt (comme les restes et fragments).
28. En dépit de l’autorité conférée au Mécanisme par le Conseil de sécurité dans sa résolution 2235 (2015), en particulier aux termes du paragraphe 7 de celle-ci, les enquêteurs du Mécanisme n’ont pas pu exiger que des informations ou des documents leur soient fournis. Ils se sont donc appuyés sur les renseignements que leur ont communiqués à titre volontaire des sources en possession d’informations pertinentes. De même, ils n’ont interrogé que les personnes qui ont accepté de l’être, volontairement et sans contrepartie financière. Compte tenu du caractère volontaire de la collecte d’informations, les deux parties ont dû convenir des modalités spécifiques de leur coopération, notamment s’agissant de la confidentialité, de la sécurité nationale et de la sécurité des personnes.
29. L’enquête a également pâti des facteurs suivants : a) dans certains cas, les investigations intervenaient plus de deux ans après les faits ; b) la chaîne de responsabilité et d’intégrité n’a pas été respectée pour certains des matériaux reçus ; c) les sources dont émanaient les informations et les documents étaient secondaires ou tertiaires ; d) certains des éléments d’information, notamment ceux décrivant l’ampleur et la nature des faits, se sont révélés trompeurs ; e) il a été difficile de trouver des sources indépendantes susceptibles de donner accès aux personnes et aux informations nécessaires.
30. Les constatations sont fondées sur les informations que les enquêteurs du Mécanisme ont recueillies et qu’ils ont pu corroborer au cours d’une période de cinq mois, et elles sont représentatives de la quantité et de la qualité des informations recueillies dans un contexte politique extrêmement sensible caractérisé par la poursuite du conflit en République arabe syrienne. En raison de ces circonstances, l’enquête a été exceptionnellement longue et a nécessité de gros efforts afin d’obtenir la confiance des diverses sources d’information et de trouver des moyens de collaborer avec elles.
31. Le présent rapport expose les évaluations, constatations et conclusions du Groupe de direction à ce jour.
A. Éléments communs aux cas ayant fait l’objet d’une enquête
32. Le Mécanisme a enquêté sur neuf cas, dont huit impliquaient l’utilisation de chlore ou d’un dérivé du chlore comme arme, et le neuvième l’utilisation de moutarde au soufre. Au cours des enquêtes et après avoir examiné tous les éléments recueillis par le Mécanisme, le Groupe de direction a répertorié les facteurs suivants comme étant communs aux huit cas impliquant l’utilisation de chlore, qui sont à lire en parallèle avec les constatations spécifiques concernant chaque cas.
1. Chlore
33. Toutes les parties en République arabe syrienne ont accès au chlore, qui est largement utilisé comme désinfectant et comme agent de purification de l’eau. Le chlore est également utilisé dans divers secteurs industriels, par exemple pour la fabrication de plastique, de pâte à papier et de papier, de pesticides et de produits pharmaceutiques. L’exposition à une haute dose de cette substance dangereuse peut être mortelle. Les enfants, les personnes malades et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables en cas d’exposition au chlore. Le chlore ne laisse aucune trace, ou très peu, dans le corps humain. Compte tenu de sa nature corrosive et toxique, il doit être manipulé par des personnes possédant une certaine expertise et un équipement spécial. Par exemple, afin de transférer du chlore d’un réservoir d’une tonne dans de plus petits conteneurs, une station de remplissage spécialisée est nécessaire.
34. Lorsqu’il est utilisé comme arme, l’efficacité du chlore dépend du type de munition, des méthodes de diffusion, des caractéristiques du terrain et des conditions météorologiques.
35. Dans les cinq cas impliquant l’utilisation de chlore enregistrés en 2014, les faces internes de la munition qui aurait été utilisée avaient un diamètre de 30 à 40 centimètres et une longueur de 155 à 175 centimètres, ce qui permet d’estimer la capacité minimale d’une bouteille à 125 litres. Les bouteilles en question étaient soudées, avaient une soupape centrale et un bouchon de sécurité secondaire sur leur partie supérieure. Elles ne répondaient pas aux normes internationales fixées par l’Organisation internationale de normalisation (ISO), qui disposent que le chlore doit être stocké dans des bouteilles sans soudure et avec une seule soupape. Néanmoins, les normes en vigueur dans certains pays autorisent l’utilisation de ces bouteilles soudées (avec une soupape et un bouchon de sécurité) pour stocker du chlore liquide. Le Groupe de direction note qu’il est aisé de se procurer ces bouteilles, qui sont couramment commercialisées dans le monde.
36. Dans un cas au moins, des informations concernant le fabricant étaient clairement gravées sur la bouteille, assorties de la mention « CL2 » qui indique la présence de chlore, comme le veulent les normes industrielles. Dans la plupart des autres cas, il n’était pas possible de voir ces détails sur les faces internes de la bouteille.
37. Ces bouteilles peuvent être remplies plusieurs fois avec des liquides ou des gaz comprimés, mais un équipement approprié est nécessaire.
38. Dans les trois cas impliquant l’utilisation de chlore survenus en 2015, les informations recueillies par le Mécanisme indiquent que l’enveloppe extérieure des munitions qui auraient été utilisées contenait un certain nombre de cartouches jetables d’hydrochlorofluorocarbones ainsi que des bouteilles en plastique qui auraient contenu du permanganate de potassium. Les bouteilles en plastique étaient attachées aux cartouches au moyen de ruban adhésif, de même que le cordeau détonant.
39. Les cartouches d’hydrochlorofluorocarbones, communément appelées cartouches réfrigérantes, sont largement disponibles étant donné qu’elles sont utilisées pour le remplissage des réfrigérateurs et des climatiseurs. Toutefois, il s’agit de contenants jetables et leur remplissage ou leur conditionnement aux fins d’une autre utilisation nécessiterait une modification technique de la soupape. Pour réaliser cette opération et pouvoir remplir les cartouches avec des liquides ou des gaz comprimés, il faut un certain savoir-faire technique et un équipement spécial.
40. La société Syrian Saudi Chemicals Company (SYSACCO) possédait une usine où étaient produits de la soude caustique et du chlore liquide à 29 kilomètre à l’est de la ville d’Alep. Le Gouvernement a déclaré que le Front el-Nosra avait pris possession de cette installation en août 2012 . Il a en outre indiqué que le Front ainsi que certains groupes d’opposition armés avaient les moyens de transporter du chlore dans tout le pays, et qu’environ 400 tonnes de chlore se trouvaient dans l’usine au moment où le Front el-Nosra en avait pris possession. Le Mécanisme a obtenu des informations confirmant que les conteneurs de chlore qui se trouvaient dans l’usine avaient été transférés après août 2012. On ne sait ni où ces conteneurs ont été transportés ni comment leur contenu pourrait avoir été utilisé.
41. Le Gouvernement a également évoqué le cas d’une usine de pâte à papier et de papier comprenant une unité de production de chlore située à Deïr el-Zor. Selon le Gouvernement, 59 tonnes d’acide chlorhydrique et trois tonnes d’hypochlorite de sodium étaient stockées dans cette usine lorsque des groupes d’opposition armés s’en sont emparés au cours du premier trimestre de 2012. D’après des informations provenant de sources librement accessibles, les dispositifs de stockage et de sécurité de l’unité sont restés en place après la saisie de l’usine, ce qui laisse à penser que des produits chimiques y sont toujours entreposés.
2. Aéronefs
42. Dans la plupart des cas impliquant l’utilisation de chlore, le Mécanisme avait obtenu des informations, en particulier grâce à des déclarations de témoins, faisant état de la présence d’avions et d’hélicoptères aux environs des lieux et aux alentours du moment où se sont produits les faits faisant l’objet d’une enquête. En fonction du moment où les faits se sont déroulés (pendant la journée ou pendant la nuit), les témoins ont déclaré avoir soit vu soit entendu les appareils. Les enquêteurs du Mécanisme ont à maintes reprises demandé au Gouvernement de leur fournir les plans de vol, les rapports de situation et d’autres documents des Forces armées arabes syriennes, mais à ce jour cette requête reste sans réponse.
43. Le Gouvernement a confirmé aux enquêteurs du Mécanisme qu’il contrôlait l’espace aérien syrien pendant les faits sur lesquels ils enquêtent, tout en ajoutant que, dans les cas où les appareils pourraient avoir volé au-dessous de la zone de couverture des radars, il n’était pas en mesure de confirmer ou d’infirmer la présence d’autres avions opérant dans l’espace aérien syrien. Le Gouvernement a expressément confirmé qu’au moment des faits examinés par le Mécanisme, il contrôlait l’aéroport international d’Alep, qui comprend la base aérienne de Neïrab (province d’Alep), la base aérienne de Hama (province de Hama), l’aéroport international Bassel el-Assad, qui comprend la base aérienne de Hmeïmim (province de Lattaquié) et la base aérienne d’Abou el-Zouhour (province d’Edleb). Toutefois, au cours de la période sur laquelle porte l’enquête, le Gouvernement a perdu le contrôle de six bases aériennes, dont celle de Taftanaz, dans la province d’Edleb, et celles de Minaq, de Koueïris et d’el-Jarrah, dans la province d’Alep. En ce qui concerne en particulier la base aérienne de Taftanaz, le Gouvernement a informé les enquêteurs du Mécanisme que 15 hélicoptères y avaient été abandonnés, dont neuf jugés opérationnels.
44. Il convient de noter que le fonctionnement des appareils en question nécessite une maintenance importante, des compétences techniques spécifiques ainsi que des pièces de rechange et du matériel bien particuliers. En outre, compte tenu de la modernité des moyens de défense aérienne dont disposent les Forces armées arabes syriennes, il est très peu probable qu’un appareil puisse décoller et opérer dans l’ouest de la Syrie sans être repéré ou détruit. Le Gouvernement a été prié de fournir toute information dont il disposerait concernant l’utilisation de ces hélicoptères par des groupes d’opposition armés, mais cette requête reste sans réponse à ce jour. Le Gouvernement a informé le Mécanisme que certains des groupes d’opposition armés avaient accès à des drones et les avaient utilisés. Toutefois, il est impossible, étant donné leurs dimensions, que les engins qui auraient été employés dans les cas impliquant l’utilisation de chlore aient été lancés au moyen des petits drones dont disposeraient les groupes d’opposition armés.
45. Ayant examiné toutes les informations collectées concernant les faits, les enquêteurs du Mécanisme n’ont trouvé aucun élément prouvant que les groupes d’opposition armés avaient utilisé des hélicoptères au moment et sur les lieux des faits sur lesquels ils ont enquêté.
3. Bombes-barils
46. Des bombes-barils auraient été utilisées dans tous les cas impliquant l’utilisation de chlore. Ces engins improvisés auraient été fabriqués en plaçant des bouteilles ou des cartouches remplies d’explosifs ou de produits chimiques toxiques dans une enveloppe extérieure. Comme ils sont improvisés, la taille et le poids de ces bombes-barils peuvent varier mais en se fondant sur les images des restes et fragments, les experts ont estimé qu’elles devaient peser entre 350 et 400 kilogrammes. En raison de leur capacité de destruction, les bombes-barils créent de larges cratères et on ne retrouve pas de larges fragments de la munition. Les bombes-barils contenant des produits chimiques toxiques provoqueraient quant à elles des cratères plus petits car selon toute probabilité, la charge explosive qu’elles renferment suffirait tout juste à fissurer la coque extérieure pour libérer les produits chimiques, raison pour laquelle on retrouverait des restes et fragments de grandes dimensions. Les enquêteurs du Mécanisme n’ont pas pu trouver la moindre information étayant la théorie selon laquelle des méthodes de propulsion terrestres telles que les roquettes fabriquées à partir d’une bombonne de gaz et des dispositifs improvisés dits « roquettes éléphants » avaient été utilisées pour lancer les engins dont il est question dans les cas faisant l’objet d’une enquête. Dans les cas examinés, aucun enregistrement, échantillon et aucun fragment de munition n’a permis d’étayer l’accusation selon laquelle des roquettes fabriquées à partir d’une bonbonne de gaz auraient été utilisées. En raison de leur poids, on pense que les bombes-barils ne peuvent être lancées qu’à partir d’hélicoptères.
47. Ayant examiné les informations et les éléments de preuve dont il disposait, le Groupe de direction estime que les Forces armées arabes syriennes ont utilisé des armes improvisées lancées à partir d’hélicoptères, et notamment des engins en forme de barils. Le Gouvernement a nié posséder des bombes-barils. Le Groupe de direction note qu’il serait utile de mener de nouvelles études pour comparer les diverses munitions utilisées dans les neuf cas sur lesquelles le Mécanisme a enquêté avec les restes et fragments retrouvés dans le cadre des faits sur lesquels il n’a pas enquêté. Dans les huit cas impliquant l’utilisation de chlore, on n’a pas pu exclure dans certains cas la possibilité que la munition ait touché des produits chimiques toxiques au sol, notamment en raison du fait que les restes et fragments présumés des engins retrouvés sur les sites examinés avaient été enlevés de ces sites avant d’être enregistrés (voir les paragraphes 49-51 ci-dessous).
4. Systèmes d’alerte rapide en place à l’échelon local
48. Le Groupe de direction a noté que, dans la plupart des cas, les populations locales avaient mis en place un système d’alerte rapide pour prévenir de l’approche d’hélicoptères, en se référant spécifiquement dans certains cas aux supposées attaques menées au moyen de produits chimiques toxiques. Ce système était en partie fondé sur l’interception de communications radio. Il avait été conseillé aux populations locales de se réfugier dans les sous-sols en cas de frappes aériennes et de gagner des sites au vent en cas d’alerte d’attaques aux produits chimiques. Ces dernières auraient causé la panique parmi la population dans certains cas. Dans au moins trois cas, les témoins ont évoqué de fausses alertes d’attaques aux produits chimiques, et dans deux cas ils ont affirmé que des maisons avaient été pillées après l’évacuation. Dans certains cas, la description faite par le personnel chargé du déclenchement du système d’alerte rapide local dans le cadre d’une attaque prétendument menée par hélicoptère était la seule trace attestant du recours à ce moyen de lancement.
5. Documentation fournie par des tiers
49. Le Groupe de direction a constaté que les informations relatives aux cratères et aux munitions provenaient en grande partie soit des premiers intervenants et du personnel médical soit des groupes de surveillance soutenus par la communauté internationale. Il a été difficile de trouver de nouveaux témoins susceptibles de fournir des informations pertinentes qui concernent spécifiquement les faits examinés et qui ne reposent pas sur ces sources.
50. Dans la plupart des cas, l’enregistrement des sites et le prélèvement d’échantillons n’ont pas été effectués immédiatement après les faits, mais quelques jours plus tard seulement. En outre, les restes et fragments de la munition utilisée avaient été démantelés et retirés du site avant d’être consignés. Les enquêteurs du Mécanisme ont donc dû réévaluer le lien entre le site et les restes et fragments, ce qui n’a pas été possible dans certains cas. Ils ont constaté que certains sites avaient été altérés et que tous les cratères ne concordaient pas avec les restes et fragments de la munition concernée. Dans certains cas, il est apparu que des restes provenant d’ailleurs avaient été placés sur les sites présumés.
51. Différents enregistrements montrant des explosions, des sites et des restes et fragments de bombes et prétendument en rapport avec les faits faisant l’objet d’une enquête ont été téléchargés sur des sites de médias sociaux, publiés ou communiqués au Mécanisme. Cependant, après une analyse approfondie de ces documents, qui ont notamment été soumis à des instituts de criminalistique, on a constaté que certains des enregistrements montraient des endroits différents ou des explosions de munitions classiques ou que les faits décrits se produisaient à des moments différents de ceux des faits examinés. Cela a amené les enquêteurs du Mécanisme à se pencher sur de nouveaux sites et de nouveaux restes et fragments.
B. Conclusions particulières
52. Pour chacun des neuf cas faisant l’objet d’une enquête, il a fallu confronter de multiples versions des faits. De plus, dans les cas impliquant l’utilisation de chlore, des allégations faisaient état de multiples sites concernés, et il a fallu enquêter sur l’ensemble de ces sites. Toutefois, les enquêteurs ont constaté que dans de nombreux cas, on ne disposait d’informations suffisantes que pour un seul site alors que concernant les autres sites, les informations disponibles étaient extrêmement rares, à savoir que l’on n’avait aucun renseignement pertinent sur les restes et fragments retrouvés, sur les cratères provoqués par l’engin ou sur l’impact et les effets de ce dernier.
53. S’agissant des faits survenus à Tell Méniss (le 21 avril 2014), à Sarmin (le 16 mars 2015) et à Marea (le 21 août 2015), le Groupe de direction a recueilli des renseignements suffisants pour tirer une conclusion sur les acteurs impliqués.
Tell Méniss (province d’Edleb), le 21 avril 2014
54. Le Groupe de direction a examiné les informations concernant les deux sites de Tell Méniss touchés le 21 avril 2014. Il dispose de suffisamment d’informations pour conclure que ce qui s’est passé sur le site no 2 résulte du largage, par un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes, d’un engin qui a endommagé la structure d’une maison en parpaings, suivi de la libération d’une substance toxique qui a affecté la population.
55. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants :
• Le Mouvement islamique Ahrar el-Cham et le Front el-Nosra étaient bien implantés aux alentours de Tell Méniss. Selon certaines informations, ils auraient l’un et l’autre contrôlé la ville. Le 21 avril 2014 et pendant un certain temps avant et après cette date, Tell Méniss a régulièrement fait l’objet de tirs d’artillerie et d’attaques aériennes. Ce jour-là, un combat a opposé les forces gouvernementales et des groupes d’opposition armés, ainsi que le Front el-Nosra, autour des deux bases militaires de Wadi Deif et Hamidiyé, toutes deux situées à proximité de Tell Méniss ;
• Des témoins ont déclaré que des produits chimiques toxiques s’étaient dégagés après l’explosion d’une bombe-baril larguée d’un appareil ;
• Ni le Gouvernement ni les groupes d’opposition armés ne démentent l’utilisation de chlore à Tell Méniss le 21 avril 2014 ;
• Le Gouvernement a déclaré que l’impact (sur le site no 2) avait été causé par un projectile d’origine terrestre lancé par un groupe d’opposition armé. Cette possibilité n’est pas avérée par les dommages structurels ;
• Un seul des deux impacts présumés (celui du site no 2) a été jugé plausible par le Mécanisme ;
• Au moment des faits, le Gouvernement avait perdu le contrôle de six bases aériennes, dont celle de Taftanaz (province d’Edleb). Il a informé le Mécanisme que 15 hélicoptères avaient été abandonnés sur cette base, dont neuf étaient considérés comme opérationnels ;
• Le Groupe de direction a examiné toutes les informations recueillies et n’a trouvé aucun élément de preuve attestant que des groupes d’opposition armés présents à Tell Méniss avaient utilisé un hélicoptère au moment et sur les lieux des faits ;
• Si le nombre exact de patients n’a pas pu être établi avec certitude, il est évident qu’un grand nombre de personnes a été en contact avec des produits chimiques toxiques.
Sarmin (province d’Edleb), le 16 mars 2015
56. Le Groupe de direction a examiné les informations concernant les deux sites de Sarmin touchés le 16 mars 2015. Il dispose de suffisamment d’informations pour conclure que ce qui s’est passé sur le site no 2 résulte du largage, par un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes, d’un engin qui a frappé une maison, suivi de la libération d’une substance toxique dont tout porte à croire qu’il s’agissait de chlore et qui a coûté la vie aux six occupants de la maison. L’observation des restes de l’engin révèle l’assemblage d’une bombe-baril.
57. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants :
• Des témoins ont confirmé qu’au moins un hélicoptère avait survolé Sarmin au moment des faits ;
• Les analyses médico-légales et les expertises confirment les témoignages selon lesquels un engin ou une « bombe-baril » larguée d’un hélicoptère a atteint la cheminée de ventilation d’une maison (site no 2) alors habitée par une famille de six personnes. Les dommages produits correspondent à l’effet cinétique d’un engin ou d’une bombe-baril largué à une altitude élevée plutôt qu’à l’explosion ou à la détonation d’un explosif brisant ;
• Sur plusieurs vidéos filmées sur le site no 2, on voit des cartouches d’hydrochlorofluorocarbones à l’intérieur de la maison et une substance violette sur le sol ;
• Le Gouvernement a indiqué qu’aucun appareil des Forces armées arabes syriennes n’avait volé le 16 mars 2015, mais n’a fourni aucun renseignement à l’appui de cette affirmation. Le Mécanisme a néanmoins obtenu auprès d’autres sources des informations corroborant les témoignages selon lesquels des hélicoptères de l’armée auraient survolé les lieux au moment des faits ;
• À l’époque des faits, le Gouvernement avait perdu le contrôle de six bases aériennes, dont celle de Taftanaz (province d’Edleb). Il a informé le Mécanisme que 15 hélicoptères avaient été abandonnés sur celle de Taftanaz, dont neuf étaient considérés comme opérationnels ;
• Le Groupe de direction a examiné toutes les informations recueillies et n’a trouvé aucun élément de preuve attestant que des groupes d’opposition armés présents à Sarmin avaient utilisé un hélicoptère au moment et sur les lieux des faits.
Marea (province d’Alep), le 21 août 2015
58. Le Groupe de direction a examiné les informations concernant les faits qui se sont déroulés à Marea le 21 août 2015 et déterminé qu’elles suffisaient à conclure que l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) étaient la seule entité à même d’utiliser de l’ypérite au soufre à Marea le 21 août 2015, disposant des capacités et moyens nécessaires et ayant des motifs pour mener une telle opération.
59. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants :
• Marea a longtemps été un bastion des groupes d’opposition armés combattant les forces gouvernementales. Le 21 août 2015, l’EIIL a progressé vers l’ouest en direction de Marea ;
• Selon plusieurs témoignages et plusieurs autres sources, Marea a été bombardée par une cinquantaine d’obus d’artillerie, dont plusieurs étaient chargés d’ypérite au soufre, tirés depuis des zones situées à l’est ou au sud-est de la localité et contrôlées par l’EIIL ;
• À la date donnée et les jours suivants, plusieurs personnes se sont présentées à l’hôpital avec des symptômes typiques de l’exposition à l’ypérite au soufre ;
• Le Mécanisme a reçu et analysé beaucoup de photos et de vidéos des munitions utilisées à Marea. Quatre sources ont déclaré que les munitions utilisées étaient des obus d’artillerie de 130 millimètres. Les photos et les vidéos des munitions montrent qu’un liquide visqueux sombre a été libéré par les obus.
60. En ce qui concerne les faits constatés à Kafr Zeïta (le 18 avril 2014), à Qaminas (le 16 mars 2015) et à Binnich (le 24 mars 2015), le Groupe de direction était sur le point de disposer d’informations suffisantes pour parvenir à une conclusion sur les acteurs concernés. Il recommande que l’enquête se poursuive sur ces trois affaires.
Kafr Zeïta (province de Hama), le 18 avril 2014
61. Le Groupe de direction a examiné les informations et les éléments de preuve se rapportant aux faits survenus à Kafr Zeïta le 18 avril 2014 et établi que les Forces armées arabes syriennes avaient perpétré les frappes. Toutefois, il n’a pas pu attester l’utilisation de bombes-barils, les restes de l’engin en cause ayant été enlevés et ne pouvant, à ce stade, être associés avec certitude au site no 2.
62. Le Groupe de direction a estimé qu’il fallait enquêter plus avant.
63. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Le 18 avril 2014, les groupes d’opposition armés et le Front el-Nosra étaient présents à Kafr Zeïta. Cette zone a été visée régulièrement par des tirs d’artillerie et des frappes aériennes des Forces armées arabes syriennes, notamment le 18 avril 2014 ;
• Le Gouvernement a confirmé que le jour des faits, à l’heure dite, les Forces armées arabes syriennes avaient lancé une attaque aérienne sur un poste d’observation et ciblé une maison qui était utilisée comme dépôt d’engins explosifs. Lorsque la maison a été touchée, un gaz nocif de couleur verte s’est échappé ;
• Ni le Gouvernement ni les groupes d’opposition armés ne démentent l’utilisation de chlore à Kafr Zeïta le 18 avril 2014 ;
• Seules les allégations concernant un des deux sites (le site no 2) ont été retenues par le Mécanisme, qui n’a toutefois pas pu déterminer si le cratère d’impact correspondait à une bombe-baril ou à d’autres munitions, un obus de mortier par exemple ;
• Les restes de munitions qui auraient été utilisées n’ont pas été retrouvés sur les sites indiqués ou à proximité puisqu’ils ont été déplacés. Bien que plusieurs images de restes se rapportant aux faits du 18 avril 2014 aient été publiées par une source publique, les informations rassemblées en complément n’ont pas permis de confirmer que le site avait bien été frappé.
Qaminas (province d’Edleb), le 16 mars 2015
64. Le Groupe de direction a examiné les informations disponibles au sujet des faits survenus à Qaminas le 16 mars 2015 et a établi qu’un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes avait largué un engin ou une bombe-baril à Qaminas.
65. Même si le Groupe de direction a recueilli des renseignements presque suffisants pour pouvoir tirer une conclusion sur les acteurs impliqués, il n’est pas en mesure, à l’heure actuelle, d’établir avec certitude si l’engin ou la bombe-baril contenait des explosifs ou du chlore.
66. Le Groupe de direction a estimé que l’affaire méritait une enquête plus approfondie.
67. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• D’après les déclarations de témoins, un hélicoptère a largué deux engins à la lisière d’une zone militaire à Qaminas. Cependant, un seul site, comme l’ont indiqué trois témoins distincts, a pu être corroboré grâce à une analyse criminalistique des photographies et des images satellite ;
• Les débris d’un engin découverts près du cratère d’impact ressemblent à des fragments de bombe-baril qui ont été retrouvés près d’autres lieux d’impact, notamment à Sarmin. Toutefois, il n’a pas été possible, d’après l’analyse des fragments et du cratère, d’établir si l’engin contenait des explosifs ou des substances chimiques toxiques ;
• Le Mécanisme a entendu diverses descriptions de l’événement, comme un rejet accidentel de gaz à partir d’un baril tombé d’un véhicule conduit par des membres d’un groupe d’opposition armée ou l’utilisation par des combattants de l’opposition d’un « canon de l’enfer » bourré de substances chimiques à l’encontre d’autres groupes d’opposition armée. Le Mécanisme n’a pas été en mesure d’obtenir des informations crédibles pour appuyer ces différentes hypothèses ;
• Le Mécanisme a obtenu des renseignements selon lesquels un hélicoptère avait survolé Qaminas à la date et à l’heure des faits signalés ;
• Le Gouvernement a indiqué qu’il n’y avait pas eu de survols le 16 mars 2015 dans le secteur des Forces armées arabes syriennes, sans toutefois fournir d’éléments pour étayer ses dires. Le Mécanisme a néanmoins obtenu des informations à partir d’autres sources, qui corroborent les vols de l’hélicoptère à la date et à l’heure des faits signalés ;
• Lorsque les faits se sont produits, le Gouvernement avait perdu le contrôle de six bases aériennes, y compris celle de Taftanaz (province d’Edleb). Il a indiqué au Mécanisme qu’il restait 15 hélicoptères à la base de Taftanaz, dont 9 qui auraient été opérationnels ;
• Le Groupe de direction a examiné toutes les informations recueillies et n’a trouvé aucun élément probant d’après lequel des groupes d’opposition armés à Qaminas auraient manœuvré un hélicoptère au moment et à l’endroit où les faits se sont produits.
Binnich (province d’Edleb), le 24 mars 2015
68. Le Groupe de direction a examiné les informations disponibles au sujet des faits survenus à Binnich le 24 mars 2015 et a été en mesure de confirmer l’existence d’un conteneur avec des traces de chlore ou d’une substance semblable au chlore. Il a reçu un complément d’informations sur les fragments de l’enveloppe extérieure d’un engin compatible avec la fabrication d’une bombe contenant des substances chimiques.
69. Le Groupe de direction avait recueilli des renseignements presque suffisants pour pouvoir tirer une conclusion sur les acteurs impliqués en se fondant sur la chaîne de responsabilité et d’intégrité des fragments retrouvés et sur les conclusions générales de la Mission d’établissement des faits. Cependant, il existe des incohérences dans ce cas précis, y compris en ce qui concerne le lien entre les fragments retrouvés et le(s) lieu(x) d’impact, ainsi que les comptes rendus sur l’explosion et les personnes touchées, qui font l’objet d’une enquête plus poussée.`
70. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• D’après les trois témoins, un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes a largué un engin ou une « bombe-baril » la nuit, au-dessus de Binnich. Il existe néanmoins des incohérences s’agissant de la date et de l’heure des faits survenus, du(des) lieu(x) d’impact et de la description faite de l’exposition de la population locale à des substances chimiques toxiques ;
• En dépit des incohérences et de l’insuffisance d’informations entourant l’affaire, le Mécanisme a été en mesure de corroborer certains éléments clefs, comme des fragments récupérés à Binnich par des agriculteurs qui travaillaient au champ, qui ont été consignés et étayés par la suite. Les fragments retrouvés sur le site no 1 : l’enveloppe extérieure, le conteneur et la bouteille en plastique, sont conformes à la fabrication d’une bombe-baril. Le conteneur et le contenu de la bouteille en plastique ont été analysés dans un laboratoire et le conteneur a révélé des traces de chlore et d’une substance semblable à du chlore. Les laborantins ont également conclu que la bouteille en plastique contenait du permanganate de potassium. La chaîne de responsabilité et d’intégrité a été établie ;
• Le Mécanisme n’a pas pu recueillir de renseignements sur l’explosion de l’engin. Il a toutefois reçu des informations sur le lieu d’impact, qui fait l’objet d’une analyse criminalistique.
71. S’agissant des faits survenus à Kafr Zita (11 avril 2014) et à Tamaniaa (les 29 et 30 avril 2014 et 25 et 26 mai 2014), le Groupe de direction a estimé que les informations étaient en contradiction ou insuffisantes pour tirer des conclusions sur les acteurs impliqués et il ne recommande pas d’enquête approfondie dans ces trois cas.
Kafr Zita (province de Hama), le 11 avril 2014
72. Le Groupe de direction a examiné les informations et les éléments de preuve qu’il a recueillis au sujet des faits qui se sont produits à Kafr Zita le 11 avril 2014 et a établi que les Forces armées arabes syriennes avaient effectué des frappes aériennes dans le secteur, ce jour-là. Au moins une explosion en a résulté.
73. Le Groupe de direction n’a pas été en mesure de confirmer le recours à des bombes-barils car les fragments de l’engin qui aurait été utilisé ont été retirés des lieux et n’ont pas pu être reliés à d’autres sites.
74. Si un nombre important de personnes – jusqu’à 150 – ont été exposées à du chlore, le 11 avril 2014, le Groupe de direction a établi que les informations étaient insuffisantes à l’heure actuelle pour pouvoir tirer des conclusions sur les acteurs impliqués.
75. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Le 11 avril 2014, le Front Nosra et d’autres groupes d’opposition armée étaient présents à Kafr Zita. Ce secteur était soumis régulièrement à des tirs d’artillerie et à des attaques aériennes de la part des Forces armées arabes syriennes. Ces attaques se sont poursuivies le 11 avril 2014 ;
• Le Gouvernement a confirmé avoir visé, à la date et au moment des faits signalés, la résidence d’un commandant du Front Nosra qui, d’après les autorités, aurait servi à la fabrication d’engins explosifs improvisés et au stockage de chlore ;
• Le Gouvernement et les groupes d’opposition armée se sont accordés pour dire que du chlore avait été utilisé à Kafr Zita le 11 avril 2014 ;
• Aucun des cinq sites présumés n’a pu être confirmé par le Mécanisme ;
• Deux vidéos en accès libre montrent une explosion à Kafr Zita provoquée par un engin largué à partir d’un aéronef. On voit une explosion distincte dans une autre vidéo. Le Mécanisme n’a cependant pas pu établir si la dernière explosion avait été suscitée par un engin largué à partir d’un aéronef ou par des munitions au sol. Les deux explosions, en outre, n’ont pas pu être associées à des attaques au chlore ;
• Les débris des munitions qui auraient été utilisées ont été transférés des sites présumés vers d’autres lieux.
Tamaniaa (province d’Edleb), les 29 et 30 avril 2014
76. Le Groupe de direction a établi que les informations étaient insuffisantes pour confirmer ou exclure la possibilité d’une attaque chimique et que les éléments de preuve ne concordaient pas et ne suffisaient pas pour tirer des conclusions quant aux acteurs impliqués.
77. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Les informations pertinentes au sujet de tous les faits survenus à Tamaniaa demeurent insuffisantes. Aucun mouvement aérien n’a pu être établi par le Mécanisme ;
• Il existe des incompatibilités entre les déclarations faites par les témoins, et les descriptions de l’événement sont contradictoires. Certains témoins ont déclaré que des personnes avaient souffert de l’utilisation de chlore comme arme. D’autres ont décrit des frappes aériennes à Tamaniaa en avril ou à la fin du mois d’avril 2014, tout en déclarant qu’aucune substance chimique n’avait été utilisée lors de ces attaques ;
• Les experts estiment que ces faits sont à imputer à une attaque menée à l’aide d’armes classiques.
Tamaniaa (province d’Edleb) les 25 et 26 mai 2014
78. Le Groupe de direction a examiné les informations et les éléments de preuve disponibles au sujet des faits survenus à Tamaniaa les 25 et 26 mai 2014 et a établi qu’ils n’étaient pas suffisants pour pouvoir tirer des conclusions sur les acteurs impliqués et les modalités d’utilisation de substances chimiques comme armes, lors des faits.
79. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Les informations pertinentes sont insuffisantes au sujet de tous les faits qui se sont produits à Tamaniaa. Aucun mouvement aérien n’a été établi par le Mécanisme ;
• Plusieurs témoins ont déclaré que depuis avril 2014, de « fausses » alertes aux armes chimiques avaient été lancées fréquemment, de manière sporadique, et qu’aucune substance chimique n’avait été utilisé comme arme à Tamaniaa ;
• D’autres témoins ont déclaré qu’une « bombe-baril » non explosée aurait dégagé du chlore. Les éléments de preuve sont cependant insuffisants pour corroborer ce témoignage.
VI. Observations finales
80. Immédiatement après sa création, le Groupe de direction a constaté une diminution du nombre d’allégations relatives à l’utilisation de substances chimiques comme armes en République arabe syrienne. Ces allégations se sont toutefois poursuivies au cours de son mandat et, notamment, ces derniers temps, au sujet de l’utilisation d’agents chimiques divers, dont certains décrits comme armes chimiques au titre de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
81. Les allégations relatives à l’utilisation, en République arabe syrienne, d’armes chimiques ou de substances chimiques toxiques comme armes, au titre de la Convention, qui ont été communiquées au Mécanisme par des États Membres, de décembre 2015 à août 2016, comprennent du sarin (13), de la moutarde au soufre (12), de l’agent VX (4), du chlore (41) et d’autres substances chimiques ou agents toxiques (61). D’après ces informations, tant le Gouvernement que d’autres acteurs seraient impliqués dans les faits présumés.
82. Le Groupe de direction se déclare à nouveau fermement persuadé que l’utilisation de substances chimiques comme armes, quelles qu’en soient les circonstances ou les motivations, est tout à fait exécrable. Le Groupe réaffirme sa conviction qu’il est absolument fondamental de tenir pour responsables de leurs actes ceux qui utilisent ou ont l’intention d’utiliser des substances chimiques comme armes.
83. Le Groupe de direction tient à remercier les États Membres, les organisations internationales et d’autres entités de la pleine coopération dont ils ont fait montre à ce jour à l’appui de ses travaux et tout particulièrement de leur généreuse contribution financière.
84. Enfin, le Groupe de direction tient à remercier de leur soutien le Secrétariat et notamment le Bureau des affaires de désarmement et le secrétariat technique de l’OIAC.
Annexe I
Méthodes de travail
1. Il n’existe pas de précédent en matière d’enquêtes visant à établir l’identité de ceux qui ont perpétré, organisé ou commandité l’utilisation de produits chimiques comme armes, ou qui y ont participé d’une manière ou d’une autre. Tel n’était pas le cas pour les enquêtes sur l’emploi présumé d’armes chimiques puisque des directives et procédures avaient été élaborées aux fins des travaux du Mécanisme permettant au Secrétaire général d’enquêter sur les allégations d’emploi d’armes chimiques, biologiques et à toxines (voir A/44/561). En l’absence de directives pouvant l’orienter dans l’exécution de son mandat d’un genre nouveau, le Mécanisme d’enquête conjoint s’est doté de lignes directrices et de procédures opérationnelles concernant l’identification de ceux qui sont impliqués dans l’emploi de produits chimiques, le but étant de veiller au respect des principes d’impartialité, d’objectivité et d’indépendance dans la conduite de ses travaux.
Aperçu général
2. Les informations obtenues par la Mission d’établissement des faits de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ont été examinées « telles quelles » et les conclusions figurant dans les rapports correspondants ont constitué le point de départ des travaux du Mécanisme. Ces informations ont été examinées et analysées par le Mécanisme en vue d’en extraire des renseignements qui contribueraient à l’identification de ceux qui ont perpétré, organisé ou commandité l’utilisation de produits chimiques comme armes, ou qui y ont participé d’une manière ou d’une autre.
3. Le mandat du Mécanisme a été exécuté en deux phases. La première – phase de collecte des informations et de planification du traitement des cas – a consisté à examiner et analyser les données rassemblées par la Mission d’établissement des faits, à se représenter les faits (recensement des cas dans lesquels la Mission a estimé, à l’issue d’une enquête, que des produits chimiques avaient probablement ou certainement été employés, examen minutieux des faits et classement des cas en fonction de leur gravité, des moyens et munitions utilisés, et de la quantité de données et d’informations disponibles) et à mettre sur pied un plan d’enquête et une méthode, comprenant notamment des règles d’établissement des preuves et des procédures. La seconde – phase d’enquête – a comporté une analyse approfondie des cas recensés au cours de la première phase et s’est poursuivie jusqu’à ce que la quantité d’informations recueillies, analysées, évaluées et vérifiées soit suffisante pour que le Mécanisme puisse présenter ses conclusions au Conseil de sécurité.
Gestion de l’information
4. Le Mécanisme a fait le nécessaire pour que son personnel respecte la confidentialité et les mesures de protection énoncées dans le mémorandum d’accord sur l’accessibilité, le stockage et le traitement des informations conclu entre le Mécanisme et l’OIAC le 26 novembre 2015. Il a également été exigé de tous les membres du personnel qu’ils signent un engagement de confidentialité.
5. En outre, le Mécanisme a appliqué la circulaire du Secrétaire général consacrée à la classification et au maniement des informations sensibles ou confidentielles (ST/SGB/2007/6) pour ce qui est des informations qu’il a recueillies et produites, de même que les dispositions pertinentes de la circulaire consacrée à la gestion des dossiers et des archives de l’ONU (ST/SGB/2007/5).
6. Le Mécanisme a adopté des instructions permanentes et des directives sur la gestion de l’information et la conduite d’auditions, la collecte d’éléments de preuves et de renseignements, y compris les formulaires de traçabilité, et l’analyse des informations.
Collecte d’informations et d’éléments de preuve
7. Outre les informations et éléments de preuve rassemblés par la Mission d’établissement des faits, le Mécanisme a obtenu des informations auprès :
a) Du Gouvernement de la République arabe syrienne et de toutes les parties présentes en République arabe syrienne ;
b) D’autres États Membres de l’ONU ;
c) D’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales nationales et internationales, d’autres entités et personnes ;
d) De sources publiques.
8. Les informations et éléments de preuve recueillis par le Mécanisme comptent des auditions de témoins et des déclarations à des tiers (qui, dans la mesure du possible, ont été enregistrés ou filmés, ou encore transcrits) ; des documents, parmi lesquels des récits, des dossiers médicaux et des documents manuscrits ; des images, dont des images satellite, des photographies et des vidéos ; des graphiques d’information et autres données. Le Mécanisme s’est également procuré des analyses criminalistiques, des résultats de laboratoire et d’autres documents tels que des cartes.
Informations reçues du Gouvernement de la République arabe syrienne
9. À la demande du Mécanisme, le Gouvernement de la République arabe syrienne a communiqué des pièces concernant les neuf cas d’utilisation présumée de produits chimiques comme armes (rapports, diapositives, vidéos, photographies, cartes et diagrammes). Il a aussi organisé des entretiens avec certains témoins. De plus, au cours de ses missions à Damas, le Mécanisme s’est entretenu avec des représentants du Gouvernement et notamment des membres des forces armées.
Informations reçues de toutes les parties présentes en République arabe syrienne
10. Le Mécanisme a tenu des réunions avec des groupes d’opposition armés, au cours desquelles il a obtenu des informations sur les cas visés par une enquête. Un groupe a organisé un entretien avec un témoin. Les représentants du Mécanisme ont également rencontré ceux de la Coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition syriennes. D’autres parties ont, elles aussi, procuré des documents au Mécanisme.
Informations reçues des États Membres
11. Le Mécanisme a reçu des informations portant sur tel ou tel cas émanant de 14 États membres. Il a recueilli des documents complémentaires afin de corroborer ces informations auprès de sources indépendantes. Il s’est en outre servi des informations en question pour vérifier d’autres informations ou s’assurer qu’il avait une bonne compréhension des cas.
Informations reçues d’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales, et d’autres personnes et entités
12. Le Mécanisme a mis en place un réseau de contacts possédant des informations utiles concernant les cas visés par telle ou telle enquête : organisations internationales, organisations non gouvernementales, secteur privé, instituts, laboratoires et organismes de recherche, organisations de la société civile et particuliers.
13. Ce réseau lui a fourni des informations et l’a aidé à accéder à des témoins.
Sources publiques et médias sociaux
14. En ce qui concerne les cas d’utilisation présumée de produits chimiques comme armes, on trouve quantité d’informations mises en lignes par des sources publiques ou sur les réseaux sociaux, en arabe pour l’essentiel. Le Mécanisme a examiné des vidéos et d’autres documents disponibles en ligne qui étaient censés attester les faits pour ce qui était des munitions utilisées et leurs restes, du mode de dispersion et de l’impact, ainsi que des effets produits. Les documents issus de sources publiques et des médias sociaux jugés les plus intéressants pour les enquêtes ont été soumis à une analyse scientifique.
Constitution des dossiers d’information
15. Pour chaque cas, le Mécanisme a établi un plan d’enquête encadrant l’ensemble des activités d’investigation. Pendant l’enquête, un dossier a également été créé pour chacun des cas, comprenant des précisions sur les informations et les éléments de preuve recueillis, y compris tous les renseignements utiles obtenus par la Mission d’établissement des faits. Le dossier contenait aussi une analyse des informations recueillies et des renseignements sur la méthode suivie et sur la fiabilité des informations. Les annexes II à X ci-après ont été rédigées sur la base de ces dossiers.
16. Dans chaque cas, les enquêteurs se sont non seulement attachés à dresser un tableau général de la situation, mais ils ont aussi cherché à établir les éléments ci-après : a) date et heure ; b) conditions météorologiques ; c) lieux des impacts ; d) munitions (restes, par exemple) ; d) mode de dispersion (vecteurs et ciblage, par exemple) ; f) dommages et effets (sur les bâtiments, l’environnement, la flore et la faune, par exemple) ; g) effets médicaux.
Conditions météorologiques
17. Le Mécanisme a reçu de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) des informations relatives aux conditions météorologiques qui régnaient au moment et sur les lieux des faits examinés. L’OMM a précisé, à chaque fois qu’elle a communiqué des informations, que la densité des stations météorologiques était faible pendant la période en question, et qu’il était donc extrêmement difficile d’évaluer, à partir d’observations locales, les conditions météorologiques sur les lieux concernés. Une station étant installée à proximité de Kafr Zeïta, ses relevés avaient été utilisés. De plus, l’OMM avait recouru à des prévisions à courte échéance tirées d’un modèle atmosphérique à haute résolution de renommée mondiale. Ces prévisions découlaient de son estimation (analyse) la plus fine de l’état de l’atmosphère. Des images satellite avaient également été utilisées comme source d’information pour décrire la situation.
18. L’OMM a informé le Mécanisme que, si les données concernant l’humidité et la température étaient considérées comme relativement justes (à 2 °C près pour ce qui est de la température), celles concernant la vitesse et la direction du vent n’étaient pas aussi fiables car elles pouvaient varier sensiblement en quelques minutes. Néanmoins, les valeurs indiquées sont jugées raisonnablement fiables si on considère les moyennes calculées sur 60 minutes. Les heures de lever et de coucher du soleil viennent du site Web de la National Oceanic and Atmospheric Administration : http://www.esrl.noaa.gov/gmd/grad/solcalc/sunrise.html.
Analyse, vérification et corroboration des informations
Corroboration et analyse
19. Le Mécanisme avait pour mission de corroborer les informations obtenues. À cet égard, il importait de déterminer l’origine des informations afin de s’assurer que celles utilisées pour en corroborer d’autres venaient bien d’une source distincte.
20. Le cas échéant, les informations recueillies par le Mécanisme ont été soumises à des procédures d’analyse distinctes. Au cas par cas, le Mécanisme a fait appel à quatre instituts spécialisés dans la criminalistique et les questions de défense jouissant d’une renommée internationale, qui avaient prêté assistance à des organismes des Nations Unies par le passé. Ces établissements se sont notamment employés à vérifier si des vidéos et des photos avaient été modifiées ou falsifiées, à établir les dates et heures de tournage des vidéos ou de prise des photographies et à vérifier les caractéristiques des lieux figurant sur les images. Les instituts spécialisés dans les questions de défense ont analysé les images et se sont intéressés aux questions ayant trait aux munitions, aux explosions et à la modélisation de la dispersion du chlore dans l’atmosphère. Le Mécanisme a également consulté un expert en balistique et en explosifs, à qui il a soumis les images des points d’impact.
Analyse et examen
21. Aux fins de l’analyse, une équipe spéciale a été mise sur pied et chargée de s’assurer de la conformité des caractéristiques techniques des informations recueillies, de veiller à ce que tous les cas faisant l’objet d’une enquête soient traités de façon cohérente et de déceler les points communs à plusieurs cas. Les informations reçues dans ce cadre ont été saisies dans une base de données et ont servi à établir des correspondances entre les faits. L’équipe a utilisé plusieurs outils standard tels que ceux utilisés pour faire des projections de données sur des variables discrètes ou continues et pour collecter des éléments de preuve permettant de reconstituer les faits.
Évaluation
22. Le Groupe de direction a examiné attentivement les documents présentés par les enquêteurs dans les dossiers, ceux-ci comportant des informations recueillies avant le 10 août 2016. Après avoir pris toute la mesure des informations et des éléments de preuve, il est parvenu par consensus à formuler ses constatations, évaluations et conclusions.
23. Le Groupe de direction a décidé qu’il devait disposer, au minimum, de pièces justificatives « suffisantes » pour transmettre ses conclusions au Conseil de sécurité. Il entendait par « suffisantes » des preuves crédibles et fiables permettant de déterminer qu’une partie était impliquée dans l’utilisation de produits chimiques comme armes à la date et à l’heure où, selon la Mission d’établissement des faits, de tels produits avaient certainement ou probablement été employés. Il a adopté la typologie suivante :
a) Preuves accablantes (éléments de preuve très convaincants étayant une constatation) ;
b) Preuves substantielles (éléments de preuve très solides étayant une constatation) ;
c) Preuves suffisantes (éléments de preuve crédibles et fiables permettant au Mécanisme de constater qu’une partie a été impliquée dans l’utilisation de produits chimiques comme armes à la date et à l’heure des faits).
24. On trouvera dans les annexes II à X une description des faits pour chacun des neufs cas retenus, un résumé des informations et des éléments de preuve recueillis, ainsi qu’un récapitulatif des constatations et évaluations finales.
25. Quand le Groupe de direction a conclu que les éléments de preuve relatifs à un cas sur lequel le Mécanisme enquêtait étaient insuffisants, il a fait rapport en conséquence.
Difficultés et contraintes
26. Comme cela avait déjà été le cas pour les missions d’établissement des faits, le Mécanisme n’a pas pu enquêter comme il l’aurait voulu faute d’accès aux lieux visés par les enquêtes en raison de la très grande précarité des conditions de sécurité sur le terrain. En se rendant sur certains sites, il aurait été mieux à même de vérifier si ces sites présentaient un intérêt et d’y accéder, de prélever des échantillons dans l’environnement à des fins de comparaison, d’identifier de nouveaux témoins et d’évaluer physiquement les éléments intéressants (des restes, par exemple).
27. D’autres difficultés et contraintes tiennent notamment aux facteurs suivants : a) le temps écoulé depuis les faits (plus de deux ans dans certains cas) ; b) l’absence de traçabilité pour certains des éléments reçus ; c) le fait que les informations et les éléments de preuves étaient de seconde, voire de troisième main ; d) le fait que certains documents d’information, y compris des documents décrivant la gravité et la nature des faits, prêtaient à confusion ; e) la difficulté de trouver des sources d’information indépendantes pouvant donner accès aux personnes et aux documents d’information ; et f) le fait que les sites n’ont pas été protégés et que leur intégrité n’a pas été préservée jusqu’au moment où ils ont été filmés ou photographiés (ce qui s’est parfois produit des jours après les faits, souvent après que les restes ont été enlevés).
Considérations et problèmes éthiques
28. Les activités menées par le Mécanisme aux fins des enquêtes, les entretiens notamment, ont été réalisés de manière à protéger la vie privée et à assurer la sécurité de chacun. L’identité des témoins n’a jamais été révélée et la confidentialité des informations vitales a été préservée. Pour le traitement des données, un numéro d’identité a été attribué à chaque témoin, la liste des noms étant conservée en lieu sûr par le Mécanisme. Tout au long des enquêtes, celui-ci s’est efforcé de respecter les valeurs et normes religieuses, les coutumes nationales, et de prendre en compte les pressions et les traumatismes individuels subis par suite de l’exposition au conflit.
Annexe II
Kafr Zeïta, le 11 avril 2014
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits est parvenue aux conclusions suivantes concernant les informations recueillies :
Les faits confirment de façon indiscutable qu’un produit chimique toxique a été utilisé en tant qu’arme, de façon systématique et répétée, dans les villages de Tell Méniss, de Tamaniaa et de Kafr Zeïta dans le nord de la Syrie. Les descriptions, les propriétés physiques, le comportement du gaz, les signes et symptômes résultant de l’exposition, ainsi que la réaction des patients au traitement amènent la Mission d’établissement des faits à conclure, avec un degré de certitude élevé, que le produit chimique toxique dont il est question est du chlore, pur ou mélangé .
2. La Mission a en outre déclaré :
Kafr Zeïta et ses environs ont été la cible de quelque 17 attaques mettant en jeu des produits chimiques toxiques, la première attaque étant intervenue la nuit du 10 avril 2014 et les derniers faits ayant été signalés à la Mission le 30 août 2014. Étant donné que ces attaques étaient fréquentes et que les témoins vivaient constamment dans une zone en guerre, les témoins ne se souvenaient pas des dates et heures des divers événements. Ils ont informé la Mission que toutes les attaques s’étaient passées de nuit, sauf une (qui avait eu lieu le 11 avril 2014 entre 18 heures et 19 heures) .
3. Comme l’a noté la Mission d’établissement des faits, l’événement survenu le 11 avril 2014 entre 18 heures et 19 heures correspond à la deuxième attaque ayant été menée au moyen de produits chimiques toxiques à Kafr Zeïta ; 12 patients ont été dénombrés (y compris les patients victimes des premiers faits, le 10 avril 2014) .
Enquête du Mécanisme
Contexte
4. Kafr Zeïta (province de Hama, district de Mohradé) est situé à 30 kilomètres au nord de Hama, à la limite administrative avec le district d’Edleb et à quelque 8 kilomètres à l’ouest de Mourek, qui se trouve le long de l’autoroute M5 reliant Damas et Alep. La ville et le terrain d’aviation militaire de Hama sont situés à une trentaine de kilomètres au sud-sud-est de Kafr Zeïta. Le village de Mohradé, le long de l’autoroute M56 reliant Damas et Lattaquié, ainsi que le barrage et la centrale hydroélectrique de Mohradé se trouvent à 8 kilomètres au sud.
5. Selon un recensement effectué en 2004, le sous-district de Kafr Zeïta comptait alors 39 302 habitants, chiffre qui s’est considérablement accru tout au long de 2014 en raison d’un afflux massif de personnes déplacées. Il ressort d’un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires que l’on estimait à plus de 61 000 le nombre de personnes qui avaient besoin d’une aide humanitaire en août 2014, dont 39 500 personnes déplacées.
6. Le Gouvernement de la République arabe syrienne a déclaré qu’il n’avait plus le contrôle de Kafr Zeïta depuis le 20 décembre 2012. Par la suite, la ville a été disputée et tout au long de 2014 elle a été le théâtre d’affrontements très intenses marqués par de fréquentes attaques aériennes, et des tirs d’artillerie, de mortiers et de roquettes ont été mentionnés.
7. En 2014, la présence du Gouvernement à Edleb s’est signalée par des réseaux de postes de contrôle et d’installations militaires, l’un le long de l’autoroute M5 entre Maarret el-Noman et Khan Cheïkhoun, et l’autre le long de l’autoroute M4 reliant Lattaquié et la ville d’Edleb. Le Gouvernement était alors tenu par son obligation de transférer à Lattaquié ses stocks d’armes chimiques, qui devaient être évacués par mer.
8. À compter du début 2014, plusieurs groupes d’opposition armés ont concentré leurs efforts dans la province d’Edleb, afin d’empêcher le Gouvernement de rejoindre ses bases militaires et Alep en passant par l’autoroute M5. Au moment des premiers faits, Mourek venait d’être prise par des groupes d’opposition armés, mais était disputée par les Forces armées arabes syriennes et des groupes d’opposition armés.
9. Le Gouvernement a déclaré que ses troupes se trouvaient à 5 kilomètres à l’ouest de Kafr Zeïta. Il ressort d’informations disponibles que des forces de défense nationale avaient été postées à Mohradé et Sqeïlibiyé. La plupart des villages se trouvant dans l’immédiate proximité de Kafr Zeïta étaient alors disputés par les parties en présence.
10. Au début de 2014, des groupes d’opposition armés et des organisations terroristes désignées comme telles par le Conseil de sécurité , notamment le Front el-Nosra, et des groupes qui leur sont apparentés étaient présents à Kafr Zeïta. Il ressort de certaines informations que la ville s’était trouvée en partie sous le contrôle de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) jusqu’au 6 janvier 2014.
11. Les groupes d’opposition armés présents sur le terrain étaient notamment les suivants : Feïlaq el-Cham, alliance de plusieurs groupes constituée en mars 2014, et Jeïch el-Izza, alliance de plusieurs plus petits groupes dont la plupart étaient liés à l’Armée syrienne libre (ASL).
12. À cette époque, les alliances se nouaient et se dénouaient, les petits groupes fusionnaient pour en constituer de plus grands et des blocs commençaient à faire leur apparition. Les combats entre les groupes d’opposition armés et les organisations terroristes désignées comme telles par le Conseil de sécurité, qui allaient marquer le second semestre de 2014, n’avaient pas encore commencé et la plupart des groupes s’employaient surtout à lutter contre le Gouvernement. Cependant, les divers groupes se disputaient les combattants, les ressources et le pouvoir et avaient souvent des idéologies très divergentes. De ce fait, la situation à Kafr Zeïta, où se trouvaient de nombreux groupes, était instable.
13. En 2014, Ahrar el-Cham a mené des opérations sur l’ensemble du territoire de Hama et d’Edleb, dont plusieurs ont été signalées près de Kafr Zeïta en avril. Toutefois, ce groupe a déclaré ne pas avoir été présent à Kafr Zeïta en avril 2014.
14. Au moment des faits, il y avait deux hôpitaux à Kafr Zeïta, dénommés l’hôpital Ouest (no 5) et l’hôpital Est (no 6). Selon la Mission d’établissement des faits , l’hôpital Est a été détruit au cours d’une attaque lancée plus tardivement en 2014.
Description des faits
15. Il ressort de la description donnée dans le rapport de la Mission que le 11 avril 2014, entre 18 heures et 19 heures, la population a été informée d’attaques imminentes par des messages relayés par des postes de radio portatifs. Peu avant le coucher du soleil, un hélicoptère a largué sur Kafr Zeïta une bombe-baril contenant un cylindre rempli de chlore. Un nuage de gaz s’est élevé jusqu’à une hauteur de 50 à 60 mètres puis est redescendu vers le sol, suivant la direction du courant atmosphérique. Une odeur forte et âcre semblable à celle du chlore, perceptible de très loin, a disparu au bout de 30 à 45 minutes environ. Plusieurs États Membres ont fourni des informations à l’appui de cette description. D’autres entités ont publié des rapports indiquant qu’un hélicoptère ou un « avion » avait largué un baril qui aurait contenu du chlore.
16. Le Gouvernement a déclaré que, le 11 avril 2014, la maison d’un commandant du Front el-Nosra , qui était utilisée pour fabriquer des explosifs et préparer des voitures piégées, avait été prise pour cible. Lors de l’impact, la maison avait explosé et une odeur de chlore s’était répandue à travers la ville, blessant et tuant un certain nombre de personnes déplacées. Six combattants d’un village voisin affiliés au Front el-Nosra se trouvaient dans la maison et avaient péri au cours de l’attaque. Plusieurs barils de chlore avaient été entreposés dans cette maison.
17. Le Gouvernement a en outre déclaré que le Front el-Nosra avait ensuite tenté d’accuser les Forces armées arabes syriennes d’avoir utilisé du chlore ; à cette fin, il avait fait un montage vidéo pour produire un faux témoignage. Selon une autre source, la vidéo avait été mise en scène. En particulier, le Gouvernement et la source en question ont affirmé qu’un médecin, témoin de la Mission d’établissement des faits, avait été associé à la fabrication des preuves.
18. Se fondant sur le témoignage d’un autre témoin, la Mission donne une autre description des faits. Ainsi, quand un hélicoptère s’est dirigé vers Kafr Zeïta, des hommes armés ont utilisé un canon dit « canon de l’enfer » et ont fait feu sur la ville. Une fumée jaune et blanche s’est dégagée, et le témoin a senti une odeur désagréable et a éprouvé des difficultés à respirer. À l’hôpital, d’autres patients ont présenté les mêmes symptômes.
19. Les médias ont largement couvert ces événements. Certains ont indiqué que le Gouvernement avait attaqué Kafr Zeïta à l’aide de produits chimiques toxiques, tandis que d’autres ont cité la télévision d’État syrienne, selon laquelle des combattants affiliés au Front el-Nosra avaient utilisé du chlore dans une attaque visant Kafr Zeïta.
Date et heure
20. La Mission d’établissement des faits a déclaré que l’attaque survenue le 11 avril 2014 avait eu lieu entre 18 heures et 19 heures, peu avant le coucher du soleil. Le Mécanisme a examiné les déclarations des témoins de la Mission se rapportant aux faits. Deux témoins ont expressément mentionné ces faits et ont confirmé l’heure. D’autres témoins ont corroboré ces déclarations. Un témoin a déclaré que, quelques minutes après 18 heures, plusieurs bombes-barils avaient été larguées sur Kafr Zeïta.
21. Plusieurs sources ont téléchargé des vidéos sur Internet, faisant valoir que ces vidéos montraient l’attaque menée à l’aide de « produits chimiques toxiques » à Kafr Zeïta le 11 avril 2014. L’une de ces vidéos (v01) montre une forte explosion peu avant le coucher du soleil (19 h 03). On peut entendre la fin de la prière du soir. L’analyse des métadonnées indique que cette vidéo a bien été téléchargée le 11 avril 2014 à 19 h 23. Cependant, les métadonnées n’indiquent pas à quel moment la vidéo a été réalisée.
22. Une deuxième vidéo en accès libre (v02) publiée le 11 avril 2014 (date non confirmée par l’analyse scientifique) est légendée ainsi : « Kafr Zeïta – Bombes-barils contenant des matières toxiques, larguées par hélicoptères ». Au moment de l’établissement du présent rapport on attendait toujours les résultats de l’analyse scientifique, mais il y a de bonnes raisons de penser que la deuxième partie de cette vidéo donne à voir la même explosion que celle figurant sur la vidéo v01. Dans la première partie, la vidéo montre un hélicoptère larguant un engin qu’elle suit dans sa chute. Cependant, il semble qu’il y ait une coupure entre la vue de l’engin en train de tomber et la première image de l’explosion. Une analyse scientifique plus poussée, toujours en attente, permettra d’évaluer le temps écoulé entre les deux parties de la vidéo qui semblent avoir été collées.
23. Une troisième vidéo (v03) montre une autre explosion de forte intensité, survenue pendant la journée. Selon la légende indiquée, la vidéo est censée montrer une bombe-baril frappant Kafr Zeïta. L’analyse des métadonnées indique qu’elle a été téléchargé le 11 avril 2014 à 17 h 39. Une fois encore, cette vidéo, qui a pu effectivement être téléchargée ce jour-là, aurait pu être réalisée avant. Cela étant, les vidéos dans leur ensemble indiquent que plusieurs attaques pourraient avoir frappé Kafr Zeïta à cette date, comme l’a mentionné un témoin.
24. Un témoin a déclaré avoir vu un « canon de l’enfer » tirer sur un hélicoptère dans la direction de Kafr Zeïta en mars ou avril 2014.
25. Une autre source a déclaré que l’explosion spontanée d’une voiture chargée d’explosifs non identifiés avait provoqué la mort de six combattants affiliés au Front el-Nosra. L’explosion s’était accompagnée d’une forte odeur de chlore dans l’atmosphère et plusieurs dizaines de civils avaient été empoisonnés ; certains avaient été tués. Le Mécanisme n’a pu obtenir d’informations à l’appui de cette déclaration.
Conditions météorologiques
26. Le 11 avril 2014, le soleil s’est couché à 19 h 03. Entre 18 heures et 19 heures, la température est tombée de 23 °C à 19 °C avec un taux d’humidité relative situé entre 72 et 76 %. Le vent venait du nord-ouest (310°) à la vitesse de 1 à 2 mètres/seconde.
Lieux des impacts
Lieu n° 1
27. Un témoin a déclaré qu’une bombe-baril était tombée sur « plusieurs maisons » à l’ouest de l’hôpital Ouest (no 5). L’explosion paraissait « différente, dégageant une fumée de couleur orange virant au jaune », et elle pouvait être vue de l’hôpital Ouest. Afin de pouvoir confirmer le lieu de l’impact, le Mécanisme a déterminé l’emplacement de cet hôpital, comme point de référence, à partir de quatre sources.
28. Un témoin s’est rendu sur le lieu de l’impact plusieurs jours après les faits et a consigné sa visite. Dans la vidéo (v04), une application GPS (Système mondial de localisation) sur tablette indique les coordonnées 35,372950°N, 36,589800°E, ce qui correspondrait à la description donnée par le témoin.
29. Aucun des autres témoins n’a confirmé ce lieu ni fourni de renseignements supplémentaires à cet égard. La résolution des images satellite dont disposait le Mécanisme pour cette zone était trop faible pour mettre en évidence un quelconque signe d’impact. Malgré ses demandes répétées, le Mécanisme n’a pu obtenir d’images satellite de source militaire pour confirmer la date et le lieu en question.
Lieu n° 2
30. Grâce à l’analyse scientifique de la vidéo v01, une éventuelle zone d’impact de l’explosion au coucher du soleil a pu être déterminée. Le lieu mentionné par les deux témoins est plus à l’ouest. Par conséquent, le cratère apparaissant sur le lieu no 1, présenté dans la vidéo v04, ne résulte pas de l’attaque aérienne figurant dans la vidéo v01, même si l’explosion et le nuage qui s’ensuit, ainsi que la date mentionnée, présentent des similitudes avec la description donnée par le témoin.
Lieu no 3
31. Dans la vidéo v03, on peut voir et entendre un impact suivi d’une série de détonations sur une vaste zone. Un nuage jaunâtre se dégage de l’impact. Il ressort de l’analyse scientifique que l’impact a eu lieu dans la région sud-ouest de Kafr Zeïta.
Lieu no 4
32. Le Gouvernement a indiqué que les coordonnées de la maison du commandant du Front el-Nosra visée à cette date étaient les suivantes : 35,373189°N, 36,599503°E.
33. Cependant, aucune des vidéos ne semble montrer cette attaque car les coordonnées ne sont pas situées dans les zones d’impact potentiel telles qu’elles ont pu être déduites de l’analyse des vidéos, et elles ne correspondent pas non plus aux déclarations des témoins. Des comparaisons des images satellite de la maison avant et après le 11 avril 2014 font apparaître des dommages, dus probablement à une explosion.
Lieu no 5
34. Le témoin qui a évoqué l’impact d’un canon de l’enfer a dit que le lieu de l’impact se trouvait « près de la grande mosquée » et l’a indiqué sur une carte (35,373642°N, 36,602564°E). Des images satellite accessibles au public datant du 2 mai 2014, quelques semaines après l’attaque, montrent un éventuel cratère situé à environ 25 mètres de ce lieu.
35. Le lieu de l’impact ne correspond à aucun des autres lieux. Il se trouve à 200 mètres de l’hôpital Est (no 6).
Munitions
36. Pour déterminer la nature des munitions utilisées, on s’est fondé sur les déclarations des témoins, sur les vidéos montrant l’explosion et les restes de munitions, et également sur les photographies disponibles.
