Cher Andreï Vadimovitch,
Chers collègues,
Je vous remercie de m’avoir convié au forum de Valdaï et à cette discussion.
Je suis très reconnaissant envers les organisateurs d’avoir choisi cette thématique : la situation au Proche et au Moyen-Orient. C’est le berceau d’un grand nombre de civilisations et de religions mondiales. Aujourd’hui que cette région s’est transformée en plateforme d’expériences manifestement déraisonnables et chargées de répercussions tragiques, ce thème est particulièrement sensible. Les racines de ces événements résident probablement dans une citation dont j’ai pris connaissance dans un rapport annuel du Club Valdaï : « La non-ingérence dans les affaires intérieures n’est qu’une déclaration orale, pas une norme de conduite ». Encore une citation : « La souveraineté des États ne limite plus les actions des autres ». Il s’agit d’un constat visiblement très simple et évident qui montre pourtant un fait « de fond ».
Les opérations aventureuses de changement de régime en Irak et en Libye se sont, de fait, soldées par la destruction de la structure étatique de ces pays. L’Irak progresse avec plus ou moins du succès vers la normalisation de son État. Nous aidons activement nos collègues irakiens, notamment en renforçant les capacités opérationnelles de leurs forces de sécurité, et soutenons leur armée dans la lutte contre les vestiges des groupes terroristes.
La situation en Libye est beaucoup plus grave, bien que la communauté internationale y entreprenne des efforts visant à assurer un dialogue inclusif. Mais trop d’acteurs extérieurs sont actuellement présents dans le pays, et on n’arrive pas toujours à lancer un processus de paix durable.
Observons de plus près l’histoire de la région : depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980, quand l’Union soviétique était présente en Afghanistan, les moudjahidines organisaient leur résistance en bénéficiant d’un soutien très actif de nos collègues américains qui leur livraient des armes et tout le nécessaire pour mener une lutte armée. On a constaté en résultat l’apparition d’al-Qaïda, qui se sent toujours très bien et a frappé les États-Unis le 11 septembre 2001. Logiquement, il aurait fallu à l’époque comprendre qu’il était criminel de compter sur la possibilité de contrôler les terroristes, de miser sur ces derniers en espérant les utiliser à des fins géopolitiques, comme s’il était possible d’assurer qu’ils ne portent aucun préjudice et ne dérapent jamais. C’est illusoire.
Un autre exemple de la même erreur est l’invasion en Irak, qui s’est soldée par la formation de Daech.
L’invasion en Syrie et l’encouragement des troubles dans ce pays afin de déstabiliser cet État du Proche-Orient ont permis à Al-Qaïda de prendre de nouvelles formes dont la plus connue est le groupe Hayat Tahrir al-Cham, source principale de problèmes dans la province d’Idleb aujourd’hui.
Suite aux événements en Libye, bombardée en violant de manière grossière la résolution du Conseil de sécurité de l’Onu qui venait d’être adoptée, les combattants de Daech ont établi des liens étroits avec les groupes terroristes africains tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique, Boko Haram ou Al-Chabab. Aujourd’hui, cette internationale terroriste sème la terreur sur la moitié du continent africain, probablement, notamment dans la région du Sahara-Sahel. Voilà la réalité où les vainqueurs de la « guerre froide » ont ressenti leur impunité et l’absence de toutes limites, ont décidé de faire ce qu’ils voulaient.
Quant à la Syrie, d’autres pays ont pris la défense de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de cet État à la demande de son Gouvernement légitime. Ces ont ainsi aidé à y prévenir la répétition du scénario libyen, ce qui a malheureusement provoqué une réaction nerveuse de nos partenaires occidentaux. Ces derniers n’analysaient pas la situation du point de vue de la nécessité d’éliminer les terroristes et les extrémistes, mais du point de vue de la lutte géopolitique. Pourquoi la Russie se permet-elle une chose interdite à tout le monde sauf à eux-mêmes ? Quod licet Iovi, non licet bovi - "ce qui est permis à Jupiter ne l’est pas aux vaches".
Cette attitude explique justement les premières réactions - assez nerveuses, à la limite de l’hystérie - aux événements qui se sont déroulés à Alep et dans d’autres régions de la Syrie, où l’armée nationale libérait les territoires des terroristes avec notre soutien. Rappelez-vous des lamentations concernant de prétendues atrocités à Alep, la population affamée ou privée des médicaments nécessaires. Immédiatement après la libération de l’Est d’Alep, la représentante de l’Organisation mondiale de la santé en Syrie, une femme très honnête, s’est rendue sur les lieux et a dit qu’il y avait beaucoup de dépôts de médicaments et tous les équipements médicaux nécessaires, contrôlés auparavant par les combattants. Personne n’a rien écrit sur ce fait. On affirmait seulement que le régime syrien et les Russes « massacraient les civils ». A Alep, la vie pacifique a été rétablie en un temps record, tout comme a été déminé le territoire et que tout le nécessaire a été fourni aux habitants qui commençaient à y revenir. On n’a rien constaté de ce genre, par exemple, à Raqqa où la coalition menée par les Américains combattait le terrorisme en lançant des tapis de bombes. On n’a même pas enterré tous les corps dans la ville depuis 1,5-2 ans, sans parler du déminage. Il s’agit de doubles standards, c’est évident. C’est dommage, car notre objectif commun est, à mon avis, d’empêcher cette région de devenir un foyer terroriste, malgré les tendances existantes en ce sens : j’ai déjà mentionné l’exemple libyen. La situation est très grave.
Au lieu de s’unir dans la lutte contre le terrorisme sans doubles standards, sans tenter d’utiliser des criminels à ses propres fins géopolitiques et de renoncer à la logique "ami-ennemi", nos collègues cherchent à tout prix à accuser les organes et les structures de la Syrie de tous les péchés capitaux. Je ne vais pas entrer dans les détails de la situation à l’OIAC. C’est un exemple révélateur qui montre comment l’Occident tente de privatiser le Secrétariat d’une organisation internationale universelle. Il cherche à tordre les bras aux pays qui ne peuvent pas exprimer leur position et se sentir en sécurité pour remplacer la Convention universelle par une chose qui lui permet, par le biais des collaborateurs obéissants du Secrétariat de l’OIAC, d’appliquer l’arbitraire dans le champ légal, plus exactement en dehors de ce champ. Néanmoins, nous sommes réalistes, nous voulons travailler avec tous ceux qui peuvent aider à régler réellement les problèmes. Il y a des signes de bon sens dans nos contacts avec les collègues américains et occidentaux. Même s’ils y étaient réticents, ils ont salué les accords conclus avec la contribution du format d’Astana entre le gouvernement et l’opposition en Syrie sur la création du Comité constitutionnel et la mise au point de ses règles procédurales. Petite précision : tout le monde sait que ce processus a été rendu possible après le déroulement du Congrès du dialogue national syrien à Sotchi en janvier 2018. Tout le monde sait que c’est là que les délégués du gouvernement, du parlement, de la société civile et de l’opposition ont pris la décision de créer le Comité constitutionnel. Tout le monde est au courant des efforts déployés par le "trio d’Astana" pour que cela ait lieu. Cela aurait pu se produire un an plus tôt si nos collègues occidentaux n’avaient pas interdit de facto au Secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres de donner son autorisation à Staffan de Mistura pour valider la liste des membres du Comité constitutionnel approuvée par l’opposition et le gouvernement avec la contribution du "trio d’Astana". Nous ne sommes pas rancuniers, nous avons poursuivi le travail. Le représentant de l’UE, quand il a salué l’annonce de la création du Comité constitutionnel, n’a pas mentionné le "trio d’Astana", contrairement aux États-Unis qui ont tout de même reconnu le rôle de la Russie, de l’Iran et de la Turquie dans une déclaration publique.