Lieu no 1
37. Selon un témoin, les restes de munitions provenant du lieu no 1, ainsi que les restes provenant d’autres lieux, ont été rassemblés et entreposés à l’extérieur de Kafr Zeïta. Dans une vidéo (v04) réalisée le 23 avril 2014, le lieu est indiqué de même que les coordonnées sur une application GPS sur tablette (35,354700°N, 36,584417°E). Une comparaison avec une carte des points de repère relevés dans la vidéo donne à penser que les coordonnées GPS sont crédibles.
38. La vidéo v04 et d’autres vidéos en accès libre montrent des restes de munitions censés provenir du lieu no 1. Ces restes ont été transportés du lieu de l’impact effectif vers un autre lieu, à la périphérie du village. Plusieurs vidéos et photographies montrent des restes provenant de Kafr Zeïta, mais on ne sait pas précisément à quels faits ils se rapportent, et l’on ne connaît ni la date ni le lieu des faits.
39. Le témoin a déclaré que les restes provenant du lieu n°1 comprenaient une enveloppe extérieure et un cylindre intérieur. Cette description correspond aux restes apparaissant sur la vidéo v04. Les mesures de ces restes sont les suivantes : 160 centimètres de longueur (cylindre intérieur : 157 cm) et 60 centimètres de diamètre (cylindre intérieur : 40 cm).
40. Un journaliste a également pris des photographies au même endroit 12 jours après l’attaque et en a publié 59. On peut y voir les mêmes restes que dans la vidéo du témoin, et on peut penser que celle-ci a été réalisée au même endroit.
41. Aucun autre témoin recensé par le Mécanisme n’a pu fournir d’informations susceptibles de confirmer que les restes figurant sur les images disponibles avaient été retirés du cratère sur le lieu n°1. L’analyse des images n’a pas non plus pu permettre de rattacher les munitions au lieu de l’impact ou au cratère.
42. Un témoin a déclaré que l’explosion survenue sur le lieu n° 1 était importante et que la population avait d’abord pensé qu’il s’agissait d’une attaque commise à l’aide d’une munition classique. Il a ajouté que « la fumée était de couleur orange virant au jaune, outre la poussière provoquée par l’explosion ». Un autre témoin a déclaré que l’explosion sur le lieu no 1 était « très importante » et qu’on pouvait l’entendre d’un village à l’autre. Selon ce même témoin, le nuage s’était élevé jusqu’à une hauteur de 50 à 60 mètres et s’était répandu rapidement en raison du vent venu de l’ouest.
43. Un témoin a dit que lorsque le premier baril était tombé à quelque 400 mètres de l’endroit où il se trouvait, ce baril avait provoqué une très forte explosion accompagnée de fumées jaunâtres qui avaient commencé à se déplacer vers l’est, dans le sens du vent, et qui dégageaient une odeur de chlore.
44. Selon les informations communiquées par deux entités indépendantes, un hélicoptère avait largué un gros conteneur qui était tombé entre quatre maisons et qui avait explosé sans faire le bruit habituel d’une explosion, libérant dans un rayon de 500 mètres un gaz particulier, malodorant, de couleur jaune-orange.
Lieu n° 2
45. Les descriptions données par les témoins rappellent l’explosion que l’on peut voir sur la vidéo v01. Cependant, deux de ces descriptions faisaient référence au lieu n°1.
46. L’explosion montrée dans la vidéo v01 s’accompagne d’une couleur jaune à sa base. Selon un examen scientifique, le nuage sombre que l’on peut voir est provoqué par la détonation d’un « engin explosif militaire pauvre en oxygène (par exemple du TNT) ». La couleur jaune est apparemment de la poussière. Selon les experts en armements du Mécanisme et d’autres experts indépendants, les explosions semblent avoir pour origine une « munition militaire de pointe avec prédétonation et détonation différée ».
Lieu no 3
47. Sur la vidéo v03, on peut voir et entendre un impact accompagné d’une série de détonations sur une vaste zone. Un nuage jaunâtre se dégage de l’impact. Les experts en munitions du Mécanisme, de même que les experts et instituts de recherche externes indépendants, ont conclu que l’impact résultait probablement de munitions militaires classiques, peut-être associées à des sous-munitions. Le titre et la description de la vidéo ne mentionnent pas de lien avec des produits chimiques.
48. Le Mécanisme n’a pas pu exclure la possibilité que l’explosion montrée sur la vidéo provienne d’explosifs au sol.
Lieu no 4
49. Le Gouvernement n’a pas fourni de renseignements sur les munitions utilisées, alors que ce type de renseignements avait été demandé à de nombreuses reprises. Le Mécanisme n’a pas reçu d’informations sur les images de ce lieu ni d’informations sur les restes de munitions qui pouvaient s’y trouver.
Lieu no 5
50. Le témoin a déclaré que la munition avait été propulsée par un dispositif dénommé « canon de l’enfer ». Un dessin de la munition réalisé par le témoin montre qu’il pourrait s’agir d’un projectile également décrit par diverses sources en accès libre. Un cylindre contenant du gaz de pétrole liquéfié ou du propane, détourné de son usage initial, est rempli d’explosifs et d’éclats d’obus. Un tube métallique (la queue), à peu près de la même circonférence que la bouche du canon, est soudé à la charge utile.
51. Selon les informations communiquées par des entités indépendantes et des sources en accès libre, le Gouvernement a fourni des renseignements sur les groupes d’opposition armés utilisant des canons de l’enfer pour lancer des engins explosifs improvisés qui auraient été remplis d’explosifs, souvent d’engrais. Toutefois, selon l’évaluation de l’expert, il est très peu probable que la munition telle que le témoin l’a décrite ait été remplie de chlore.
Mode de dispersion
Lieu no 1
52. Un témoin a vu un hélicoptère larguer un engin le 11 avril 2014 vers 18 heures. Un autre témoin a déclaré que « des observateurs avaient indiqué qu’un hélicoptère larguait des bombes-barils » et que, par la fenêtre, il avait vu « descendre une bombe-baril ». Selon les informations communiquées par une autre organisation à propos de ces événements, un hélicoptère aurait décollé de l’aéroport militaire de Hama et à 18 heures aurait pris pour cible la partie ouest du village.
53. Bien qu’il existe de multiples déclarations de témoins de diverses sources concernant un hélicoptère, le Mécanisme n’a pas été en mesure de confirmer de manière indépendante, autrement que par les déclarations des témoins, qu’un hélicoptère avait survolé Kafr Zeïta entre 19 heures et 20 heures.
Lieu n° 2
54. La vidéo v01 faisant état de la détonation vers le coucher du soleil a été examinée pour déterminer la méthode de dispersion. Un institut de recherche indépendant et les experts en munitions du Mécanisme ont estimé que « les charges explosives avaient été larguées par un aéronef ». Dans la vidéo, on peut voir un objet tomber selon un angle plutôt vertical, juste avant la détonation, dans la direction du lieu de la détonation. On peut entendre un bruit ressemblant à celui d’un chasseur à réaction. Cependant, plusieurs causes peuvent expliquer ce bruit.
55. Le Gouvernement a adhéré à cette analyse de la vidéo v01, indiquant qu’elle montrait une attaque aérienne à l’aide de munitions classiques.
56. La vidéo v02, qui semble montrer l’explosion sur le lieu no 2 (vu sur la vidéo v01), montre également un hélicoptère. Toutefois, comme la vidéo semble avoir été coupée entre les images de l’hélicoptère et celles de l’explosion, l’hélicoptère ne peut pas être associé à l’explosion sur la foi de cette vidéo.
Lieu no 3
57. Une analyse indépendante de la vidéo v03 montre que les munitions ont été larguées d’un aéronef, comme indiqué dans le titre de la vidéo. On estime que celle-ci n’est pas liée à l’exposition au chlore.
Lieu no 4
58. Le Gouvernement, tout en confirmant l’attaque, n’a pas précisé si elle avait été menée lors de frappes aériennes ou lors d’une offensive au sol.
Lieu no 5
59. Les « canons de l’enfer » désignent une catégorie d’armes à feu improvisées de type mortier. Un certain nombre de variantes de fabrication artisanale ont fait leur apparition en République arabe syrienne. Lors du tir, la force de l’explosion suit une ligne de moindre résistance propulsant le projectile vers la cible à grande vitesse. Les surfaces de stabilisation du vol, qui font partie de l’ensemble de la queue, empêchent le cylindre de chuter. Il semble très peu probable que le projectile décrit par le témoin ait été tiré par un canon de l’enfer.
Incertitudes quant au lieu de l’impact
60. Le Mécanisme note que deux autres témoins interrogés par une autre entité mentionnent la présence d’hélicoptères à Kafr Zeïta ce jour-là. Un de ces témoins se trouvait chez lui au moment des faits et a entendu un hélicoptère en vol stationnaire vers 18 heures. Quelques minutes plus tard, l’hélicoptère a largué plusieurs barils tout particulièrement sur la partie ouest de Kafr Zeïta. L’autre témoin, qui n’était pas à Kafr Zeïta au moment des faits, a indiqué que « la nature de l’offensive supposait des attaques aériennes menées par des hélicoptères de la Marine du régime qui avaient largué des bombes-barils remplies de chlore ; ces bombes avaient explosé, dégageant des fumées jaunâtres dont l’odeur rappelait celle d’un détergent au chlore ». Une autre entité, citée par des médias internationaux, a fait état d’un « avion » qui avait largué un baril contenant du chlore.
61. Le Gouvernement a communiqué des informations relatives aux opérations terrestres. Ripostant aux attaques visant leurs positions, les Forces armées arabes syriennes avaient eu recours à des canons contre des groupes d’opposition armés dans plusieurs secteurs, y compris à Kafr Zeïta, tuant ou blessant un certain nombre de combattants et détruisant des véhicules et du matériel.
62. La vidéo v02, qui semble montrer l’explosion sur le lieu no 2, montre également un hélicoptère. Toutefois, comme la vidéo paraît avoir été coupée entre les images de l’hélicoptère et celles de l’explosion, l’hélicoptère ne peut pas être associé à l’explosion sur la foi de cette vidéo.
Dommages et effets
Lieu no 1
63. Le cratère représenté sur la vidéo v04 mesure environ 200 centimètres de profondeur et 400 centimètres de large ; l’analyse scientifique n’a pas été concluante en ce sens qu’elle n’a pu permettre d’en déterminer l’origine.
64. La Mission d’établissement des faits mentionne une vidéo montrant un cratère de 3,6 mètres de diamètre et de 1,4 mètre de profondeur ; les dommages infligés aux bâtiments situés à proximité sont très limités. Une capture d’écran fait l’objet de l’annexe 21 du rapport. Toutefois, après une analyse approfondie, l’équipe chargée de l’enquête a conclu qu’il s’agissait d’une image représentant un cratère à Tell Méniss et non à Kafr Zeïta.
Lieu no 4
65. Une comparaison des images satellite avant et après l’événement, le 11 avril 2014, fait apparaître des dégâts très importants, résultant probablement d’une explosion.
Effets médicaux
66. Les témoins et d’autres sources ont indiqué que jusqu’à 150 patients avaient été traités dans les deux hôpitaux le 11 avril 2014. Trois personnes étaient mortes à la suite des événements. En tout, 100 patients avaient été traités à l’hôpital Est et 50 à hôpital Ouest. Plusieurs patients avaient été transférés dans un pays voisin pour poursuivre leur traitement.
67. Selon un témoin, une personne était morte à la suite d’une exposition à des substances toxiques. Les deux autres avaient succombé à des blessures d’une autre nature.
68. Un institut de recherche externe a effectué une simulation de base de la dispersion d’un panache de chlore à Kafr Zeïta. Selon ce modèle, il fallait s’attendre au bilan suivant : trois morts dans une distance de 50 mètres du lieu de l’impact et 120 personnes touchées à une distance de 400 mètres. Le Mécanisme a utilisé ce modèle de dispersion sur le lieu des impacts potentiels à Kafr Zeïta pour évaluer les effets sur la population.
Lieu no 1
69. Sur les images satellite, 30 maisons apparaissaient dans la zone de dispersion du panache (400 m) sur le lieu no 1. Dans l’hypothèse où quatre personnes en moyenne se trouvaient dans chaque maison au coucher du soleil, le nombre de 120 personnes touchées pouvait être envisageable. Pour cette zone, le nombre de 150 patients est donc supérieur au nombre envisagé de personnes touchées, en particulier si l’on considère qu’un témoin a indiqué que le lieu n° 1 était une zone inhabitée.
70. Il est également possible, cependant, qu’un plus grand nombre de personnes se soient trouvées dans le village ou dans cette zone. En outre, selon des témoins, deux des trois personnes qui étaient mortes n’avaient pas été victimes d’une exposition au chlore ; certains patients pouvaient avoir subi d’autres blessures ou avoir été victimes d’anxiété.
71. Le Gouvernement et une autre source ont accusé des groupes d’opposition armés et des individus d’avoir diffusé des informations mensongères concernant les patients, disant que ces groupes avaient « filmé et photographié la population touchée, y compris des enfants, en vue de présenter l’épisode comme une attaque chimique lancée par les forces gouvernementales ». Un médecin local aurait été directement impliqué dans l’élaboration d’images truquées ; il aurait été payé par d’autres États Membres pour inventer de fausses allégations. L’on ne dispose pas de preuve pour étayer cette affirmation.
Lieu no 4
72. Selon le Gouvernement, outre six combattants affiliés au Front el-Nosra, des personnes déplacées avaient été blessées ou tuées. Les enquêteurs ont analysé les effets des destructions sur le lieu no 4, partant de l’hypothèse que des produits chimiques toxiques avaient été entreposés dans le bâtiment et s’étaient dégagés au cours de l’explosion. L’impact le plus important se serait probablement produit à moins de 100 mètres de la maison.
73. Il se peut que des personnes se trouvant à l’intérieur de la maison soient mortes et que les maisons voisines aient été touchées, de sorte que d’autres civils ont également pu être affectés. Les enquêteurs ont estimé qu’une trentaine de maisons tomberaient dans ce périmètre. Une analyse de dispersion n’a pas été possible en raison du manque d’information sur la nature et la quantité de substances toxiques entreposées dans la maison.
Lieu no 5
74. Le témoin a vu de la fumée jaune et blanche et a senti une odeur nauséabonde, comme jamais il n’en avait senti auparavant. Lui-même et les membres de sa famille ont éprouvé des difficultés à respirer. Lors d’une première audition, il a mentionné avoir vu à l’hôpital une fillette de trois ans respirant difficilement, et présentant des sécrétions et une cyanose. Lors d’une deuxième audition, il a simplement dit que des combattants de l’opposition étaient soignés pour d’autres blessures. Le Mécanisme n’a pas pu recueillir d’informations supplémentaires permettant de confirmer la déposition du témoin.
Évaluation du Groupe de direction
75. Le Groupe de direction a examiné les informations et les éléments de preuve qu’il a recueillis au sujet des faits qui se sont produits à Kafr Zeïta le 11 avril 2014 et a établi que les Forces armées arabes syriennes avaient effectué des frappes aériennes dans le secteur, ce jour-là. Au moins une explosion en a résulté.
76. Le Groupe de direction n’a pas été en mesure de confirmer le recours à des bombes-barils car les restes de l’engin qui aurait été utilisé ont été retirés du lieu en question et n’ont pas pu être reliés à d’autres lieux d’impact.
77. Si un nombre important de personnes – jusqu’à 150 – ont été exposées à du chlore, le 11 avril 2014, le Groupe de direction a établi que les informations étaient insuffisantes à l’heure actuelle pour pouvoir tirer des conclusions sur les acteurs impliqués.
78. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Le 11 avril 2014, le Front el-Nosra et d’autres groupes d’opposition armée étaient présents à Kafr Zeïta. Ce secteur était soumis régulièrement à des tirs d’artillerie et à des attaques aériennes de la part des Forces armées arabes syriennes. Ces attaques se sont poursuivies le 11 avril 2014 ;
• Le Gouvernement a confirmé avoir visé, à la date et au moment des faits signalés, la résidence d’un commandant du Front el-Nosra qui, d’après les autorités, aurait servi à la fabrication d’engins explosifs improvisés et au stockage de chlore ;
• Le Gouvernement et les groupes d’opposition armée se sont accordés pour dire que du chlore avait été utilisé à Kafr Zeïta le 11 avril 2014 ;
• Aucun des cinq lieux d’impact présumés n’a pu être confirmé par le Mécanisme ;
• Deux vidéos en accès libre montrent une explosion à Kafr Zeïta provoquée par un engin largué à partir d’un aéronef. On voit une explosion distincte dans une autre vidéo. Le Mécanisme n’a cependant pas pu établir si la dernière explosion avait été suscitée par un engin largué à partir d’un aéronef ou par des munitions au sol. Les deux explosions, en outre, n’ont pas pu être associées à des attaques au chlore ;
• Les débris des munitions qui auraient été utilisées ont été transférés des lieux d’impact présumés vers d’autres lieux.
Annexe III
Kafr Zeïta, le 18 avril 2014
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits est parvenue aux conclusions suivantes concernant les informations recueillies :
Les faits confirment de façon indiscutable qu’un produit chimique toxique a été utilisé en tant qu’arme, de façon systématique et répétée, dans les villages de Tell Méniss, de Tamaniaa et de Kafr Zeïta dans le nord de la Syrie. Les descriptions, les propriétés physiques, le comportement du gaz, les signes et symptômes résultant de l’exposition, ainsi que la réaction des patients au traitement amènent la Mission d’établissement des faits à conclure, avec un degré de certitude élevé, que le produit chimique toxique dont il est question est du chlore, pur ou mélangé .
2. La Mission a également constaté ce qui suit :
Kafr Zeïta et ses environs ont été la cible de quelque 17 attaques mettant en jeu des produits chimiques toxiques ; la première attaque étant survenue la nuit du 10 avril 2014 et la dernière ayant été signalée à la Mission le 30 août 2014. Ces attaques étant fréquentes et les témoins vivant en permanence dans une zone de guerre, ils ne se souviennent plus exactement des dates et des heures auxquelles elles se sont produites. Ils ont informé la Mission que toutes les attaques s’étaient passées de nuit, sauf une (qui est survenue le 11 avril 2014 entre 18 heures et 19 heures).
3. Dans son rapport, la Mission d’établissement des faits a signalé que l’attaque survenue le 18 avril 2014, à environ 22 h 30, était la cinquième à faire intervenir des produits chimiques toxiques à Kafr Zeïta ; 35 patients ont dû être traités .
Enquête du Mécanisme
Contexte
4. Kafr Zeïta (province de Hama, district de Mohradé) est située à 30 kilomètres au nord de Hama, à la limite administrative avec le district d’Edleb et à quelque 8 kilomètres à l’ouest de Mourek, qui se trouve le long de l’autoroute M5 reliant Damas et Alep. La ville et le terrain d’aviation militaire de Hama sont situés à environ 30 kilomètres au sud-sud-est de Kafr Zeïta. Le village de Mohradé, le long de l’autoroute M56 reliant Damas et Lattaquié, ainsi que le barrage et la centrale hydroélectrique de Mohradé se trouvent à 8 kilomètres au sud.
5. Selon un recensement effectué en 2004, le sous-district de Kafr Zeïta comptait alors 39 302 habitants, chiffre qui s’est considérablement accru tout au long de 2014 en raison d’un afflux massif de personnes déplacées. Il ressort d’un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires que l’on estimait à plus de 61 000 le nombre de personnes qui avaient besoin d’une aide humanitaire en août 2014, dont 39 500 personnes déplacées.
6. Le Gouvernement de la République arabe syrienne a déclaré qu’il n’avait plus le contrôle de Kafr Zeïta depuis le 20 décembre 2012. Par la suite, la ville a été disputée et tout au long de 2014, elle a été le théâtre d’affrontements très intenses marqués par de fréquentes attaques aériennes, et des tirs d’artillerie, de mortiers et de roquettes ont été signalés.
7. À compter du début de 2014, plusieurs groupes d’opposition armés ont concentré leurs efforts dans la province d’Edleb, afin d’empêcher le Gouvernement de rejoindre ses bases militaires et Alep en passant par l’autoroute M5. Au moment des premiers faits, Mourek venait d’être prise par des groupes d’opposition armés, mais était disputée par les Forces armées arabes syriennes et des groupes d’opposition armés.
8. Le Gouvernement a déclaré que ses troupes se trouvaient à 5 kilomètres à l’ouest de Kafr Zeïta. Il ressort d’informations disponibles que des forces de défense nationale avaient été postées à Mohradé et Sqeïlibiyé. La plupart des villages se trouvant dans l’immédiate proximité de Kafr Zeïta étaient alors disputés par les parties en présence.
9. Au début de 2014, des groupes d’opposition armés et des organisations terroristes désignées comme telles par le Conseil de sécurité , notamment le Front el-Nosra, et des groupes qui leur sont apparentés étaient présents à Kafr Zeïta. Selon certaines informations, la ville aurait été en partie contrôlée par l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) jusqu’au 6 janvier 2014.
10. Parmi les groupes d’opposition armés présents sur place, il y avait Feïlaq el-Cham, une alliance de plusieurs groupes constituée en mars 2014, et Jeïch el-Izza, une alliance de plusieurs groupes encore plus petits, la plupart étant liés à l’Armée syrienne libre.
11. À cette époque, les alliances se nouaient et se dénouaient, les petits groupes fusionnaient pour en constituer de plus grands et des blocs commençaient à faire leur apparition. Les combats entre les groupes d’opposition armés et les organisations terroristes désignées comme telles par le Conseil de sécurité, qui allaient marquer le second semestre de 2014, n’avaient pas encore commencé et la plupart des groupes s’employaient surtout à lutter contre le Gouvernement. Cependant, les divers groupes se disputaient les combattants, les ressources et le pouvoir et avaient souvent des idéologies très divergentes. De ce fait, la situation à Kafr Zeïta, où se trouvaient de nombreux groupes, était instable.
12. En 2014, le mouvement Ahrar el-Cham a mené des opérations sur l’ensemble du territoire de Hama et d’Edleb, dont plusieurs ont été signalées près de Kafr Zeïta en avril. Toutefois, ce groupe a déclaré ne pas avoir été présent à Kafr Zeïta en avril 2014.
13. Au moment des faits, il y avait deux hôpitaux à Kafr Zeïta dénommés l’hôpital Ouest (no 5) et l’hôpital Est (no 6).
Description des faits
14. Il ressort des dépositions faites par les témoins interrogés par la Mission d’établissement des faits que, le 18 avril 2014, autour de 22 h 30, un hélicoptère a largué deux bombes-barils contenant des cylindres remplis de chlore.
15. Le Gouvernement a donné une autre description des faits, à savoir que les Forces armées arabes syriennes avaient mené une attaque aérienne contre un poste d’observation du Front el-Nosra ou un groupe qui lui était apparenté, dans le nord-est de la ville. Les combattants avaient lancé, à partir de l’endroit où ils se trouvaient, un engin explosif improvisé, au bout duquel était attachée une bonbonne de gaz. Une odeur et une épaisse fumée blanche s’étaient dégagées après que la roquette eut été tirée. Le groupe a exploité la situation et produit des vidéos, alléguant que les Forces armées arabes syriennes avaient tiré des obus contenant du gaz chloré. Dans le même temps, les Forces armées arabes syriennes ont également visé la maison d’une personne affiliée à un certain groupe d’opposition armé, laquelle servait de dépôt d’engins explosifs. Lorsque la maison a explosé, des gaz verts nocifs se sont dégagés. L’opposition a créé, avec l’aide d’un médecin local, de faux éléments de preuve accusant les Forces armées arabes syriennes d’avoir mené une attaque chimique.
16. D’après une autre description donnée par une autre source, des combattants du Front el-Nosra auraient utilisé des obus de mortier remplis de chlore. Le Mécanisme n’a pas pu obtenir d’informations étayant cette version des faits, notamment en ce qui concerne l’endroit où l’explosion aurait eu lieu et la munition et le vecteur utilisés.
Date et heure
17. Deux témoins ont déclaré que deux bombes-barils avaient été largués sur Kafr Zeïta le 18 avril 2014 à 22 h 45. Un autre a déclaré que l’attaque s’était produite autour de 23 heures.
Conditions météorologiques
18. Le 18 avril 2014, le soleil s’est couché à 19 h 9. Entre 22 heures et 23 heures, il faisait une température de 19 °C à 20 °C et le vent changeait de direction à la vitesse de 1 mètres/seconde.
Lieux des impacts
Lieu no 1
19. Un témoin a indiqué que l’explosion d’une bombe-baril avait été ressentie dans un rayon de 50 mètres de l’hôpital Est (no 6). Le Mécanisme a déterminé l’emplacement de l’hôpital et l’a utilisé comme point de référence dans deux vidéos en accès libre. Le lieu a été confirmé par un témoin et par le Gouvernement.
20. Aucune autre information n’est disponible sur le cratère formé au lieu d’impact ; il n’a pas été possible non plus de corroborer ces informations.
Lieu no 2
21. Un témoin a déclaré que l’un des deux barils avait été largué sur le terrain de football de Kafr Zeïta. Le lendemain, la bombe-baril avait été retirée du cratère par un bataillon du génie. Le Mécanisme n’a pu retrouver aucun autre témoin susceptible de corroborer cette information.
22. Le 23 avril 2014, un témoin s’est rendu sur le terrain de football où la deuxième bombe-baril se serait écrasée et en a consigné les coordonnées (35,3731667°N, 036,5973167°E). Sur une image satellite, on peut distinguer une anomalie qui ressemble à un cratère.
Lieu no 3
23. Le Gouvernement a indiqué que les coordonnées de la ferme visée par les Forces armées arabes syriennes étaient les suivantes : 35,3843222°N, 36,6145250°E.
24. La comparaison des images satellite de source publique prises avant et après les faits ne permet pas d’établir qu’il y ait eu un quelconque impact dans la zone. En septembre 2012, il existait déjà une anomalie ressemblant à un cratère.
Lieu no 4
25. Le Gouvernement a donné les coordonnées de la maison qu’il avait aussi prise pour cible (35,3721417°N, 36,6025000°E), située en face de la grande mosquée.
26. La comparaison des images satellite de source publique n’a révélé aucun dommage significatif avant et après le 18 avril 2014. Des photos d’une meilleure résolution seraient toutefois nécessaires pour confirmer cette affirmation. Le Mécanisme a réclamé que des images militaires à haute résolution lui soient fournies, mais il n’a rien reçu.
Munitions
Lieu no 1
27. Aucune information n’est disponible.
Lieu no 2
28. On ne distingue pas de restes de munitions sur les images du lieu de l’impact. Un témoin a déclaré que tous les restes de munitions avaient été déplacés vers un autre endroit situé à l’extérieur de Kafr Zeïta. Le témoin a fourni une vidéo (v01) de ce qui serait les restes de munitions, filmée à l’endroit en question. Le dispositif est constitué d’une enveloppe extérieure de 114 centimètres de long et de 45 centimètres de diamètre et d’un cylindre intérieur de la même longueur et de 30 centimètres de diamètre.
29. Le titre d’une vidéo de source publique (v02) publiée le 18 avril 2014 indique qu’on y voit le « bataillon du génie Mohamad » démonter une bombe-baril remplie de produits chimiques à Kafr Zeïta pendant la nuit. D’après une comparaison visuelle, les débris ressemblent à ceux qui apparaissent sur la vidéo v01.
30. La vidéo v02 montre un baril contenant un cylindre à l’intérieur, lequel semble avoir été repeint. Un cordeau détonant bleu est enroulé autour de l’ouverture où la vanne était attachée. La vanne a été retirée du cylindre, mais celui-ci, qui était équipé d’un bouchon de sécurité supplémentaire, ne semble pas avoir explosé. Le reste du dispositif a l’air intact. Toute fuite de gaz serait donc venue de l’endroit où la vanne était attachée.
31. Le cylindre intérieur et l’enveloppe extérieure sont tous deux métalliques, ce qui signifie qu’il faudrait au moins 4 m de cordeau détonant pour faire exploser les parois du cylindre et l’enveloppe. Du ruban adhésif a été utilisé pour attacher le cordeau détonant à la surface du cylindre intérieur.
32. D’après l’examen scientifique de la vidéo sur laquelle apparaît le lieu de l’impact, on ne peut voir aucun reste ni fragment de restes sur le site, « ce qui donne à penser que le cratère était ancien (plus de 24 heures) lorsque la vidéo a été filmée » et « permet difficilement d’en évaluer la taille et, partant, de déterminer la cause de la formation du cratère en question ».
33. L’appendice 19 du rapport de la Mission d’établissement des faits (S/2015/138) montre également le croquis d’une bombe-baril improvisée et une capture d’écran provenant d’une vidéo sur laquelle on voit une bombe-baril. Ils font apparaître un grand cylindre ainsi que de petits réservoirs. Les étiquettes apposées sur eux indiquent que les petits réservoirs contiennent de l’acide sulfurique. Cela dit, la vanne n’était pas reliée à l’acide sulfurique. Il ne semble donc pas s’agir d’un engin explosif improvisé. En outre, le cylindre est intact et ne correspond pas aux débris qui apparaissent sur les autres images de Kafr Zeïta dans l’affaire en question.
34. On aperçoit des restes de munitions sur plusieurs images publiées dans le domaine public en relation avec les faits. Le Mécanisme n’a pas pu trouver d’informations supplémentaires pour confirmer que les restes se rapportaient aux faits considérés.
Lieux nos 3 et 4
35. Le Gouvernement n’a pas fourni d’informations sur les munitions utilisées sur les deux sites. Le Mécanisme n’a pas pu obtenir d’informations provenant d’autres sources sur les munitions utilisées.
Mode de dispersion
Lieu no 1
36. Un témoin a indiqué que l’explosion d’une bombe-baril avait été ressentie dans un rayon de 50 mètres de l’hôpital Est (no 6). Aucune autre information n’a pu être trouvée.
Lieu no 2
37. Des témoins ont dit qu’ils avaient entendu, au moyen d’un système radio, le bruit d’un hélicoptère. Un témoin a dit qu’un hélicoptère s’était approché à 22 h 45 précisément. L’attaque s’est déroulée de nuit et aucun des témoins n’a déclaré avoir vu un hélicoptère.
38. S’il existe des témoignages concernant la présence d’un hélicoptère, le Mécanisme n’a pas été en mesure de corroborer de manière indépendante l’information selon laquelle un hélicoptère aurait survolé Kafr Zeïta à 22 h 30.
39. Un témoin a mesuré le cratère et filmé une vidéo, qui daterait du 18 avril 2014. Le cratère fait 300 centimètres de diamètre et a une profondeur de 100 à 110 centimètres. Un expert extérieur a déclaré que ce type de cratère pouvait se produire si une bombe-baril équipée d’un cylindre rempli de chlore était larguée depuis un hélicoptère volant à une altitude élevée et frappait le terrain orthogonalement ou plus ou moins obliquement.
40. Un autre expert en balistique indépendant a déclaré que la largeur du diamètre du cratère et sa faible profondeur donnaient à penser que la munition avait explosé à la surface ou juste sous la surface. La largeur du diamètre du cratère et sa forme donnaient à penser qu’un obus de mortier de gros calibre (120 mm ou plus) pouvait avoir explosé en s’écrasant sur le site apparaissant sur le film. Il ne peut être exclu, toutefois, que le cratère ait été formé par d’autres munitions, comme une bombe-baril ou un autre type de bombe qui aurait été larguée depuis un hélicoptère ou un aéronef.
Lieu no 3
41. Le Gouvernement avait tout d’abord déclaré que le lieu en question avait été la cible d’une frappe aérienne. Comme indiqué plus haut, le Mécanisme n’a pas pu obtenir d’images montrant l’impact et l’analyse d’images satellite n’a pas permis de confirmer qu’il y ait eu une frappe aérienne.
Lieu no 4
42. Le Gouvernement n’a pas précisé la méthode de dispersion sur le lieu no 4. Toutefois, il a fourni des informations générales sur les opérations menées dans la zone, à savoir que, en réaction aux attaques visant les positions des Forces armées arabes syriennes, la puissance de feu (des canons) a été utilisée dans plusieurs endroits, notamment à Kafr Zeïta. Comme indiqué plus haut, le Mécanisme n’a pas pu obtenir d’images montrant l’impact et l’analyse d’images satellite n’a pas permis de confirmer qu’il y ait eu une frappe aérienne.
Dommages et effets
Lieu no 1
43. Les dommages et les effets ne sont pas connus.
Lieu no 2
44. Des échantillons de sol prélevés par un témoin dans le cratère sur le terrain de football ont été remis à deux États Membres. Le Mécanisme a passé en revue les résultats de l’analyse, laquelle a décelé la présence de composés chlorés.
45. Le Mécanisme a demandé à un expert en balistique spécialiste des explosifs d’analyser les images du cratère. L’expert a indiqué ce qui suit :
La taille du cratère est un peu plus grande que la taille maximale prévue pour [l’explosion d’un baril rempli de produits chimiques] … le cylindre intérieur qui contient le gaz étant assez lourd et pointu, on peut s’attendre qu’il pénètre plus profondément que ce qui était envisagé. Il se peut qu’il y ait eu également une charge explosive supplémentaire dans le baril. Si c’est cette charge explosive supplémentaire qui est essentiellement à l’origine du cratère, elle doit avoir été équivalente à 2 kilogrammes de TNT. Cela semble trop puissant pour le cordeau détonant présent dans le baril, mais pourrait bien être le résultat du chlore gazeux qui se serait dégagé violemment de la chambre à pression après impact et pénétration dans le sol.
Lieux nos 3 et 4
46. Les dommages et les effets ne sont pas connus.
Informations d’ordre général
47. Compte tenu de la distance qu’il y a entre les lieux indiqués par différentes sources, le Mécanisme envisage la possibilité que plus de deux endroits aient été pris pour cible à cette date.
48. Au vu des contradictions, des informations manquantes et de la manipulation des éléments sur les lieux d’impact, le Mécanisme n’est pas parvenu à une conclusion sur les faits considérés.
Effets médicaux
49. La Mission d’établissement des faits signale que 35 patients ont été traités en relation avec les faits. Aucun décès n’a été enregistré. Un témoin a déclaré qu’une trentaine de personnes avaient été touchées et hospitalisées. Deux autres ont déclaré qu’en tout, une centaine de personnes avaient été blessées. Un témoin a précisé que des dizaines de personnes suffoquaient après que le dispositif s’est écrasé sur le terrain de football et les personnes se trouvant à proximité du deuxième lieu d’impact (près de l’hôpital Est) avaient des difficultés à respirer et suffoquaient, dont des membres du personnel médical de cet hôpital.
50. Trop peu d’informations étant disponibles sur la topographie, les obstacles, les lieux, et la densité et les caractéristiques de la population (âge, sexe et état de santé), une simulation de la dispersion du panache n’a pas donné de résultats tangibles.
Évaluation du Groupe de direction
51. Le Groupe de direction a examiné les informations et les éléments de preuve se rapportant aux faits survenus à Kafr Zeïta le 18 avril 2014 et établi que les Forces armées arabes syriennes avaient effectué des frappes aériennes dans ce secteur ce jour-là. Toutefois, il n’a pas pu attester l’utilisation de bombes-barils, les restes de l’engin en cause ayant été enlevés et ne pouvant, à ce stade, être associés avec certitude au lieu d’impact no 2.
52. Le Groupe de direction a estimé qu’il fallait enquêter plus avant.
53. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Le 18 avril 2014, des groupes d’opposition armés et le Front el-Nosra étaient présents à Kafr Zeïta. Ce secteur était soumis régulièrement à des tirs d’artillerie et à des attaques aériennes de la part des Forces armées arabes syriennes, notamment le 18 avril 2014 ;
• Le Gouvernement a confirmé que les Forces armées arabes syriennes avaient lancé, à la date et au moment des faits signalés, une attaque aérienne sur un poste d’observation et ciblé une maison qui était utilisée comme dépôt d’engins explosifs. Lorsque la maison a été touchée, un gaz nocif de couleur verte s’est échappé ;
• Ni le Gouvernement ni les groupes d’opposition armés ne démentent l’utilisation de chlore à Kafr Zeïta le 18 avril 2014 ;
• Un seul des deux lieux d’impact (lieu no 2) a été confirmé par le Mécanisme. Le Mécanisme n’a pas pu déterminer cependant si le cratère avait été formé par l’explosion d’une bombe-baril ou d’une autre munition, comme un obus de mortier ;
• Les restes des munitions qui auraient été utilisées n’ont pas été retrouvés sur les lieux d’impact présumés ni à proximité, puisqu’ils ont été déplacés. Bien que plusieurs images de restes se rapportant aux faits du 18 avril 2014 aient été publiées par une source publique, les autres informations recueillies n’ont pas permis de confirmer le lieu d’impact.
Annexe IV
Tell Méniss, le 21 avril 2014
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La conclusion à laquelle la Mission d’établissement des faits est arrivée au vu des éléments d’information collectés est la suivante :
Les faits relatés viennent confirmer de façon indiscutable qu’un produit chimique toxique a été utilisé en tant qu’arme, de façon systématique et répétée, dans les villages de Tell Méniss, de Tamaniaa et de Kafr Zeïta dans le nord de la Syrie. Les descriptions, les propriétés physiques, le comportement du gaz, les signes et symptômes résultant de l’exposition, ainsi que la réaction des patients au traitement amènent la Mission d’établissement des faits à conclure, avec un degré de certitude élevé, que le produit chimique toxique dont il est question est du chlore, pur ou mélangé .
2. La Mission a ensuite indiqué que le village de Tell Méniss avait fait l’objet d’attaques à l’aide de produits chimiques toxiques à deux occasions distinctes, la première le 21 avril 2014 et la seconde le 24 avril 2014 .
Enquête du Mécanisme
Contexte
3. Tell Méniss (province d’Edleb, district de Maarret el-Noman) se trouve à 5 kilomètres à l’est de Maarret el-Noman, chef-lieu du district du même nom, sur l’un des deux grands axes routiers reliant le chef-lieu du district aux villages situés à l’est, dont Abou el-Zouhour, et à la base aérienne qui se trouve non loin de là.
4. D’après les résultats d’un recensement effectué en 2004, le district de Maarret el-Noman comptait 58 008 habitants, dont 11 359 vivaient à Tell Méniss. En 2014, selon la Mission d’établissement des faits, la ville comptait environ 20 000 habitants, dont plusieurs milliers de déplacés. D’après les informations données par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) dans un de ses rapports, plus de 65 500 personnes avaient besoin d’une aide humanitaire dans le district en août 2014, dont 23 000 déplacés.
5. Le Front el-Nosra et Ahrar el-Cham étaient apparemment bien implantés autour de Tell Méniss et étaient impliqués dans des affrontements fréquents avec les Forces armées arabes syriennes. Ahrar el-Cham prétendait contrôler Tell Méniss avec la Firqa 13, tandis que d’autres affirmaient que c’était le Front el-Nosra qui contrôlait le village. Feïlaq el-Cham était présent dans la région, comme peut-être plusieurs autres groupes d’opposition armés, dont Soukour el-Cham.
6. D’après plusieurs sources, notamment le Gouvernement de la République arabe syrienne, l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) avait presque entièrement quitté la province d’Edleb en mars 2014. Selon ces mêmes sources, l’EIIL n’était pas à Tell Méniss à la fin d’avril 2014 et sa position la plus proche se trouvait à plus de 30 kilomètres.
7. Le 5 mars 2014, des groupes d’opposition armés ont lancé une offensive dans la région. La ligne de front se situe à l’ouest de Tell Méniss, entre le village et la base militaire syrienne de Wadi Deïf ; les groupes d’opposition armés contrôlaient de fait le territoire à l’est de l’autoroute M5. Le 4 avril 2014, les groupes d’opposition armés étaient parvenus à couper, pour la deuxième fois dans l’année, les filières d’approvisionnement des deux bases militaires syriennes de Wadi Deïf et d’Hamidiyé, qui se sont retrouvées assiégées. Le Gouvernement a déclaré que Wadi Deïf était complètement encerclé à cette époque-là.
8. Des témoignages contradictoires ont été recueillis concernant la situation dans Tell Méniss en avril 2014. Certains témoins ont indiqué que le village vivait des attaques quotidiennes, d’autres, qu’il avait été largement épargné. On ne trouve que de très rares références aux attaques survenues à Tell Méniss dans les médias ou les sources publiques. Des affrontements ont cependant été maintes fois signalés à proximité, à Maarret el-Noman.
9. Il est indiqué dans le rapport de la Mission d’établissement des faits que l’hôpital Siddiq à Tell Méniss ne dispose que de ressources très limitées et que ses installations ne lui permettent de dispenser que des soins médicaux de base. Pour les cas les plus graves, des transferts ont été organisés vers les hôpitaux de Bab el-Haoua et de Saraqeb.
Description des faits
10. La Mission d’établissement des faits a indiqué dans son rapport (S/2015/138) que le 21 avril 2014, entre 10 h 30 et 10 h 45, deux « bombes-barils » ont été larguées sur le village dans le quartier de la « grande » mosquée, touchant deux maisons. Les habitants du quartier ont essayé d’échapper aux frappes aériennes en se réfugiant dans une oliveraie située à l’est du village. Un nuage de gaz de teintes allant de cire couleur miel à jaune d’une hauteur d’environ 50 à 75 mètres s’est élevé au point d’impact de l’une des bombes. Il était très dense et le gaz libéré avait une odeur âcre et irritante, une odeur « de chlore ». Sous l’effet du vent, ce nuage a commencé à se déplacer vers l’est, et a stagné à environ 1 à 1,5 mètre au-dessus du sol, recouvrant ainsi la principale voie d’évacuation vers l’est. Quelque 200 personnes ont été touchées et trois ont perdu la vie.
11. Le Gouvernement a confirmé qu’il s’était bien produit quelque chose à Tell Méniss le 21 avril 2014. À l’en croire, un groupe d’opposition armé a tiré depuis Maar Chmarin (au sud de Tell Méniss) un projectile qui est tombé au milieu du village, à proximité d’une maison qui était l’une des habitations susmentionnées au paragraphe 10. L’impact avait causé des dégât considérables et entraîné la mort de deux personnes. Le Gouvernement a ajouté qu’un groupe d’opposition armé avait exploité les faits pour accuser les Forces armées arabes syriennes d’avoir tiré un projectile armé de gaz chloré. Le Gouvernement n’a rien dit de plus sur l’utilisation de gaz chloré ou les personnes touchées. Un des témoins a déclaré qu’il avait entendu l’explosion et senti une odeur d’œuf pourri, mais qu’il n’avait pas vu de blessés.
12. Selon les dires d’une autre source, il y aurait eu à l’une des positions de tir de l’EIIL dans la zone une détonation spontanée lors du lancement d’un missile non guidé, qui a libéré un gaz toxique non identifié. L’explosion aurait entraîné la mort de ceux qui ont déclenché le lance-missiles, l’« intoxication » de 83 civils et la mort de têtes de bétail. Le Mécanisme n’a pas été en mesure d’obtenir des renseignements complémentaires corroborant cette allégation, ni même la présence de l’EIIL à une distance opérationnelle.
Date et heure
13. On trouve des témoignages oculaires dans une vidéo (v01) communiquée par un témoin. Une des personnes apparaissant dans cette vidéo a indiqué qu’une « frappe aérienne » avait eu lieu le lundi 21 avril 2014, à environ 11 heures et que les deux munitions avaient atterri à moins de 200 mètres de la « grande » mosquée. Après examen scientifique, il est ressorti des métadonnées que cet enregistrement datait du 23 avril 2014. Il a toutefois été souligné qu’on ne pouvait exclure que les métadonnées aient été manipulées. Le Gouvernement a confirmé que des faits étaient bien survenus le 21 avril 2014, mais sans en préciser l’heure.
14. Le 25 avril 2014, un journal international a publié un article sur l’attaque survenue à Tell Méniss le 21 avril 2014 sur la base de sa propre enquête.
Conditions météorologiques
15. Le 21 avril 2014, entre 10 et 11 heures, le vent à Tell Méniss soufflait d’ouest en est (250°-270°), à une vitesse de 3 mètres/seconde. La température était de 19 à 21°C, avec une humidité relative de 74 à 77 %.
Lieux des impacts
16. D’après un témoin, la « frappe aérienne » a eu lieu à environ 200 mètres de la grande mosquée. On ne sait pas si ce témoignage porte spécifiquement sur le premier ou le second point d’impact.
Lieu no 1
17. On peut voir dans deux vidéos communiquées par un témoin (v02, v03) un point d’impact situé dans une cour. Dans l’un des enregistrements, on voit une tablette sur l’écran de laquelle sont affichées, via une application de système de positionnement universel (GPS), les coordonnées 35,6408333°N, 36,7426167°E, soit un point situé à environ 140 mètres au nord-est de la mosquée.
Lieu no 2
18. On voit aussi dans les mêmes vidéos (v02, v03) le point d’impact de la bombe qui est tombée sur une maison. Les coordonnées affichées sur la tablette sont 35,6405500°N, 36,7418833°E, soit un point à environ 75 mètres au nord-nord-est de la mosquée et 75 mètres au sud-ouest du lieu no 1.
19. Les métadonnées des vidéos ne comportent pas de coordonnées GPS. D’après les résultats d’une comparaison visuelle de ces images et des photos satellite effectuée par un institut d’experts externe, il est fort probable que les coordonnées GPS filmées dans les vidéos soient bien celles des sites qui y apparaissent (erreur de 4 à 8 m). Il importe toutefois de souligner que des images satellite de plus haute résolution ou d’autres images de référence pourraient tout aussi bien confirmer ces résultats que les infirmer.
20. Le Gouvernement a donné le nom du propriétaire de la maison visée dans l’attaque menée par des groupes d’opposition armés à laquelle il avait fait référence. Ce nom correspond à celui du propriétaire de la maison située au lieu no 2. Le Gouvernement avait déclaré que cette personne avait péri dans l’attaque, mais la Mission d’établissement des faits s’est entretenue avec lui plusieurs mois plus tard.
Munitions
21. La Mission d’établissement des faits a cité des témoins qui ont indiqué que lorsque les munitions sont tombées, ils ont entendu comme un « sifflement ». Au moment de l’impact, un témoin a entendu un bruit distinct, assourdi, comme s’il n’y avait pas eu d’explosion, ou seulement une explosion très peu importante.
Lieu no 1
22. Les vidéos v02 et v03, réalisées deux jours après l’impact, montrent un cratère dans la cour d’une maison, mais pas de restes. On y voit une personne prendre les mesures du cratère (300 cm de diamètre et 100 cm de profondeur), comme indiqué dans le rapport de la Mission d’établissement des faits (S/2015/138).
23. D’après les conclusions d’une analyse scientifique des vidéos v02 et v03, le site de la détonation ne correspondait pas vraiment à un site sur lequel aurait été largué une bombe-baril avec des produits chimiques toxiques. Une bombe-baril sans une importante charge d’explosifs ne pourrait pas pénétrer aussi profondément dans le sol. Les experts ont aussi exclu qu’ait été utilisée une bombe-baril transportant des explosifs ou d’autres munitions, puisqu’aucune trace de fragments projetés n’est visible sur les murs voisins et que, si la bombe avait porté une charge explosive, les murs environnants se seraient écroulés. La détonation d’un obus de mortier, d’un obus d’artillerie ou d’une bombe aurait pu causer un cratère d’une telle taille, mais il y aurait aussi sans doute eu des traces d’éclats sur les murs voisins et des murs se seraient entièrement ou partiellement écroulés sous l’effet de la détonation.
24. D’après les résultats de l’analyse scientifique, le cratère (« trou ») qui est visible dans les vidéos v02 et v03 a été provoqué par une détonation, mais la cause en est probablement une charge explosive de 5 à 10 kilogrammes d’équivalent TNT enterrée dans le sol.
25. La même cour et le même cratère apparaissent dans une vidéo (v04) filmée par les médias locaux. On y voit ce qui ressemble à un cylindre contenant les restes déformés de l’enveloppe extérieure d’une « bombe-baril » qui gît sur le bord d’un cratère dans la cour. Compte tenu des résultats de l’analyse scientifique et après comparaison des images, il est fortement probable que la cour et le cratère filmés (lieu no 1) soit les mêmes que dans les vidéos v02 et v03. On voit aussi des cadavres d’animaux à côté du cratère. Entre autres métadonnées, l’enregistrement v04 comprend un horodatage donnant comme date de création le 20 avril 2014, soit un jour avant les faits. Il convient de noter que les métadonnées dépendent du réglage des paramètres de l’appareil enregistreur et peuvent être manipulées.
26. L’étude de la vidéo v04 n’a pas remis en question l’analyse du cratère susmentionnée. Il est indiqué dans le rapport d’experts qu’il est peu probable que les restes vus dans l’enregistrement vidéo v04 soient ceux du vecteur des explosifs ayant provoqué le cratère (« trou »), car l’engin se serait fragmenté en son sommet et sur les côtés et aurait volé en éclats, comme les restes vus dans l’enregistrement vidéo v04. La munition n’aurait pu porter qu’une petite quantité d’explosifs et n’aurait pu causer un cratère de cette taille. Par ailleurs, les cadavres des animaux vus dans l’enregistrement vidéo v04 ont l’air intacts et ne sont pas déchiquetés, de sorte qu’il est hautement improbable que les animaux se soient trouvés dans la cour ou à proximité lors de la détonation de l’engin ayant causé le cratère.
27. Il existe une autre vidéo (v05), dans laquelle un témoin décrit la même cour, mais il n’a pu être pris en compte parce qu’il apparaissait qu’il avait fait l’objet d’un important montage.
28. Compte tenu de ces incohérences, il a été jugé que le lieu no 1 ne méritait pas de faire l’objet d’une enquête plus approfondie.
Lieu no 2
29. On voit dans la vidéo v02 les restes d’une bombe-baril qui ont touché les murs extérieurs de la cuisine d’une maison. Les restes de l’enveloppe extérieure ont été déformés. On peut aussi voir les restes d’un cylindre intérieur, fendu à sa base, à côté de ceux de l’enveloppe extérieure. Cette déchirure aurait été causée par une force cinétique ou explosive. Le cylindre intérieur mesure environ 100 centimètres de long et 40 centimètres de diamètre. Le cylindre intérieur présente une valve principale en son sommet au centre, et une valve de sécurité, toujours au sommet, mais décalée par rapport au centre. La valve principale est endommagée. Comme la vidéo v02 a été filmée deux jours après les faits, il est possible que les restes aient été déplacés du point d’impact initial.
30. Un journal international a pu obtenir des échantillons prélevés sur le lieu no 2 deux jours après les faits. D’après les résultats de leur analyse, publiés le 29 avril 2014, les échantillons de sol provenant de Kafr Zeïta et de Tell Méniss « contenaient, selon un expert des armes de guerre chimique, des traces de chlore et d’ammoniaque ». Selon les dires d’un témoin, les échantillons auraient été analysés par un expert indépendant, mais les détails de l’analyse et les dispositions prises concernant la conservation des échantillons ne sont pas connus.
31. Une autre source a prélevé des échantillons à « Tell Méniss à la fin du mois d’avril ». Cette source a fait connaître les résultats de son analyse et indiqué qu’elle avait trouvé des composés chlorés et des traces de TNT dans le sol et le gravier. Elle a toutefois prévenu qu’elle n’avait pas la preuve scientifique que du chlore ait été utilisé.
32. Un autre témoin a fait état de la présence d’une autre organisation, probablement une organisation non gouvernementale étrangère, qui avait également prélevé des échantillons. Le Mécanisme n’a pas eu directement accès à ces échantillons.
33. Le Gouvernement a déclaré que la munition provenait d’un dispositif de lancement terrestre et ne contenait pas de produits chimiques. Il a fourni une image du type de munition qui aurait été utilisé au lieu no 2. Elle présentait plusieurs caractéristiques différentes de celles des restes vus dans les autres images et vidéos concernant le lieu no 2. Il s’agissait d’une roquette, avec au moins huit ailerons. Aucun des restes repérés sur les lieux ne correspondaient à un tel engin.
Mode de dispersion
34. Trois témoins ont déclaré qu’ils avaient vu un hélicoptère approcher de Tell Méniss le 21 avril 2014 entre 10 et 11 heures. Il transportait des munitions sur des plateformes qu’ils ont qualifiées d’« ailes ».
35. Dans une vidéo (v06) fournie par un témoin, un individu déclare qu’il a vu un appareil survoler le minaret de la mosquée. Il avait d’abord pris la direction de l’est avant d’attaquer subitement. Il y avait eu ensuite une explosion relativement modérée.
36. Dans la même vidéo, un autre individu déclare qu’il a vu un appareil larguer une bombe juste au-dessus du minaret.
37. Un autre témoin a indiqué avoir entendu un appareil vers 10 h 30 et vu un hélicoptère survoler le village. Une détonation s’est produite environ une demi-heure plus tard et un nuage de fumée jaune est apparu, provoquant la panique des habitants.
38. D’autres sources ont fait état de survols le 21 avril 2014. Certains éléments indiquent qu’un hélicoptère ayant décollé de la base aérienne de Hama à environ 10 h 30 a été repéré tandis qu’il survolait plusieurs villages en direction de Tell Méniss. Cet hélicoptère aurait largué deux engins sur Tell Ménis à environ 11 heures.
39. Le Gouvernement a déclaré que l’impact avait été causé par un projectile d’origine terrestre lancé par un groupe d’opposition armé depuis Maar Chmarin, à environ 3 kilomètres du point d’impact.
Dommages et effets
40. Trois témoins ont décrit un nuage jaunâtre de 50 à 75 mètres de hauteur, « en forme d’arbre ». Le nuage a stagné à une hauteur de 1 à 1,5 mètre au-dessus du sol, sur plus de 200 mètres vers l’est en direction du vent. Des habitants qui se trouvaient de 1 à 1,5 kilomètre de distance ont aussi été touchés sous l’effet du vent.
41. D’après la Mission d’établissement des faits, tous les témoins ont décrit une odeur âcre et irritante, comme « de chlore » ou de produits ménagers, mais beaucoup plus intense.
Lieu no 2
42. Les vidéos sur ce point d’impact (v02) montrent beaucoup de dégâts et de destructions au niveau de la structure de la maison. La munition aurait touché un édifice en béton en en endommageant largement la structure. Il y a beaucoup de décombres et d’autres débris. De ce fait, on ne voit pas bien le cratère, même si on peut en distinguer la forme. On constate que les arbres ont jauni et qu’il y a des feuilles mortes à terre.
43. D’après les résultats de l’analyse technique, les dégâts structurels observés sur le bâtiment pourraient avoir été causés par la détonation d’une bombe-baril. Compte tenu de la large taille des débris, soit l’engin contenait des explosifs qui n’ont pas détonné, soit il ne portait qu’une petite quantité d’explosifs.
44. Le type de munition projeté par lance-roquettes auquel fait référence le Gouvernement est presque certainement, de l’avis d’experts des munitions, une munition hautement explosive classique. Une telle quantité d’explosifs (au moins 200 kg) aurait entièrement détruit la maison au lieu no 2, voire plusieurs des immeubles autour. Les dégâts visibles dans les photos et les vidéos du lieu no 2 ne corroborent pas cette interprétation.
45. Un témoin a évoqué les animaux qui avaient péri lorsque la bombe-baril a explosé au lieu no 2. Un autre a indiqué que les poivriers du jardin avaient viré au jaune et que la moitié d’entre eux s’étaient complètement desséchés.
Effets médicaux
46. Un témoin a déclaré que 200 personnes avait subi les effets des produits chimiques utilisés, et que beaucoup d’entre elles avaient dû être transférés dans d’autres hôpitaux. Un autre a dressé une liste de 133 patients admis à l’hôpital de Tell Méniss le 21 avril 2014, sur la base des renseignements qui lui ont été fournis par un autre témoin, et il a aussi transmis quatre photographies de patients gravement touchés. Le nombre de blessés à Tell Méniss a été confirmé par une autre source. Un autre témoin a confirmé que 150 patients de Tell Méniss avaient été admis à l’hôpital de Jarjanaz ce jour-là.
47. L’enregistrement vidéo v06 s’achève sur des scènes de chaos dans ce qui semble être l’hôpital de Tell Méniss. Il comprend des entretiens avec des individus qui sont identifiés comme appartenant au personnel de l’hôpital, dont un qui déclare que le bilan du 21 avril 2014 s’est alourdi et qu’on compte désormais 400 victimes, bien que la période considérée ne soit pas claire.
48. L’enregistrement vidéo v06 comprend également les témoignages de ceux qui vivaient dans les deux maisons touchées (lieux nos 1 et 2). Les membres de ces familles ont raconté avoir eu la sensation d’étouffer, être pris de violentes quintes de toux et avoir perdu conscience ou vomis du sang. Une mère a expliqué qu’elle avait développé une irritation cutanée après avoir touché sa fille qui avait été exposée. Un jeune garçon avait du sang qui lui sortait de la bouche et l’écume aux lèvres.
49. Trois personnes auraient péri après avoir été transférées dans d’autres hôpitaux d’un pays voisin. Le Mécanisme a pu obtenir le « certificat de décès », établi le 25 avril 2014, de l’une des victimes au lieu no 2. La cause de la mort n’y est toutefois pas précisée. Le rapport d’autopsie ne donne pas non plus la cause de la mort.
50. Les habitants ont emprunté la même route que d’habitude pour échapper aux frappes aériennes, en direction de l’est, dans une oliveraie en contrebas. Le vent soufflait d’ouest en est à raison de 3 mètres/seconde ; d’après les données de l’Organisation météorologique mondiale, la direction de dispersion du panache est crédible. Deux sources externes ont communiqué les résultats d’une analyse du panache de dispersion du chlore, en déclarant qu’il était possible qu’une bombe-baril de chlore ait touché 200 personnes, pour la plupart légèrement.
51. Le Gouvernement a indiqué que l’explosion avait eu pour effet principal de détruire une structure au lieu no 2, en en tuant le propriétaire (identité fournie) et son enfant. Un témoin interrogé par la Mission d’établissement des faits s’est toutefois présenté par la suite comme le propriétaire de cette maison et le père de l’enfant.
52. Le lancement d’un projectile d’origine terrestre ne pourrait expliquer qu’il y ait eu 200 à 300 victimes d’exposition au chlore. Le Gouvernement a indiqué qu’il ne croyait pas que le nombre de victimes soit correct. D’après un témoin, des combattants de l’opposition armée auraient propagé la rumeur que des produits chimiques avaient été utilisés après l’explosion, semant la panique parmi la population. Ils auraient aussi distribué des masques aux habitants en leur conseillant de quitter le village. Malgré l’existence d’une odeur d’œuf pourri, le témoin n’a ressenti aucun symptôme et n’a pas vu de blessés, mais juste des gens paniqués. Il a essayé de pénétrer dans l’hôpital mais l’accès lui en a été refusé. Le même témoin a déclaré que les personnes qui avaient été transférées vers d’autres hôpitaux étaient revenues deux jours plus tard sans signe apparent de blessures.
53. La description des effets observés sur les habitants – qui ont été évacués après une frappe aérienne et pris dans un panache toxique – correspond à l’analyse de la dispersion du panache menée par deux États Membres et aux données météorologiques communiquées par l’Organisation météorologique mondiale. Si le nombre exact de patients n’a pu être établi de manière certaine, il est évident qu’un grand nombre de personnes ont été touchées par des produits toxiques. Plusieurs sources ont communiqué leurs analyses des échantillons du sol, indiquant la présence de composés chlorés.
54. Les dégâts structurels au lieu no 2 pourraient s’expliquer par la détonation d’une bombe-baril, mais pas par celle d’une munition hautement explosive classique. Les restes observés sur le site ressemblent à ceux de bombes-barils, avec les restes d’un cylindre intérieur et d’une enveloppe extérieure. On n’a pas retrouvé sur le site de restes qui seraient ceux d’une munition envoyée par lance-roquettes. Les témoignages ont permis d’établir un lien de causalité clair entre l’arrivée d’une explosion, l’odeur de chlore, l’apparition d’un nuage et les effets sur la population.
55. D’après les témoins et d’autres sources, un ou plusieurs hélicoptères auraient été présents ; certains ont indiqué que c’étaient les hélicoptères qui avaient largué la munition. Seul un des témoins aurait réellement vu un engin tomber. Les autres témoins et personnes interrogées dans les enregistrements vidéo communiqués au Mécanisme ne donnent pas la même description du laps de temps qui s’est écoulé entre le moment où ils ont vu l’« appareil » et l’explosion.
Évaluation du Groupe de direction
56. Le Groupe de direction a examiné les informations disponibles concernant les deux points d’impact des explosions survenues à Tell Méniss le 21 avril 2014. Il dispose de suffisamment d’éléments pour établir que les faits au point d’impact no 2 ont été causés par un engin largué par un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes, qui a endommagé la structure d’un immeuble en béton et libéré une substance toxique qui a atteint la population.
57. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants :
• Le Mouvement islamique Ahrar el-Cham et le Front el-Nosra étaient bien implantés aux alentours de Tell Méniss. Selon certaines informations, ils auraient l’un et l’autre contrôlé la ville. Le 21 avril 2014 et pendant un certain temps avant et après cette date, Tell Méniss a régulièrement fait l’objet de tirs d’artillerie et d’attaques aériennes. Ce jour-là, un combat a opposé les forces gouvernementales et des groupes d’opposition armés, ainsi que le Front el-Nosra, autour des deux bases militaires de Wadi Deïf et Hamidiyé, toutes deux situées à proximité de Tell Méniss ;
• Des témoins ont déclaré que des produits chimiques toxiques s’étaient dégagés après l’explosion d’une bombe-baril larguée d’un aéronef ;
• Ni le Gouvernement ni les groupes d’opposition armés ne démentent l’utilisation de chlore à Tell Méniss le 21 avril 2014 ;
• Le Gouvernement a déclaré que l’impact (sur le site no 2) avait été causé par un projectile d’origine terrestre lancé par un groupe d’opposition armé. Cette possibilité n’est pas avérée par les dommages structurels ;
• Un seul des deux impacts présumés (celui du site no 2) a été jugé plausible par le Mécanisme ;
• Au moment des faits, le Gouvernement de la République arabe syrienne avait perdu le contrôle de six bases aériennes, dont celle de Taftanaz (province d’Edleb). Le Gouvernement a informé le Mécanisme que 15 hélicoptères avaient été abandonnés sur cette base, dont neuf considérés comme opérationnels ;
• Le Groupe de direction a examiné toutes les informations recueillies et n’a trouvé aucun élément de preuve attestant que des groupes d’opposition armés présents à Tell Méniss avaient utilisé un hélicoptère au moment et sur les lieux des faits ;
• Si le nombre exact de patients n’a pas pu être établi avec certitude, il est évident qu’un grand nombre de personnes a été en contact avec des produits chimiques toxiques.
Annexe V
Tamaniaa, les 29 et 30 avril 2014
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits est parvenue aux conclusions suivantes concernant les informations recueillies :
Les faits confirment de façon indiscutable qu’un produit chimique toxique a été utilisé en tant qu’arme, de façon systématique et répétée, dans les villages de Tell Méniss, de Tamaniaa et de Kafr Zeïta dans le nord de la Syrie. Les descriptions, les propriétés physiques, le comportement du gaz, les signes et symptômes résultant de l’exposition, ainsi que la réaction des patients au traitement amènent la Mission d’établissement des faits à conclure, avec un degré de certitude élevé, que le produit chimique toxique dont il est question est du chlore, pur ou mélangé .
2. La Mission a en outre déclaré ce qui suit :
Les dates des 12, 18 et 30 avril 2014, et des 22 et 25 mai 2014 ont été indiquées. Toutes les attaques, sauf celle du 22 mai 2014, se sont produites de nuit. Elles ont fait plus de 150 blessés, et huit des victimes les plus gravement touchées, principalement des femmes et des enfants, sont mortes suite à une exposition à des doses létales du produit chimique toxique .
3. Parmi les cinq dates que les témoins ont citées, il convient de mentionner l’événement survenu dans la nuit du 29 au 30 avril qui a fait 35 victimes .
Enquête du Mécanisme
Contexte
4. Tamaniaa (province d’Edleb, district de Maarret el-Noman) est située à moins de 9 kilomètres à l’est de l’autoroute M5, qui relie Damas à Alep, sur le tronçon se trouvant entre les villes de Hama et d’Edleb. La Mission d’établissement des faits a indiqué qu’en 2014, 20 000 habitants environ vivaient dans les environs de Tamaniaa, contre 7385 dans la ville proprement dite et 29 144 dans le sous-district selon le recensement effectué en 2004. Ce chiffre comprend entre 5 000 et 10 000 personnes déplacées. Selon un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires, en août 2014, 5 500 personnes déplacées avaient besoin d’une aide humanitaire dans le sous-district.
5. Au moment des faits, Tamaniaa se trouvait à proximité immédiate de la ligne de front. Alors que plusieurs groupes d’opposition armés opéraient dans les environs, le Gouvernement tenait des postes de contrôle et des bases le long de l’autoroute M5 et à Khan Cheïkhoun à l’ouest de Tamaniaa.
6. Pendant le premier semestre de l’année 2014, Edleb a été le théâtre d’affrontements entre le Gouvernement et des groupes d’opposition armés autour de l’autoroute M5. Les groupes cherchaient — et sont en partie parvenus — à ouvrir un accès à la ville d’Edleb et à couper l’approvisionnement des bases militaires du Gouvernement. Mourek, à environ 10 kilomètres — au sud-sud-ouest de Tamaniaa, avait été investie par des groupes d’opposition armés en février 2014 ; toutefois, elle aurait été reprise par les forces gouvernementales le 14 avril 2014.