A présent, c’est donc un travail très difficile qui nous attend, bien plus difficile que celui qui a précédé. Désormais, à la même table des négociations, les opposants et le gouvernement, avec la participation de délégations de la société civile, devront s’entendre sur la réforme constitutionnelle. Cette dernière doit poser les bases des élections à venir. Toutes les cartes seront sur la table. J’espère que l’Onu contribuera de manière impartiale à ce processus. Le "trio d’Astana" ne restera pas non plus à l’écart. Nous ferons tout pour que les Syriens eux-mêmes s’entendent sans aucune ingérence extérieure. Il y a des signes de tentatives d’ingérence dans ce processus. Nous les écarterons délicatement mais fermement.
Pour parler des autres problèmes du Moyen-Orient, je suis très inquiet par le révisionnisme qui se manifeste actuellement dans la politique américaine au sujet du processus de paix au Proche-Orient, du dossier israélo-palestinien. De facto, la solution à deux États est rejetée, le travail du quartet des médiateurs internationaux est bloqué. On nous affirme que le fameux "deal du siècle", promis il y a deux ans déjà, est sur le point de faire son apparition. Il n’existe toujours pas. Nous savons approximativement de quoi il sera question : de l’abandon de la solution à deux États. Avec tout le monde arabe et les autres membres de l’Onu, nous nous tiendrons fermement aux décisions prises au Conseil de sécurité des Nations unies, qu’il faut appliquer. Bien sûr, dans cette région il faut une architecture inclusive. C’est nécessaire au regard de ce qui se passe dans le golfe Persique. Malheureusement, Washington s’est fixé pour objectif de diaboliser, d’isoler et de pousser par tous les moyens l’Iran à la capitulation. Les accusations visant l’Iran sous divers prétextes ne s’appuient sur aucune preuve tangible.
Le retrait des États-Unis du Plan d’action global commun sur le nucléaire iranien a constitué un exemple typique de négligence totale du droit international et des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies. Non seulement les États-Unis ont eux-mêmes refusé de remplir ces décisions, mais ils interdisent également, sous peine de sanctions, à tous les autres pays de remplir le Plan d’action et la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
D’autres initiatives de nos collègues américains dans cette région - notamment celle d’une "Otan moyen-orientale", d’une coalition internationale pour garantir la sécurité de la navigation maritime dans le golfe Persique - relèvent du traçage de lignes de démarcation, sont dirigées contre l’Iran. Il faut garantir la sécurité dans le golfe Persique, c’est indéniable, mais l’Iran a également des propositions qui, à l’inverse, ne sont dirigées contre personne, ne sont pas exclusives. Il propose à tous les pays d’unir les efforts, de patrouiller et d’assurer la sécurité du fonctionnement de cette artère mondiale cruciale. Nous avons également notre proposition d’entamer une discussion sur l’élaboration d’une Conception de la sécurité collective dans le golfe Persique et plus largement autour de lui. Mi-septembre a été organisée une discussion entre les experts sur cette idée à l’Institut d’études orientales affilié à l’Académie des sciences de Russie. Plus de 30 spécialistes russes, arabes, britanniques, français, indiens et chinois y ont participé. Je trouve ce dialogue très utile.
La situation gravissime au Yémen, où l’Onu constate la plus grande catastrophe humanitaire, ne peut être réglée qu’à travers des négociations inclusives. Nous sommes rassurés par la récente proposition des Houthis de cesser le feu et d’ouvrir les négociations. Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, y a réagi très positivement. Je pense que l’envoyé spécial du Secrétaire générale de l’Onu pour le Yémen Martin Griffiths, qui souhaite sincèrement faire avancer le processus de paix, peut prendre appui sur ces récentes démarches, qui suscitent un certain optimisme, bien que très prudent.
Question : Si l’on s’attarde un peu sur les principes de la politique russe au Moyen-Orient, on remarque que d’un côté il y a des approches générales de la politique étrangère, et de l’autre des initiatives caractéristiques de la Russie. Tout d’abord, quelles sont les caractéristiques de la politique étrangère russe, tout d’abord au Moyen-Orient ? Quels sont ses traits particuliers ? Mes collègues parlent très souvent du principe de proximité égale. Il s’agit probablement d’un acquis important de la Russie et de la diplomatie russe, qui sait maintenir non seulement des relations stables, mais aussi les relations qui progressent de manière infaillible. Nous constatons actuellement le développement de relations avec des partenaires qui sont conflit entre eux. Ainsi, malgré un développement très actif de ses relations avec Israël, la Russie défend très clairement et très fermement les principes du droit international, le respect des résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu, la solution à deux États, la nécessité de régler le problème palestinien sur la base de la formation de l’État de Palestine. Lors du débat d’hier sur la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme religieux, on a souligné que le caractère non résolu de ce problème était utilisé comme un outil d’endoctrinement des jeunes par des idées radicales.
Qu’en pensez-vous ?
Vous avez mentionné le JCPOA et la décision unilatérale et néfaste du Président américain Donald Trump de quitter le « deal » nucléaire. On a beaucoup parlé de la position particulière des Européens. Elle se transforme, se développe. Examinons les perspectives. Nous savons ce que les États-Unis veulent. Nous constatons un affrontement entre des positions irréconciliables sur le dialogue entre l’Amérique et l’Iran. Est-il possible, ne serait-ce qu’en théorie, de résoudre les questions relatives au programme nucléaire de l’Iran et au rétablissement du JCPOA ? Quelle aide pourrait apporter la Russie compte tenu de son expérience considérable de médiation dans les situations compliquées et conflictuelles ?
Sergueï Lavrov : Vos questions sont assez larges, assez vastes. Tout d’abord, je voudrais dire quelques mots sur l’importance et la durabilité de notre influence dans la région. Nous n’essayons jamais de nous ingérer nulle part sans invitation, simplement pour exercer notre influence. Si l’on examine les interventions américaines, on comprend bien qu’elles visent à faire agir les pays concernés selon les diktats de Washington. Les Américains estiment qu’il est avantageux pour eux d’y entretenir des turbulences incessantes, car les États-Unis sont loin alors que les bases américaines sont proches. Ils peuvent donc décider de soutenir telle ou telle partie compte tenu du contexte, définir les sources et le trajet des hydrocarbures, vendre leurs armes. Plus long est un conflit, plus importante est la demande en armes américaines. A vrai dire, il s’agit de la demande en armes en général, mais les Américains trouvent des moyens, ils sont de bons commerçants : soit tu achètes, soit ils te coinceront dans d’autres domaines.
Nous ne voulons pas que le seul objectif de notre influence soit de faire agir les autres selon les suggestions de Moscou. Vitali Naoumkine vient de souligner que nous essayions toujours de maintenir des relations avec toutes les parties sans aucune exception. C’est vrai. Ainsi, nous voulons utiliser notre influence en Syrie pour y assurer la paix et la sécurité, pour empêcher cette région présentant une mosaïque ethnique et religieuse unique de se détruire, de se transformer en nouveau refuge des terroristes et d’autres personnes dangereuses. La sécurité, la coexistence des cultures, des civilisations et des religions - tout cela nous importe. Dans les parties du Moyen-Orient où la Russie agit d’une manière ou d’une autre, on ne constate aucune désunion, aucune séparation des peuples, des confessions et des structures civilisationnelles à cause des actions russes.