7. En mars et avril 2014, les opérations des groupes d’opposition armés ont eu principalement pour objectif la prise des postes de contrôle le long de l’autoroute M5 entre Mourek, Khan Cheïkhoun et Maarret el-Noman. Il semble que différents groupes aient uni leurs forces et se soient partagé la « responsabilité » des postes de contrôle. Le Gouvernement a cherché à conserver son accès à l’autoroute, tout en établissant d’autres itinéraires vers Alep et Edleb.
8. Au début de 2014, Tamaniaa a été utilisée comme « base d’opérations collective » par plusieurs groupes d’opposition armés. Les organisations terroristes désignées comme telles par le Conseil de sécurité , notamment le Front el-Nosra, et des groupes qui leur sont apparentés étaient également présents. Des témoins ont aussi évoqué la présence de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) à Tamaniaa. Cependant, suite à des heurts avec le Front el-Nosra et des groupes d’opposition armés, l’EIIL s’est dans une large mesure retiré d’Edleb en mars 2014.
9. Plusieurs autres groupes d’opposition armés étaient présents et ont mené des opérations dans la région, mais cette période s’est caractérisée par une forte fluctuation tant de la dynamique des conflits que de la situation géographique des groupes d’opposition armés, de leurs alliances et de leurs sphères d’influence.
10. L’un des groupes d’opposition armés les plus influents aurait alors été le Conseil militaire d’Edleb, membre du mouvement Jabhat Thouwar Souriya depuis décembre 2013. S’agissant de la présence d’autres groupes d’opposition armés au moment des faits, les déclarations sont contradictoires. Si certaines sources indiquent que Jeïch el-Izza, alliance de plusieurs groupes constituée en 2014, avaient temporairement son siège à Tamaniaa, d’autres sources ne confirment pas cette information. Des témoins ont indiqué que Ahrar el-Cham était sur place également, mais ses représentants ne l’ont pas confirmé.
11. À propos des faits visés par l’enquête, des témoins ont mentionné deux établissements de soins à Tamaniaa : le centre médical caritatif Hanin et le neuvième centre médical. Le centre médical Hanin et un centre médical de campagne apparaissent dans des informations provenant de sources publiques et de reportages de médias concernant des patients souffrant d’exposition au chlore. Le centre médical Hanin est financé par des dons, mais sans l’accord du Gouvernement. Ce centre ayant une capacité limitée, les personnes grièvement blessées sont souvent orientées vers d’autres hôpitaux.
Description des faits
12. Il existe différentes versions des faits survenus à Tamaniaa. Selon la description qui ressort des déclarations des témoins de la Mission, au cours de la nuit du 29 au 30 avril 2014, une alerte a été diffusée par un observatoire des vols aériens, faisant état d’hélicoptères qui s’approchaient et qui étaient susceptibles de transporter des bombes de chlore. Deux bombes-barils ont été larguées et 35 patients qui présentaient des symptômes liés à une exposition au chlore ont dû recevoir des soins médicaux. Selon les témoins, Tamaniaa a été attaquée cinq fois au moyen de bombes-barils qui contenaient peut-être du chlore et qui ont été larguées d’hélicoptères en avril et mai 2014.
13. Le Gouvernement nie toute activité militaire menée par ses forces à Tamaniaa à cette date et il a fourni des informations pour montrer que ces affaires avaient été montées de toutes pièces. À cet égard, sept témoins ont déclaré que de fréquentes alertes avaient été diffusées, mais qu’en fait aucun événement impliquant des produits chimiques n’avait eu lieu. Alors que les habitants, se fiant aux alertes, cherchaient à s’abriter dans un lieu sûr, leur maison a été pillée et le bruit a couru que ces événements avaient été mis en scène.
14. Sur la base des déclarations des témoins, le Mécanisme a étudié la possibilité qu’une frappe ou une attaque aérienne classique ait pu avoir lieu et que l’exposition aux produits chimiques ait pu lui être attribuée à tort. Aucune activité aérienne n’a toutefois pu être établie. Les témoins ayant mentionné les frappes aériennes n’ont pas précisé de date dans leurs déclarations et la description en tant que telle n’a pu être associée aux faits survenus dans la nuit du 29 au 30 avril 2014. Cette possibilité a donc été écartée.
15. Plusieurs témoins ont fait état de frappes aériennes répétées vers les dates ou aux dates auxquelles avaient eu lieu les faits à Tamaniaa. Les informations et statistiques obtenues et analysées par le Mécanisme ne donnent pas sur ces frappes aériennes d’indications particulières qui auraient permis de se faire une idée plus précise de la dynamique des conflits dans les environs immédiats à ce moment-là. Le Gouvernement a déclaré qu’aucune activité militaire, terrestre ou aérienne, n’avait été menée à Tamaniaa aux dates mentionnées, mais n’a pas fourni de relevé des opérations aériennes pour appuyer sa déclaration.
Date et heure
16. La plupart des témoins ont été interrogés plusieurs mois après les faits présumés. En raison de la fréquence des alertes et des épisodes liés à l’activité militaire, peut-être ne se rappelaient-ils plus très bien des événements. La plupart d’entre eux n’ont pas donné de dates précises, mais ont signalé plusieurs faits situés entre mars et juin 2014.
17. Seul un témoin a expressément mentionné les faits survenus dans la nuit du 29 au 30 avril 2014, sans toutefois spécifier une heure précise. Il a dit que quatre personnes avaient péri, mais n’a pas indiqué un deuxième lieu d’impact.
18. Trois témoins, qui n’ont donné aucune description des faits survenus dans la nuit du 29 au 30 avril 2014, ont fourni des informations de source inconnue. L’un avait eu indirectement connaissance de deux des cinq épisodes survenus à Tamaniaa, mais ne se souvenaient pas des dates exactes. Par la suite, il a fourni une clef USB contenant des informations de source inconnue, qui ont été conservées dans des dossiers distincts en fonction des dates des cinq épisodes mentionnés par la Mission d’établissement des faits. Un autre témoin a donné les dates des cinq épisodes, les lisant sur un bout de papier, mais n’a fourni aucun élément de preuve concernant l’épisode survenu dans la nuit du 29 au 30 avril 2014. Il a également remis une vidéo intitulée « Site où le deuxième baril contenant du gaz chloré toxique a été largué à Tamaniaa le 30 avril 14 ».
19. Selon diverses informations diffusées par les médias, des « activistes locaux » auraient dit qu’un ou plusieurs hélicoptères avaient largué « deux bombes chargées de gaz » ou des « engins explosifs contenant du chlore » sur la ville de Tamaniaa dans les premières heures de la matinée du 30 avril 2014. Plusieurs vidéos en accès libre montrent des patients traités dans ce qui semble être le centre médical Hanin et un centre médical de campagne.
20. Plusieurs témoins ont déclaré que les médias ou les mécanismes d’alerte rapide locaux avaient, depuis avril ou mai 2014, diffusé fréquemment, à intervalles irréguliers, des alertes aux armes chimiques. Bien que la plupart des témoins aient mentionné des alertes émises par un observatoire des vols aériens, les dates exactes des alertes ne sont pas claires.
21. Sept témoins ont déclaré que, après plusieurs alertes, aucune attaque n’avait en fait eu lieu et qu’ils étaient venus pour contester les informations mensongères largement diffusées par les médias. Les alertes, ont-ils dit, étaient de fausses alertes et des produits chimiques toxiques n’avaient jamais été utilisés à Tamaniaa. On ne saisissait toutefois pas très bien comment ils avaient pu faire des déclarations aussi précises pour l’ensemble de la ville à un moment donné. Certains des témoins ont déclaré qu’après les fausses alertes les maisons de ceux qui les avaient quittées avaient été pillées.
22. Lors d’une deuxième audition, deux de ces témoins ont dit que les frappes aériennes à Tamaniaa avaient eu lieu en avril ou à la fin avril 2014, ce qu’ils n’avaient pas indiqué la première fois, mais ils ont déclaré qu’en aucune de ces occasions des produit chimique n’avait été utilisés. Bien qu’aucune date précise n’ait été donnée, le Mécanisme s’est demandé s’il était possible que ces déclarations renvoient aux faits survenus la nuit du 29 au 30 avril 2014, mais il n’a pas pu trouver d’éléments pour étayer cette possibilité.
Conditions météorologiques
23. Pendant la nuit du 29 au 30 avril 2014, entre 20 heures et 1 heure, le vent soufflait de l’ouest (260°-300°) et sa vitesse est tombée de 4 à 2 mètres/seconde. Le reste de la nuit, il a soufflé de différentes directions et sa vitesse est tombée de 4 à 2 mètres/seconde. De 20 heures à 6 heure, la température a chuté progressivement de 18 °C à 13 °C et l’humidité relative est passée de 82 % à 20 heures à 93 % à 6 heures.
Lieux des impacts
Lieu n° 1
24. Le Mécanisme s’est attaché à établir le lieu de l’impact sur une maison d’habitation dans le nord de Tamaniaa. Le lieu exact n’a pas été communiqué et n’a pu être déterminé à partir des descriptions et des points de repère donnés par les témoins. Aucune image satellite publique n’était disponible en ce qui concernait l’heure et le lieu en question. Malgré plusieurs demandes, aucune image satellite de source militaire n’a été mise à la disposition du Mécanisme.
25. Toutes les images fournies par les témoins montrent l’intérieur du centre médical Hanin, mais pas le secteur environnant. Deux vidéos (en accès libre) donnent à voir un impact entre des maisons qui semblent inhabitées. Les vidéos ne montrent pas assez les alentours pour qu’il soit possible de définir le lieu exact de l’impact.
Lieu no 2
26. Une autre vidéo (disponible en accès libre), communiquée au Mécanisme par plusieurs sources, montre des débris sur un terrain ouvert. Une autre vidéo fournie par un témoin donne à voir un lieu d’impact sur un terrain ouvert et ce qui ressemble à des restes de munitions. Le lieu de l’impact est à côté d’une route non pavée. On peut voir aux alentours des maisons apparemment inhabitées, dont certaines sont endommagés. La vidéo ne montre pas assez les environs pour qu’il soit possible de définir le lieu exact de l’impact.
Munitions
Lieu no 1
27. Le Mécanisme n’a obtenu aucun élément, échantillon ou image (photographies ou vidéos) des munitions ou de restes des munitions sur le lieu no 1. On peut voir sur les vidéos mentionnées précédemment quelques restes, mais pas assez pour permettre une analyse suffisamment approfondie.
28. Le témoin a décrit l’impact d’un baril et l’explosion qui a suivi, le tout observé d’un toit, en ces termes : « Une flamme ou du feu ou quelque chose de jaune s’est élancé à une hauteur de 20 à 25 mètres et a disparu immédiatement ». On peut penser qu’il s’agit du lieu no 1. Le témoin n’a pas mentionné un deuxième impact et a déclaré que quatre personnes avaient péri au cours de l’attaque, mais en l’occurrence aucun décès n’a pu être établi par la Mission d’établissement des faits. Le témoin ne portait pas de masque et n’a donc pas pu aller sur le lien de l’impact. Il n’a pas mentionné d’odeur de chlore, et il n’avait pas eu connaissance d’une alerte chimique.
Lieu no 2
29. Le Mécanisme n’a obtenu aucun élément ou échantillon des munitions ou de restes des munitions sur le lieu no 2. On peut penser que les restes apparaissant sur la vidéo où figure le lieu no 2 sont les restes d’une bombe-baril. Toutefois, on ne peut voir que les parties de l’enveloppe extérieure, ce qui ne permet pas de faire une analyse précise. En l’absence d’images ou de description suffisantes des restes, le Mécanisme s’est attaché à dégager des conclusions sur les munitions à partir de la description de l’impact.
30. Le Gouvernement a fourni des informations d’où il ressort que le 30 avril 2014, un engin laissé par un groupe d’opposition armé avait explosé sur une route agricole à l’ouest de Tamaniaa, provoquant la mort d’un citoyen. Le Mécanisme a étudié ce qui pouvait être associé au lieu no 2, mais n’a pas pu obtenir d’informations plus détaillées à l’appui de ce qu’avait dit le Gouvernement.
Mode de dispersion
31. Malgré plusieurs demandes, aucune des sources du Mécanisme n’a communiqué d’informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les faits concernant des mouvements aériens dans la nuit du 29 au 30 avril 2014. Seul le Gouvernement a fourni des renseignements et a déclaré qu’il n’avait mené aucune activité militaire, terrestre ou aérienne, à Tamaniaa à la date en question. Les déclarations des témoins au sujet des frappes aériennes autour de la période en question n’ont pas pu être reliées à cette nuit-là.
Lieu no 1
32. Le témoin oculaire, qui dit avoir été sur le toit, a affirmé avoir entendu un hélicoptère et le son assourdissant provoqué par la chute d’un baril. Certaines personnes interrogées ont mentionné un sifflement spécifique produit par la chute de barils contenant du chlore. La déclaration du témoin n’a pu être corroborée par d’autres informations.
Lieu no 2
33. Aucune déclaration des témoins ni aucune information n’a permis de confirmer l’affirmation selon laquelle une deuxième bombe-baril avait été larguée depuis un hélicoptère ou un engin explosif improvisé avait explosé.
Dommages et effets
Lieu no 1
34. Selon le témoin oculaire, le bâtiment avait été presque entièrement détruit, et seuls deux murs étaient restés debout. Le secteur environnant avait également été touché. Les deux vidéos susmentionnées montrent également l’ampleur de la destruction.
35. Le Gouvernement a présenté son analyse des deux vidéos, concluant que la destruction était due à une munition classique et non à une munition chimique.
36. Le Mécanisme a demandé un examen scientifique à un institut indépendant. Les résultats ne sont pas concluants. On peut voir un « trou » peu profond qui pourrait être dû à une bombe-baril classique chargée d’explosifs, mais un impact provoqué par une bombe-baril chimique ne peut être exclu.
37. D’autres vidéos en accès libre seraient également en rapport avec les faits. On a estimé que deux d’entre elles montraient le lieu no 1. On peut y voir les parties d’une maison détruite, ainsi qu’un cratère et ce qui peut être des restes de munitions. Toutefois, on n’a pu établir que ces éléments de munitions étaient associés à l’impact. Les vidéos ne montrent pas assez les alentours pour qu’il soit possible de déterminer l’impact éventuel sur l’environnement.
38. La description de l’impact faite par le témoin, ainsi que les destructions montrées sur les vidéos donnent à penser que la munition utilisée était une munition classique (aérienne ou terrestre) et non une bombe-baril remplie de chlore, laquelle aurait porté une petit charge explosive. Toutefois, les informations disponibles ne sont pas suffisantes pour qu’il soit possible de procéder à une analyse approfondie.
Lieu no 2
39. Les vidéos ne montrent pas de cratère ou d’autres signes d’impact de restes des munitions.
Effets médicaux
40. La Mission d’établissement des faits décrit succinctement les symptômes médicaux des patients pour les cinq événements considérés. S’agissant de l’événement survenu dans la nuit du 29 au 30 avril 2014, la Mission a fait état de 35 patients. Un témoin qui a indiqué les dates, le nombre de patients et le nombre de décès pour chacun des cinq événements a lu ces informations sur un bout de papier.
41. Le témoin oculaire de l’explosion relative au lieu no 1 a indiqué que 4 personnes étaient mortes et 70 avaient été blessées, mais la Mission d’établissement des faits est parvenue à un bilan différent, à savoir 35 patients et aucun décès. Certaines informations diffusées par les médias font également état de 70 personnes ayant souffert d’une exposition à du chlore utilisé comme arme.
42. Une source indépendante a communiqué une liste de provenance inconnue où figurait le nom de 12 personnes ayant souffert d’une exposition à du gaz chloré le 29 avril 2014. Malgré plusieurs demandes, aucun dossier médical n’a été adressé par le centre médical Hanin. Le Mécanisme a demandé des documents médicaux aux hôpitaux centraux, mais n’a reçu aucune information concernant la date et les faits en question.
43. Les vidéos provenant respectivement de sources en accès libre et d’un témoin montrent des patients traités dans le centre médical Hanin et dans un centre médical de campagne. Toutefois, l’analyse des vidéos n’a pas pu fournir d’informations supplémentaires et vérifiables sur le lieu présumé de l’impact ni sur le mode de dispersion. C’est pourquoi aucune autre analyse scientifique n’a été entreprise.
44. Certains témoins ont déclaré que « rien ne s’était produit » à Tamaniaa, ajoutant qu’ils n’avaient vu aucun patient souffrant d’une exposition à des produits chimiques. Toutefois, ces témoins ne sont pas jugés susceptibles de faire des déclarations concluantes pour l’ensemble de la ville.
45. Ni le lieu de l’impact, ni la densité démographique de la zone d’impact ne sont connus. En outre, de nombreuses personnes avaient quitté le village après la diffusion d’une alerte chimique. De ce fait, les données disponibles étaient insuffisantes pour appliquer des modèles de dispersion du chlore.
Informations complémentaires
46. Les médias ont largement couverts ces événements. Certains médias internationaux ont déclaré que le Gouvernement avait utilisé des bombes-barils contenant des produits chimiques toxiques.
47. Plusieurs témoins ont indiqué que des intervenants locaux (parfois dénommés « casques blancs ») avaient mis en place des systèmes d’alerte rapides élémentaires en ayant recours à des médias locaux, des volontaires, des mosquées et des postes de radio portatifs. Après les premières attaques chimiques, ces intervenants avaient fourni des informations sur la conduite recommandée en cas de frappes aériennes et d’attaques chimiques. En cas d’alertes chimiques, les habitants étaient engagés à se déplacer vers un lieu situé en amont du vent par rapport au point d’impact et en hauteur, tandis que dans le cas d’attaques conventionnelles il leur était conseillé de chercher refuge dans le sous-sol des maisons.
48. Six témoins ont déclaré que des personnes avaient quitté le village et que, pendant leur évacuation après ce qu’elles avaient par la suite qualifié de fausse alerte, leur maison ou celle de leurs voisins avait été pillée. Certains ont mentionné des personnes portant des « masques », apparemment des masques à gaz, qui distribuaient aux enfants des masques trempés dans du Coca-Cola ou du Pepsi. Deux témoins ont évoqué des rumeurs propagées dans la ville selon lesquelles des personnes avaient essayé d’imputer la faute de ces actes au Gouvernement ou de mettre en scène les événements.
49. Un témoin a fait état d’une frappe aérienne sur la maison d’un combattant d’un groupe d’opposition armé « à la fin du mois d’avril ». Le lendemain, des personnes portant des masques étaient en train de « déterrer quelque chose » et de filmer la scène, disant que Tamaniaa avait été touchée par du gaz chloré toxique. Le témoin n’a pas senti d’odeur de gaz ni vu de personnes blessées. Lors d’une précédente audition, il n’avait pas mentionné les faits.
50. Certains témoins ont déclaré que des hommes armés, dont certains étaient originaires de Tamaniaa et d’autres étaient étrangers, avaient diffusé de fausses alertes chimiques et dit que les forces gouvernementales allaient attaquer le village à l’aide de produits chimiques, précisant parfois qu’il s’agissait de chlore, et ils avaient engagé les habitants à quitter le village. Les alertes avaient été diffusées de diverses manières, depuis des véhicules et des mosquées à l’aide de microphones et de haut-parleurs, ou simplement en personne. Deux témoins ont mentionné la même personne qui aurait filmé ce scénario « mis en scène ».
51. Un témoin a déclaré que des gens avaient frappé à la porte. Des personnes sur des motos et dans des voitures avaient dit aux habitants de quitter leur maison parce qu’un avion allait lancer une attaque. Des enfants d’âges différents avaient couru après eux. Apparemment, ces personnes, dont le témoin pensait qu’elles appartenaient au Front el-Nosra, étaient allées à l’école, avaient fait sortir les enfants et leur avait donné des couches imbibées d’un liquide en guise de masques à gaz, affirmant que du chlore serait utilisé au cours de l’attaque. Le témoin est resté chez lui malgré l’alerte, et n’a rien senti ni rien vu.
Évaluation du Groupe de direction
52. Le Groupe de direction a établi que les informations étaient insuffisantes pour confirmer ou exclure la possibilité d’une attaque chimique et que les éléments de preuve ne concordaient pas et ne suffisaient pas pour tirer des conclusions quant aux acteurs impliqués.
53. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Les informations pertinentes au sujet de tous les faits survenus à Tamaniaa demeurent insuffisantes. Aucun mouvement aérien n’a pu être établi par le Mécanisme ;
• Il existe des incompatibilités entre les déclarations faites par les témoins, et les descriptions de l’événement sont contradictoires. Certains témoins ont déclaré que des personnes avaient souffert de l’utilisation de chlore comme arme. D’autres ont décrit des frappes aériennes à Tamaniaa en avril ou à la fin du mois d’avril 2014, tout en déclarant qu’aucune substance chimique n’avait été utilisée lors de ces attaques ;
• Les experts estiment que ces faits sont à imputer à une attaque menée à l’aide d’armes classiques.
Annexe VI
Tamaniaa, les 25 et 26 mai 2014
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits est parvenue aux conclusions suivantes concernant les informations recueillies :
Les faits confirment de façon indiscutable qu’un produit chimique toxique a été utilisé en tant qu’arme, de façon systématique et répétée, dans les villages de Tell Méniss, de Tamaniaa et de Kafr Zeïta dans le nord de la Syrie. Les descriptions, les propriétés physiques, le comportement du gaz, les signes et symptômes résultant de l’exposition, ainsi que la réaction des patients au traitement amènent la Mission d’établissement des faits à conclure, avec un degré de certitude élevé, que le produit chimique toxique dont il est question est du chlore, pur ou mélangé .
2. La Mission a en outre déclaré ce qui suit : « Les dates des 12, 18 et 30 avril 2014, et des 22 et 25 mai 2014 ont été indiquées. Toutes les attaques, sauf celle du 22 mai 2014, se sont produites de nuit ».
3. Les témoins se souvenaient notamment d’une attaque perpétrée pendant la nuit du 25 au 26 mai 2014, qui n’a causé aucune victime .
Enquête du Mécanisme
Contexte
4. Tamaniaa (province d’Edleb, district de Maarret el-Noman) est située à moins de 9 kilomètres à l’est de l’autoroute M5, qui relie Damas à Alep, sur le tronçon se trouvant entre les villes de Hama et Edleb. La Mission d’établissement des faits a indiqué qu’en 2014, quelque 20 000 habitants vivaient dans les environs de Tamaniaa, contre 7 385 dans la ville proprement dite et 29 144 dans le sous-district selon le recensement effectué en 2004. Ce chiffre comprend entre 5 000 et 10 000 personnes déplacées. Selon un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires, en août 2014, 5 500 personnes déplacées avaient besoin d’une aide humanitaire dans le sous-district.
5. Au moment des faits, Tamaniaa se trouvait à proximité immédiate de la ligne de front. Alors que plusieurs groupes d’opposition armés opéraient dans les environs, le Gouvernement tenait des postes de contrôle et des bases le long de l’autoroute M5 et à Khan Cheïkhoun à l’ouest de Tamaniaa.
6. Pendant le premier semestre de l’année 2014, Edleb a été le théâtre d’affrontements entre le Gouvernement et des groupes d’opposition armés autour de l’autoroute M5. Les groupes cherchaient – et sont en partie parvenus – à ouvrir un accès à la ville d’Edleb et à couper l’approvisionnement des bases militaires du Gouvernement. Mourek, à environ 10 kilomètres au sud-sud-ouest de Tamaniaa, avait été investie par un groupe d’opposition armé en février 2014 ; toutefois, elle aurait été reprise par les forces gouvernementales le 14 avril 2014.
7. En mars et avril 2014, les opérations des groupes d’opposition armés ont eu principalement pour objectif la prise des postes de contrôle le long de l’autoroute M5 entre Mourek, Khan Cheïkhoun et Maarret el-Noman. Il semble que différents groupes aient uni leurs forces et se soient partagé la « responsabilité » des postes de contrôle. Le Gouvernement a cherché à conserver son accès à l’autoroute, tout en établissant d’autres itinéraires vers Alep et Edleb.
8. Dans leurs dépositions, plusieurs témoins ont déclaré qu’il y avait eu des frappes aériennes répétées aux dates où se sont produits les faits à Tamaniaa, ou autour de ces dates. Les informations et les statistiques que le Mécanisme avait à sa disposition et qu’il a analysées ne comportaient pas de données précises concernant l’existence de frappes aériennes sur la ville qui permettent de brosser un tableau exact de la dynamique du conflit qui sévissait dans les environs immédiats à cette époque. Le Gouvernement a déclaré qu’il n’avait pas mené d’activités militaires terrestres ou aériennes sur Tamaniaa aux dates considérées.
9. Au cours du premier semestre de 2014, Tamaniaa aurait été utilisée comme « base d’opérations collective » par plusieurs groupes d’opposition armés. Des témoins ont également fait état de la présence de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) à Tamaniaa ; toutefois, à la suite d’affrontements avec le Front el-Nosra et des groupes d’opposition armés, l’EIIL s’est dans une large mesure retiré d’Edleb en mars 2014.
10. Plusieurs groupes d’opposition armés étaient présents dans la région et y menaient des opérations, mais, en raison de l’évolution rapide de la dynamique du conflit (élément qui vient s’ajouter aux informations contradictoires, dont la plupart ne sont pas assez précises), les alliances, les endroits exacts où ils se trouvaient et les sphères d’influence à la date et aux lieux sur lesquels portait l’enquête ne peuvent être établies avec certitude.
11. L’un des groupes d’opposition armés les plus influents aurait alors été le Conseil militaire d’Edleb, membre du mouvement Jabhat Thouwar Souriya depuis décembre 2013. S’agissant de la présence d’autres groupes d’opposition armés au moment des faits, les déclarations sont contradictoires. Si certaines sources indiquent que Jeïch el-Izza, alliance de plusieurs groupes constituée en 2014, avaient temporairement son siège à Tamaniaa, d’autres sources ne confirment pas cette information. Des témoins ont indiqué que Ahrar el-Cham était également présent sur place, information qui n’a pas été confirmée par ses représentants.
12. À propos des faits visés par l’enquête, des témoins ont mentionné deux établissements de soins à Tamaniaa : le centre médical caritatif Hanin et le neuvième centre médical. Le centre médical Hanin et un centre médical de campagne apparaissent dans des informations provenant de sources publiques et des reportages parus dans les médias concernant des patients souffrant d’exposition au chlore. Le centre médical Hanin est financé par des dons, sans l’accord du Gouvernement. Ce centre ayant une capacité limitée, les personnes grièvement blessées sont souvent orientées vers d’autres hôpitaux.
Description des faits
13. D’après les témoins ayant déposé auprès de la Mission d’établissement des faits, dans la nuit du 25 au 26 mai 2014, deux bombes-barils ont été larguées sur Tamaniaa. L’une n’a pas explosé (lieu no 1), mais sous l’impact le cylindre qui était à l’intérieur du baril s’est ouvert, laissant s’échapper du chlore. Le baril non explosé a été retrouvé dans la matinée. L’autre a explosé (lieu no 2), mais personne n’a été touché, puisqu’elle est tombée dans une zone inhabitée du village.
14. Comme pour les faits survenus dans la nuit du 29 au 30 avril 2014, le Gouvernement a déclaré que ses forces n’avaient pas mené d’activité militaire à Tamaniaa les 25 et 26 mai et fourni des informations tendant à montrer que ces événements avaient été fabriqués de toutes pièces. D’autres témoins ont déclaré à ce propos qu’il y avait eu de fréquentes alertes, mais qu’aucun événement faisant intervenir des produits chimiques n’avait eu lieu. Alors que les habitants, se fiant aux alertes, cherchaient à s’abriter dans un lieu sûr, leur maison a été pillée et le bruit a couru que ces événements avaient été mis en scène.
Date et heure
15. La plupart des témoins n’ont pas donné de dates précises, mais ont évoqué plusieurs événements qui se seraient produits entre mars et juillet 2014. Seul un témoin s’est rappelé expressément les dates des 25 et 26 mai 2014. Le même témoin a déclaré avoir aidé à démonter la munition le lendemain et avoir remarqué une forte odeur de chlore. Ce témoin a fourni, outre cinq photos des restes de la munition se trouvant dans une cour, cinq vidéos de l’excavation de la munition.
16. Un autre témoin a parlé d’un événement dont la description ressemblait à celle faite par le premier témoin et qui se rapportait probablement aux mêmes faits ; il ne se rappelait pas la date exacte, mais a dit que cela avait eu lieu aux alentours de 23 heures. Ce témoin faisait partie du groupe de personnes ayant retrouvé la munition non explosée le lendemain matin.
17. Un troisième témoin avait entendu dire qu’une bombe-baril était tombée sans exploser et que du gaz s’en échappait.
18. Un témoin avait eu indirectement connaissance de deux des cinq épisodes survenus à Tamaniaa, mais ne se souvenaient pas des dates exactes. Par la suite, il a remis une clef USB contenant des informations sauvegardées dans des dossiers distincts, classés en fonction des dates des cinq faits mentionnés par la Mission d’établissement des faits. Le dossier nommé « البرميل صور 25-5-2014 » contenait quatre photos et une vidéo de la munition se trouvant dans une cour. Ce témoin n’a pas mentionné cet épisode au cours de l’audition.
19. Un autre témoin a donné les dates des cinq épisodes, les lisant sur un bout de papier, mais n’a pas parlé, dans sa déposition, des faits survenus dans la nuit du 25 au 26 mai 2014.
20. Sept témoins de Tamaniaa ont dit que, depuis avril 2014, de « fausses » alertes à l’arme chimique étaient diffusées fréquemment, de manière sporadique. Plusieurs d’entre eux ont déclaré que jamais une arme chimique n’avait été utilisée à Tamaniaa.
Conditions météorologiques
21. Dans la nuit du 25 au 26 mai 2014, entre 20 heures et 5 heures, le vent soufflait de l’ouest (280°) à une vitesse comprise entre 3 et 2 mètres/secondes (3 m/s à 20 heures). La température a diminué progressivement, passant de 22 °C à 15 °C, et l’humidité relative a augmenté, passant de 79 % à 20 heures à 89 % à 5 heures.
Lieux des impacts
22. Le témoin qui a évoqué un épisode ressemblant à celui qui s’est produit dans la nuit du 25 au 26 mai sans toutefois s’en rappeler la date a fait un dessin pour montrer le lieu de l’impact. Cela n’a pas aidé à déterminer le lieu exact, car il n’y avait pas de détails ni de points de référence. Un autre témoin a dessiné un plan faisant apparaître quatre lieux d’impact à Tamaniaa (numérotés 1, 2, 3 et 5), mais il est difficile de savoir, à partir de ce dessin, quel site correspond à quel fait.
Lieu no 1
23. Ni les déclarations des témoins ni les images fournies n’ont permis de déterminer avec exactitude l’endroit où était tombée la bombe-baril non explosée. Ce lieu d’impact apparaît sur quatre vidéos (vidéos v01 à v04), qui sont filmées en gros plan ; on n’y voit pas ce qu’il y a alentour. Elles n’ont pas fait l’objet d’un examen scientifique.
24. Un témoin a déclaré qu’un baril non explosé était tombé sur une maison et a mentionné le nom du propriétaire. L’emplacement exact de la maison n’a pas pu être déterminé. Il n’y a aucune image satellite de source publique couvrant la période des faits sur laquelle on pourrait repérer un éventuel cratère ou impact. Aucune image satellite militaire n’a été mise à la disposition du Mécanisme, bien qu’il en ait fait la demande à plusieurs reprises.
Lieu no 2
25. Le témoin qui a aidé à évacuer la munition non explosée et s’est rappelé la date exacte a déclaré qu’une autre bombe-baril avait explosé mais qu’elle était tombée sur une maison dans une zone inhabitée. Ce témoin a aussi fourni une vidéo du lieu de l’impact. Un autre témoin a également remis une vidéo montrant le lieu de l’impact en question. Si les deux vidéos sont filmées sous différents angles et sont de différentes durées, elles montrent la même scène. On ne voit pas assez les alentours pour déterminer les coordonnées du lieu de l’impact. Le témoin qui a aidé à retirer la munition au lieu d’impact no 1, mais ne se rappelait pas la date exacte des faits, a lui aussi mentionné que la bombe étant tombée dans une zone inhabitée ; il a ajouté que, malgré leurs recherches, ils n’avaient pas pu trouver le lieu de l’impact.
Munitions
Lieu no 1
26. Le dispositif tombé sur le lieu no 1 n’a pas explosé. Le témoin qui a aidé à le retirer et s’est rappelé la date exacte a fourni quatre vidéos se rapportant au lieu no 1 : sur la vidéo v01, on voit le lieu de l’impact ; sur la vidéo v02, le démontage du baril ; sur la vidéo v03, l’excavation ; sur la vidéo v04, le baril en train d’être chargé sur un pick-up. Ce témoin a également fourni cinq photos de la munition se trouvant dans une cour. Un autre témoin ne se souvenait pas des dates des faits et, lors de l’audition, il n’a pas pu décrire ce qui s’était passé dans la nuit du 25 au 26 mai 2014, mais il a fourni une clef USB qui contenait quatre photos et une vidéo de la munition se trouvant dans la même cour, le tout sauvegardé dans un dossier nommé « البرميل صور 25-5-2014 ».
27. Le Mécanisme n’a pas pu vérifier de manière indépendante la date et le lieu où avaient été faites les vidéos et les photos, notamment parce qu’il s’agissait de gros plans et qu’on ne voyait pas ce qu’il y avait autour (c’est-à-dire qu’il n’y avait aucun point de référence pour en effectuer l’analyse). Les environs ne sont clairement visibles sur aucune des images.
28. La vidéo v02 montre le baril non explosé qui semble avoir atterri dans un trou d’environ 2,5 mètres de profondeur ; plus de la moitié est enfouie dans le sol, alors que les ailerons (c’est-à-dire la partie arrière du baril) sont pointés vers le ciel. Deux personnes sont descendues dans le trou pour démonter la munition. Ces deux personnes, à l’instar de celles qui sont au bord du trou, portent des masques de protection sans cartouche (c’est-à-dire que ces masques à gaz ne fonctionneraient pas). Aucune des personnes ne porte d’autre équipement de protection, tel que des gants. Aucune des deux personnes n’appliquait les mesures de sécurité ni n’avait le matériel qui serait nécessaire à cette activité de démontage si des substances dangereuses s’échappaient dans un espace confiné comme le trou en question.
29. D’après ce que l’on peut voir, la bombe-baril non explosée est constituée d’une enveloppe extérieure, d’un cylindre intérieur, de poudre et de cordeaux détonants. Il semble y avoir une grande quantité de poudre entre l’enveloppe extérieure du baril et le cylindre qui est à l’intérieur. Le cylindre intérieur comporte deux vannes, dont une entourée d’une grande quantité de cordeau détonant attaché par du ruban adhésif. Les mèches partent de la vanne du cylindre intérieur vers la partie inférieure du baril. Il est impossible de dire si le cylindre est vide ou s’il contient quelque chose. Un morceau de tissu et davantage de poudre se trouvaient entre l’enveloppe extérieure du baril et le cylindre intérieur.
30. Sur la vidéo v03, le baril est toujours dans la position décrite ci-dessus, si ce n’est que des chaînes y ont été attachées. Beaucoup de gens, y compris des enfants, se trouvent autour du trou ; personne ne porte de masques de protection ni de gants. Lorsque le baril est dégagé du sol et traîné hors du trou, on peut voir les dégâts occasionnés à la partie arrière de l’enveloppe extérieure du baril, là où se situent les ailerons. Le fond du cylindre intérieur est également visible, mais il ne semble pas endommagé.
31. Sur la vidéo v04, on voit des gens traîner le baril au travers d’une cour, monter des escaliers et le charger sur un pick-up. Personne ne porte d’équipement de protection. Sur les cinq photos fournies par ce témoin, on voit la même munition se trouvant dans une cour carrelée. Toute la poudre semble avoir été enlevée, de même que la mèche et le morceau de tissu.
32. Le témoin qui a fourni les vidéos décrit la munition comme suit : « Il y avait un détonateur sur la vanne du cylindre intérieur, qui ressemblait à une corde bleue enroulée autour de la vanne pour la faire exploser de sorte que le gaz puisse s’échapper ; une poudre jaune brun (environ 50 kg) se trouvait entre le cylindre intérieur et l’enveloppe extérieure du baril et au-dessus du cylindre. C’était là pour faciliter l’explosion ». Le baril non explosé avait une longueur d’environ 1,5 mètre et, sur les parties supérieure et inférieure, un couvercle maintenu par une vis. Le baril ne portait aucune inscription et était de fabrication locale. Un nombre était inscrit sur le dessus du cylindre, « peut-être 976 ». Ce témoin a déclaré que la partie arrière du dispositif avait touché le sol en premier, ce qui avait endommagé le dessous du cylindre, et a démontré cela en faisant un dessin. Sur le croquis, le dessous de la bombe et les ailerons sont dessinés dans le sol. Or, sur la vidéo fournie par ce même témoin, la partie arrière de la bombe et les ailerons apparaissent sortant du sol, la tête ayant pénétré dans le sol en premier.
33. La munition se trouvant dans une cour carrelée qui apparaît sur la vidéo et les photographies qui ont été fournies par un autre témoin correspondent bien à ce que l’on voit sur les vidéos.
34. Dans une autre vidéo de source publique (v05), une personne, que l’on voit également sur les vidéos susmentionnées, est debout à côté de ce que l’on estime être le même baril. Cette personne a déclaré qu’il s’agissait de la cinquième attaque perpétrée contre Tamaniaa à l’aide d’une bombe-baril contenant une substance qui leur paraissait être du chlore, mais que la bombe n’avait pas explosé lorsqu’elle était tombée sur le sol mou. Le gaz contenu dans le cylindre qui était à l’intérieur s’était échappé lentement, pendant au moins trois heures. L’examen scientifique a permis de découvrir que le téléchargement de la vidéo sur YouTube datait du 29 mai 2014 à 14:23:32 (temps universel), bien qu’elle ait pu également avoir été téléchargée le 28 mai, soit deux à trois jours après les faits supposés. L’analyse ne permet cependant pas d’établir la date à laquelle la vidéo a été filmée ni d’apporter des précisions sur l’endroit où elle l’a été.
35. Sur aucune des vidéos et images, on ne distingue de dispositif d’amorçage ni de détonateur. Il est donc impossible d’établir, à partir de la ladite documentation, comment fonctionnait la bombe-baril. Le témoin a mentionné qu’il y avait des couvercles sur le dessus et le dessous du baril, retenus par des vis, mais ils n’apparaissent pas sur les vidéos ni sur les photos.
36. Il ressort de l’examen scientifique de la vidéo que la munition « semble être faite du même métal fin que celui utilisé pour d’autres dispositifs observés dans de précédents cas ». Selon l’analyse, qui concorde avec l’évaluation faite par le Mécanisme, l’explosion de 50 kilogrammes d’explosifs aurait détruit (fragmenté en petits morceaux) l’enveloppe extérieure. Les dommages causés par cette munition dans la zone environnante ressembleraient davantage à ceux d’une arme classique plutôt qu’à ceux d’une arme remplie de produits chimiques. Si cette quantité d’explosifs avait explosé alors que le cylindre interne contenait du chlore, le chlore se serait probablement oxydé, ce qui aurait fortement limité l’effet du chlore gazeux.
37. On ne sait pas non plus quand la fuite de gaz s’est produite. Les témoins ont dit qu’à leur arrivée sur les lieux, ils avaient dû se munir de masques à gaz, l’odeur étant trop forte. Or, les masques à gaz que l’on voit sur les vidéos ne sont pas équipés de cartouches filtrantes. On ne sait pas combien de temps s’est écoulé entre le moment où le baril a été retrouvé et où le démontage a débuté, ce que montre la vidéo.
38. On peut lire également dans le rapport des experts que « le cylindre peut libérer des substances gazeuses pendant moins de trois heures ou plus de trois heures en fonction de ce qu’il contient (gaz pur, densité du mélange de produits chimiques) et le type et l’ampleur des dommages subis ».
39. Le Gouvernement a donné son analyse de la vidéo v05, dans laquelle une personne affirme que du gaz s’est échappé du cylindre pendant trois heures, indiquant que le gaz se trouvant dans le cylindre intérieur aurait été libéré en l’espace de quelques secondes, compte tenu de la pression, du volume, des dommages, de la température et de la force de l’impact. Le Mécanisme ne peut ni accepter ni rejeter cette évaluation, puisqu’il ne dispose pas de données assez précises sur le contenant, ce qu’il y avait à l’intérieur, les dommages et les conditions alentour pour exclure avec certitude la possibilité que du gaz se soit échappé pendant trois heures.
Lieu no 2
40. Selon un témoin, le deuxième baril est tombé sur une maison inhabitée et a explosé. Le témoin s’est rendu sur le lieu no 2, a senti l’odeur du chlore, mais n’a pas vu de débris. Un autre témoin a déclaré qu’ « ils » avaient cherché, mais n’étaient pas parvenus à trouver l’endroit où la bombe était tombée. Les vidéos du lieu en question montrent ce qui ressemble à des restes de munition, mais cela ne peut être affirmé avec certitude.
Mode de dispersion
41. Le Gouvernement a déclaré qu’il n’avait mené aucune activité militaire, terrestre ou aérienne, à Tamaniaa au moment des faits. Aucune des sources du Mécanisme n’a pu fournir d’informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer l’existence de mouvements aériens à la date en question, et ce en dépit des demandes répétées qu’il a formulées.
42. Le témoin qui a aidé à retirer la munition du sol a dit que deux barils avaient été largués le 25 mai 2014. Dans les vidéos de source publique décrite ci-dessus, l’orateur parle de frappes aériennes menées par les forces d’« Assad ».
Lieu no 1
43. D’après l’examen scientifique des images de la munition, l’existence d’ailerons stabilisateurs donne à penser que la bombe-baril a été construite pour être larguée depuis un aéronef. S’agissant d’un sol dur, la pénétration du baril largué depuis une altitude élevée serait très limitée et les dommages causés au baril seraient considérables, ce qui n’est pas le cas du baril qui apparaît sur la vidéo. La bombe-baril pourrait pénétrer davantage dans un sol mou et l’impact pourrait avoir endommagé la tête (l’avant) du baril comme c’est le cas de celui qui apparaît sur la vidéo. Un témoin a dit que l’impact s’était produit sur un sol mou. Or, la condition des sols n’a pas pu être déterminée à partir de l’analyse de la vidéo, la question étant de savoir si la forte pénétration du baril dans le sol pouvait s’expliquer par un largage effectué depuis une altitude élevée.
Lieu no 2
44. Il n’y a pas d’autres informations précises sur le lieu no 2 en ce qui concerne le mode de dispersion.
Dommages et effets
Lieu no 1
45. Le baril est tombé dans un trou dans le sol ; il n’a pas explosé.
Lieu no 2
46. Beaucoup de maisons détruites et endommagées apparaissent sur les vidéos se rapportant à ce lieu d’impact. On ne voit aucun cratère.
Effets médicaux
47. Il n’y a pas eu d’effets médicaux.
Informations complémentaires
48. Les médias ont largement couvert ces événements. Certains médias internationaux ont déclaré que le Gouvernement avait utilisé des bombes-barils contenant des produits chimiques toxiques.
49. Plusieurs témoins ont indiqué que des intervenants locaux (parfois dénommés « casques blancs ») avaient mis en place des systèmes d’alerte rapides élémentaires en ayant recours à des médias locaux, des volontaires, des mosquées et des postes de radio portatifs. Après les premières attaques chimiques, ces intervenants avaient fourni des informations sur la conduite recommandée en cas de frappes aériennes et d’attaques chimiques. En cas d’alertes chimiques, les habitants étaient engagés à se déplacer vers un lieu situé en amont du vent par rapport au point d’impact et en hauteur, tandis que dans le cas d’attaques conventionnelles il leur était conseillé de chercher refuge dans le sous-sol des maisons.
50. Six témoins ont déclaré que des personnes avaient quitté le village et que, pendant leur évacuation après ce qu’elles avaient par la suite qualifié d’alerte abusive, leur maison ou celle de leurs voisins avait été pillée. Certains ont mentionné des personnes portant des « masques », apparemment des masques à gaz, qui distribuaient aux enfants des masques trempés dans du Coca-Cola ou du Pepsi. Deux témoins ont évoqué des rumeurs propagées dans la ville selon lesquelles des personnes avaient essayé d’imputer la faute de ces actes au Gouvernement ou de mettre en scène les événements.
51. Un témoin a fait état d’une frappe aérienne menée sur la maison d’un combattant d’un groupe d’opposition armé « à la fin du mois d’avril ». Le lendemain, des personnes portant des masques étaient en train de « déterrer quelque chose » et de filmer la scène, disant que Tamaniaa avait été touchée par du gaz chloré toxique. Le témoin n’a pas senti d’odeur de gaz ni vu de personnes blessées. Lors d’une précédente audition, il n’avait pas mentionné les faits.
52. Certains témoins ont déclaré que des hommes armés, dont certains étaient originaires de Tamaniaa et d’autres étaient étrangers, avaient diffusé de fausses alertes chimiques et dit que les forces gouvernementales allaient attaquer le village à l’aide de produits chimiques, précisant parfois qu’il s’agissait de chlore, et ils avaient engagé les habitants à quitter le village. Les alertes avaient été diffusées de diverses manières, depuis des véhicules et des mosquées, à l’aide de microphones et de haut-parleurs, ou simplement en personne. Deux témoins ont mentionné la même personne qui aurait filmé ce scénario « mis en scène ».
53. Un témoin a déclaré que des gens avaient frappé à la porte. Des personnes sur des motos et dans des voitures avaient dit aux habitants de quitter leur maison parce qu’un avion allait lancer une attaque. Des enfants d’âges différents avaient couru après eux. Apparemment, ces personnes, dont le témoin pensait qu’elles appartenaient au Front el-Nosra, étaient allées à l’école, avaient fait sortir les enfants et leur avait donné des couches imbibées d’un liquide en guise de masques à gaz, affirmant que du chlore serait utilisé au cours de l’attaque. Le témoin est resté chez lui malgré l’alerte, et n’a rien senti ni rien vu.
Évaluation du Groupe de direction
54. Ayant examiné les informations et les éléments de preuve existants concernant les faits survenus à Tamaniaa les 25 et 26 mai 2014, le Groupe de direction a jugé qu’en l’espèce, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour tirer des conclusions quant aux acteurs impliqués ni aux modalités de l’utilisation de produits chimiques en tant qu’armes.
55. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• Les informations pertinentes au sujet de tous les faits survenus à Tamaniaa demeurent insuffisantes. Aucun mouvement aérien n’a pu être établi par le Mécanisme ;
• Plusieurs témoins ont déclaré que, depuis avril 2014, de « fausses » alertes aux armes chimiques avaient été lancées fréquemment, de manière sporadique, et qu’aucune substance chimique n’avait été utilisée en tant qu’arme à Tamaniaa ;
• D’autres témoins ont déclaré qu’une « bombe-baril » non explosée aurait laissé s’échapper du chlore. Les éléments de preuve sont cependant insuffisants pour corroborer ce témoignage.
Annexe VII
Qaminas, le 16 mars 2015
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits évoque les événements survenus dans la nuit du 16 mars 2015 entre 20 heures et 21 heures, indiquant que « les occupants des maisons situées dans la partie est et nord-est du village, relativement près du point d’impact, ont senti une odeur analogue à celle de produits d’entretien ménager à base de chlore, en nettement plus intense ».
2. La Mission signale également que « [p]armi la soixantaine de personnes venues de Qaminas à l’hôpital de campagne de Sarmin le 16 mars 2015, il a été considéré que 40 présentaient des signes cliniques d’anxiété, que six avaient subi une exposition secondaire (1 médecin traitant et 5 premiers intervenants) et que 14 patients avaient été directement exposés ».
3. La Mission conclut en ces termes :
En soi, aucune source d’information ou preuve ne miserait particulièrement sur l’idée que s’est produit un événement avec emploi d’un produit chimique toxique en tant qu’arme. Toutefois, pris globalement, les faits qui ont été rassemblés suffisent à conclure qu’en République arabe syrienne des incidents ont probablement impliqué l’emploi d’un produit chimique toxique en tant qu’arme. On ne dispose pas d’assez de preuves pour aboutir à une conclusion ferme permettant d’identifier le produit chimique, même si certains facteurs montrent que ce produit chimique contenait probablement du chlore .
Enquête du Mécanisme
Contexte
4. Qaminas (province d’Edleb, district d’Edleb) se trouve à 6 kilomètres au sud-est de la ville d’Edleb. Sarmin est située à moins de 5 kilomètres au nord-est et Saraqeb à 12 kilomètres à l’est, au croisement de l’autoroute M5 Damas-Alep et de l’autoroute M4 en direction de Lattaquié. L’aérodrome de Taftanaz se trouve à environ 13 kilomètres à vol d’oiseau au nord-est.
5. Au recensement de 2004, la localité de Qaminas comptait quelque 2 700 habitants. En août 2014, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a recensé un grand nombre de déplacés dans le district d’Edleb. Selon certaines sources, Qaminas continue d’accueillir une large population, de nombreux déplacés de la ville d’Edleb s’y étant installés, chez leurs proches notamment, d’autres sources indiquant en revanche que la localité a perdu une grande part de ses habitants du fait de sa proximité avec la ligne de front.
6. En 2014, la présence gouvernementale dans la province d’Edleb consistait en deux réseaux de postes de contrôle et d’installations militaires, l’un le long de l’autoroute M5 entre Maarret el-Noman et Khan Cheïkhoun, l’autre le long de l’autoroute M4 reliant Lattaquié à Edleb.
7. À la mi-2014, le Front el-Nosra a commencé à combattre les groupes d’opposition armés dans la province d’Edleb, dont beaucoup avaient combattu à ses côtés le Gouvernement, notamment le Front des révolutionnaires de Syrie et le mouvement Hazm. Le Front el-Nosra a pris le contrôle de plusieurs régions et villes de la province, s’emparant des armes et des installations abandonnées par les vaincus.
8. Le 15 décembre 2014, le Front el-Nosra, aux côtés d’Ahrar el-Cham, des Soldats d’el-Aqsa et de combattants de groupes d’opposition armés, s’est emparé des bases militaires de Wadi de Deïf et de Hamidiyé, prenant le contrôle de l’autoroute M5 au nord de Mourek et de plusieurs postes de contrôle militaires, bloquant une importante voie d’accès du Gouvernement à la ville d’Edleb et renforçant sa présence dans la partie méridionale de la province.
9. Qaminas et Sarmin, bordant à l’ouest la ville d’Edleb, étaient tenues par des groupes d’opposition armés, à proximité immédiate de la ligne de front. À l’est, Saraqeb, située au croisement stratégique des autoroutes M5 et M4, et la base aérienne de Taftanaz étaient aux mains de groupes d’opposition armés depuis respectivement novembre 2012 et janvier 2013.
10. Le Gouvernement contrôlait la ville d’Edleb et les bases militaires situées au sud de celle-ci, à quatre kilomètre à l’ouest de Qaminas.
11. Le 24 mars 2015, plusieurs groupes ont annoncé officiellement la formation de l’Armée de la conquête et lancé les opérations pour s’emparer de la ville d’Edleb, dont ils ont pris temporairement le contrôle le 28 mars 2015 après de violents combats. Parmi les membres fondateurs de l’Armée de la conquête figuraient notamment le Front el-Nosra, Ahrar el-Cham, les Soldats d’el-Aqsa et Feïlaq el-Cham.
12. Qaminas, où étaient présents le Front el-Nosra et d’autres factions de l’Armée de la conquête, a été l’une des bases utilisées pour préparer l’offensive contre Edleb. Selon certaines sources, la localité était sous le contrôle d’Ahrar el-Cham, ce que ce groupe n’a toutefois pas confirmé. Des témoins ont signalé la présence d’installations militaires dans le village, sans préciser à quels groupes appartenaient les combattants.
13. Un témoin a indiqué que les groupes armés se préparaient à attaquer Edleb « afin de libérer la ville » et que les faits s’étaient produits quelques jours avant le début de l’offensive. Selon ce témoin, des combattants étaient déployés à Qaminas et sur la route menant à Sarmin dans l’attente de l’attaque.
14. Les faits survenus à Qaminas le 16 mars 2015 ont été les premiers d’une série de cas où des produits chimiques ont été utilisés comme armes à Edleb et dans sa région entre cette date et le 20 mai 2015, ainsi que l’a consigné la Mission d’établissement des faits. Aucun autre cas n’a toutefois été signalé à Qaminas. Les faits survenus à Sarmin la même nuit se sont produits seulement deux ou trois heures plus tard.
15. Qaminas ne dispose pas de centre de soins ; les centres médicaux les plus proches sont l’hôpital de campagne de Sarmin et l’hôpital général de Saraqeb.
Description des faits
16. D’après les déclarations qu’ont faites les témoins à la Mission d’établissement des faits, un hélicoptère a largué deux objets ou « bombes-barils » en bordure d’une zone militarisée. Quelques minutes plus tard, les témoins ont noté une odeur de chlore. Les personnes exposées ont commencé à larmoyer, tousser et suffoquer. Le système d’alerte local a lancé une alerte d’attaque chimique, provoquant une panique.
17. Le Gouvernement a indiqué qu’il n’y avait eu aucune opération aérienne dans le secteur ce jour-là et avancé une autre hypothèse pour expliquer l’exposition de la population aux substances chimiques. Selon lui, des combattants des Soldats d’el-Aqsa avaient transporté des barils remplis d’un liquide non identifié depuis les cavités souterraines dites de Maghawer Daouach situées entre Sarmin et Qaminas. L’un des barils était tombé du véhicule, libérant un gaz qui avait intoxiqué les combattants et certains habitants de Qaminas et Sarmin. Tous avaient souffert d’« asphyxie ».
18. Au cours de l’enquête, le Gouvernement a indiqué que des combattants d’un groupe d’opposition avaient utilisé un canon tirant des projectiles emplis de substances chimiques contre d’autres groupes d’opposition armés. Le Mécanisme n’a toutefois pas retenu cette hypothèse, faute d’éléments venant l’étayer et du fait qu’elle était incompatible avec ses propres conclusions.
Date et heure
19. Trois témoins ont indiqué que les faits s’étaient produits le 16 mars 2015. Les indications d’heure diffèrent quelque peu, mais placent toutes l’événement entre 20 et 21 heures. Quatre États Membres ont fourni des informations corroborant l’heure des faits. Le Gouvernement a confirmé la date des faits, mais n’a pas donné d’heure.
Conditions météorologiques
20. Le 16 mars 2015, le soleil s’est couché à 17 h 41 à Qaminas. Entre 20 et 21 heures, la température était de 10 °C, avec un vent d’ouest (260°) soufflant à 3 mètres/seconde. Le taux d’humidité était de 95 %.
Lieux des impacts
21. Un témoin a indiqué que les deux « bombes-barils » étaient tombées dans une zone militarisée ; un autre a déclaré que seule l’une des bombes avait touché cette zone, l’autre tombant dans une zone d’habitation.
22. Les cavités de Daouach se trouvent au sud-ouest de Sarmin, près de la route menant à Qaminas, à environ 3 kilomètres de Qaminas.
Lieu no 1
23. Trois témoins ont désigné sur une carte le lieu de l’impact, le situant à la sortie de Qaminas, sur la route en direction de Neïrab. Les différences de coordonnées étaient minimes.
24. Pour confirmer cet emplacement, 10 photographies du lieu supposé de l’impact ont été examinées par un institut de criminalistique. Celui-ci a estimé que les dix photographies, par leur contenu, se rattachaient toutes l’une à l’autre et que, par conséquent, elles montraient bien le même lieu. L’examen des métadonnées et l’analyse visuelle n’ont révélé aucune trace de falsification.
25. Rien n’indique que les photographies aient été modifiées pour qu’y figurent des débris. En revanche, les photographies ayant été prises deux jours après l’attaque, on ne peut exclure que des débris aient été placés au préalable sur le site.
26. En procédant à une comparaison visuelle entre les photographies et les images satellite, l’expert de criminalistique a établi que les coordonnées géographiques du site correspondaient à celles du lieu indiqué par les témoins (voir le tableau).
Coordonnées du lieu n° 1 selon les différentes sources
Source | Latitude (en degré décimal) | Longitude (en degré décimal) |
Témoin | 35,882889°N | 36,680778°E |
Témoin | 35,882833°N | 36,681222°E |
Témoin | 35,882833°N | 36,680722 E |
Institut de criminalistique | 35,882772°N | 36,681096 E |
Lieu no 2
27. Un seul témoin a fourni des informations sur le second lieu d’impact, au point de coordonnées 35,882972°N, 36,679111°E, soit à proximité du lieu no 1, mais davantage à l’intérieur du village. Le Mécanisme n’a recueilli aucun autre élément venant confirmer ces coordonnées, ni aucune autre information sur la bombe-baril qui y serait tombée. Selon deux témoins, une installation militaire ou une zone militarisée avait été touchée et les civils avaient été intoxiqués à cause du vent qui avait disséminé le gaz dans la zone d’habitation. Il n’a pas été possible d’établir le type d’installation ou de présence militaire ni d’identifier le groupe armé, si ce n’est qu’il ne s’agissait pas des Forces armées arabes syriennes, mais de l’un ou de l’autre des groupes d’opposition armés.
Munitions
28. Les considérations ci-après sont tirées de l’analyse du lieu no 1, aucune information sur le lieu no 2 n’ayant été recueillie.
29. Les témoins ont indiqué que les débris de l’engin consistaient en un baril ou fût métallique entouré de plusieurs bonbonnes de gaz ayant explosé. Cette description concorde avec les images analysées par le Mécanisme et les instituts de criminalistique. Le baril métallique, qui constitue probablement l’enveloppe de la bombe, possède des ailerons. Une petite bonbonne bleu-verdâtre ayant explosé est également visible sur les photographies. Eu égard à leur authenticité, l’analyse scientifique des photographies corrobore l’affirmation selon laquelle elles n’ont pas été falsifiées et ont été prises deux jours après les faits.
30. Des témoins ont indiqué que le baril portait une inscription (« IYAD »), qui n’est visible toutefois sur aucune des photographies.
31. Selon des experts en explosifs, si le baril avait contenu des explosifs, l’enveloppe aurait été très certainement pulvérisée en fragments de petite taille et entièrement détruite. Il est possible toutefois que la charge explosive n’ait pas explosée, mais il resterait alors à expliquer la présence des bonbonnes.
32. Les débris que l’on peut voir sur les photographies ressemblent à ceux retrouvés à Sarmin (bonbonnes et enveloppe extérieure) lors des événements survenus le même jour.
Mode de dispersion
33. Des témoins ont indiqué avoir entendu des hélicoptères et le bruit d’une explosion – bruit qu’ils ont qualifié d’« étouffé » par rapport à celui provoqué par d’autres frappes aériennes – et reçu peu après une alerte d’attaque chimique, diffusée par les radios portatives et les haut-parleurs des minarets des mosquées.
34. Un témoin a déclaré avoir intercepté une communication radio entre deux pilotes d’hélicoptère, qui auraient utilisé l’indicatif « Bravo ». Selon ce témoignage, un hélicoptère a décollé de l’aéroport de Lattaquié aux environs de 21 heures. Quelques instants après que le pilote a indiqué avoir « pénétré dans la zone d’opération », des habitants ont signalé l’explosion d’une bombe-baril, aux alentours de 21 h 30. Il faudrait à un hélicoptère 30 à 33 minutes pour se rendre de la base aérienne de Lattaquié à Qaminas.
35. Compte tenu du type d’hélicoptères dont sont équipées les Forces armées syriennes arabes et de la distance entre la base aérienne de Lattaquié et Qaminas, l’appréciation par le témoin du temps nécessaire pour se rendre de Lattaquié à Qaminas a été jugée juste.
36. Le Mécanisme a réuni des informations indiquant qu’un hélicoptère a quitté l’aéroport Bassel el-Assad de Lattaquié à 20 h 30 et survolé Qaminas à 21 h 05 avant de rentrer à la base à 21 h 30.
37. Le Gouvernement a indiqué qu’aucune activité aérienne n’avait eu lieu ce jour-là dans le secteur, mais n’a fourni à l’appui de ses dires aucun document, par exemple des registres de vol. Il n’a pas répondu aux questions concernant l’indicatif radio utilisé.
Lieu no 1
38. Un institut de recherche sur la défense a examiné les images des débris et rendu les observations ci-après concernant l’enveloppe du baril : « [Elle] présente les caractéristiques d’un objet ayant été largué d’un aéronef. Les ailerons de stabilisation sont bien visibles, ainsi que le support permettant de fixer l’engin à l’aéronef. Cette [bombe-baril] a probablement été transportée sous les ailes ou la coque d’un aéronef (avion ou hélicoptère). Il est peu probable qu’elle ait été transportée par fusée. »
39. Un expert en balistique et l’institut de défense ont examiné le cratère formé au lieu n° 1 pour déterminer le mode de dispersion utilisé. Le cratère que l’on voit sur les photographies peut être observé sur une image satellite du site prise après le 16 mars 2015.
40. L’expert en balistique a estimé qu’« une bombe qui serait larguée d’un hélicoptère à haute altitude et heurterait le sol légèrement de biais aurait de grandes chances de créer une marque d’impact semblable à celle visible dans » le cratère du lieu no 1. Il a noté que le cratère avait changé de forme entre le moment de l’impact et le moment où l’image avait été prise, indiquant à ce propos : « Sur l’image, il semble qu’un poids lourd ait pu rouler sur la marque après l’impact. Il est possible également qu’on ait comblé le trou avant que l’image ne soit prise – trou qui, dans cette hypothèse, aurait été un peu plus profond –, afin de permettre aux véhicules de circuler normalement. »
41. L’institut de défense a estimé que l’image du cratère cadrait avec l’hypothèse d’un objet largué à haute altitude et venu heurter une surface dure. On ne pouvait exclure toutefois la possibilité que la route ait été simplement en mauvais état ou qu’un trou ait été creusé à cet endroit. Il a fait observer également que rien n’indiquait qu’une forte détonation ait eu lieu, ce qui signifiait soit que l’engin contenait une faible quantité d’explosifs, soit que la charge explosive ne s’était pas déclenchée comme prévu.
42. S’appuyant sur l’analyse de plusieurs experts indépendants, le Mécanisme a rejeté, après l’avoir examinée, l’hypothèse selon laquelle la munition aurait été lancée d’un lanceur terrestre.
Lieu no 2
43. Aucune information n’a été recueillie sur le second lieu d’impact évoqué par des témoins et qui se situerait dans une zone militarisée.
Dommages et effets
Lieu no 1
44. Des témoins ont indiqué que le sol autour du lieu no 1 avait changé partiellement de couleur et pris une teinte rougeâtre-rose. On ne voit ces couleurs sur aucune des photographies.
45. Les photographies du lieu d’impact font apparaître une décoloration de la végétation. Une analyse de l’indice de végétation sur l’image satellite a permis d’établir que la végétation au nord et à l’est du cratère était « en moins bonne santé ». Bien que les dommages et effets puissent être dus au chlore ou à d’autres produits chimiques toxiques, le Mécanisme n’a pas été en mesure d’exclure d’autres causes possibles.
Lieu no 2
46. Aucune information n’a été recueillie.
Effets médicaux
47. Selon des témoins, des ambulances ont été envoyées à Qaminas après les alertes, mais à leur arrivée toutes les personnes intoxiquées avaient déjà quitté les lieux. Un témoin a indiqué que des habitants avaient arrêté les ambulances en leur disant de faire demi-tour, tous les patients étant déjà partis.
48. Trois témoins ont confirmé le nombre de patients figurant dans le rapport de la Mission d’établissement des faits (S/2015/908). Selon ces déclarations, 60 personnes sont arrivées à l’hôpital de Sarmin après 20 h 45 pour recevoir des soins ; toutefois, le personnel médical a estimé que, parmi elles, seules 20 souffraient de symptômes cliniques liées à l’exposition aux produits chimiques, les autres présentant des symptômes d’anxiété et de panique. Un témoin a déclaré que quelques combattants des groupes d’opposition avaient été exposés aux produits chimiques et traités par leurs unités militaires dans leur secteur. Aucun décès n’a été signalé.
49. Des témoins ont confirmé le nombre de patients et fourni quelques noms ; toutefois, malgré plusieurs demandes, aucun dossier médical n’a été communiqué.
50. Faute d’informations suffisantes sur la quantité de chlore gazeux, son taux de dispersion, les obstacles et la topographie, il n’a pas été possible d’analyser scientifiquement la façon dont le chlore avait pu se disperser. Cela étant, le Mécanisme a utilisé certains éléments du modèle de dispersion fourni par l’institut de recherche sur la défense, ainsi que les informations disponibles sur le lieu de l’impact et les conditions météorologiques au moment des faits, pour déterminer si le nombre de personnes intoxiquées avancé était plausible. Malgré le peu d’informations précises sur la situation, il a jugé ce chiffre crédible.
51. Le Gouvernement a indiqué que les personnes intoxiquées à Sarmin et Qaminas l’avaient été à la suite de l’accident de circulation où un baril contenant du chlore avait été endommagé. Selon lui, leur nombre avait été inférieur aux chiffres fournis par l’hôpital de Sarmin et d’autres témoins.