Quant à l’Irak et la Libye (j’ai déjà cité ces exemples), on y constate un exode massif des chrétiens : il s’agit de centaines de milliers de personnes. La Libye s’est transformée en trou noir ouvrant la voie vers l’Europe aux migrants d’autres pays d’Afrique, notamment de la région du Sahara-Sahel. Cette situation s’explique uniquement par la destruction de ce pays qui a existé pendant des décennies. Son régime n’était probablement pas très démocratique, mais son caractère ne faisait souffrir personne, certainement pas les Libyens. Ils pouvaient suivre gratuitement leurs études à l’étranger, menaient une vie digne, il n’y avait pas de pauvres.
Nous tentons d’exercer notre influence afin d’établir un dialogue inclusif avec toutes les parties en conflit et d’assurer la paix et la sécurité dans la région concernée. Nous avons intérêt à maintenir notre présence en Syrie - la base de maintenance de la marine à Tartous et la base aérienne de Khmeimim. Premièrement, cela a été fait avec l’approbation complète des autorités absolument légitimes, d’un État membre de l’Onu. Deuxièmement, nous utiliserons cette présence uniquement aux fins que je viens de mentionner. Vous ne constaterez aucune tentative d’imposer des positions ou d’obliger les autres à mettre en œuvre nos approches. Ainsi, quand les bandits menés par les combattants de Daech et d’Al-Qaïda se sont approchés de Damas en août 2015, le gouvernement syrien avait souligné sa volonté de mener un dialogue avec le soutien de la Russie et d’autres pays. L’opposition armée - si ce terme est justifié - affirmait à l’époque qu’elle prendrait le pouvoir et résoudrait toutes les questions. Peut-être que Robert Malley pourra vous dire comment il se souvient de cette situation. Je me rappelle bien que les Américains et les autres pays étrangers n’avaient pas du tout tenté de soutenir à l’époque le thème du dialogue et des négociations. Quand nous avons aidé à arrêter les bandits et à stabiliser la situation, nous avons commencé pratiquement dès les premiers jours de notre présence à appeler au dialogue, notamment suite au tournant dans la lutte contre le terrorisme, quand le gouvernement syrien a rétabli le contrôle sur la majorité de son territoire. Il n’avait visiblement pas beaucoup d’intérêt à examiner des concessions éventuelles avec les opposants. Nous agissions de manière cohérente et pas conjoncturelle, et influions sur nos amis syriens pour qu’ils acceptent le dialogue national. Nous comprenons que sans cela, la situation ne pourra pas être stable.
En ce qui concerne le problème palestinien, je pense, et je l’ai dit plusieurs fois à nos amis israéliens, que son non-règlement est probablement le seul facteur majeur impactant la situation de la diffusion de l’idéologie extrémiste, qui permet aux terroristes de recruter dans ses rangs des jeunes du Moyen-Orient depuis le plus jeune âge. On inculque aux enfants, en Palestine et dans d’autres pays arabes, qu’il y a 70 ans il a été promis de créer deux États sur la même base légale. Un État existe depuis longtemps et se sent suffisamment en confiance, mais l’autre n’existe toujours pas. Mes interlocuteurs israéliens se vexent souvent contre moi - comment puis-je dire ça, le terrorisme en soi est un mal. Bien évidemment qu’il est un mal en soi et qu’il faut l’éradiquer. Mais sans se tourner vers l’origine qui repose à la base de l’idéologie extrémiste, sa propagation, qui explique comment il est possible de pousser la jeunesse sur cette voie malsaine, nous n’arriverons à rien. Nous ne ferons que lutter éternellement contre les manifestations, et non la cause de cette situation.
Nous allons voir à quoi va aboutir la constitution du gouvernement israélien. Des processus intéressants sont à l’œuvre. J’ai entendu qu’il y avait des contacts entre l’alliance "Bleu et Blanc" (Benny Gantz) et la "Liste arabe unie", et qu’une coopération était admise dans ce format avec des partis religieux juifs. Ce sont des processus intéressants. Si je comprends bien, la participation de la Liste arabe unie à la coalition serait déjà un bon signal pour la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Puis pour régler les problèmes sur la base de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies mais compte tenu, évidemment, des changements qui se sont opérés dans la région depuis l’adoption de ces résolutions par tous. Il est tout à fait possible d’apporter des nuances.
La dernière question concernait l’Iran. Le Ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif s’est exprimé de manière très négative au sujet des partenaires européens à New York. Parce qu’ils ont mis en place pendant un an le mécanisme de contournement des sanctions américaines, pour contourner le SWIFT, appelé Instex. Il a été créé depuis longtemps. Cela fera bientôt un an qu’il existe uniquement sur le papier. Il a été annoncé récemment qu’en plus du "trio européen" (Royaume-Uni, France, Allemagne) huit autres pays s’étaient dits prêts à utiliser ce canal de commerce avec l’Iran. Mais si je comprends bien, aucune transaction n’a été menée à bien. Les tentatives de réaliser de telles transactions pour des marchandises purement humanitaires, qui ne sont pas soumises aux sanctions, même américaines, n’ont encore rien donné. Il s’agit de transactions dérisoires par rapport à ce qui a été promis à l’Iran et à ce que pourrait représenter en soi le commerce entre l’Iran et l’UE.
Mohammad Javad Zarif a cité l’un de ses interlocuteurs européens, membre du Plan d’action, selon lui, qui lui a fait comprendre de manière émotive que les Européens ne pouvaient rien faire sans l’aval des Américains. Il l’a dit publiquement en conférence de presse. Je comprends la déception de l’Iran. Je comprends que Téhéran réagisse à l’impuissance totale de nos collègues européens en se dégageant progressivement des obligations qu’il a assumées volontairement dans le cadre du Plan d’action. Mais cela ne nous réjouit pas. Nous remarquons que l’Iran n’a encore enfreint aucun de ses engagements sur les documents juridiquement contraignants - le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, l’Accord de garanties avec l’AIEA et le Protocole additionnel à l’Accord de garanties volontairement appliqué. Tout ce que fait l’Iran est contrôlé par l’AIEA. C’est un point primordial.
Nous notons également que l’Iran est disposé à revenir à tout moment à l’accomplissement des engagements volontaires dans le cadre du Plan d’action dès que les autres pays en feront de même. Nous déployons des efforts. Nous menons un dialogue avec l’Iran, la Chine et avec le "trio" européen. Honnêtement, je n’écarte pas la possibilité d’une rencontre irano-américaine, notamment au sommet, à un moment donné. Le Président américain Donald Trump en a parlé. Le Président iranien Hassan Rohani a dit qu’il était prêt, mais qu’il fallait d’abord stopper les sanctions. Dans ce monde, tout est possible. Le style de l’administration américaine admet tous contacts et solutions. Nous le saluerions. Si les problèmes actuels étaient examinés honnêtement et ouvertement, nous ne ferions que nous en réjouir.