52. Pour affecter les habitants de Qaminas, l’accident de circulation aurait dû se produire en bordure du village. Plus l’accident se serait produit près de Sarmin, moins les civils de Qaminas auraient été exposés au chlore. Mais si l’accident s’était produit à proximité de Qaminas, les habitants de Sarmin n’auraient pu être exposés au chlore ou aux substances gazeuses toxiques, le vent ne soufflant pas à l’est mais au sud, dispersant le gaz loin de Sarmin.
Évaluation du Groupe de direction
53. Le Groupe de direction a examiné les informations disponibles au sujet des faits survenus à Qaminas le 16 mars 2015 et établi qu’un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes avait largué un engin ou une bombe-baril à Qaminas.
54. Si les informations recueillies lui ont presque permis de parvenir à une conclusion quant aux protagonistes de l’affaire, le Groupe de direction n’est toutefois pas en mesure, à l’heure actuelle, d’établir avec certitude si l’engin ou la bombe-baril contenait des explosifs ou du chlore.
55. Le Groupe de direction a estimé qu’il fallait enquêter plus avant.
56. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants :
• D’après les déclarations de témoins, un hélicoptère a largué deux engins en bordure d’une zone militarisée à Qaminas. Cependant, l’analyse scientifique des photographies et des images satellite n’a permis de confirmer l’existence que d’un seul site d’impact, dont l’emplacement a été désigné par trois témoins distincts ;
• Les débris d’un engin découverts près du cratère d’impact ressemblent aux fragments de bombe-baril qui ont été retrouvés près d’autres lieux d’impact, notamment à Sarmin. Toutefois, il n’a pas été possible, d’après l’analyse des débris et du cratère, d’établir si l’engin contenait des explosifs ou des substances chimiques toxiques ;
• Le Mécanisme s’est vu proposer d’autres explications pour rendre compte des faits : dans l’une, du gaz s’était échappé accidentellement d’un baril tombé d’un véhicule conduit par des membres d’un groupe d’opposition armé ; dans l’autre, des combattants d’un groupe d’opposition armé avait utilisé un canon tirant des projectiles emplis de substances chimiques contre d’autres groupes. Le Mécanisme n’a pu obtenir des informations crédibles permettant d’étayer ces différentes hypothèses ;
• Le Mécanisme a recueilli des informations selon lesquelles un hélicoptère avait survolé Qaminas au moment des faits ;
• Le Gouvernement a indiqué que les Forces armées arabes syriennes n’avaient procédé à aucun vol dans ce secteur le 16 mars 2015, sans toutefois fournir d’éléments pour étayer ses dires. Le Mécanisme a néanmoins obtenu auprès d’autres sources des informations corroborant le fait que des vols d’hélicoptère avaient été effectués au moment et sur les lieux des faits ;
• À l’époque des faits, le Gouvernement avait perdu le contrôle de six bases aériennes, dont celle de Taftanaz (province d’Edleb). Il a informé le Mécanisme que 15 hélicoptères avaient été abandonnés sur cette base, dont neuf étaient considérés comme opérationnel ;
• Le Groupe de direction a examiné toutes les informations recueillies et n’a trouvé aucun élément permettant d’établir que des groupes d’opposition armés présents à Qaminas avaient utilisé un hélicoptère au moment et sur les lieux des faits.
Annexe VIII
Sarmin, le 16 mars 2015
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits a décrit deux faits survenus à Sarmin le 16 mars 2015 entre 22 h 30 et 23 heures .
2. La Mission dit que « entre le 3 mai et le 5 juin 2015, l’équipe de la Mission d’établissement des faits a interrogé 21 personnes qui ont présenté des témoignages et des informations concernant des incidents d’allégation d’emploi de produits chimiques toxiques en tant qu’arme dans ce village et dans ses environs les 16 mars, 23 mars et 26 mars 2015 ainsi que le 16 mai 2015 » .
3. La Mission dit aussi :
En soi, aucune source d’information ou preuve ne miserait particulièrement sur l’idée que s’est produit un événement avec emploi d’un produit chimique toxique en tant qu’arme. Toutefois, pris globalement, les faits qui ont été rassemblés suffisent à conclure qu’en République arabe syrienne des incidents ont probablement impliqué l’emploi d’un produit chimique toxique en tant qu’arme. On ne dispose pas d’assez de preuves pour aboutir à une conclusion ferme permettant d’identifier le produit chimique, même si certains facteurs montrent que ce produit chimique contenait probablement du chlore .
Enquête du Mécanisme
Historique
4. Sarmin (province d’Edleb, district d’Edleb) se trouve à quelque 7 à 8 kilomètres au sud-est de la banlieue est d’Edleb, sur la route de Saraqeb. Binnich se trouve à quelque 5 à 6 kilomètres au nord de Sarmin et l’aérodrome de Taftanaz à 8 kilomètres au nord-est. Qaminas est à 5 kilomètres au sud-ouest de Sarmin. L’aéroport Bassel el-Assad de Lattaquié se trouve environ à 85 kilomètres, sur la côte méditerranéenne.
5. Au recensement de 2004, Sarmin comptait environ 14 500 habitants. Selon la Mission, Sarmin s’est vidée de sa population à cause de la proximité des lignes de front et ne compte même plus 5 000 habitants en 2015. En août 2014, le Bureau de la Coordination des affaires humanitaires n’a recensé à Sarmin que 2 500 personnes dans le besoin et aucun déplacé mais un grand nombre de personnes déplacées ont été enregistrées dans le district d’Edleb. Selon d’autres déclarations, cependant, Sarmin aurait encore une population importante et nombre des personnes déplacées proviendraient d’Edleb.
6. En 2014, la présence de l’État dans la province d’Edleb se manifestait par des réseaux de points de contrôle et des installations militaires, une le long de la M5 entre Maarret el-Nouman et Khan Cheikhoun et l’autre le long de l’autoroute M4 reliant Lattaquié à Edleb.
7. Au milieu de l’été 2014, le Front el-Nosra a commencé à se battre contre beaucoup des groupes d’opposition armés aux côtés desquels il avait combattu le Gouvernement, dont le Jabhat el-Thouwar et le mouvement Hazm. Le Front el-Nosra a donc pris le contrôle de plusieurs régions et villes de la province d’Edleb et s’est emparé de certaines des armes et installations de ces groupes d’opposition armés.
8. Le 15 décembre 2014, le Front el-Nosra, Ahrar el-Cham, les Soldats d’Al-Aqsa et des combattants d’autres groupes d’opposition armés se sont emparés des bases militaires de Ouadi Deïf et Hamidiya, au sud de Marat el-Nouman, et pris le contrôle de l’autoroute stratégique M5 au nord de Morek et de plusieurs postes de contrôle militaires. Ils ont ainsi coupé une importante voie d’accès à Edleb, empêchant le Gouvernement de réapprovisionner ses forces dans la ville et ses environs.
9. En mars 2015, Qaminas et Sarmin, immédiatement à l’est d’Edleb, étaient contrôlées par des groupes d’opposition armés, tout comme Binnich au nord. Sarmin avait été largement contrôlée par Liwa Dawoud jusqu’en 2014, lorsque le commandant du groupe a rallié l’État islamique d’Iraq et du Levant. Une centaine de combattants auraient refusé de se rallier à lui et seraient revenus à Sarmin rejoindre d’autres groupes. Ahrar el-Cham a confirmé sa présence en mars 2015. Feïlaq el-Cham et d’autres factions de l’Armée de la conquête étaient probablement présentes.
10. Plus à l’est, Saraqeb et la base aérienne militaire de Taftanaz ont également été sous le contrôle de groupes d’opposition armés depuis novembre 2012 et janvier 2013, respectivement.
11. Le Gouvernement contrôlait encore Edleb et les bases militaires proches de Mastoumé, au Sud d’Edleb. Les forces de défense nationale paramilitaires progouvernementales contrôlent également les communautés voisines de Fouaa et Kefraya, au nord de Binnich.
12. Des substances chimiques auraient été utilisées comme armes le 16 mars 2015, deux fois à Sarmin et une fois à Qaminas. Un témoin a déclaré que le 16 mars 2015, les groupes armés se trouvant à Qaminas et sur la route de Qaminas à Sarmin se préparaient à attaquer Edleb (l’assaut a commencé le 24 mars 2015).
13. Le 24 mars 2015, plusieurs groupes (dont le Front el-Nosra, Ahrar el-Cham, les soldats d’Al-Aqsa et Feïlaq el-Cham) ont annoncé officiellement la formation de l’Armée de la conquête, qui a commencé à mener des opérations pour s’emparer d’Edleb. Ils en ont pris le contrôle le 28 mars 2015.
14. À la fin de mai 2015, la Mission avait pris connaissance d’allégations concernant cinq cas d’utilisation présumée de substances chimiques comme armes à Sarmin.
15. Sarmin dispose d’un centre de soins de santé primaires, d’une clinique privée et d’un hôpital de campagne précédemment soutenu par le Croissant-Rouge arabe syrien et maintenant aussi par la Syrian American Medical Society.
Description des faits
16. Selon la description donnée par la Mission, le 16 mars 2015, vers 22 h 30 ou 23 heures, un hélicoptère a largué deux bombes-barils remplies de chlore ou d’un produit dérivé, qui ont répandu du chlore gazeux. L’une d’elles est tombée dans un champ (lieu no 1). L’autre est tombée dans le puits de ventilation d’une maison partiellement construite (lieu no 2). Une famille de six personnes vivait au sous-sol : tous ont été tués. La population a été avertie par un système local d’alerte rapide. Les personnes proches de l’impact ont décrit une odeur de chlore. En tout, 26 personnes ont été traitées aux hôpitaux de Saraqeb et de Sarmin parce qu’elles ressentaient une sensation d’asphyxie.
17. Le Gouvernement a nié toute activité aérienne dans la région ce jour-là et expliqué autrement l’exposition de la population à des substances chimiques. Selon lui, les soldats d’Al-Aqsa transportaient des barils remplis d’un liquide non identifié provenant de souterrains connus sous le nom de grottes de Daouach, entre Sarmin et Qaminas. Lors d’un accident de circulation, un des barils est tombé du véhicule, libérant du gaz qui a atteint les combattants ainsi que des habitants de Qaminas et de Sarmin. Tous ont souffert d’« asphyxie ».
18. Selon une autre source, une frappe aérienne des Forces armées arabes syriennes, survenue près de Sarmin vers 22 heures, aurait détruit des dépôts de munitions classiques et de produits chimiques non toxiques. Un incendie aurait libéré des « gaz de combustion caustiques » provenant de ces agents chimiques, ce qui aurait servi de prétexte pour porter des allégations contre le Gouvernement. Le Mécanisme n’a pas pu obtenir d’informations confirmant s’il s’agissait d’une frappe aérienne ou de l’explosion d’un dépôt de munitions. Le Gouvernement a déclaré que les survols étaient très fréquents durant cette période mais a nié toute opération aérienne le 16 mars 2015, sans toutefois produire de documents à l’appui de cette dénégation.
Date et heure
19. Trois témoins ont confirmé que les deux faits s’étaient produits le 16 mars 2015 vers 22 h 30. Aucune indication précise n’a été donnée quant au moment auquel auraient eu lieu l’accident de circulation ou la frappe aérienne sur un dépôt de munitions.
Conditions météorologiques
20. Le 16 mars 2015, le soleil s’est couché à Sarmin à 17 h 41. Entre 22 et 23 heures, la température était de 9 à 10 degrés et le vent soufflait de l’ouest (260°) à une vitesse de 3 mètres/seconde. L’humidité relative était de 96 %.
Lieu des impacts
Lieu no 1
21. Selon un témoin, le premier impact a eu lieu dans un champ, non loin d’une cible présentant un intérêt militaire potentiel (35,902407°N, 36,729282°E).
22. Des photos et vidéos de l’impact de Sarmin ont fait l’objet d’une analyse criminalistique (extraction de métadonnées, analyse d’images et manipulation). Un institut de criminalistique a confirmé le lieu de l’impact par analyse d’images et comparaison visuelle avec des images satellite.
Lieu no 2
23. Trois témoins ont désigné sur une carte la maison où l’engin explosif était tombé, tuant six personnes. L’analyse de photos, d’images satellite et de vidéos a permis de déterminer les coordonnées du deuxième lieu d’impact (35,903257°N, 36,729642°E).
24. L’institut de criminalistique a confirmé le lieu de l’impact par analyse d’images et comparaison visuelle avec des images satellite (voir tableau).
25. Les lieux nos 1 et 2 sont distants de 90 mètres. Même si les éléments recueillis n’ont pas permis d’obtenir de coordonnées GPS (Système mondial de localisation) ni de pointeur temporel, l’analyse criminalistique a établi que toutes les photos et vidéos présentées comprenaient des images liées à au moins une autre image pour chacun des deux lieux. Neuf photos et sept vidéos ont été analysées par un institut de criminalistique.
Coordonnées du lieu no 2 fournies par différentes sources
Source | Latitude (degrés décimaux) | Longitude (degrés décimaux) |
Témoin | 35,903257°N | 36,729642°E |
Témoin | 35,903214°N | 36,729650°E |
Témoin | 35,903197°N | 36,729594°E |
Analyse criminalistique | 35,903257°N | 36,729642°E |
Lieu no 3
26. Les grottes de Daouach se trouvent au sud-ouest de la périphérie du village de Sarmin, près d’une route reliant Sarmin à Qaminas (35,897722°N, 36,714589°E). Le lieu exact de l’accident de circulation présumé n’a pas pu être déterminé.
Munitions
Lieu no 1
27. Trois témoins ont décrit un « baril » (fragments d’une enveloppe extérieure) et plusieurs « bonbonnes ». Selon l’un d’eux, ces bonbonnes ressemblaient à celles de gaz réfrigérant pour réfrigérateurs. Ce témoin a également décrit une odeur de chlore.
28. Un témoin a décrit l’enveloppe extérieure comme une arme « de fortune » de 125 centimètres de long, « visiblement de fabrication locale ». Elle était munie de trois ou quatre rouleaux de fer fixes pouvant servir de roues. La bombe-baril était faite d’un métal épais.
29. Le Mécanisme a analysé plusieurs photos des restes de munitions et en a soumis plusieurs pour analyse criminalistique. Rien n’indiquait que les images aient pu être manipulées mais ces restes de munitions semblaient avoir été déplacés du point d’impact (le cratère) à la route.
30. On discerne plusieurs bonbonnes ayant explosé et des fragments provenant très probablement de l’enveloppe extérieure (« baril »). Sur l’enveloppe extérieure, on peut voir des « ailerons de stabilisation » et les « roues ».
31. Selon les experts en explosifs, la grande taille des fragments de l’enveloppe extérieure indique qu’il s’agissait d’une charge explosive de moindre importance. Si le baril avait été rempli d’une grande quantité d’explosifs, il se serait probablement désintégré en très petits fragments. En théorie, si une charge importante n’explosait pas correctement, les fragments pourraient être plus grands. Toutefois, aucun reste d’explosif n’apparaît sur les images.
Lieu no 2
32. Selon un témoin, la munition (« baril ») faisait 150 centimètres de long et 60 centimètres de diamètre au moins, et il y avait plusieurs bonbonnes semblables à celles de gaz réfrigérant pour climatiseurs. Ces bonbonnes portaient des inscriptions en anglais et l’intérieur était jaune. Une vidéo montre les restes de munitions, les dégâts et les débris dans chaque pièce de la maison, comme le témoin les a décrits après les avoir vus quelques heures après l’explosion.
33. Plusieurs vidéos et photos fournies par des témoins et provenant de sources publiques montrent le lieu de l’impact et les restes de munitions. Il s’agit notamment de vidéos prises par les premiers intervenants qui ont tenté d’entrer dans la maison la nuit à travers une fumée épaisse pour tenter de sauver la famille qui se trouvait au sous-sol, ainsi que de vidéos montrant les lieux de l’impact le lendemain. On pense que l’engin explosif est tombé dans la cuisine. On peut voir sur les images l’enveloppe extérieure ainsi qu’un cylindre d’un système de chauffage, qui ne fait pas partie de l’engin. Il y a beaucoup de décombres et des parties effondrées d’une structure mais les plats et ustensiles sont restés en place dans l’étagère de la cuisine. Dans d’autres vidéos, les étagères de la cuisine ont été vidées, ce qui indique qu’elles ont été prises ultérieurement.
34. Certaines photos et vidéos montrent des bonbonnes de gaz réfrigérant ayant explosé, comme l’ont décrit les témoins, et une substance rougeâtre ou violette au sol. On pense qu’il pourrait s’agir de permanganate de potassium. Selon un institut de criminalistique, le permanganate de potassium est fourni en poudre. Il ne se transforme en liquide violet qu’au contact de l’eau.
35. La Mission a reçu des échantillons, qu’un laboratoire désigné par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a analysés afin de déterminer si une substance chimique avait été utilisée. Ni la Mission ni le Mécanisme n’ont pu s’assurer de la garde permanente des échantillons.
36. Les bonbonnes sont des bonbonnes d’hydrochlorofluorocarbone utilisées pour divers appareils ménagers tels que des réfrigérateurs et des climatiseurs. D’après les inscriptions qu’elles portent, elles semblent avoir été fabriquées aux normes américaines, comme des bonbonnes jetables non réutilisables. Elles proviennent de différents fabricants. On peut se les procurer aisément. Cependant, certaines modifications auront été nécessaires pour pouvoir les remplir et les intégrer à l’engin explosif. Selon l’analyse d’un État Membre, remplir ces bonbonnes présente un risque élevé et nécessite de modifier les soupapes, ce qui suppose de disposer d’un certain matériel et de certaines compétences techniques.
37. La ligne d’indentation, les fractures et les entailles sur la bonbonne métallique semblent indiquer qu’un cordeau détonant a été utilisé. Il semble qu’un détonateur équipé d’une fusée ait été collé à la base du baril, raccordé au cordeau détonant, lui-même fixé autour des cylindres.
38. On pense que les bouteilles de plastique étaient des bouteilles de polyéthylène téréphtalate d’un demi-litre remplies de permanganate de potassium. En se mélangeant avec le contenu des bonbonnes de réfrigérant à cause de l’explosion, le permanganate de potassium aurait produit du chlore. Comme on l’a dit plus haut, le permanganate de potassium a pu être à l’origine de la coloration violette au sol. Le permanganate de potassium est utilisé dans des produits pharmaceutiques, le traitement de l’eau et des désinfectants et à d’autres fins civiles ; le chlore peut être produit par la réaction de l’acide chlorhydrique avec le permanganate de potassium.
39. L’analyse en laboratoire n’a pas permis d’établir la composition exacte de la substance toxique utilisée mais indiquait clairement la présence de chlore ou d’une substance dérivée. La concentration de chlore était plus élevée sur la surface interne des cylindres de gaz réfrigérant que sur la surface externe. On peut en déduire qu’une substance chlorée (chlore ou acide chloridrique) se trouvait à l’intérieur des cylindres.
40. Du chlorure de bornyle a également été trouvé sur un morceau de bois prélevé dans le bâtiment. Cette substance est le produit de la réaction de l’acide chlorhydrique ou du chlore avec l’alpha-pinene, un terpène présent dans de nombreuses plantes.
41. Cela pourrait donner à penser qu’il a fallu une réaction en deux temps pour produire les substances toxiques et que d’autres substances chimiques moins toxiques contenues dans le dispositif ont réagi lors de l’impact. Cette théorie a été corroborée par une analyse provenant d’une autre source.
42. La présence de trinitrotoluène a été relevée dans certains des échantillons. Cet explosif ne se trouve normalement pas dans les cordeaux détonants ni dans les cylindres et l’hypothèse de travail décrite ci-dessus n’explique pas sa présence. Des traces de trinitrotoluène peuvent s’expliquer par une contamination des éléments du dispositif durant la fabrication. Pour pouvoir tirer une conclusion définitive, il faudrait confirmer la présence d’explosifs par une analyse supplémentaire.
Lieu no 3
43. Aucune autre information n’a été trouvée sur un baril de produits chimiques tombé d’un camion, comme l’a indiqué le Gouvernement.
Vecteur utilisé
44. Huit témoins ont entendu au moins un hélicoptère survolant Sarmin entre 22 h 30 et 23 heures. Selon plusieurs d’entre eux, le ou les hélicoptères auraient largué deux objets. Les déclarations divergent légèrement quant au temps écoulé entre les deux impacts. Les témoins disent avoir entendu un bruit ressemblant à celui d’un chasseur à réaction en piqué, suivi d’une explosion étouffée.
45. Un témoin a entendu par un système radio utilisé pour intercepter les communications des Forces armées arabes syriennes qu’un hélicoptère avait décollé de la base aérienne de Lattaquié. Il a affirmé qu’un hélicoptère était rentré à la base aérienne de Lattaquié après avoir largué une bombe-baril sur Qaminas vers 21 h 30. L’hélicoptère a survolé Sarmin entre 22 h 30 et 23 h 30, larguant deux objets. Le pilote a annoncé à la base avoir « exécuté » à deux reprises, à une minute d’intervalle. Il a ensuite informé la base en disant « Monsieur, les barils sont dans la zone terroriste ».
46. Une autre source a confirmé qu’un hélicoptère avait décollé de Lattaquié (aéroport de Bassel el-Assad) à 22 h 15 et a survolé Sarmin vers 22 h 50 puis était rentré à la base à 23 h 25. Le Gouvernement a affirmé qu’il n’y avait pas eu de vols des Forces armées arabes syriennes au départ de Lattaquié ou d’autres bases aériennes de la région le 16 mars 2015, sans toutefois fournir d’information à l’appui (par exemple, des plans de vol), malgré des demandes répétées.
Lieu no 1
47. Le Mécanisme a examiné l’impact, les débris et le cratère afin de déterminer quel était le vecteur utilisé. Les experts s’accordent à penser qu’il est impossible de lancer un baril de la taille de celui décrit plus haut à l’aide d’un canon ou d’un mortier au sol et très improbable qu’on puisse le faire à l’aide d’une fusée.
48. L’expert a estimé « très probable » que le cratère résulte de l’impact d’une bombe larguée d’un hélicoptère à haute altitude. Il a pris comme hypothèse de calcul une bombe-baril en acier de 60 centimètres de diamètre et 150 centimètres de long, contenant neuf bonbonnes pressurisées remplies d’acide chlorhydrique ou de chlore et pesant environ 390 kilogrammes.
49. Selon un institut militaire, l’analyse des images indique que les débris présentent les « caractéristiques d’objets ayant été largués d’un aéronef » et que « les ailerons de stabilisation sont nettement visibles […] de même qu’un dispositif de fixation à l’aéronef ».
Lieu no 2
50. Une expertise balistique confirme la déclaration des témoins, aussi improbable puisse-t-elle paraître, selon laquelle l’engin explosif est entré dans le puits de ventilation. On distingue sur le côté droit du puits une marque blanchâtre qui est probablement celle de l’impact.
51. Selon une autre analyse criminalistique, la déformation des bonbonnes et des bouteilles en plastique correspond à celle d’un impact mécanique tel un impact au sol et à une rupture explosive déclenchée probablement par le détonateur via le cordeau détonant. Le bruit de l’impact ne serait en principe pas aussi fort que celui d’un dispositif rempli d’explosifs.
52. Selon un autre laboratoire, d’après les échantillons, il était « difficile d’imaginer » que l’engin ait pu être lancé depuis le sol. Le poids et l’emplacement des débris donnerait à penser qu’il a été largué d’un hélicoptère : il aurait été trop lourd pour être lancé à partir du sol. En outre, les bonbonnes se seraient dispersées davantage.
Lieu no 3
53. Le baril de « liquide non identifié » est tombé d’un camion. Aucune autre information n’a été fournie sur la nature du baril ou son contenu ni sur le camion.
Dommages et effets
Lieu no 1
54. Selon un témoin, le cratère était large de 150 centimètres et profond de 50 centimètres (ou 75 cm), ce qui correspond au cratère apparaissant sur les photos et sur plusieurs vidéos de sources publiques. Un expert en balistique a estimé que le cratère avait 250 centimètres de diamètre et moins de 70 centimètres de profondeur, précisant toutefois que de la terre avait pu y retomber après l’impact, réduisant ainsi sa profondeur.
55. L’herbe autour du cratère présente des différences de couleur. L’analyse de l’indice de végétation sur images satellite montre que la végétation est « en moins bonne santé » dans le champ où se trouve le cratère (lieu no 1), à proximité du lieu no 2. Il est possible que ce soit dû au chlore ou à d’autres produits chimiques toxiques, mais il peut y avoir d’autres causes.
Lieu no 2
56. Le point d’entrée de l’engin explosif dans la maison (lieu no 2) est un puits de ventilation. L’engin est tombé au sous-sol et a explosé dans la cuisine. Dans ce sous-sol se trouvaient, outre la cuisine, trois chambres à coucher et un hall d’entrée. Il n’y a pas de cratère mais le sous-sol a été partiellement détruit.
57. Selon un expert en balistique, la bombe semble avoir percuté le mur de la cuisine, et le fait que les objets et étagères semblent relativement intacts exclurait une forte explosion. Le plafond de la cuisine peut s’être effondré lorsque le mur a été touché mais il peut aussi avoir été touché directement. Il se peut que l’engin ait percuté l’extrémité du puits de ventilation, rebondi contre le mur de roche et ébranlé alors les murs et d’autres autres structures sous l’étage supérieur qui, en s’effondrant, auraient entraîné dans leur chute d’autres parties du plafond et probablement un escalier. Un institut militaire a partagé cette analyse, concluant qu’il était possible que les dégâts aient été causés par l’effet cinétique de l’impact (la bombe-baril a brisé la structure du bâtiment en tombant de haute altitude).
58. Le Gouvernement a attribué l’explosion à un accident dû à une bonbonne de gaz de pétrole liquéfié (souvent appelé propane). Il n’y a cependant aucune trace d’incendie dans la cuisine, ce qui réduit la probabilité d’un tel accident.
59. En outre, comme une expertise le souligne, les murs n’ont visiblement pas été noircis comme on s’y attendrait en cas d’explosion ou de détonation d’un explosif puissant. D’après les indices – un cordeau détonant notamment – si explosion il y a eu, elle a été très faible. Un institut de recherche militaire a fait observer que s’il y avait eu une forte explosion, il aurait eu davantage de lacérations, davantage de dégâts aux objets se trouvant à l’arrière-plan et moins de restes de la bombe-baril elle-même.
Effets médicaux
60. Selon des témoins, 17 patients ont été traités à l’hôpital de campagne de Sarmin et 11 à celui de Saraqeb, et 20 agents de la protection civile ont reçu des premiers soins pour avoir subi une exposition secondaire. Les six membres de la famille vivant au lieu no 2 sont décédés.
61. Selon un témoin, un homme, sa femme et leur plus jeune enfant sont parvenus à sortir de la maison et ont appelé à l’aide. Les témoins ont décrit une odeur irritante semblable à celle des solutions chlorées utilisées comme produit de nettoyage mais beaucoup plus forte. Cette odeur a immédiatement provoqué la toux et une sensation d’asphyxie chez toutes les personnes exposées. Les trois membres de la famille ont été conduits à l’hôpital de campagne de Sarmin. La femme a dit aux premiers intervenants que la grand-mère et deux enfants étaient encore dans la maison. Plusieurs premiers intervenants ont tenté de les sauver mais ont dû rebrousser chemin parce qu’ils ressentaient une sensation d’« asphyxie » dès qu’ils entraient dans la maison.
62. Aucun des témoins n’a indiqué comment les autres membres de la famille ont finalement été évacués mais des vidéos les montrent à l’hôpital, la grand-mère semblant décédée et les deux enfants inanimés.
63. Un témoin a produit des certificats de décès des six membres de la famille signés par des médecins de l’hôpital de Sarmin mais ne précisant pas la cause du décès.
64. Une simulation de dispersion du chlore a été effectuée pour tenter d’estimer le nombre de personnes pouvant être exposées. On a ainsi déterminé la probabilité et la gravité des lésions en fonction de la concentration théorique de chlore dans l’atmosphère.
65. Pour avoir une estimation plus fiable du nombre de victimes, il faudrait connaître d’autres données, telles que la position et l’éloignement des personnes exposées, le taux de dispersion de la substance à la source, les constructions et obstacles, la topographie, la densité de la population et ses caractéristiques réelles (sexe, âge, antécédents, etc.). Le Mécanisme s’est cependant fondé en partie sur ce modèle pour estimer les effets sur la population exposée.
66. En l’espèce, le décès des six personnes s’explique par l’exposition dans un espace confiné. Le chlore étant plus lourd que l’air, il se serait concentré vers les parties les plus basses de la maison, c’est-à-dire au sous-sol.
67. Le modèle avait prédit un nombre plus élevé de personnes touchées (91) sur la base d’une dispersion survenant au centre-ville. Compte tenu des conditions météorologiques et du lieu de l’impact (périphérie du village), le nombre de personnes touchées ne peut qu’être inférieur. La densité de population dans cette zone au moment considéré n’a pas pu être établie avec précision et un calcul exact n’a donc pu être fait.
68. Pour ce qui est du baril tombé d’un camion, notons que des personnes se trouvant à Sarmin n’auraient pu être touchées que si les faits étaient survenus à proximité de la ville, dans les environs des grottes de Daouach. Compte tenu de la direction du vent, s’ils s’étaient produits près de Sarmin sur la route de Qaminas, un gaz toxique aurait pu se propager vers Sarmin et toucher les habitants de la périphérie, en particulier en bordure sud-ouest de la ville. Ceci n’explique cependant pas que des personnes aient été exposées dans la partie est de la ville.
69. Il a été dit que la population de Qaminas et de Sarmin avait été touchée. Pour que la population de Qaminas soit touchée, il aurait fallu que le gaz se répande près de ses limites, à 500 m du centre au plus. Cependant, la population de Sarmin n’a pas pu être exposée à du chlore gazeux ou à un autre gaz toxique, puisque le vent ne soufflait pas vers Sarmin mais vers le sud du village.
Évaluation du Groupe de direction
70. Le Groupe de direction a examiné les informations concernant les deux sites de Sarmin touchés le 16 mars 2015. Il dispose de suffisamment d’informations pour conclure que ce qui s’est passé au lieu d’impact no 2 résulte du largage, par un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes, d’un engin qui a touché une maison, libérant une substance toxique présentant les caractéristiques du chlore et tuant les six personnes qui s’y trouvaient. Les restes de l’engin donnent à penser qu’il s’agissait d’une bombe-baril.
71. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants :
• Des témoins ont confirmé qu’au moins un hélicoptère avait survolé Sarmin au moment des faits ;
• Les analyses criminalistiques et les expertises confirment les témoignages selon lesquels un engin ou une bombe-baril larguée d’un hélicoptère a atteint le puits de ventilation d’une maison (lieu d’impact no 2) alors habitée par une famille de six personnes. Les dommages constatés correspondent davantage à l’effet cinétique d’un engin ou d’une « bombe-baril » largué à haute altitude qu’à l’explosion ou à la détonation d’un explosif puissant ;
• Sur plusieurs vidéos filmées au lieu no 2, on voit des bonbonnes d’hydrochlorofluorocarbone dans la maison et une substance violette au sol ;
• Le Gouvernement a affirmé qu’aucun appareil des Forces armées arabes syriennes n’avait volé le 16 mars 2015 mais n’a fourni aucun renseignement à l’appui de cette affirmation. Le Mécanisme a cependant obtenu auprès d’autres sources des informations corroborant les témoignages selon lesquels des hélicoptères des Forces armées arabes syriennes auraient survolé les lieux au moment des faits ;
• Au moment des faits, le Gouvernement avait perdu le contrôle de six bases aériennes, dont celle de Taftanaz (province d’Edleb). Il a informé le Mécanisme que 15 hélicoptères avaient été abandonnés sur cette base, dont 9 considérés comme opérationnels ;
• Le Groupe de direction a examiné toutes les informations recueillies et n’a trouvé aucun élément établissant que des groupes d’opposition armés présents à Sarmin avaient utilisé un hélicoptère au moment et sur les lieux des faits.
Annexe IX
Binnich, le 24 mars 2015
Constations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits signale qu’elle « n’a interrogé qu’une seule personne de Binnich, qui était le médecin traitant au moment des faits allégués » . Elle indique que, le 23 mars 2015 vers 19 heures, le médecin se trouvait dans l’hôpital de campagne et a été informé des faits grâce aux méthodes d’alerte rapide locales, notamment en recourant à des postes de radio portatifs .