On peut proposer ce que l’on veut en plus du Plan d’action, mais seulement si cela ne conditionne pas le respect des engagements de tous les pays dans le cadre du Plan d’action et sans tenter de modifier de quelconque manière le Plan d’action. Ce plan doit être maintenu à part entière, il doit être mis en œuvre dans son intégralité. En parallèle, il est possible d’évoquer absolument tout, si tous les acteurs du processus sont d’accord.
Question : J’ai lu attentivement le rapport annuel du club Valdaï. Je trouve vraiment que dans les nouvelles conditions décrites par le rapport, le rôle grandissant du facteur religieux est évident. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que ce facteur, de même que le facteur national, est très sensible. D’après vous, l’influence grandissante de ce facteur revêt-elle des risques ? Si oui, lesquels ?
Sergueï Lavrov : La thématique des persécutions des chrétiens, tout comme d’autres minorités au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, est abordée à notre initiative depuis plusieurs années, pratiquement depuis le début du Printemps arabe. Il était visible que les chrétiens faisaient partie des plus touchés. En 2014, quand l’OSCE examinait la Déclaration sur la lutte contre l’antisémitisme, soutenue à l’unanimité, nous avons souligné (nous n’étions pas les seuls, avec des représentants du Vatican, de la Hongrie, de l’Arménie et d’autres pays) qu’il était tout aussi important d’élever la voix pour la protection des chrétiens et des musulmans également. L’islamophobie se propageait déjà à l’époque en Europe. Les chrétiens ont souffert à cause du Printemps arabe (je rappelle que c’était en 2014,). En décembre 2014, la session ministérielle de l’OSCE a écrit dans sa décision qu’à la prochaine session ministérielle en 2015 seraient adoptées deux déclarations séparées condamnant la christianophobie et l’islamophobie. Cinq années se sont écoulées. Chaque fois que nous rappelions cet engagement, certaines puissances d’Europe occidentale l’esquivaient sous différents prétextes, se référant au politiquement correct et à la nécessité d’être tolérants et au multiculturalisme. Je trouve que c’est honteux. D’ailleurs, il est question de l’un des pays qui ont honte des crucifix sur les façades des écoles et les en retirent. Nous n’abandonnerons pas ce thème et feront en sorte qu’il soit évoqué et ne soit pas oublié. En l’absence de telles décisions, nous organisons chaque année en marge de l’OSCE et du Conseil des droits de l’homme de l’Onu des activités pour la protection des chrétiens et d’autres - nous le soulignons toujours - minorités nationales, et nous continuerons de le faire.
En ce qui concerne le facteur religieux, et la manière dont il est entremêlé aujourd’hui avec la politique contemporaine, vous savez qu’il est entremêlé très profondément et, malheureusement, de manière destructive. Quand les souffrances et les fardeaux se multiplient dans le monde, l’homme aspire tout naturellement à quelque chose de spirituel, il veut éprouver un certain espoir. En ce sens, la religion apporte indéniablement un soulagement, un calme et un espoir pour son avenir et celui des proches. Je trouve que l’Église orthodoxe russe et les Églises orthodoxes fraternelles, le Vatican, l’Église catholique romaine, cherchent à remplir ce rôle très activement. Comme vous l’avez dit, nous coopérons étroitement précisément pour utiliser les sentiments religieux afin de promouvoir l’entente et régler les conflits.
Malheureusement, je suis contraint d’attirer l’attention sur l’attitude de nos collègues américains envers ce facteur. Le Département d’État américain a nommé un représentant spécial pour la liberté de religion, Sam Brownback. Il exige publiquement que toutes les Églises orthodoxes reconnaissent l’"Église orthodoxe ukrainienne", illégale et non canonique. Il exige publiquement que la question de l’"Église orthodoxe ukrainienne" soit réglée en Ukraine, et il s’occupe non seulement de la liberté de religion, mais également d’imposer des décisions politisée aux communautés religieuses. Car aucune Église orthodoxe ne s’est encore pliée à la décision du Phanar, qui était dictée par des raisons politisées connues, et n’a reconnu l’"Église orthodoxe ukrainienne", n’a renoncé aux messes communes. Mais nous savons avec certitude que les Américains font pression sur ces Églises orthodoxes russes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et essaient même, face à la réticence à obéir volontairement, de menacer voire de faire éclater les Églises orthodoxes isolées dans la région.
Je trouve que le dialogue initié par le Saint Patriarche et le Pape de Rome pourrait être poursuivi précisément selon le point de vue qu’il faut protéger la religion contre tout jeu politique, qui plus est contre les jeux dans les régions où ont lieu des conflits et des crises. Un dialogue intercivilisationnel se déroule à l’Onu. C’est une plateforme très intéressante et encore peu exploitée. Il y a un dialogue interreligieux à l’Unesco - cet axe fonctionne à notre initiative. Il pourrait être exploité plus activement également. J’espère qu’avec l’Église orthodoxe russe et d’autres confessions, en collaboration avec les partenaires étrangers concernés, nous pourrons défendre plus activement les sentiments religieux contre toute politisation.
Question : A quel point sommes-nous prêts à élargir activement notre coopération militaire avec un éventail plus large de pays du Moyen-Orient afin de consolider nos résultats, nos acquis ?
Sergueï Lavrov : Nous considérons la coopération militaire et technique comme une sphère de coopération mutuellement avantageuse avec nos partenaires. Pratiquement tous les pays du Moyen-Orient ont reçu de telles offres. Et ce en réponse à l’intérêt qu’ils avaient exprimé. Il s’agit des pays du Golfe persique, de la Turquie, naturellement, ou encore des pays de l’ASEAN si nous parlons du Moyen- et de l’Extrême-orient. Cela concerne évidemment l’Inde et la Chine. Je vous assure que les résultats seraient encore plus impressionnants sans la concurrence absolument malhonnête de la part des États-Unis, qui exigent de ne pas acheter les équipements russes fiables et peu coûteux, mais d’acquérir le matériel américain qui est probablement aussi fiable, mais beaucoup plus coûteux. Malgré cette pression, nous avons établi des relations très prometteuses avec les pays de l’ASEAN, l’Inde et les États du Moyen-Orient, notamment du Golfe persique. Des contrats sont en état de rédaction et d’application. A mon avis, ces projets sont très encourageants.
Au début a été soulevé ce thème : peut-on extrapoler nos succès à d’autres régions du monde ? A mon avis, la politique orientale de la Russie (il ne s’agit pas du Moyen-Orient, mais de l’Extrême-Orient) mérite une haute appréciation. Je suis un peu embarrassé de le dire, mais toute la politique ne se limite pas au Ministère des Affaires étrangères. Il s’agit notamment de la composante économique, de l’initiative de réunir les efforts de l’UEEA, de l’OCS et de l’ASEAN avancée par le Président russe Vladimir Poutine en mai 2016 ici, à Sotchi. Elle a suscité de l’intérêt. Le nombre de pays de l’ASEAN qui deviennent partenaires de l’UEEA en matière de création de zones de libre-échange ne cesse de croître, et la liste d’attente est par ailleurs assez importante dans ce domaine. Ce processus ne fera que prendre de l’ampleur. Il y a des questions concernant l’harmonisation des processus d’intégration eurasiatique du point de vue de notre vision de l’initiative "La Ceinture et la Route". Il y a également le sujet de la logistique et des corridors de transport. Des corridors contournant le Sud de la Russie sont en projet, mais la Russie promeut activement ses propres itinéraires, terrestres ou maritimes, le Passage de Nord-Est, tout ce qui est lié au gaz naturel liquéfié (GNL). Il s’agit d’un sujet très large qui renforce réellement nos positions dans cette région leader du point de vue de la croissance et qui - ce qui est très important - gagne rapidement de l’influence.
Outre le développement de la coopération militaire dans cette région, je voudrais souligner l’attention accordée par le Gouvernement et le Président russe à son développement économique. Il s’agit notamment du port libre de Vladivostok et du territoire de développement avancé. On ne constate malheureusement toujours aucun effet démographique. Ce sujet a récemment été évoqué. On adoptera des mesures supplémentaires. Il faut encourager les gens à vivre dans la région, à y déménager. Je pense qu’il ne faut pas ménager les fonds ou d’autres moyens d’encouragement pour atteindre cet objectif.
Même un allié des États-Unis aussi fiable que le Japon commence à se faire sa propre opinion sur les événements au Moyen-Orient. Ce n’est pas par hasard que le Premier ministre japonais Shinzo Abe s’est rendu à Téhéran et s’est publiquement prononcé à New York pour une rencontre entre le Président américain Donald Trump et le Président iranien Hassan Rohani. Cela montre l’envergure de la dépendance du Japon envers le Moyen-Orient, et avant tout envers les sources d’énergie.
Question : L’Ukraine a signé hier la "formule de Steinmeier". Peut-on considérer cet événement comme un pas réellement important sur la voie du règlement du problème le plus aigu auquel nous faisons face, le problème ukrainien ?
Sergueï Lavrov : En ce qui concerne la "formule de Steinmeier", il existe certains problèmes. La "formule de Steinmeier" a été signée hier à Minsk par tous les membres du Groupe de contact, y compris par Donetsk et Lougansk. Ces derniers l’ont pourtant fait sur une feuille de papier isolée, car certains estiment évidemment qu’il aurait été indigne pour eux d’apposer leur signature près de celles des autres participants, bien que toutes les signatures se trouvent sur la même feuille dans les accords de Minsk. Hier, j’espérais qu’il s’agissait d’un problème cosmétique ou de protocole, mais la réaction de certains à Kiev m’a inquiété. Ainsi, Piotr Porochenko et le parti de Ioulia Timochenko - sans parler de Sviatoslav Vakartchouk et d’autres forces politiques radicales - ont exigé de leur expliquer pourquoi "on vendait le peuple ukrainien".
Cette "formule" est connue depuis octobre 2015. Elle a été avancée à Paris et confirmée ensuite par les sommets du format Normandie et les réunions au niveau des ministres et des experts, mais sans pouvoir la mettre noir sur blanc. Quelles sont donc les raisons d’une réaction aussi aiguë des opposants au Gouvernement de Vladimir Zelenski ? Ils ne veulent probablement pas perdre l’argument de la protection de leur identité nationaliste, et ils estiment que tout rapprochement entre Kiev et le Donbass, tout règlement selon les conditions fixées par les accords de Minsk, équivaudrait à une capitulation. Mais c’est Piotr Porochenko qui a personnellement signé les accords de Minsk. Oui, on nous dit aujourd’hui qu’il n’y aura aucun statut spécial malgré la "formule de Steinmeier". L’administration de Vladimir Zelenski affirme qu’il y aura une décentralisation qui donnera au Donbass plus d’avantages que les accords de Minsk.
Je voudrais attirer spécialement l’attention sur un paragraphe des Accords de Minsk qui est rarement cité. Il stipule que les autorités ukrainiennes procéderont à la décentralisation dans tout le pays, en mettant au point notamment les paramètres de cette décentralisation pour certaines zones des régions de Donetsk et de Lougansk. Autrement dit, quelle que soit la décentralisation, je ne sais pas pour les autres régions de l’Ukraine mais cette partie de l’Ukraine, la partie du Donbass, doit être entendue et sa position doit être prise en compte.
Nous entendons, tantôt du Ministre ukrainien des Affaires étrangères Vadim Pristaïko, tantôt de quelqu’un d’autre, qu’il n’y aura ni amnistie ni statut particulier. Nous avons parlé aujourd’hui des problèmes israélo-palestiniens, de la solution à deux États et de la tentative de mettre en œuvre les résolutions adoptées approuvant les solutions à deux États. Bien qu’on nous qualifie de puissance révisionniste, ce sont nos collègues occidentaux qui révisent tout le droit international. J’ai essayé d’en parler en détail à l’Assemblée générale des Nations unies.
Autre exemple : la Bosnie-Herzégovine. Il y a l’accord de Dayton pour cet État, approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies, selon lequel la République serbe possède ce fameux statut particulier (d’ailleurs, cet élément a été utilisé dans les Accords de Minsk). Maintenant, sous la pression des États-Unis et de plusieurs pays d’Europe occidentale, on exige que les partis bosniaques et certains partis croates sous leur supervision mènent la situation vers la création d’un État unitaire en Bosnie. L’objectif est simple : aspirer la Bosnie au sein de l’Otan. Ils utilisent à cet effet différentes ruses, notamment la révision de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies pour le Kosovo implique plusieurs éléments très concrets, notamment des droits particuliers pour les Serbes qui vivent au Kosovo - or le Kosovo fait partie de la Serbie. Avec énormément de mal, l’UE a aidé Pristina et Belgrade à se mettre d’accord sur des démarches intermédiaires visant des accords généraux pour vivre ensemble. Ils sont convenus de la création de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo, qui garantit des droits linguistiques, culturels et religieux aux Serbes. Cette communauté n’est pas territorialement unie - il y a le Nord où les territoires sont compacts, mais il y a également des enclaves qui, conformément à cet entente, font également partie de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo. Cette communauté, selon le document signé par Pristina, possède un drapeau, des armoiries et un hymne. Depuis quatre ans cet accord est sur le papier. Maintenant, avec la participation active des États-Unis, on cherche à le modifier et à faire en sorte que le Kosovo ait le droit d’adhérer à l’Otan avec la plus grande base américaine en Europe - Camp Bondsteel. De tels exemples sont probablement contagieux, et en Ukraine il existe des forces qui prennent entièrement exemple sur les États-Unis. Il est évident pour moi que les Accords de Minsk, également approuvés par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, sont mis à l’épreuve. On cherche également à les modifier. Mais j’espère que les propos du Président ukrainien Vladimir Zelenski sur l’attachement à la mise en œuvre des Accords de Minsk sont la position d’un individu qui détermine la politique étrangère et commande les forces armées ukrainiennes.
Question : Vous avez noté à juste titre que votre bonne éducation ne vous permettait pas de lire le courrier des autres, mais il y a des gens qui ne sont pas si bien éduqués et qui ont lu cette correspondance, et ils y ont vu quelque chose qui témoigne d’une trace russe. Est-ce que cela signifie qu’il existe un risque que la Russie puisse être impliquée dans un nouveau cycle de jeu pouvant conduire à certaines complications pour nos relations avec l’Ukraine, les États-Unis. Ne voyez-vous pas de risques ?
Sergueï Lavrov : Je suis d’accord que la recherche d’une trace russe est une idée fixe. Ce thème, qui a été avancé, si je ne m’abuse, par Nancy Pelosi, montre qu’au sein de la direction du Parti démocrate américain certains n’arrivent toujours pas à se résigner à leur incapacité à renverser le Président américain Donald Trump et à secouer sérieusement l’opinion publique aux États-Unis même, et encore moins à prouver une quelconque influence de la Russie sur les processus politiques intérieurs. Ils ne prennent plus la peine de chercher le moindre argument ou preuve. On lance simplement le thème de la trace russe, et c’est tout. Autre circonstance : la tentative de couvrir à Kiev ceux qui avaient activement tenté de contribuer à l’arrivée d’un président démocrate à la Maison blanche aux élections de 2016 et utilisaient exactement les mêmes méthodes qui sont actuellement condamnées par le parti démocrate, qui accuse la Fédération de Russie d’en avoir fait usage.
Question : Sotchi accueillera dans trois semaines un événement historique : la Fédération de Russie organisera pour la première fois le sommet Russie-Afrique. Les relations et la coopération entre la Russie et le continent africain ont des racines historiques. La Russie n’a jamais quitté l’Afrique, qu’il s’agisse des relations diplomatiques, de la formation de spécialistes de nos pays, de la construction de différents sites.
Le continent africain rassemble 55 pays de différents niveaux économiques, de différentes cultures. Selon les sceptiques, la Russie tente aujourd’hui de coopérer avec différentes régions au lieu de maintenir les relations bilatérales. Beaucoup d’acteurs sont actuellement présents sur le marché africain. D’abord il y a eu les Américains et les Européens. Ensuite, on a vu arriver les Chinois, les Turcs et les Brésiliens. Beaucoup de personnes s’interrogent sur ce que la Russie pourrait apporter en Afrique. Les Africains comprennent que la présence russe sur le continent est une garantie de sécurité non seulement dans la région, mais aussi dans le monde entier. La Russie ne s’est jamais opposée aux autres acteurs en Afrique, voulait qu’on crée des conditions de coopération égales, que tous les acteurs se complètent et que leur coopération bénéficie aux peuples du continent. Que pouvez-vous dire du futur sommet ?
Sergueï Lavrov : Vous-avez déjà tout dit vous-même ! Vous avez dit que la Russie était une garantie de sécurité. Du point de vue classique, une garantie de sécurité est une chose un peu différente. Nous n’avons aucun accord d’alliance militaire avec les pays africains, mais nous maintenons de très bonnes relations historiques formées depuis l’époque de la décolonisation. C’était une aide désintéressée. Une aide économiquement et financièrement coûteuse pour l’Union soviétique. Si vous voulez, tout cela était "soit selon les statuts du parti, soit selon l’appel du cœur". Il s’agit en effet de l’accomplissement le plus important de la politique étrangère soviétique : la justice a triomphé sur le continent africain. Par ailleurs, alors que nos collègues occidentaux tentent actuellement de réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, nous avons commencé à leur rappeler la période du colonialisme, le préjudice subi par le continent africain à cause des colonisateurs. La décolonisation a eu lieu près de deux décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi, si quelqu’un veut bien mener des débats historiques, nous parlerons de la décolonisation, d’autant plus que cette dernière n’a pas encore abouti : il y a encore Mayotte dans l’archipel des Comores, les îles de Madagascar ou l’archipel des Chagos qui devrait être transféré à Maurice, selon un récent jugement de la Cour internationale. Il existe également une résolution de l’Assemblée générale de l’Onu en ce sens.
Comme vous l’avez justement remarqué, nous sommes prêts à travailler dans n’importe quel pays sans tenter d’y repousser les autres, tant qu’il y a des conditions de concurrence égales. Tout le monde ne fait pas la même chose. J’ai déjà évoqué des exemples aujourd’hui. La Russie, en tant que partenaire commercial assez important, constitue probablement pour les Africains un facteur de stabilité et d’équilibre. Nos échanges augmentent rapidement et ont déjà atteint 20 milliards de dollars. Ce n’est pas grand-chose par rapport aux volumes chinois, mais ce chiffre est plusieurs fois plus important qu’il y a dix ans, par exemple. Comme toujours, si tu as un partenaire plus fort, tu dépends de ce dernier. Si tu as plusieurs partenaires, cela crée une situation plus stable.
Question (traduite de l’anglais) : Vous avez dit que les États-Unis étaient impuissants du point de vue de l’accord nucléaire, que l’accord ne fonctionnait pas. Quand l’ancien Président français Jacques Chirac s’était opposé à la guerre en Irak en 2003, Condoleezza Rice, Secrétaire d’État américaine à l’époque, avait déclaré que cela ne lui serait pas pardonné. Compte tenu du discours important du Président français Emmanuel Macron fin août dernier, quand il a parlé de l’autonomie stratégique européenne, de l’apparition d’un Occident post-atlantique qui nous a poussés à la marge, comment la Russie pourrait-elle profiter des nouvelles modalités de la politique européenne ? Serait-il possible de rétablir une véritable union pancontinentale ?
Sergueï Lavrov : En 2003, la Russie, la France et l’Allemagne s’étaient opposées à l’entreprise aventureuse américaine organisée par les Anglo-Saxons en violation grossière du droit international, qui avait détruit ce pays. Par ailleurs, le chef de l’administration d’occupation américaine en Irak, Paul Bremer, avait dissous toutes les structures du parti Baas et l’armée, qui prenait appui sur les membres de ce parti, le service de sécurité, et aujourd’hui tout le monde reconnaît que les terroristes les plus efficaces de Daech sont des anciens officiers de l’armée de Saddam Hussein, qui ont été tout simplement jetés dans la rue, qui n’avaient plus de quoi vivre. Je ne cherche pas à les justifier, mais ils n’ont pas rejoint Daech par appel du cœur, mais simplement pour des raisons financières.
En ce qui concerne le discours du Président français Emmanuel Macron à la réunion des ambassadeurs, nous avons remarqué son allocution et les initiatives à suivre. Malgré tous les différends - il y en aura toujours - elles prévoient la nécessité de revenir à l’idée d’un dialogue paneuropéen afin de garantir la sécurité nationale et internationale et la stabilité du système mondial.
Malheureusement, l’OSCE s’est figée au niveau d’une plateforme de débats, de consensus, mais n’ayant pas de leviers juridiques et légaux réels. Elle aurait pu devenir une alternative à l’Otan et au Pacte de Varsovie quand celui-ci a cessé d’exister. Mais malheureusement, un autre chemin a été emprunté à l’époque.
Emmanuel Macron avait plusieurs initiatives sur la construction des affaires en Europe. Vous le savez, il existe une initiative sur la réforme de l’UE. Il proposait de constituer un "noyau" avec la zone euro, et les autres membres de l’UE (Partenariat oriental, etc.) comme des cercles concentriques. Mais maintenant, après deux ans au pouvoir, le Président français Emmanuel Macron a commencé à percevoir l’Europe non seulement dans le cadre de l’UE, mais également bien plus largement - dans le cadre de la sécurité paneuropéenne. Oui, il a parlé de la nécessité d’une autonomie stratégique en matière de sécurité. Un avis similaire a été exprimé par la Chancelière allemande Angela Merkel très récemment, notamment à New York, en parlant des relations transatlantiques en vue du Brexit, de la position des États-Unis envers l’UE et l’Otan. La seule idée des États-Unis concernant l’Otan consiste à promouvoir sa présence, à faire avancer l’Otan vers l’Est, à vendre plus d’armes, en exigeant que les dépenses pour la défense de chaque membre de l’Alliance soient augmentées jusqu’à 2%. Je suis absolument convaincu qu’aux États-Unis personne ne veut une guerre en Europe, mais pourquoi ne pas profiter de la conjoncture et y rester quelque temps, tout en forçant le pays hôte à payer pour ses bases, augmenter les dépenses pour acheter des armes américaines, puis le gaz naturel liquéfié américain. Les Européens comprennent probablement que c’est une position assez égoïste, et ils n’ont plus l’impression qu’ils avaient par le passé qu’il existerait une Alliance de l’Atlantique Nord unie. C’est pourquoi, après cette déception, ils ont commencé à parler de la nécessité de transformer cette alliance défensive en une alliance globale, en une alliance qui serait responsable de la sécurité globale. C’est un thème éternel. Il est possible de "rester en selle" sur ce thème en permanence, de conserver artificiellement ce bloc qui cherche un prétexte pour poursuivre son existence. L’Union soviétique a disparu, le Pacte de Varsovie a disparu, la situation en Afghanistan est claire : ils ne savent pas comment se retirer au plus vite, donc ils restent avec plusieurs bases et oublient ce thème.
Nous soutenons l’initiative d’Emmanuel Macron, nous en avons parlé. Il a écrit une lettre détaillée au Président russe Vladimir Poutine, qui lui a répondu sur ces sujets précis, en reconnaissant la nécessité d’entamer un dialogue. Nous ne pouvons pas prévoir par anticipation les étapes auxquelles il faut absolument arriver, mais la position antérieure de la plupart des Européens selon laquelle la Russie devrait remplir les Accords de Minsk avant de pouvoir commencer à parler n’est plus dominante. Le discours d’Emmanuel Macron, qui a probablement senti avant les autres que c’était une impasse, en est la preuve.
La France a beaucoup d’initiatives, dont certaines suscitent des questions. Il s’agit notamment de ses initiatives dans le domaine du journalisme et de l’espace médiatique. « Reporters sans frontières » promeut, en coopération étroite avec le gouvernement français, l’idée de créer une certaine « liste blanche » des médias, y compris des sites internet, dignes de confiance. Pas besoin d’expliquer que cette approche n’est pas juste, surtout dans un pays où RT et Sputnik n’ont pas d’accréditation au palais présidentiel. La France a également une autre initiative : "L’Initiative européenne d’intervention". Lors de notre visite à Brégançon, les présidents se sont entretenus. Pour ma part, j’ai parlé au Ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Diran et au conseiller d’Emmanuel Macron à la politique étrangère. Nous avons demandé des précisions sur ce projet d’initiative, car il a été mentionné lors de sa présentation qu’il était nécessaire notamment - dans le cas où il y aurait un besoin urgent de s’ingérer pour sauver des vies humaines - pour éviter les retards bureaucratiques liés à l’activité du Conseil de sécurité de l’Onu, de l’Otan et de l’Union européenne. Cela pose naturellement la question suivante : comment pourrait-on se passer du Conseil de sécurité s’il s’agit du recours à la force ? Nous avons organisé en septembre une rencontre au format « 2+2 » réunissant les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de la Russie et de la France. Nous en avons débattu en détail, mais on ne nous a pas encore présenté le tableau final. Il est nécessaire de comprendre si cela fait partie de l’initiative du Président Emmanuel Macron sur le lancement du dialogue réunissant toute l’Europe, ou s’il s’agit d’une idée collatérale. Il y a beaucoup de questions. Mais l’essentiel - nous sommes absolument « pour » - est qu’il faut commencer à se parler de manière respectueuse, sans aucune condition préalable, sans prétention d’une partie à des privilèges et à des droits exclusifs dans ce dialogue.
Question : A mon avis, l’un des succès stratégiques principaux de la politique étrangère russe au Moyen-Orient, et par rapport au monde non-occidental, réside dans le fait qu’elle a acquis une valeur intrinsèque et a cessé d’être un produit des relations entre la Russie et l’Occident. Beaucoup de nos adversaires tentent cependant de le critiquer, de le nier et d’affirmer que les intérêts russes au Moyen-Orient résident dans l’affaiblissement de l’Occident, que la Russie n’est pas un centre de force fiable et à long terme dans la région. Si l’Occident améliorait ses relations avec la Russie, elle quitterait immédiatement cette zone. Souvenez-vous des folies récurrentes soulignant que la Syrie ne serait pour la Russie qu’une monnaie d’échange qu’elle voudrait échanger pour l’Ukraine. Afin de prouver cette thèse, nos adversaires parlent de la rhétorique russe qui est dans une grande mesure déséquilibrée - il faut bien le reconnaître. Elle contient une critique juste de l’Occident, mais manque toujours ce que vous venez de mentionner : nous proposons activement aux pays de la région d’être amis et de prendre plaisir à ces relations. Dans ce contexte, est-il, selon vous, possible d’équilibrer la rhétorique russe sur le Moyen-Orient et, en poursuivant la critique de l’Occident, de parler en même temps de la contribution neutre ou positive de la Russie dans la région sans lien avec la conjoncture de ses relations avec l’Occident ?
Sergueï Lavrov : Je suis d’accord pour dire que la politique étrangère russe a désormais une valeur intrinsèque. Les illusions formées après le démembrement de l’Union soviétique dans les années 1990 se sont probablement reflétées sur la vision occidentale de la Fédération de Russie. Vous vous en souvenez très bien : la fin de l’histoire etc. Mais nous avons définitivement compris la nécessité de nous appuyer uniquement sur nous-mêmes - naturellement dans le cadre du droit international - en 2014, quand plusieurs pays occidentaux ont soutenu le coup d’État à Kiev, organisé et provoqué activement par certains de ces derniers. Dans tous les cas, la réaction occidentale à l’arrivée des putschistes au pouvoir à Kiev en 2014 - les sanctions, les exigences, les condamnations - nous a convaincu d’une chose : dans ce monde, on ne peut compter que sur soi-même, selon les conseils d’Alexandre III, et sur un plan plus large.
La crise ukrainienne. Février 2014. Les négociations. Les Allemands, les Français et les Polonais signent avec le Président ukrainien Viktor Ianoukovitch et l’opposition l’accord sur la création prochaine du Gouvernement de réconciliation nationale, sur les préparatifs des élections anticipées et sur le refus du pouvoir d’utiliser l’armée et les forces de sécurité à d’autres fins que la protection des bâtiments administratifs. Le lendemain matin, tout cela se détruit, s’effondre. Nous avons demandé aux Français et aux Allemands, ainsi qu’aux Américains qui nous avaient priés de soutenir cet accord (Barack Obama avait spécialement téléphoné à Vladimir Poutine), comment tout cela avait pu arriver alors que leur honneur, leur dignité et leur autorité étaient en jeu. Ils nous ont répondu : « Cela arrive ».
Ce n’est pas par hasard si aujourd’hui, quand on évoque les causes de la crise actuelle dans les relations entre l’Occident et la Russie, on nous reproche d’être en Crimée et dans le Donbass. Mais tout cela a commencé avec le coup d’État, dont les organisateurs ont annoncé le lendemain qu’ils ne créeraient pas le Gouvernement d’entente nationale prévu par l’accord de février 2014, mais un "gouvernement de vainqueurs". Le 22 février, ils avaient déjà divisé le pays en vainqueurs et vaincus. Et deux jours après cela, il a été annoncé que les Russes n’avaient rien à faire en Crimée, qu’il fallait soit les éliminer, soit les expulser. Quand le parlement criméen s’est révolté contre tout cela, des "trains d’amitié" remplis de bandits y ont été envoyés. De la même manière, le Donbass n’a attaqué personne. Ils ont dit : "Il y a des affaires anticonstitutionnelles chez vous. Nous ne voulons pas y être impliqués, alors laissez-nous en paix. Nous voulons réfléchir et comprendre ce qui ce passe." Pour cela, ils ont été proclamés terroristes et attaqués.
J’en ai parlé plusieurs fois avec nos collègues occidentaux, mais ils esquivent constamment les causes profondes de cette situation. C’est honteux et indigne de pays solides. Mais nous avons senti notre autosuffisance, notre valeur intrinsèque, après cette nouvelle leçon, la plus douloureuse, dans nos relations avec l’Occident. Cela ne signifie pas que nous nous vexerons. Nous sommes prêts à réagir aux initiatives qui, comme cela vient d’être mentionné, ont été avancées par le Président français Emmanuel Macron. Nous sommes toujours disposés au dialogue.
Même quand les sanctions ont été décrétées, nous avons évidemment dû y répondre. Nous soulignons toujours que les sanctions sont votre invention : réglez vous-mêmes cette question, et nous répondrons. Mais, premièrement, nous avons déjà compris qu’il fallait compter uniquement sur nous-mêmes, notamment en matière d’économie, de technologies et d’approvisionnement de notre population en produits vitaux, parce qu’à tout moment nous pouvons être dupés, comme ce fut le cas avec les sanctions. Deuxièmement, nous soulignons toujours que cela ne signifie pas que nous claquons la porte. Quand vous serez prêts au dialogue : faites-le. Et ce à un niveau et sur des sujets qui seront confortables pour vous. Nous l’avons souligné à toutes les étapes. C’est pourquoi notre autonomie, la valeur intrinsèque, si vous voulez, de notre politique étrangère, ne signifie pas du tout que nous nous isolons. Ce sont nos partenaires occidentaux qui s’isolent. Mais à présent tout cela change, et les exemples sont nombreux, notamment certains pays de l’UE développent activement des relations avec la Fédération de Russie - n’en déplaise à la bureaucratie bruxelloise qui ne veut pas perdre son contrôle sur ces processus. Mais, vous le savez, cela fait déjà écho et suscite un mécontentement au niveau national dans plusieurs pays.
En ce qui concerne les déclarations de l’Occident selon lesquelles nous aurions pour but de l’affaiblir, c’est probablement l’Occident lui-même qui s’affaiblit par ses actes. Prenez l’exemple de l’Afghanistan : un échec total après presque vingt ans de tentatives d’y rétablir l’ordre.L’ex-Président de l’Afghanistan Hamid Karzaï le sait parfaitement. Il prend très à cœur le sort de son pays. Nous tenons en grande estime ses approches. Mais la situation dans le pays n’est toujours pas réglée, même s’il y a eu plusieurs opportunités de le faire.
On cherche à nous faire passer pour un partenaire peu fiable qui ne doit pas être considéré à long terme - comme quoi nous pourrions laisser tomber, partir - vous savez, les pays d’Afrique et du Moyen-Orient nous disent exactement le contraire, en citant l’exemple de deux ou trois dirigeants de la région, notamment l’ex-Président de l’Égypte Hosni Moubarak, qui a garanti au moins pendant vingt ans la stabilité dans cette région. Certes, il avait de bonnes relations avec nous, mais il maintenait la stabilité dans cette région. Les Américains le qualifiaient d’allié stratégique. Le Printemps arabe. Il n’a pas fui, il a démissionné, il est rendu à Charm el-Cheikh, il a quitté son poste dignement en disant : "Je veux que mon pays vive en paix et dans le calme. Si je gêne, je m’en vais." Il a été amené au procès dans une cage, on a commencé à l’humilier. Ce n’est pas un secret que nous avons communiqué avec les Américains, nous avons proposé d’influencer les autorités arrivées au Caire afin de cesser les sévices sur cet homme, mais aucune réaction américaine n’a suivi.
Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi était suffisamment proche des dirigeants européens, notamment en France… Ils ont simplement bombardé, cruellement tué et éliminé.
C’est pourquoi c’est aux peuples de ces pays et à leurs dirigeants de décider sur qui ils peuvent compter ou non. Je répète que de nombreux pays, à leur propre initiative, nous soulignent qu’ils apprécient vraiment le fait que nous n’abandonnons pas nos partisans et amis.
En ce qui concerne l’équilibre de notre rhétorique, j’essaie d’équilibrer. Nous ne blâmons pas l’Occident - si cela peut être qualifié de blâme - par plaisir. Nous voulons simplement citer des faits concrets qui montrent que ce n’est pas la première fois, et que ce n’est pas une bonne chose d’aller de nouveau vers la confrontation pour tenter de régler ses propres problèmes, de diviser des pays, la société, des régions.
Question : En parlant de sanctions, vous avez introduit la formulation : "Ce n’est pas nous qui les avons décrétées, ce n’est pas à nous de les lever". Les sénateurs américains Marco Rubio et Ben Cardin ont proposé à votre homologue Mike Pompeo de décréter des sanctions contre le Procureur général russe Iouri Tchaïka et contre le Ministre russe de la Justice Alexandre Konovalov - vos collègues au gouvernement. D’où la question : est-ce que notre stratégie de réaction aux sanctions reste la même où va-t-elle changer ?
Sergueï Lavrov : J’ai entendu que Marco Rubio et Ben Cardin étaient des congressistes antirusses notoires. Je ne pense pas que cela témoigne en faveur de leur prévoyance. Tous ceux qui ont une vision politique plus ou moins mûre de la situation auraient dû comprendre depuis longtemps que les sanctions ne fonctionnaient pas dans le sens qu’ils souhaitaient. Je pense qu’elles ne fonctionneront jamais. Dieu et nos ancêtres nous ont donné la terre et ses richesses, il y a le sentiment de sa propre dignité et l’armée. Tout cela réuni nous apporte une conviction très solide. J’espère que le développement économique, tous les investissements déjà réalisés et qui se poursuivent seront également amortis à court terme.
Question : Dans votre discours, vous avez parlé en détail des conséquences de la politique et des interventions militaires américaines au Moyen-Orient. La Russie s’oppose continuellement et clairement à de telles interventions. En même temps, les guerres en Irak et en Afghanistan n’ont pas été indolores pour les États-Unis. Elles ont engendré d’importantes pertes en termes de réputation, d’argent et d’effectifs. Vous avez dit que les partenaires occidentaux envisageaient les actions russes à travers le prisme de la géopolitique. Sachant que les États-Unis considèrent ouvertement la Russie comme un adversaire. C’est peut-être une approche cynique, mais peut-être que pour la Russie ce n’est pas si mal que les États-Unis s’enlisent dans les problèmes au Moyen-Orient, gaspillent leur capital politique et militaire, s’impliquent dans des conflits (comme cela pourrait arriver actuellement avec l’Iran) au lieu de dépenser ces ressources pour contenir la Russie ?
Sergueï Lavrov : En ce qui concerne la guerre en Irak et en Afghanistan, nous appelons l’Occident à analyser toutes les erreurs. Le grand Winston Churchill a dit un jour : "L’Amérique agit toujours correctement. Une fois qu’elle a essayé tout le reste." Ce sont ses mots. J’espère qu’il aura raison cette fois encore.
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