2. L’hôpital de campagne de Binnich a enregistré 21 patients ayant un rapport avec les faits du 23 mars 2015 .
3. Enfin, la Mission déclare :
En soi, aucune source d’information ou preuve ne miserait particulièrement sur l’idée que s’est produit un événement avec emploi d’un produit chimique toxique en tant qu’arme. Toutefois, pris globalement, les faits qui ont été rassemblés suffisent à conclure qu’en République arabe syrienne des événements ont probablement impliqué l’emploi d’un produit chimique toxique en tant qu’arme. On ne dispose pas d’assez de preuves pour aboutir à une conclusion ferme permettant d’identifier le produit chimique, même si certains facteurs montrent que ce produit chimique contenait probablement du chlore .
Enquête du Mécanisme
Contexte
4. Binnich (province d’Edleb, district d’Edleb) est située à 8 kilomètres au nord-est d’Edleb. Sarmin est à 6 kilomètres au sud et Saraqeb à 12 kilomètres au sud-est. L’aérodrome de Taftanaz, sous le contrôle des groupes d’opposition armés, est à 6 kilomètres au nord-est.
5. Selon le recensement effectué en 2004, Binnich comptait 21 848 habitants. Un témoin a déclaré qu’au moment des faits, en mars 2015, la ville avait une population d’environ 5 000 habitants, car un grand nombre de personnes avaient été déplacées. En août 2014, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a indiqué qu’il y avait 8 500 personnes déplacées dans le district d’Edleb.
6. En 2014, la présence du Gouvernement à Edleb s’est signalée par des réseaux de postes de contrôle et d’installations militaires, l’un le long de l’autoroute M5 entre les villes de Maarret el-Noman et Khan Cheïkhoun, et l’autre le long de l’autoroute M4 reliant Lattaquié et la ville d’Edleb.
7. Au milieu de 2014, le Front el-Nosra a commencé à entrer en conflit avec nombre des groupes d’opposition armés avec lesquels il avait précédemment combattu contre le Gouvernement. Il s’agissait notamment de Jabhat el-Thouwar et du Mouvement Hazm. Ainsi, le Front el-Nosra a pris le contrôle de plusieurs régions et villes dans la province d’Edleb, s’emparant à cette occasion de certaines armes et installations de ces groupes d’opposition armés.
8. Le 15 Décembre 2014, le Front el-Nosra et des groupes d’opposition armés, y compris Ahrar el-Cham et les Soldats d’el-Aqsa, ont conquis les bases militaires de Wadi Deïf et Hamidiyé, au sud de Maarret el-Noman, prenant ainsi le contrôle de l’autoroute stratégique M5 au nord de Mourek et plusieurs postes de contrôle militaires. Ce faisant, ils ont coupé une importante voie d’accès à Edleb, et entravé la capacité du Gouvernement de ravitailler ses forces dans la ville et ses environs.
9. Le 23 mars 2015, le Gouvernement contrôlait la ville d’Edleb et les bases militaires près de Mastoumé, au sud d’Edleb. Les forces de défense nationales paramilitaires progouvernementales contrôlaient également les localités voisines de Fouaa et Kafraya, au nord de Binnich.
10. Binnich était en grande partie contrôlée par le Front el-Nosra et Ahrar el-Cham ; d’autres groupes auraient également été présents. Selon le Gouvernement, le 23 mars 2015, des combattants appartenant au Front el-Nosra et à des groupes d’opposition armés se sont rassemblés dans la partie ouest de Binnich pour se préparer à attaquer la ville d’Edleb et ont tiré au mortier sur des postes de contrôle des Forces armées arabes syriennes en direction d’Edleb ; les forces gouvernementales ont riposté par des tirs d’artillerie.
11. Le 24 mars 2015, plusieurs groupes ont officiellement annoncé la création de l’Armée de la conquête (comprenant notamment le Front el-Nosra, Ahrar el-Cham, les Soldats d’el-Aqsa et Feïlaq el-Cham). L’Armée de la conquête a engagé les opérations pour s’emparer de la ville d’Edleb et celle-ci est passée sous son contrôle le 28 mars 2015.
Description des faits
12. Il ressort de la description des événements donnée dans le rapport de la Mission d’établissement des faits que, le 23 mars 2015, entre 19 heures et 20 heures, un hélicoptère a largué une bombe-baril remplie de chlore ou d’un dérivé du chlore. Le chlore ou le dérivé du chlore s’est dégagé, touchant 21 personnes. Le Mécanisme a enquêté plus avant sur les faits et a établi que ceux-ci s’étaient produits le 24 mars 2015. En outre, deux lieux d’impact possibles ont été recensés et examinés.
13. Le Gouvernement a déclaré qu’aucun événement n’avait eu lieu à l’une quelconque de ces dates et que des groupes d’opposition armés ou leurs partisans avaient mis en scène l’utilisation de chlore en tant qu’arme en vue de lui imputer cet acte.
14. Lors d’une audition portant sur l’explosion d’un entrepôt où étaient stockés des produits chimiques, un témoin a fourni des informations indirectes. Le témoin a déclaré que, le 22 ou le 23 mars 2015, il y avait eu une explosion vers 19 h 30. Il a rapporté le témoignage de membres de sa famille. Selon eux, une fumée jaune et blanche était montée vers le ciel. L’un d’eux avait éprouvé des difficultés à respirer après avoir inhalé une substance ayant une odeur particulière. Cette odeur avait également été perçue par un autre membre de la famille. D’autres personnes de Binnich avaient dit au témoin qu’il y avait eu une explosion à Binnich dans un entrepôt contenant des bonbonnes de gaz, utilisées pour fabriquer des « canons de l’enfer ». Le quartier dans lequel l’entrepôt était censé se trouver et le moment de l’accident ne correspondent pas à ce qu’a pu établir le Mécanisme.
Date et heure
15. Pour la Mission d’établissement des faits, les faits se sont déroulés le 23 mars 2015, alors que pour le Mécanisme, ils ont eu lieu le 24 mars 2015 autour de 19 heures.
16. Quatre témoins ont indiqué que les faits avaient eu lieu vers 19 heures le 24 mars 2015. Selon l’un d’eux, l’hôpital de Binnich avait commencé à recevoir des patients vers 19 h 15. Un deuxième témoin a déclaré qu’un appel téléphonique relatif à l’attaque avait été reçu par des habitants de Binnich à 19 heures.
17. Plusieurs photographies et fichiers vidéo ont été soumis à une analyse scientifique indépendante. S’agissant de certains de ces fichiers, les métadonnées initiales, y compris les références temporelles, avaient été effacées et n’ont pu être vérifiées.
18. À compter d’environ 19 h 30 le 24 mars 2015, plusieurs personnes ont affiché sur les médias sociaux des informations concernant les faits. Une autre source a fait part au Mécanisme de son évaluation qui confirmait les mêmes date et heure.
19. Deux témoins ont indiqué une autre heure pour les faits survenus le 24 mars 2015. L’un d’eux pensait que les faits s’étaient déroulés entre 22 heures et 23 heures. L’autre avait entendu des radiocommunications militaires sur un talkie-walkie avant l’attaque et pendant que les patients étaient traités à l’hôpital de Binnich.
Conditions météorologiques
20. Le 24 mars 2015 le soleil s’est couché à 17 h 48. Entre 19 heures et 20 heures, la température était de 11 °C. Le vent venait du nord-ouest (320°) et la vitesse du vent est tombée de 3 à 2 mètres/seconde. L’humidité était de 95 %. Le temps était partiellement couvert.
Lieux des impacts
Lieu no 1
21. Un témoin a situé le point d’impact dans un champ agricole au sud-est de Binnich à la date du 24 mars 2015 (coordonnées 35,955286°N, 36,717797°E). Un autre témoin a indiqué le même point d’impact d’une bombe-baril au sud-est de Binnich dans un champ agricole.
22. Ce lieu a en outre été corroboré par un examen scientifique des photographies fournies par un des témoins. L’institut d’analyse scientifique a déclaré que, malgré l’absence d’informations tirées du système mondial de localisation dans les métadonnées, l’analyse comparative des images indiquait que les photographies avaient probablement été prises au même endroit.
Lieu no 2
23. Selon un témoin et un organisme indépendant qui a publié cette information en accès libre, une deuxième bombe-baril non explosée aurait atterri dans un quartier nord. On relève toutefois un certain décalage concernant les lieux indiqués, qui sont distants de plus de 200 mètres (voir le tableau). Le témoin a également dit que les restes de l’engin avaient été enterrés dans un champ voisin.
Coordonnées du lieu no 2 indiquées par différentes sources
Source | Latitude (en degrés décimaux) | Longitude (en degrés décimaux) |
Témoin | 35,959185°N | 36,713626°E |
Source en accès libre | 35,957925°N | 36,711673°E |
24. Un rapport publié en accès libre mentionne le même lieu et les mêmes restes de munitions, mais indique que les faits se sont déroulés le 23 mars 2015 à 14 h 30. Une vidéo de cette même date a également été affichée ; les restes de munitions auraient été récupérés le 26 mars 2015.
25. Aucune autre information n’est disponible en ce qui concerne la deuxième bombe-baril dont il avait été question. Le Mécanisme n’a pas pu trouver d’informations supplémentaires ou concordantes au sujet du deuxième lieu d’impact.
Munitions
26. Un témoin a déterminé le lieu no 1 et dit que la munition était une bombe-baril qui, selon lui, renfermait six conteneurs remplis de produits chimiques. Il a estimé que la munition mesurait environ 60 centimètres de diamètre et 150 centimètres de longueur. Au moins un des conteneurs était resté intact.
27. Des photographies de l’enveloppe extérieure de la munition sur le lieu no 1 ont été communiquées par une source. Au moment de la soumission du présent rapport on attendait les résultats de l’examen scientifique. La même source a indiqué qu’elle avait en sa possession au moins un conteneur non explosé et une bouteille en plastique contenant un liquide cristallisé de couleur foncée, qui avaient été récupérés sur le lieu no 1. Il n’y avait aucune trace de restes des autres conteneurs.
28. La chaîne de responsabilité et d’intégrité des restes de munitions a été attestée par la source sur la base de la déposition d’un témoin et d’une confirmation écrite émanant de l’organisme qui avait recueilli les échantillons.
29. La même source a également fourni un rapport de laboratoire sur le conteneur et le contenu de la bouteille en plastique. Il ressort du rapport que le conteneur récupéré renfermait de l’hydrochlorofluorocarbone. Le fond du conteneur étant fissuré, le produit s’était écoulé, mais des traces de chlore ou d’une substance semblable à du chlore ont été trouvées à l’intérieur du dispositif. Le rapport conclut que le contenu de la bouteille en plastique était du permanganate de potassium. La source a aussi fait savoir que, selon son évaluation, la munition était composée de plusieurs conteneurs d’hydrochlorofluorocarbone et également de plusieurs bouteilles en plastique contenant du permanganate de potassium, le tout placé dans un grand baril.
30. Les deux autres témoins, qui étaient les premiers intervenants, ont déclaré qu’ils avaient récupéré des restes des deux munitions et qu’ils les avaient enterrés car ils craignaient qu’ils ne contiennent des produits chimiques. Le Mécanisme n’a pas pu confirmer l’endroit où les restes auraient été enterrés.
31. Il n’existe pas de documentation vidéo du lieu de l’impact, des travaux de démantèlement et d’excavation de la munition, des restes de la munition ou du cratère. Les photographies de l’endroit où les restes auraient été enterrés, y compris l’enveloppe extérieure de la munition, ont été soumises au Mécanisme le 19 août 2016 et envoyées à un laboratoire indépendant d’analyse scientifique. Au moment de la soumission du présent rapport, on attendait les résultats de l’analyse.
Méthode de dispersion
32. Selon trois témoins, un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes avait largué des bombes-barils contenant des produits chimiques. Des sources en accès libre ont indiqué que des opérations aériennes avaient sans cesse été menées au-dessus de Binnich pendant cette période, y compris le 24 mars 2015, ce qui a également été confirmé par d’autres sources.
33. Le Gouvernement a indiqué qu’aucune opération aérienne des Forces armées arabes syriennes n’avaient eu lieu dans la région de Binnich le 24 mars 2015, mais il n’a pas fourni de pièces justificatives, notamment de relevés de vols.
34. Deux sources ont fait savoir que, selon elles, le 24 mars 2015, à 19 h 30, un hélicoptère avait quitté l’aéroport de Bassel El Assad à Lattaquié dans la direction d’Edleb. Il avait survolé Binnich à 20 h 15 et était retourné à sa base à 21 h 07.
35. Cependant, les heures susmentionnées ne correspondent pas à celle des faits (19 h 00), lorsque les premières personnes touchées ont demandé une assistance médicale.
Dommages et effets
36. Deux témoins se sont rendus sur le lieu de l’impact dans le champ agricole (lieu no 1) et ont constaté les dommages subis par la végétation, attestés par une couleur jaune spécifique et des « végétaux morts ». Des photographies de la zone où le feuillage avait été endommagé ont été communiquées à un laboratoire scientifique ; on peut voir qu’elles ont été prises à Binnich.
37. Il ressort d’une analyse d’images satellite qu’il n’y avait pas de cratère mais que le sol était déformé, ce qui pouvait s’expliquer par un impact. Une analyse de l’indice de végétation a montré que, sur le lieu considéré et dans deux endroits situés à proximité immédiate, la végétation était moins saine. Cela pourrait avoir été provoqué par du chlore, d’autres substances toxiques ou d’autres facteurs. Le Mécanisme a obtenu des photographies d’un site où des restes de munitions, notamment une enveloppe extérieure, un conteneur et une bouteille en plastique, avaient été enterrés, mais il n’a pu confirmer que ce site était également le site de l’impact initial.
Effets médicaux
38. L’hôpital de Binnich a enregistré 21 patients ayant un rapport avec les faits, comme suit : 10 cas bénins, 10 cas modérés et un patient dans un état grave. L’examen clinique a montré que la plupart des patients toussaient, éprouvaient des difficultés à respirer et souffraient de somnolence. Aucun décès n’a été signalé. Deux témoins ont confirmé les déclarations du médecin traitant que la Mission d’établissement des faits avait interrogé pour savoir quels étaient les symptômes et quelle était leur ampleur.
39. Deux témoins ont indiqué que tous les patients avaient été décontaminés, y compris par lavage de la partie de la peau exposée, en dehors de l’hôpital entre 5 et 10 mètres de la salle des urgences. Le médecin n’a pas senti d’odeur de chlore sur les vêtements, mais a été informé de cette odeur par les patients. La vidéo semble montrer des patients qui entrent directement dans l’hôpital, sans avoir été décontaminés.
40. Une analyse scientifique de l’effet de panache consécutif à la dispersion de chlore à la date et à l’heure des faits indique que le nombre de blessures signalées est compatible avec l’utilisation de chlore dans les conditions météorologiques du moment. Cependant, l’analyse n’a pas pris en compte la topographie et les éventuels obstacles, comme les maisons.
41. Le Gouvernement a fait part de son évaluation d’une vidéo provenant d’une source en accès libre. La vidéo, intitulée « Du gaz chloré toxique provoque une asphyxie dans la campagne autour d’Edleb », montre des patients traités dans un centre de soins. Le Gouvernement a indiqué que, selon son analyse, cette vidéo avait été mise en scène.
42. Il ressort d’une analyse scientifique indépendante que la date de création du fichier, compte tenu des informations contenues dans les métadonnées, était le 29 mars 2015 à 3 h 30. La date de création pourrait correspondre à la date à laquelle le fichier modifié a été créé, et non à la date de création du fichier initial.
43. Des photographies des patients prises à l’hôpital au moment des faits ont été soumises à un examen scientifique qui a abouti à la conclusion que ces photographies avaient été prises au même endroit.
44. L’analyse de la vidéo ne permet pas de déterminer si les séquences présentées ont été « mises en scène ». Il est à noter, toutefois, que les patients semblent relativement peu touchés par les symptômes auxquels on pourrait s’attendre dans ce type de situation. À en juger par les images disponibles, ils n’ont pas les yeux rouges et ne présentent pas de larmoiements, de signes de pâleur, d’épisodes de sueurs, de cyanose ou de difficultés respiratoires. Les patients interrogés dans la vidéo montrent peu de signes, voire aucun, d’une exposition à un produit chimique toxique.
45. La documentation vidéo relative à Binnich ne donne à voir que les activités qui se sont déroulées à l’hôpital.
Évaluation du Groupe de direction
46. Le Groupe de direction a examiné les informations disponibles au sujet des faits survenus à Binnich le 24 mars 2015 et a été en mesure de confirmer l’existence d’un conteneur avec des traces de chlore ou d’une substance semblable au chlore. Il a reçu un complément d’informations sur les restes de l’enveloppe extérieure d’un engin compatible avec la fabrication d’une bombe-baril.
47. Le Groupe de direction avait recueilli des renseignements presque suffisants pour pouvoir tirer une conclusion sur les acteurs impliqués en se fondant sur la chaîne de responsabilité et d’intégrité des restes retrouvés et sur les conclusions générales de la Mission d’établissement des faits. Cependant, il existe des incohérences dans ce cas précis, y compris en ce qui concerne le lien entre les restes retrouvés et le(s) lieu(x) d’impact, ainsi que les comptes rendus sur l’explosion et les personnes touchées, qui font l’objet d’une enquête plus poussée.
48. Cette évaluation se fonde sur les éléments suivants :
• D’après les trois témoins, un hélicoptère des Forces armées arabes syriennes a largué un engin ou une « bombe-baril » la nuit, au-dessus de Binnich. Il existe néanmoins des incohérences s’agissant de la date et de l’heure des faits survenus, du(des) lieu(x) d’impact et de la description faite de l’exposition de la population locale à des substances chimiques toxiques ;
• En dépit des incohérences et de l’insuffisance d’informations entourant l’affaire, le Mécanisme a été en mesure de corroborer certains éléments clefs, comme des restes récupérés à Binnich par des agriculteurs qui travaillaient au champ, qui ont été consignés et étayés par la suite. Les restes retrouvés sur le site no 1 : l’enveloppe extérieure, le conteneur et la bouteille en plastique, sont conformes à la fabrication d’une bombe-baril. Le conteneur et le contenu de la bouteille en plastique ont été analysés dans un laboratoire et le conteneur a révélé des traces de chlore ou d’une substance semblable à du chlore. Les laborantins ont également conclu que la bouteille en plastique contenait du permanganate de potassium. La chaîne de responsabilité et d’intégrité a été établie ;
• Le Mécanisme n’a pas pu recueillir de renseignements sur l’explosion de l’engin. Il a toutefois reçu des informations sur le lieu d’impact, qui fait l’objet d’une analyse scientifique.
Annexe X
Marea, le 21 août 2015
Constatations de la Mission d’établissement des faits
1. La Mission d’établissement des faits a déclaré que l’Équipe pouvait conclure « avec un degré élevé de certitude, qu’au moins deux personnes avaient été exposées à l’ypérite » et qu’il était « fort probable qu’un bébé ait succombé aux effets de ce gaz » .
Enquête du Mécanisme
Contexte
2. Marea (province d’Alep, district d’Izaz) est située à 35 kilomètres au nord-est de la ville d’Alep et à 18 kilomètres au sud du poste frontière de Bab el-Salam, à la frontière avec la Turquie. D’après le recensement de 2004, la ville de Marea comptait près de 17 000 habitants et le sous-district 40 000.
3. En juillet 2015, deux coalitions de groupes d’opposition armés (Fatah-Alep et Ansar el-Charia) ont lancé une grande offensive contre les forces gouvernementales dans l’ouest d’Alep et se sont emparées du Centre de recherche scientifique situé à l’ouest de la ligne de front de Jamiyet el-Zahra.
4. L’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) , qui contrôlait des secteurs situés à l’est, au nord-est et au sud-est de la ville d’Alep, a profité des affrontements entre les groupes d’opposition armés et les forces gouvernementales pour progresser vers l’ouest, en direction Marea. Cette avancée était stratégique en raison de la situation de Marea, à proximité des principaux axes traversant l’Izaz et permettant d’accéder au poste frontière de Bab el-Salam.
5. En août 2015, Ahrar el-Cham, Feïlaq el-Cham et trois autres groupes affiliés à l’Armée syrienne libre avaient envoyé des renforts à Marea afin de bloquer l’EIIL dans sa progression vers l’ouest. De violents affrontements ont été signalés à Tilaleïn, au nord, et Oum Haouch au sud. Malgré cela, le 26 août, l’EIIL faisait, de fait, le siège de Marea dont il bloquait les accès sur trois côtés.
6. Marea était de longue date un bastion des groupes d’opposition armés, comme Liwa el-Taouhid, dont les dirigeants étaient originaires de la ville. D’autres groupes d’opposition armés y étaient présents en août 2015, comme Jabha el-Chamiya, sa faction Thouwar el-Cham, Feïlaq el-Cham, Ahrar el-Cham, la 101e Brigade d’infanterie, Firqa 13 et Jeïch el-Thouwar. Le Front el-Nosra était également présent dans Marea et aux alentours.
7. L’hôpital Hourriyé de Marea fonctionne avec l’appui d’une organisation non gouvernementale. Il assure essentiellement des soins d’urgence et transfère les cas graves à l’hôpital de Tell Rifaat.
Description des faits
8. Selon la mission d’établissement des faits, le 21 août 2015 entre 10 heures et 11 h 30 environ, pendant quelque 90 minutes, une cinquantaine de projectiles se sont abattus sur Marea .
9. Plusieurs témoins, d’autres sources et des entités indépendantes ont fait des déclarations allant dans le même sens, selon lesquelles, le 21 août 2015, Marea avait été visée par une bonne cinquantaine de projectiles d’artillerie, dont plusieurs chargés d’ypérite au soufre, tirés depuis des points situés à l’est ou au sud-est de la ville. À cette date et les jours suivants, plusieurs personnes se sont présentées à l’hôpital avec des symptômes typiques de l’exposition à ce gaz.
10. Le Mécanisme a examiné une autre hypothèse selon laquelle un accident se serait produit à Marea. Il aurait pu s’agir, par exemple, d’une opération de remplissage de munition avec de l’ypérite au soufre qui se serait mal passée, ou encore d’une fuite provoquée par la détonation d’une munition classique. Toutefois, aucune information permettant d’étayer ces hypothèses – qui, de plus, n’expliqueraient pas comment les victimes se sont trouvées exposées – n’a été trouvée.
Date et heure
11. Deux témoins oculaires ont indiqué que Marea avait été visée par des tirs d’artillerie le 21 août 2015. Selon cinq autres sources, les faits ont eu lieu le 21 août 2015 entre 9 h 30 et 11 h 30. Le Gouvernement a dit estimer que le bombardement avait commencé à 9 h 30.
Conditions météorologiques
12. Le 21 août 2015, entre 9 heures et 11 heures, le vent venait de l’ouest (280°) à une vitesse de 5 mètres/seconde. La température est passée de 27 °C à 32 °C et l’humidité relative a baissé, de 90 % à 9 heures à 83 %, à 11 heures.
Lieux des impacts
Lieu no 1
13. Un obus d’artillerie a touché une maison « près du marché aux légumes », dans le sud-est de Marea. Deux témoins ont dit que cette maison se trouvait rue Mouabbad.
Lieu no 2
14. Un autre obus est tombé dans la cour d’une maison. Une personne qui s’est occupée d’enlever l’obus a été exposée au liquide de couleur sombre qui s’en échappait.
Autres lieux
15. Un témoin a mentionné plusieurs autres points d’impact d’obus d’artillerie dans la ville, certains à proximité du réservoir d’eau. Le Mécanisme ne dispose d’aucune information indiquant si ces obus étaient chargés d’ypérite.
16. Une carte établie par une organisation indépendante fait apparaître des lieux d’impact d’obus d’artillerie bien répartis dans toute la ville. Là non plus, on ne sait pas si ces obus étaient chargés d’ypérite.
Munitions
Lieu no 1
17. Des témoins ont déclaré que leur maison « avait été bombardée », mais n’ont donné aucune autre information sur le type exact de vecteur ou de munition employé.
Lieu no 2
18. Un témoin a fourni des photographies d’obus d’artillerie et déclaré qu’il s’agissait d’obus de 130 millimètres et que l’obus avait fait un petit trou dans le mur d’une maison et fait sauter un petit morceau d’asphalte (de 10 à 16 cm).
Lieu no 3
19. Un témoin a déclaré qu’un obus non explosé était tombé sur le toit d’une maison dans le sud-est de Marea.
Informations d’ordre général
20. Des témoins ont déclaré que le 21 août 2015, plus de 50 obus d’artillerie avaient été tirés sur l’ensemble de la ville de Marea. L’un d’eux a déclaré que le bombardement avait duré plus d’une heure et que les obus tombaient à une fréquence de un par minute. Plusieurs sources publiques mentionnent également des tirs d’artillerie survenus à Marea le 21 août.
21. Quatre autres sources ont déclaré que les munitions utilisées sur tous les sites étaient des obus d’artillerie de 130 millimètres dont on pense qu’ils peuvent facilement être reconditionnés et équipés d’une charge utile différente.
22. Le Mécanisme a reçu plus de 20 photographies et 61 vidéos de munitions utilisées à Marea, provenant de diverses sources, témoins et entités. On peut voir sur certaines de ces photographies que le dispositif de libération de l’agent présent sur la munition était improvisé et n’avait rien de sophistiqué. L’examen scientifique des photographies n’a pas permis de déterminer le type des munitions employées. Les photographies révèlent cependant que les munitions ont été déplacées du point d’impact jusqu’au lieu où les images ont été prises.
Mode de dispersion
23. S’agissant des obus d’artillerie de 130 millimètres, le Gouvernement a déclaré que, lorsqu’il s’était retiré de la région en décembre 2012, il n’avait pas abandonné et aucun groupe d’opposition armé n’avait saisi de canons de campagne tractés, lesquels servent à tirer ces munitions. Le Gouvernement a toutefois déclaré que l’EIIL pourrait avoir eu accès à de telles armes dans le nord de l’Iraq, région qu’il contrôlait. Sur des images publiques, on voit l’EIIL en possession d’obus d’artillerie de 130 mètres et de canons de campagne tractés.
24. Un témoin a déclaré avoir vu tirer des obus d’artillerie depuis un toit. Selon ce témoin, les tirs provenaient de Tell Maled (quelque 5 km au sud-est de Marea) ou de Tell Sayed Ali, quelques centaines de mètres plus au sud. Un autre témoin a déclaré que l’EIIL avait tiré les obus depuis Haouar el-Nahr (quelque 5 km au nord-est-est) ou Ihteïmlat (environ 10 km au nord-nord-est).
25. Plusieurs sources, dont le Gouvernement, ont déclaré que les obus étaient venus de l’est.
26. Cherchant à vérifier d’où les obus provenaient, le Mécanisme a demandé à un institut de criminalistique de procéder à l’analyse des images et notamment de faire une comparaison avec des images satellite. Aucun résultat tangible n’a été obtenu. L’institut a confirmé que les vidéos et photographies analysées n’avaient pas été falsifiées. Le Mécanisme n’a pas pu établir de lien direct entre les images et l’exposition des personnes.
27. Le Mécanisme a demandé des images satellite supplémentaires des alentours de Marea afin d’identifier une source potentielle. Il en a reçu certaines le 19 août et l’analyse se poursuit.
Dommages et effets
28. Les vidéos de l’un des lieux d’impact montrent des destructions importantes et des maisons fortement endommagées. On ne voit toutefois aucun cratère. Un témoin a déclaré que l’obus avait fait un petit trou dans un mur d’une maison et fait sauter un petit morceau d’asphalte (de 10 à 16 cm).
Effets médicaux
29. Une famille de quatre personnes résidant dans la maison correspondant au site no 1 a été exposée à l’ypérite au soufre, ce que la Mission d’établissement des faits a confirmé pour deux membres de la famille. En outre, un témoin a déclaré qu’une famille de cinq personnes avait été exposée.
30. Une personne a été exposée alors qu’elle déplaçait un obus d’artillerie. Dans une vidéo où elle est filmée à l’hôpital, on voit des symptômes cliniques telles les boursouflures sur sa jambe gauche. Cette personne a déclaré que, pendant qu’elle portait l’obus qu’elle allait enterrer, un liquide s’était écoulé sur sa jambe, provoquant les boursouflures. Un témoin a confirmé l’identité de la personne blessée qui apparaît dans la vidéo. L’analyse scientifique n’a pas apporté d’information supplémentaire.
31. D’après différentes sources, le nombre de personnes présentant blessures et symptômes liés à l’exposition à l’ypérite qui ont cherché à obtenir une assistance médicale durant les quatre jours suivants pourrait se monter à 85. Le nombre de blessés a été vérifié en recoupant les indications données par plusieurs sources selon lesquelles ce nombre était de « au moins 10 », « 50 » et « jusqu’à 85 ». Selon un témoin, 23 personnes ont demandé des soins médicaux le 21 août 2015 et plus de 60 au cours des quelques jours suivants.
32. Les effets médicaux décrits par la Mission d’établissement des faits étaient compatibles avec les déclarations des témoins et les informations communiquées par des organisations indépendantes.
33. Pour obtenir davantage de renseignements sur les munitions et les vecteurs employés, le Mécanisme a cherché par plusieurs moyens à identifier d’autres victimes, sans succès à ce jour.
Informations complémentaires
34. L’ypérite distillée pure est un liquide visqueux incolore et inodore. Si elle n’est pas bien stabilisée, elle peut polymériser facilement et prendre l’aspect d’un liquide jaune-brun qui se densifie et dégage une odeur rappelant celle de la moutarde, de l’ail ou du raifort.
35. Plusieurs témoins, entités et autres sources ont évoqué la mauvaise odeur qui s’était répandue dans la zone (odeur d’ail, d’œuf pourri, qualifiée d’irritante et très mauvaise, par exemple). On voit un liquide visqueux de couleur sombre sur plusieurs images provenant de diverses sources. L’examen réalisé par un institut scientifique n’a permis ni de confirmer, ni d’infirmer que ce liquide était de l’ypérite.
36. De multiples sources ont suggéré que l’ypérite en question n’avait pas été distillée et avait été fabriquée selon le procédé de Levinstein. Selon elles, la mauvaise odeur (œuf pourri) et la couleur (vert foncé ou bleu foncé) ne correspondaient pas à celles de l’ypérite utilisée par l’EIIL dans d’autres cas, y compris dans un État voisin. Les observations olfactives décrivant une odeur de pourriture viennent à l’appui de la thèse selon laquelle l’ypérite aurait été produite au moyen du procédé de Levinstein. L’odeur, qui rappelle l’œuf pourri, est plus forte lorsque l’ypérite n’est pas distillée du fait de la présence des impuretés produites par les réactions chimiques.
37. Certaines sources ont fourni des informations indiquant que l’EIIL était en mesure de produire de l’ypérite au moyen du procédé de Levinstein.
38. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a confirmé que l’ypérite de soufre venant de la République arabe syrienne ne contenait pas d’impuretés telles que des polysulfures, ce qui signifie que le Gouvernement emploie un autre procédé. Elle a également indiqué que l’ypérite utilisée par l’EIIL dans le nord de l’Iraq à plusieurs reprises en 2015 et 2016 avait été produite au moyen du procédé de Levinstein.
39. Le Mécanisme a demandé des vêtements appartenant à des victimes, des échantillons environnementaux et des échantillons biomédicaux particuliers. Il n’a toutefois rien obtenu qui lui permette d’approfondir l’analyse malgré ses demandes répétées.
40. Les informations dont on dispose ne sont pas suffisantes pour tirer des conclusions sur l’origine de l’ypérite utilisée à Marea le 21 août 2015.
Évaluation du Groupe de direction
41. Le Groupe de direction a examiné les informations concernant les faits qui se sont déroulés à Marea le 21 août 2015 et déterminé qu’elles suffisaient à conclure que l’EIIL était la seule entité à même d’utiliser de l’ypérite au soufre à Marea le 21 août 2015, la seule à disposer des capacités et moyens nécessaires et à avoir des motifs pour mener une telle opération.
42. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants :
• Marea a longtemps été un bastion des groupes d’opposition armés combattant les forces gouvernementales. Le 21 août 2015, l’EIIL a progressé vers l’ouest en direction de Marea ;
• Selon plusieurs témoignages et plusieurs autres sources, Marea a été bombardée par une cinquantaine d’obus d’artillerie, dont plusieurs étaient chargés d’ypérite au soufre, tirés depuis des zones situées à l’est ou au sud-est de la localité et contrôlées par l’EIIL ;
• À la date donnée et les jours suivants, plusieurs personnes se sont présentées à l’hôpital avec des symptômes typiques de l’exposition à l’ypérite au soufre ;
• Le Mécanisme a reçu et analysé beaucoup de photographies et de vidéos des munitions utilisées à Marea. Quatre sources ont déclaré que les munitions utilisées étaient des obus d’artillerie de 130 millimètres. Les photographies et les vidéos des munitions montrent qu’un liquide visqueux de couleur sombre a été libéré par les obus.
Source : S/2016/738/Rev.1
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter