– « Premier rapport de l’OIAC sur la guerre chimique en Syrie », Réseau Voltaire, 16 juin 2014.
– « Deuxième rapport de l’OIAC sur la guerre chimique en Syrie », Réseau Voltaire, 10 septembre 2014.
TROISIÈME RAPPORT DE LA MISSION D’ÉTABLISSEMENT DES FAITS MENÉE PAR L’OIAC EN SYRIE
1. INTRODUCTION
1.1 Le présent rapport, qui chronologiquement est le troisième rapport de la Mission d’établissement des faits menée par l’OIAC en Syrie (« la Mission »), étoffe en substance le deuxième rapport publié en septembre 2014 et vient en étayer les principales conclusions.
1.2 Le premier rapport, publié en juin 2014, expliquait entre autres la genèse de la Mission, ses objectifs et buts, ainsi que son mandat. Ce rapport faisait également état des discussions approfondies menées avec le Gouvernement syrien au début du mois de mai 2014 et exposait la position du Gouvernement. Dans le cadre du mandat qui a été convenu avec la République arabe syrienne, s’agissant des lieux qui présentaient un intérêt pour la Mission et qui n’étaient pas sous le contrôle du Gouvernement, la Mission devait prendre ses propres dispositions pour procéder aux activités sur place dans le cadre de ses travaux. Au nombre des activités prévues figurait notamment l’interrogatoire de témoins provenant des zones qui auraient fait l’objet d’attaques avec un produit chimique toxique qui serait du chlore. Par la suite, l’accès à l’une quelconque des zones étant quasiment exclu du fait de l’attaque armée lancée contre le convoi de la Mission le 27 mai 2014, la Mission, en dépit des difficultés connues, ayant été invitée à poursuivre ses activités avec l’approbation unanime des États parties, a continué de mener sa tâche en conduisant les témoins vers un lieu sûr hors de la République arabe syrienne.
1.3 Le présent rapport décrit en détail les examens subis par les témoins et donne un compte rendu des incidents qui se sont produits. Il contient également des exemples du type de données et de documents justificatifs qui ont été rassemblés. Le rapport illustre également les contraintes sérieuses qui pèsent sur le déroulement d’une enquête de cette nature dans une zone de conflit.
1.4 Malgré ces difficultés, les principales conclusions présentées dans le deuxième rapport font suite à l’application de méthodes d’enquête largement utilisées et établies, que ce troisième rapport vise à mettre en évidence.
1.5 Parmi les témoins des trois villages de Talmenes, d’Al Tamanah et de Kafr Zita figurent notamment des blessés , des membres des familles des victimes , des premiers intervenants, des infirmiers et des médecins traitants.
1.6 En déterminant que du chlore avait été utilisé en tant qu’arme, la Mission a pu recouper les informations provenant de sources accessibles au public avec celles qu’elle a acquises de façon indépendante, y compris des enregistrements vidéo ; ces jeux de renseignements et de données correspondent aux descriptions et aux caractéristiques évoquées par les témoins qui ont été interrogés.
1.7 Les signes et symptômes décrits et documentés sont caractéristiques des effets chimiques d’une exposition à des irritants pulmonaires. Les symptômes variaient en gravité et étaient fonction de plusieurs facteurs, tels que la concentration du gaz toxique, la durée de l’exposition, l’âge de la victime et le moment où le traitement médical a été administré.
1.8 Les blessés – très nombreux – se sont rendus vers les centres médicaux/hôpitaux de campagne les plus proches de leur village ou situés dans les environs. Différents moyens de transport ont été utilisés et il a été fait appel à d’autres hôpitaux, vu que les centres médicaux les plus proches n’avaient pas les moyens de traiter le nombre de patients qui se présentaient. Les hôpitaux de campagne situés dans la zone du conflit sont mal équipés, disposent d’effectifs insuffisants et ne sont pas en mesure de fournir les traitements poussés requis pour le nombre de personnes gravement exposées. Ces personnes ont souvent été envoyées vers d’autres hôpitaux, y compris dans des établissements situés hors du territoire. L’absence de protection, la gravité de l’exposition, l’absence de soins adéquats et la durée des opérations d’évacuation sanitaire vers des structures plus importantes ont entraîné de nombreux décès. Sur les 350 à 500 blessés dont les témoins ont fait état, 13 sont décédés soit sur le lieu de l’attaque ou peu après, soit en route lors de leur transfert vers l’hôpital le plus proche ou quelques jours plus tard, même après avoir reçu des soins médicaux plus poussés. Ces victimes présentaient des syndromes respiratoires aigus dus au gaz toxique et, par la suite, des œdèmes pulmonaires.
1.9 Comme il est précisé dans le rapport, les témoins ont également décrit les particularités des munitions et les caractéristiques inhabituelles et frappantes des dégâts causés, y compris les conséquences sur l’environnement et les effets sur le bétail, la végétation, les objets ménagers et les matériaux. Les témoins ont également décrit le gaz, sa dispersion à l’air libre et sa stagnation à l’intérieur des maisons pendant des jours et des jours.
1.10 En ce qui concerne ces trois villages, la Mission estime avoir désormais achevé sa tâche. Cela étant, la Mission pourrait étudier des informations supplémentaires qu’elle obtiendrait auprès d’autres sources. Par ailleurs, comme elle y avait été invitée en mai 2014 et comme le Directeur général l’a annoncé par la suite, la Mission est prête à faire état de toute information de fond que la République arabe syrienne partagera.
2. DIFFICULTÉS ET CONTRAINTES
2.1 La Mission a rencontré plusieurs difficultés dans l’action qu’elle a menée pour recueillir les faits liés aux allégations d’emploi de produits chimiques toxiques dans le conflit en République arabe syrienne. Dans l’idéal, il aurait été souhaitable que la Mission puisse avoir physiquement visité les lieux des incidents allégués. De telles visites auraient permis :
a) d’évaluer l’implantation des lieux, par exemple en étudiant la topographie des villages ;
b) d’évaluer physiquement les dégâts provoqués par les munitions contenant des produits chimiques toxiques, par exemple la taille des cratères d’impact et les dégâts causés aux structures avoisinantes ;
c) d’étudier les débris des munitions explosées ainsi que les munitions qui sont censées être restées intactes, et de prélever des échantillons ;
d) de prélever, sur les lieux d’impact, des échantillons environnementaux à des fins d’analyse ;
e) d’observer physiquement les effets des produits chimiques sur la végétation et de prélever des échantillons le cas échéant ;
f) de visiter les hôpitaux et d’évaluer les installations disponibles ;
g) d’examiner les dossiers médicaux hospitaliers, y compris les registres de patients, les registres de traitement, les radiographies, etc. ;
h) d’interroger le personnel médical ;
i) de recueillir des témoignages auprès de toutes les personnes qui ont été exposées à des produits chimiques toxiques et qui ont suivi un traitement ;
j) d’effectuer des examens cliniques des personnes exposées ;
k) de prélever des échantillons biomédicaux, si nécessaire ;
l- de documenter par vidéo l’ensemble de ces activités et observations.
2.2 Le chlore, par nature, se dissipe rapidement dans l’environnement, ce qui rend sa détection difficile. À température ambiante, le chlore est un gaz jaune verdâtre, plus de deux fois plus lourd que l’air, qui présente une solubilité modérée dans l’eau. L’on détecte son odeur, même à de faibles concentrations ; il s’agit d’un puissant irritant pour les yeux, la peau et les voies respiratoires. Le chlore réagit rapidement au contact de l’eau dans les muqueuses et les voies respiratoires pour former des acides chlorhydriques et hypochloreux, ce qui se traduit par une inflammation aiguë des conjonctives, des muqueuses nasales, du pharynx, du larynx, de la trachée et des bronches. Des expositions intensives peuvent donner lieu à des symptômes d’obstruction aiguë des voies respiratoires, y compris une respiration sifflante, une toux, une sensation d’oppression dans la poitrine et de la dyspnée. Parmi les signes cliniques qui peuvent se manifester figurent notamment l’hypoxémie, une respiration sifflante, des râles et des radiographies anormales de la poitrine. Les personnes les plus gravement touchées peuvent présenter des atteintes pulmonaires aiguës et des syndromes de détresse respiratoire aiguë. Des expositions sévères pourraient entraîner la mort. Au nombre des séquelles chroniques figure une plus grande réactivité des voies respiratoires, qui tend à diminuer au fil du temps. Il n’existe pas de biomarqueurs établis pour le chlore.
2.3 Les activités que la Mission avait planifiées, comme précisé ci-dessus, auraient pu compenser les limites inhérentes à toute enquête relative à l’emploi de chlore en tant qu’arme. L’intention était de prélever de nombreux échantillons environnementaux dans le sol au niveau du lieu d’impact, ainsi que dans les zones situées en amont et en aval dudit point. L’on s’attendait à ce que le chlore se dépose sur le sol et qu’il soit transféré dans la colonne de sol, où il se convertit en plusieurs produits, y compris en ions chlorure. Le chlorure est un composant naturel présent dans le sol ; cependant, la détection de niveaux élevés de chlorure dans les couches supérieures du sol dans des zones situées en aval ou près du point de dissémination pourrait indiquer une dispersion de chlore. Il était donc prévu de prélever des échantillons en divers lieux, tant en amont qu’en aval du point présumé de dispersion. Il aurait été souhaitable que des échantillons soient prélevés de façon à préserver la structure de la colonne de sol et que l’échantillonnage se fasse le long de la colonne de sol. Les concentrations en chlorure présentes dans la colonne de sol peuvent être déterminées en laboratoire par chromatographie ionique ou grâce à une électrode sélective d’ions. L’on s’attendait à ce que les valeurs de chlorure soient les plus élevées au point d’impact, suivies par celles relevées sur les lieux situés en aval et, dans une moindre mesure, dans des lieux situés en amont du point d’impact.
2.4 De la même manière, la Mission avait également prévu d’examiner physiquement les munitions contenant les produits chimiques toxiques et de prélever des échantillons par frottis sur les corps ou les restes de ces munitions, et d’échantillonner d’autres contenus, tels que des matières explosives, le cas échéant.
2.5 Bien qu’il n’y ait pas de biomarqueurs établis dans le cas d’une exposition au chlore, la Mission avait, dans un premier temps, fait des recherches sur la possibilité de détecter et d’étudier les augmentations de 3-chlorotyrosine et de 3,5 dichlorotyrosine chez les personnes exposées, en fonction de la concentration d’exposition. Les chercheurs scientifiques ont étudié cette méthode chez les rats, en procédant à une biopsie des tissus de la paroi nasale. Cela étant, cette méthode d’enquête n’aurait pas pu matériellement être mise en place, vu qu’il aurait été quasiment impossible de prélever des échantillons invasifs dans des conditions naturelles de terrain. Parallèlement, l’exposition à d’autres composés chlorés et les processus inflammatoires dans le corps peuvent également produire de la 3 chlorotyrosine et de la 3,5 dichlorotyrosine, rendant ainsi ce test non spécifique.
2.6 Cependant, la Mission n’a pas pu physiquement accéder au lieu objet d’une attaque présumée, lorsque son convoi a essuyé des tirs en mai 2014. Vu ces circonstances, dans le cadre de l’enquête, l’accent a été mis sur le recueil de dépositions auprès de témoins, de victimes et de ceux qui ont dispensé des soins médicaux, ainsi que sur la collecte et l’examen des preuves documentaires pertinentes. Des dispositions ont été prises pour veiller à ce que parmi les personnes interrogées figurent des médecins traitants, des premiers intervenants, des infirmiers, des personnes exposées ainsi que des témoins des événements. Bien que les entretiens se soient déroulés dans un lieu sûr, les risques liés aux déplacements hors d’une zone de conflit, notamment pour les volontaires désireux de participer à cette tâche, ont imposé des restrictions temporelles et spatiales qui ont dû être surmontées au mieux des circonstances. Pour des raisons compréhensibles, il a été difficile d’avoir une plus grande représentation de femmes provenant des lieux contaminés. La Mission n’a pas accepté les preuves physiques relatives aux échantillons environnementaux apportés par une des personnes interrogées, vu l’absence de garde permanente. Des questions d’éthique associées à l’interrogatoire de quelques jeunes personnes non accompagnées par leurs parents se sont également posées ; elles ont donc été exclues de l’enquête. La déclaration d’un garçon mineur a cependant été enregistrée étant donné qu’il insistait pour être entendu. Dans les hôpitaux, rares étaient les documents sur les blessés en raison du fort taux de renouvellement des patients et du faible nombre de personnel médical qui se concentrait sur les traitements plutôt que sur la documentation. En établissant ses rapports, la Mission a tenu compte du fait que, vu la multiplicité des événements similaires allégués, certaines des personnes interrogées ne se savaient que de quelques détails ou ne savaient pas exactement à quel événement spécifique associer un détail.
2.7 La Mission n’a pas non plus pu s’appuyer sur des examens cliniques, vu que les symptômes médicaux que présentaient les survivants après exposition à la substance toxique avaient disparu grâce aux soins dispensés ou s’étaient spontanément dissipés au cours de la période d’intervention. Étant donné que la République arabe syrienne est un pays qui connaît un conflit armé, la tenue de registres, y compris l’enregistrement des décès, en pâtit également. Dans tous les lieux visés, les hôpitaux ne disposent que de peu de matériel médical ; les médecins traitants n’ont donc pas pu faire de prises de sang, ni de radiographies, etc. De surcroît, les cas graves, qui auraient pu permettre d’obtenir le plus de résultats, ont été aiguillés vers des établissements plus importants et il n’a pas été possible d’interroger le personnel médical travaillant dans ces hôpitaux. Les vidéos des événements ou des situations postérieures aux événements qui ont été fournies par les personnes interrogées ont entre autres été prises à l’aide de caméras de téléphones portables ; nombre de ces vidéos ont été prises de façon précipitée et ne ciblent pas nécessairement les zones présentant un intérêt pour la Mission.
2.8 En dépit de ces restrictions et de ces difficultés, la Mission a pu rassembler suffisamment d’informations et de données critiques à l’appui des conclusions et principales constations qu’elle a consignées dans son deuxième rapport.
3. MÉTHODOLOGIE/ORGANISATION DES TRAVAUX
3.1 Dans le cadre de ses préparatifs, la Mission a notamment recensé les informations crédibles disponibles en libre accès et les a vérifiées par recoupement avec les informations directement obtenues dans le cadre de ses activités, a déterminé les cas qui révèleraient le maximum d’informations et a identifié les personnes qui ont été directement concernées par les incidents, sous une forme ou une autre, notamment les blessés et les médecins traitants. Vu qu’il n’était plus possible d’effectuer des travaux sur place suite à l’incident de mai 2014 touchant à la sécurité, un emplacement approprié a été sélectionné hors de la République arabe syrienne et des dispositions ont été prises pour procéder aux entretiens avec des témoins et y recueillir des données. Pour faciliter la deuxième phase de ses activités, la Mission a utilisé les contacts qu’elle avait noués dans le cadre des activités de la première phase de ses travaux, lorsque l’équipe était restée à Damas pendant près d’un mois. Les dispositions qui avaient été prises pour visiter, sans succès, le site de Kafr Zita avaient été facilitées par ces mêmes sources, qui ont également joué un rôle déterminant pour assurer la libération des membres de l’équipe qui avaient été détenus près de Kafr Zita, suite à l’attaque armée lancée contre le convoi de la Mission.
3.2 Le groupe de reconnaissance, composé du Chef de l’équipe de l’OIAC et du deuxième Spécialiste médical, a quitté le siège de l’OIAC le 17 août 2014 et a atteint le site prévu pour le déroulement des entretiens le 18 août 2014. Il s’était muni du matériel et des fournitures requis. Le groupe de reconnaissance a également déterminé un lieu sûr qui garantirait l’anonymat de tous les participants, tant ceux de l’OIAC que ceux de la République arabe syrienne. Des dispositions ont également été prises pour assurer la sécurité physique des membres de l’équipe et des personnes interrogées. Le groupe de reconnaissance a été rejoint par deux interprètes free-lance, le 19 août 2014.
3.3 Les membres principaux de l’équipe, dirigée par le Chef de la Mission, le Spécialiste des questions politiques et l’interprète de l’OIAC, ont atteint le site prévu le 20 août 2014. L’équipe a ensuite mis en place quatre bureaux communs où devaient avoir lieu les entretiens ; deux salles avaient notamment été réservées pour les entretiens qui se dérouleraient parallèlement. Tous les bureaux ont été scellés à l’aide d’étiquettes de l’OIAC et des dispositions ont été prises pour assurer la garde de ces bureaux en tout temps, tout au long de la durée de la Mission. Ces dispositions en matière de sécurité assuraient non seulement la sûreté et l’anonymat de toutes les personnes, mais étaient également requises pour assurer la bonne garde des données par la Mission.
3.4 Le dernier membre de la Mission, le Spécialiste des munitions/armes chimiques de l’OIAC, a rejoint l’équipe le 23 août 2014, apportant avec lui du matériel et des équipements supplémentaires.
3.5 La première personne interrogée a apporté son témoignage et transmis ses données à la Mission le 22 août 2014. Le premier groupe de personnes interrogées provenant de Talmenes est arrivé sur place le 25 août 2014. La Mission a commencé par interroger deux médecins traitants le même jour, en poursuivant avec les interrogatoires des autres membres du groupe. Au total, 14 personnes du village de Talmenes ont été interrogées jusqu’au 29 août 2014.
3.6 Le deuxième groupe de personnes interrogées, provenant du village d’Al Tamanah, a été mis à la disposition de la Mission le 29 août 2014, et les entretiens se sont déroulés du 29 août au 2 septembre 2014. Au total, 14 personnes de ce village ont été entendues.
3.7 Le troisième et dernier groupe de personnes interrogées, originaires du village de Kafr Zita, a été mis à la disposition de la Mission à compter du 2 septembre 2014 et le recueil de leurs témoignages ainsi que des données et documents s’est achevé le 5 septembre 2014. Les membres de ce groupe se sont exprimés lors de neuf entretiens. Deux membres de ce groupe étaient des mineurs qui étaient venus sans être accompagnés d’un parent ou d’un tuteur, ils n’ont donc pas été interrogés. Quelques personnes de Kafr Zita, qui avaient été préalablement identifiées pour des entretiens, n’ont pas pu se joindre au groupe du fait de conditions peu favorables.
3.8 Lors des entretiens, la Mission a été scindée en deux groupes qui ont procédé à des interrogatoires parallèles dans deux salles distinctes. À la fin de chaque journée, tous les membres de la Mission ont fait un debriefing et mis en commun leurs conclusions. Au terme de cette réunion, tous les documents et données obtenus au cours de la journée ont été enregistrés, scellés et mis en lieu sûr.
3.9 Au début des entretiens, chaque personne interrogée s’est vu expliquer le processus avec interprétation en arabe. Une fois ce processus accepté, les enregistreurs étaient mis en route. Les formulaires de consentement à l’entretien étaient préparés à l’aide des coordonnées des personnes et de leurs documents d’identification, lesquels étaient vérifiés et recoupés avec les informations dont disposait la Mission. Les formulaires de consentement étaient ensuite signés et des copies étaient remises aux personnes interrogées. L’on trouvera aux appendices 1 et 2, respectivement, un exemple de ces documents d’identification et de formulaires de consentement signés. Les personnes interrogées ont toutes reçu l’assurance que leur anonymat serait garanti.
3.10 Lors de la phase suivante du processus d’entretien, le responsable du groupe a présenté les membres de l’équipe à la personne interrogée. Suivaient ensuite la présentation de cette personne et la déposition de sa déclaration. Les questions posées aux personnes interrogées s’appuyaient sur les déclarations qu’elles avaient faites, afin d’obtenir un récit complet des faits dont elles avaient été témoins et qu’elles avaient vécus. Les témoignages et preuves ainsi rassemblés auprès de chaque personne ont été emballés séparément et scellés à l’aide de scellés et d’étiquettes de l’OIAC. L’on trouvera au tableau A du présent rapport (voir pièce jointe) la liste des éléments d’information qui ont été rassemblés dans le cadre des entretiens. Tout l’équipement qui a été utilisé lors de ces entretiens provenait officiellement du Magasin de matériel de l’OIAC ; aucun matériel non autorisé n’a été utilisé à un stade quelconque. Tous les éléments d’information ont été traités conformément au Manuel des procédures de confidentialité de l’OIAC et classés « OIAC HAUTEMENT PROTÉGÉ ». Dès que le rapport aura été publié, toutes les informations et tous les documents générés au cours de cette Mission seront scellés et entreposés au siège de l’OIAC.
4. LISTE DES ÉLÉMENTS D’INFORMATION RÉUNIS
4.1 La Mission a rassemblé tous les éléments d’information dans le cadre du processus de conduite d’entretiens. Tous les éléments d’information sont énumérés, avec mention des quantités, dans le tableau A, qui précise la date d’origine, la date à laquelle ces éléments ont été mis à la disposition de la Mission, l’auteur et le titre. Parmi ces éléments d’information figurent entre autres des formulaires de consentement, des documents d’identification comme des cartes d’identité, des passeports et des certificats de naissance émis par le Gouvernement syrien, des schémas, des dossiers médicaux hospitaliers et rapports d’enquête, des certificats de qualification professionnelle des médecins traitants et des infirmiers, des témoignages sous forme audio et/ou vidéo, des vidéos des incidents, des photographies prises des incidents, des documents détaillant les incidents et des cartes qui ont été annotées. L’on trouvera dans les divers appendices au présent rapport des exemples de ces éléments d’information.
4.2 De la même manière, l’on trouvera dans le tableau B (voir pièce jointe) la liste des éléments d’information établie par les membres de la Mission, avec mention des quantités. Il s’agit notamment des carnets de notes d’inspection de l’OIAC que les membres de l’équipe ont utilisés pendant les entretiens. L’on trouvera à l’appendice 3 un exemple d’une page de ces carnets de notes.
5. DESCRIPTIONS DES INCIDENTS
5.1 La Mission a interrogé des personnes provenant de trois lieux où du chlore aurait été utilisé en tant qu’arme. Il s’agit des villages de Talmenes, d’Al Tamanah et de Kafr Zita. L’emplacement approximatif de ces lieux est indiqué sur une carte qui figure dans l’appendice 4. Les descriptions des incidents figurant ci après se basent sur les déclarations des témoins et sur les entretiens et renvoient, le cas échéant, à d’autres informations et documents pertinents.
Talmenes
5.2 Le village de Talmenes se situe au sein du gouvernorat d’Idlib, en République arabe syrienne. Ce village compte une population d’environ 20 000 habitants, dont des résidents locaux et des personnes déplacées dans leur propre pays (« personnes déplacées »). Le village, qui n’est pas sous le contrôle de la République arabe syrienne, se trouverait au niveau de la ligne de front, située à Wadi al-Deif, village contrôlé par le Gouvernement, et se trouvant à environ 2 kilomètres à l’est de Talmenes. Les témoins ont signalé de fréquentes attaques aériennes, avec des tirs d’artillerie et de mortiers. De nombreuses familles, y compris des personnes déplacées, n’habitent pas dans leurs maisons situées dans la partie est du village, mais se sont installées en lieu et place dans des tentes dressées dans la partie ouest du village.
5.3 Du 25 au 29 août 2014, la Mission a interrogé 14 personnes du village de Talmenes et rassemblé leurs témoignages. Le témoignage d’une mineure a aussi été recueilli en présence d’un de ses parents, qui a donné son autorisation et qui était présent dans la salle d’interrogatoire. Le groupe était composé de médecins traitants, d’infirmiers, de premiers intervenants, de blessés et de témoins, y compris des membres des familles des victimes. Des renseignements détaillés sur les personnes interrogées figurent dans le tableau 1 ci dessous.
5.4 Le village de Talmenes a un hôpital de campagne, qui se situe dans un des bâtiments du village et vise spécifiquement à répondre aux besoins médicaux de ce village, notamment à soigner les traumatismes de guerre. Le personnel de l’hôpital se compose de 7 médecins spécialisés en chirurgie générale, médecine interne et pédiatrie, et de 20 autres personnes, dont des infirmiers, des conducteurs et du personnel de nettoyage. Le personnel de l’hôpital n’a pas suivi de formation officielle à la gestion des blessures provoquées par des incidents chimiques et seuls des traitements symptomatiques sont administrés dans cet hôpital. Certains jours de la semaine, les médecins de cet hôpital travaillent dans des hôpitaux de campagne analogues des villages avoisinants. L’hôpital de Talmenes aurait essuyé des tirs conventionnels directs à une reprise, entraînant la mort de deux patients. Depuis sa création, cet hôpital n’a cessé de se développer. Les ressources disponibles dans l’hôpital sont limitées et, pour l’essentiel, seuls des premiers soins sont dispensés sur place avant que les patients ne soient aiguillés vers des établissements plus importants pour un traitement de suivi. Toutes les personnes qui se présentent dans cet hôpital de campagne pour des affections courantes et des blessures de guerre sont enregistrées, et tous les dossiers médicaux sont conservés.
5.5 L’hôpital de campagne de Talmenes dispose d’environ 12 lits destinés aux malades, de quelques bouteilles d’oxygène, d’un équipement de radiographie très ancien qui ne fonctionne que rarement et d’un bloc opératoire en état de fonctionnement. L’hôpital est toutefois dénué de tout laboratoire ou de toute unité de soins intensifs. Les patients sont évacués vers des hôpitaux de campagne analogues dans les villages avoisinants de Jarjenaz, d’Al Tamanah et de Kafr Zita à chaque fois que le nombre de patients dépasse la capacité de l’hôpital, comme c’était le cas lors de l’attaque chimique toxique du 21 août 2014. Les patients sont transférés vers des structures plus importantes dans des hôpitaux situés à Saraqueb (à quelque 50 kilomètres de là) et à Bab Al Hawa (à environ 100 kilomètres de là). Ces hôpitaux disposent de quelques équipements de soins intensifs et sont relativement mieux équipés que les hôpitaux de campagne. Les personnes qui ont besoin de soins médicaux complémentaires sont aiguillées vers des hôpitaux situés hors de la République arabe syrienne. L’hôpital de campagne de Talmenes ne dispose que d’une seule ambulance pouvant transporter deux patients. L’ambulance n’est équipée que d’une seule bouteille d’oxygène, d’une seule unité d’aspiration et de quelques médicaments de première urgence pour apporter un soutien médical lors du transfert des patients. Lorsque des moyens de transport supplémentaires sont requis pour transférer des patients, ils sont fournis soit par les hôpitaux de campagne des villages avoisinants, soit par des volontaires du village, qui transportent les patients à bord de leur propre véhicule ou fourgonnette.
5.6 Le village de Talmenes a fait l’objet d’attaques à l’aide de produits chimiques toxiques à deux occasions distinctes, la première le 21 avril 2014 et la seconde le 24 avril 2014. Les personnes interrogées ont décrit à la Mission l’attaque perpétrée le 21 avril 2014.
5.7 Toutes les personnes interrogées ont prétendu soit avoir vu un hélicoptère survolant la zone au moment de l’incident, soit en avoir entendu un. Ces personnes ont expliqué qu’elles connaissaient bien deux modèles types d’hélicoptères. Comme elles l’ont expliqué, ces appareils volent à haute altitude, afin de rester hors de portée des armes basées au sol. Les hélicoptères qui auraient été utilisés lors des attaques transportaient les munitions sur des plates-formes externes attachées aux hélicoptères, que les personnes interrogées ont décrites comme étant des « ailes ».
5.8 Des méthodes rudimentaires d’alerte rapide ont été utilisées, notamment le recours à des postes de radio portatifs et des annonces faites depuis des systèmes de diffusion audio (haut parleurs) installés sur le minaret de la mosquée du village. À l’heure qu’il est, il n’y a pas de couverture de téléphonie mobile dans ce village.
5.9 Une fois avertis, les villageois qui s’attendaient à une attaque conventionnelle s’échappaient en règle générale vers une oliveraie, située à l’est du village. Comme cet endroit se situe dans une dépression naturelle, il a été choisi pour éviter toute blessure due à la chute d’objets ou à des projections de débris.
5.10 Comme il en a été fait état, le 21 avril 2014, vers 10 h 30-10 h 45, deux « bombes barils » ont été larguées sur le village à proximité de la « grande » mosquée. Les bombes sont tombées sur deux maisons situées à 100 mètres l’une de l’autre. La première bombe est tombée sur le toit de la cuisine d’une maison, détruisant la cuisine, les toilettes adjacentes et une partie du mur d’une pièce. La seconde est tombée dans la cour ouverte d’une autre maison. Des schémas et une photographie des points d’impact des munitions sont reproduits à titre d’exemple dans les appendices 8 et 9.
5.11 Selon les descriptions, le 21 avril 2014 était une journée typiquement printanière, ensoleillée, avec un ciel sans nuage et une température de 25 à 30 °C. Comme l’a précisé une des personnes interrogées, une légère brise soufflait d’ouest en est, qui est la direction habituelle du vent dans cette région.
5.12 Les villageois étaient habitués au bruit de l’explosion de munitions conventionnelles et l’ont comparé au bruit plus assourdi produit lors de la frappe de munitions remplies de produits chimiques toxiques. Ce dernier a le plus souvent été décrit comme étant un bruit « sourd » par rapport à la détonation et aux « tremblements du sol » qui accompagnent la chute d’armes conventionnelles. Étant donné qu’il s’agissait de la première attaque lancée contre ce village, c’est à tort que les habitants ont cru que la bombe n’avait pas explosé, jusqu’à ce qu’ils voient le nuage jaune. La chute de bombes-barils s’accompagne d’un sifflement qui, comme l’ont expliqué les personnes interrogées, est dû aux ouvertures d’aération ménagées dans l’enveloppe la plus externe. Un témoin a dessiné un croquis d’une telle munition ainsi que d’autres modèles en précisant les mesures (voir l’appendice 13). Les bombes barils, telles qu’elles ont été décrites et dessinées par les personnes interrogées, ne sont pas de conception standard et semblaient être des engins improvisés.
5.13 Les dimensions des bombes qui auraient frappé Talmenes étaient d’environ 2 mètres sur 1 mètre ; l’épaisseur de l’enveloppe externe était d’environ 2,5 centimètres. De l’avis des personnes interrogées, le poids approximatif de la bombe était compris entre 250 et 500 kilogrammes. Une personne interrogée a décrit et dessiné une bombe baril dotée de saillies dépassant du fût externe, ressemblant à des ailettes de stabilisation. L’on peut voir ces ailettes de stabilisation sur une photographie d’une bombe baril à l’appendice 12. Comme en font état les sources en libre accès et comme l’ont confirmé les personnes interrogées, des marquages « CL2 » étaient gravés sur l’enveloppe des cylindres des bombes barils qui ont été larguées sur Talmenes le 21 avril 2014. L’on peut voir ces marquages sur les images du cylindre contenu dans la bombe baril (appendice 14). Ces images sont des captures d’écran d’un enregistrement vidéo fourni par une personne interrogée.
5.14 L’impact de ces bombes barils sur le sol et l’explosion qui en a résulté n’ont pas beaucoup endommagé les bâtiments avoisinants. Ces bombes barils n’ont pas non plus provoqué d’éclats, comme c’est le cas des munitions conventionnelles. La Mission a reçu une vidéo des maisons endommagées par la chute des bombes. La structure des habitations n’a été endommagée qu’aux endroits où les bombes avaient directement frappé ; le reste des structures des habitations ne présentait aucun autre dégât physique. Par ailleurs, aucune des personnes touchées lors de l’attaque qui a été décrite ne présentait de signes de traumatisme physique sur le corps ; elles ne souffraient que des effets d’une exposition à un produit chimique toxique. L’impact a créé un cratère d’environ 1,5 mètre de profondeur et de 2 mètres de large pour la première maison, et de 1,4 mètre de profondeur et de 3 mètres de large pour la deuxième maison. L’on trouvera à l’appendice 21 des photographies de la première maison avec indications de ces mesures.
5.15 Les personnes interrogées ont décrit l’émission d’un gaz de teinte de cire couleur miel à jaune lors de la chute de la bombe. Le nuage de gaz s’est élevé jusqu’à une hauteur d’environ 50 à 75 mètres, soit quelques mètres plus haut que le minaret de la mosquée du village qui culmine à 40 mètres. Le nuage de gaz généré a été décrit comme ayant la forme d’un arbre. Le nuage était très dense et les personnes se trouvant à proximité immédiate de l’impact n’ont pas pu voir à travers la « poussière » jaune qui était en suspension dans l’air. Toutes les personnes interrogées ont décrit l’odeur du gaz qui a été libéré comme étant âcre et irritante, la comparant à du chlore ou à des produits d’entretien ménager similaires, en nettement plus intense. Sous l’effet du vent, ce nuage a commencé à s’incliner et à se déplacer vers l’est, pour stagner à une hauteur de quelque 1 à 1,5 mètre au-dessus du sol, recouvrant ainsi l’une des principales rues du village utilisée par les villageois comme voie d’évacuation vers l’est. Le nuage s’est étalé sur une zone de quelque 200 mètres et les personnes ont été exposées en aval jusqu’à 1 1,5 kilomètre. L’on trouvera à l’appendice 23 une capture d’écran d’une vidéo d’un tel nuage, qui a été remise à la Mission par une personne interrogée.
5.16 Les personnes se sont enfuies vers l’oliveraie, à l’est du village, lieu où elles cherchaient systématiquement à se réfugier lorsque le village était attaqué. Elles n’avaient pas les connaissances requises pour se protéger contre les attaques chimiques, elles ont donc essayé de fuir sous le vent – la direction du danger. L’oliveraie où s’étaient rassemblées les personnes se situe dans une zone de dépression naturelle du terrain, dans laquelle le produit chimique toxique s’est logé. De ce fait, quelque 200 personnes ont été touchées.
5.17 La famille habitant la première maison a perdu un garçon de 7 ans, qui est décédé quelques heures après avoir été exposé, ainsi qu’une adolescente, qui est morte trois jours après avoir été touchée. Les autres membres de la famille ont également été gravement exposés et la plupart d’entre eux ont dû être transférés pour bénéficier d’un suivi médical hors de la République arabe syrienne. Ces personnes ont dû suivre un traitement lourd et prolongé en milieu hospitalier, jusqu’à trois semaines dans un des cas. Même si le garçon de 7 ans se trouvait à quelque 15 mètres du point d’impact de la bombe baril, aucun signe de traumatisme physique n’était visible sur son corps, lequel présentait une cyanose et, comme l’ont expliqué les personnes interrogées, « avait viré au bleu ». La Mission a reçu une photographie de l’enfant mort ; le corps ne présentait aucun signe de traumatisme physique. De la même manière, les autres membres de la famille n’ont souffert d’aucun traumatisme physique. Dans la deuxième maison, les membres de la famille qui s’y trouvaient au moment de l’attaque et qui ont respiré le produit chimique toxique ont souffert de troubles aigus et ont requis des soins médicaux. La grand mère de cette famille est décédée des suites de cette exposition le 25 avril 2014, dans un hôpital situé hors de la République arabe syrienne. Les photographies et/ou les rapports d’autopsie du garçon de 7 ans, de l’adolescente de la première maison et de la femme âgée de la deuxième maison ont été remis à la Mission. La Mission a également reçu les documents relatifs aux autopsies.
5.18 Dans les deux maisons, les animaux domestiques sont morts, y compris les vaches, les chèvres et les ovins, les jeunes mourant immédiatement, les adultes quelques heures plus tard. De même, les pigeons et les poules ont péri dans l’incident. L’on trouvera à l’appendice 25 des captures d’écran des vidéos filmées par les personnes interrogées. La végétation autour de ces maisons, y compris les oliviers, les grenadiers, les figuiers et les pommiers, de même que la vigne et les poivriers ont aussi subi des dommages. Les feuilles de ces plantes ont séché, jauni et se sont racornies peu après avoir été exposées au produit chimique. Les fruits des arbres sont tombés au sol. L’on trouvera à l’appendice 24 des captures d’écran de vidéos des fruits tombés et des feuilles fanées qui ont été fournies par une personne interrogée. D’après le témoignage d’une personne qui expliquait les effets sur les feuilles des plantes, « on avait l’impression que les plantes n’avaient jamais été arrosées ». Les nouvelles feuilles qui ont commencé à germer plus tard étaient normales. Les aliments pour le bétail entreposés dans les maisons ont commencé à sentir le chlore et ont dû être jetés. De la même manière, des objets ménagers, comme des matelas, ont également absorbé le produit chimique, ont commencé à dégager une odeur de chlore et ont été abandonnés car ils étaient devenus inutilisables. Les poignées de porte métalliques ont commencé à présenter une teinte verdâtre et marron quelque temps après l’attaque, après avoir été exposées aux vapeurs chimiques. Une femme interrogée a également précisé qu’un fût métallique avait commencé à rouiller de façon inhabituelle et très rapide au bout de quelques jours (voir la photo à l’appendice 26). Les vêtements de couleur sombre qui ont été exposés ont également décoloré et sont devenus plus clairs sur les surfaces qui avaient été exposées aux vapeurs chimiques.
5.19 Les personnes qui se trouvaient à proximité de l’attaque ou ont été prises dans le nuage de gaz ont cherché à se protéger du mieux qu’elles le pouvaient, la plupart se couvrant la bouche et le nez avec des serviettes mouillées ou d’autres moyens similaires. Les membres d’une famille se sont protégés en se tenant sous une douche dont l’eau n’a cessé de couler jusqu’à l’arrivée des secours. Aucune des personnes exposées ne possédait ou n’a utilisé de masque à gaz de protection adapté.
5.20 Les personnes exposées et souffrant des effets nocifs des produits chimiques toxiques ont été prises en charge par des voisins et d’autres volontaires du village, qui ont utilisé leur voiture personnelle et, dans certains cas, des motos. Un petit nombre de gens, à la périphérie de l’incident et ayant subi une exposition minimale, se sont échappés à pied. Les personnes exposées ont tout d’abord été emmenées à l’hôpital de campagne de Talmenes. En raison du nombre très élevé de patients, qui dépassait les ressources disponibles dans l’hôpital local, les patients présentant des symptômes bénins ont été transférés vers d’autres hôpitaux de campagne similaires, situés dans les villages voisins de Jarjenaz, d’Al Tamanah et de Kafr Zita. Ceux qui avaient été exposés à de plus fortes concentrations du produit chimique présentaient des signes cliniques graves et requéraient des soins intensifs – comme une intubation et une ventilation mécanique – et ont été transférés vers les hôpitaux de Saraqueb, de Bab Al-Hawa et en-dehors du territoire syrien.
5.21 Le 21 avril 2014, l’hôpital de campagne de Talmenes a accueilli environ 200 patients. Cependant, le personnel de l’hôpital n’a pu enregistrer les noms que de 133 personnes, car les autres patients avaient été envoyés directement vers d’autres hôpitaux voisins, sans qu’ils aient reçu de traitement médical sur place en raison du manque de ressources. La copie du registre des patients de l’hôpital de Talmenes, faisant apparaître les noms, l’âge, le sexe et d’autres détails sur les patients, a été fournie par les médecins traitants et confiée à la Mission. Afin de préserver la confidentialité des identités, cette liste ne figurera pas dans le présent rapport. La répartition par âge des 133 patients traités dans l’hôpital de campagne de Talmenes est reproduite dans le tableau 2 ci-dessous.
5.22 En fonction de l’ampleur de leur exposition au produit chimique toxique, les personnes qui ont été touchées et envoyées à l’hôpital de campagne de Talmenes présentaient les symptômes suivants : sensation de brûlure dans les yeux, rougeurs oculaires, démangeaisons des yeux, larmoiement excessif, vision floue, sensation de brûlure sur le visage et la peau exposée, brûlures dans la gorge, toux, difficultés à respirer, essoufflement, sensation d’étouffer, écoulement nasal excessif, salivation, nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhée, maux de tête, faiblesse généralisée, somnolence, désorientation, sentiment de panique et perte de connaissance. Les symptômes ressentis étaient plus intenses chez les personnes qui avaient été exposées à de plus fortes concentrations du produit chimique toxique ainsi que chez celles qui avaient tardé à demander une aide médicale. Parmi les symptômes le plus souvent signalés, l’on peut citer la toux, des difficultés à respirer, la sensation d’étouffer, la sensation de brûlure, un larmoiement excessif et un écoulement nasal excessif.
5.23 Dans quelques cas peu nombreux, la décontamination des patients s’est effectuée en lavant les zones exposées de la peau – en particulier le visage – à l’eau et au savon. En raison du manque de ressources à l’hôpital, cette décontamination n’a pas fait l’objet d’une organisation centralisée à l’hôpital, destinée à tous ceux qui demandaient des soins médicaux. Cependant, l’hôpital de campagne de Talmenes a mis en place deux tentes séparées, afin de respecter l’intimité des hommes et des femmes qui devaient se laver à l’eau et au savon.
5.24 Le personnel médical prodiguant les soins s’est plaint de la forte odeur de chlore qui se dégageait des vêtements des blessés. Des masques chirurgicaux et des gants en latex, n’offrant guère de protection contre les vapeurs, représentaient les seuls moyens de protection dont disposait le personnel de l’hôpital. Le personnel médical a donc souffert de contamination croisée, notamment de toux, d’une sensation de brûlure dans les yeux et dans la gorge, et d’un larmoiement excessif. Ces symptômes ont disparu au contact de l’air frais et aucune intervention médicale n’a été requise.
5.25 À l’examen clinique, la gamme des signes observés et signalés par les médecins traitants de l’hôpital de campagne de Talmenes et des structures plus importantes comprenait les éléments suivants : rougeurs oculaires, larmoiement excessif, rhinorrhée, toux, transpiration, tachypnée, dyspnée, orthopnée, cyanose, augmentation des sécrétions trachéales, sous forme de mousse rose dans les cas graves, hypoxémie avec une oxymétrie de pouls affichant une valeur SpO2 aussi basse que 60 %, rhonchi et crépitants bilatéraux généralisés, agitation et états de conscience altérés. La sévérité des symptômes variait en fonction des personnes et de l’ampleur et de la durée de l’exposition. Les personnes faiblement exposées ne se plaignaient que de larmoiements et de toux, mais celles qui avaient été exposées plus longtemps et à des concentrations supérieures – comme les personnes se trouvant à proximité immédiate du lieu d’émission du produit chimique toxique – présentaient une détresse respiratoire au moment où elles se sont présentées. L’on trouvera aux appendices 29, 30 et 31 des exemples de preuves documentaires faisant état d’hypoxémie et d’œdèmes pulmonaires.
5.26 Les personnes présentant des symptômes bénins ont été prises en charge dans les hôpitaux de campagne de Talmenes, de Jarjenaz, d’Al Tamanah et de Kafr Zita. Elles ont toutes bien réagi à l’administration d’oxygène. Celles qui présentaient des symptômes modérés ont bénéficié d’une nébulisation au salbutamol (un bronchodilatateur) et d’une administration par voie intraveineuse d’hydrocortisone ou de dexaméthasone (stéroïdes). Un traitement d’appoint, sous la forme d’un apport de fluides par voie intraveineuse et d’une aspiration des voies respiratoires pour en éliminer les abondantes sécrétions, a également été donné. La plupart de ces personnes ont pu quitter l’hôpital dans les deux à trois heures. L’appendice 28 présente l’exemple d’un traitement administré à un patient.
5.27 Les personnes présentant de graves symptômes ont dû être intubées et subir une ventilation mécanique. Étant donné que les hôpitaux de campagne ne disposaient pas de l’équipement requis, toutes les personnes devant recevoir des soins intensifs ont été transférées dans les établissements de Saraqueb et de Bab Al-Hawa. Puisque ces hôpitaux disposaient eux aussi de ressources limitées, les cas les plus graves ont dû être transférés hors de la République arabe syrienne pour y être traités. Les personnes les plus touchées venaient des familles dont les maisons avaient été bombardées. Chaque membre de ces familles, qui se trouvait dans la maison à ce moment-là, présentait de graves symptômes. Cinq membres de la famille de la première maison et deux membres de la famille de la deuxième maison ont dû être transférés pour être traités dans des établissements plus importants. Sur ces sept personnes gravement exposées, trois sont décédées, dont une femme de 65 ans, une adolescente et un garçon de 7 ans qui était cyanosé au moment de son admission à l’hôpital et qui est mort dans l’heure qui a suivi son exposition. Les autopsies de deux de ces trois personnes ont été réalisées hors de la République arabe syrienne, où elles sont décédées.
Al Tamanah
5.28 Le village d’Al Tamanah se situe au sein du gouvernorat d’Idlib, en République arabe syrienne. Il se trouve actuellement sous le contrôle des groupes de l’opposition. L’on estime que la population du village représente environ 20 000 personnes. Un grand nombre de résidents du village se sont installés dans d’autres zones, en République arabe syrienne ou en dehors de son territoire. De même, de 5 000 à 10 000 personnes déplacées sont venues dans ce village, en provenance d’autres parties du pays.
5.29 Entre le 28 août et le 2 septembre 2014, la Mission a interrogé 14 personnes de ce village. Il s’agissait des personnes qui avaient directement été exposées au produit chimique, qui avaient aidé à évacuer des blessés ou qui avaient dispensé des premiers secours ou des soins médicaux aux personnes exposées. Les personnes interrogées ont dessiné des croquis, annoté des cartes et fourni des photographies et des vidéos à l’appui de leur témoignage. Dans ce groupe ne figurait aucun mineur. Parmi les personnes interrogées, sept personnes ont été exposées au produit chimique toxique directement sur les sites d’impact et ont subi ses effets nocifs, dont cinq premiers intervenants qui évacuaient les blessés des sites d’impact. Trois personnes ont subi une contamination secondaire, dont deux conducteurs d’ambulances et un témoin des environs qui évacuait des blessés dans sa voiture personnelle. Elles ont été contaminées par les vapeurs qui se dégageaient des vêtements des premiers blessés. Des précisions sur ces personnes interrogées figurent dans le tableau 3.
5.30 Les incidents qu’ont pu évoquer les personnes interrogées sont intervenus en avril et en mai 2014. Tous les lieux d’impact décrits par ce groupe de personnes se situent dans le village d’Al Tamanah. Certaines personnes interrogées ont marqué les points d’impact sur les cartes fournies par la Mission. Ces informations concordaient avec celles dont disposait déjà la Mission. Les détails relatifs aux cinq incidents évoqués par les personnes interrogées figurent au tableau 4 ci-dessous.
5.31 La description de l’ensemble des incidents est similaire à celle donnée par les résidents de Talmenes. Comme les narrations émanant des habitants de Talmanes, ce qui suit représente les récits faits par les résidents d’Al Tamanah. Ici, toutes les attaques, sauf une, ont été perpétrées de nuit. Même si les gens ont dit qu’ils n’avaient pas pu voir les hélicoptères, ils en ont entendu le bruit. Quelques minutes plus tard, ces bruits ont été suivis d’avertissements diffusés sur des radios portatives concernant les points d’impact et l’émission de produits chimiques. Certaines personnes vivant à proximité des points d’impact et qui ont été exposées ont senti l’odeur typique du chlore immédiatement après l’impact des munitions et ont tenté de s’échapper. Selon les personnes interrogées, le public, depuis le début des hostilités en République arabe syrienne, avait été formé par des comités locaux d’intervention d’urgence, par l’intermédiaire de brochures et de systèmes de diffusion audio, aux précautions qu’il convenait de prendre en cas d’attaques conventionnelles. Sur des radios portatives, des avertissements invitant à prendre des précautions étaient envoyés à tous les résidents lorsque des hélicoptères s’approchaient de leur village ou ville. La première réaction des résidents consistait à chercher un abri dans les caves, afin de se protéger des éclats d’obus et des débris qui volent. En cas d’attaque mettant en jeu des produits chimiques toxiques, il était conseillé aux gens de s’échapper vers un lieu situé en amont du point d’impact et en hauteur.
5.32 Selon les témoins, les bombes contenant des produits chimiques toxiques, lorsqu’elles sont larguées, produisent un sifflement distinct lorsqu’elles tombent. Lorsque se produit l’impact, ces bombes explosent mais cette explosion est de faible intensité par rapport aux bombes-barils conventionnelles qui engendrent une forte détonation et des dégâts matériels considérables. Il a été signalé à la Mission que les munitions conventionnelles détruisent en général plusieurs maisons dans la zone qu’elles touchent, en comparaison des munitions chimiques toxiques qui ne créent qu’un cratère relativement petit en leur point d’impact. Le cratère formé n’est pas très grand et mesure généralement 2 mètres de diamètre ; les structures alentour ne subissent pas de dégâts considérables. Un nombre important de ces munitions n’avaient pas explosé. Ces bombes-barils sont des dispositifs improvisés et présentent des variantes qui ont été constatées sur celles qui n’avaient pas explosé. Pour l’essentiel, ces bombes sont constituées d’un baril externe formant enveloppe et d’ailettes, qui semblent de facture locale, et contiennent un cylindre de chlore de fabrication industrielle. Au moment de l’impact, le baril externe se déchire au lieu de se briser en éclats et le collet du cylindre de chlore, à l’endroit où est fixée la valve, est endommagé. Ainsi, un modèle de bombe-baril comporte un cylindre de chlore, un peu de poudre jaune et un fusible de détonation bleu ainsi que de la poudre de couleur jaune agencée de manière compacte autour du cylindre de chlore. L’on trouvera aux appendices 12 à 20 des photos et des croquis fournis par les personnes interrogées qui ont vu ces munitions, tant non explosées qu’explosées.
5.33 L’une des personnes interrogées faisait partie de l’équipe des pompiers et a informé la Mission que, dans les incidents mettant en jeu des produits chimiques toxiques, aucun incendie n’avait été déclenché, comme c’est le cas après une attaque conventionnelle.
5.34 Les personnes interrogées ont décrit le nuage qu’elles avaient vu lors d’une attaque intervenue de jour le 22 mai 2014. Le nuage de gaz était d’une couleur blanche à jaune, présentait la forme d’un arbre, atteignait une hauteur d’environ 40 mètres et se déplaçait lentement dans la direction du vent, pour se stabiliser au-dessus du sol. Lors de l’attaque de nuit, le nuage n’a pu être vu par aucune des personnes interrogées, mais l’atmosphère est décrite comme étant « poussiéreuse et étouffante ». La Mission a également été informée d’un incident au cours duquel l’hôpital a dû être évacué lorsque le nuage de gaz se déplaçait dans sa direction, poussé par le courant d’air.
5.35 L’odeur dégagée a été décrite à la Mission comme étant irritante pour les yeux et le nez, typique du chlore ou similaire à celle de la javel, un puissant produit d’entretien ménager. Cette odeur provoquait immédiatement la toux et une impression d’étouffer chez tous ceux qui ont été exposés. Cette odeur a été absorbée par les vêtements que portaient les gens ; le personnel de l’hôpital l’a également évoquée, en disant qu’elle se dégageait des personnes venues demander une assistance médicale. Le personnel de l’hôpital qui a traité ces blessés a aussi subi une contamination croisée et a souffert de symptômes d’exposition. Selon un premier intervenant, l’intensité de cette odeur était tellement forte qu’il « avait l’impression que sa tête allait exploser à cause de l’odeur ».
5.36 La Mission a appris qu’une fois que les incidents chimiques ont été signalés, les ambulances relevant de l’hôpital local de ce village, qui s’appelle le « centre médical Hanin », ont été envoyées porter secours aux personnes exposées. En même temps, des volontaires du voisinage ont utilisé leur véhicule personnel pour évacuer les blessés vers l’hôpital. Alors que l’évacuation vers l’hôpital du village a été rapide et efficace, du fait que les voisins et bénévoles ont contribué à l’effort général, l’évacuation vers les villages voisins et des établissements plus importants a pris beaucoup de temps. Cela s’explique par le mauvais état des routes, sur lesquelles la longueur des trajets se mesure en temps plutôt qu’en distance. Ainsi, pour un trajet de 30 kilomètres, une ambulance transportant un patient a mis plus d’une heure à atteindre sa destination, et les pannes en route sont fréquentes.
5.37 Le centre médical Hanin est tenu par Hanin – un organisme caritatif médical – et prend principalement en charge les traumatismes de guerre et les pathologies courantes. Dans cette clinique travaillent 14 employés, dont un anesthésiste et un cardiologue. L’hôpital possède un matériel limité ainsi que d’autres ressources médicales et n’est destiné qu’à dispenser les soins de base. Il dispose d’une salle d’opération, équipée d’un matériel d’anesthésie et d’instruments chirurgicaux de base. En outre, l’hôpital possède 6 chambres, de 8 à 10 lits, quelques bouteilles d’oxygène, des unités de soins intensifs néonatals (couveuses) pour les bébés prématurés, ainsi que d’autres dispositifs de surveillance médicale. Il n’existe qu’une ambulance équipée d’une bouteille d’oxygène, dont s’occupent un infirmier et un conducteur, et qui peut transporter deux patients en même temps. Lorsque plusieurs personnes arrivent simultanément à la clinique pour demander une assistance médicale, comme c’est le cas lors d’attaques chimiques, le personnel de l’hôpital est dépassé et ses ressources sont mises à rude épreuve. En raison du nombre insuffisant de lits, il est demandé aux patients de s’allonger sur le sol, où ils sont soignés. Même si l’hôpital tient un registre de tous les patients qui demandent à être traités, le personnel, lorsqu’il y a des urgences et de nombreuses victimes, s’attache à dispenser les soins médicaux et à évacuer les personnes. Les patients qui nécessitent une prise en charge médicale plus poussée (intubation et ventilation artificielle) sont aiguillés vers Saraqueb et Bab Al-Hawa et même hors de la République arabe syrienne pour y être traités.
5.38 Sur la base des témoignages recueillis, la Mission a constaté que les personnes exposées au produit chimique toxique présentaient surtout des symptômes de toux, d’essoufflement et de larmoiement. Les patients ont également fait état des manifestations suivantes : sensation de brûlure dans les yeux, rougeurs oculaires, écoulement nasal excessif, écume à la bouche, sensation de brûlure sur le visage, sensation d’oppression dans la poitrine, fatigue, sentiment de panique, maux de tête, vomissements, diarrhée et, en cas d’exposition grave, perte de connaissance. La gravité des symptômes, chez ceux qui se trouvaient près du lieu de l’impact, a augmenté au moment où les secours ont été apportés. La conclusion de la Mission, dans son précédent rapport, concernant la possibilité d’un emploi de chlore soit pur soit mélangé, se fonde partiellement sur cette symptomatologie d’affections gastro intestinales associées à des symptômes respiratoires.
5.39 Au centre médical Hanin, il n’existe pas de procédure établie ou de zone désignée équipée de douches ou de possibilités de lavage pour décontaminer les personnes ayant été exposées. Pendant tous les incidents, les seules mesures de décontamination appliquées consistaient en un lavage à l’eau et au savon du visage et des autres parties du corps exposées. Dans certains cas, des boissons gazeuses (7 Up ou Coca-Cola) ont été utilisées pour la décontamination, sans que les personnes interrogées ne puissent justifier ce choix. Elles ont eu recours à cette méthode en se fondant sur des ouï-dire quant à son efficacité. Cependant, comme on le voit sur les enregistrements vidéo, les enfants en bas âge ont été décontaminés de façon plus approfondie car leurs vêtements ont été retirés et ils ont été baignés et savonnés. D’autres personnes interrogées ont également signalé la singulière méthode de décontamination aux boissons gazeuses.
5.40 Les médecins traitants ont informé la Mission que nombre de ceux qui avaient requis une assistance médicale ne montraient pas d’autres signes cliniques indésirables que l’anxiété. Ceux qui se trouvaient à proximité immédiate et avaient inhalé de plus grandes quantités de produit chimique souffraient de toux aggravée, d’une augmentation des sécrétions trachéales, d’une respiration crépitante bilatérale et de cyanose. Les corps des blessés qui s’étaient rendus à l’hôpital en quête d’assistance médicale après exposition ne présentaient aucun signe de traumatisme physique.
5.41 La plupart des personnes qui ont demandé une assistance médicale l’ont fait parce qu’elles avaient été prises de panique et ont bien réagi aux premiers soins prodigués, au cours desquels les blessés ont été exposés à l’air frais, décontaminés et rassurés. Le traitement administré aux personnes qui montraient des signes cliniques a inclus les mesures suivantes : inhalation d’oxygène, nébulisation au salbutamol (un bronchodilatateur), administration par voie intraveineuse d’hydrocortisone et de dexaméthasone (stéroïdes) ainsi que de fluides. Le traitement administré a été efficace et l’état médical des patients s’est rapidement amélioré. Cependant, les personnes les plus gravement exposées n’ont pas bien réagi au traitement. Ces personnes devaient être intubées et subir une ventilation mécanique et ont donc dû être aiguillées vers des structures plus importantes. Certains cas graves n’ont pas survécu à l’exposition. En se fondant sur les informations données par les personnes interrogées, la Mission a pu documenter huit décès causés par deux incidents distincts dans ce village.
5.42 Les médecins traitants qui ont diagnostiqué les patients se sont basés sur l’anamnèse, les symptômes présentés, un examen clinique et leur réaction au traitement. Aucune analyse biomédicale ou radiographie thoracique n’a pu être réalisée au centre médical Hanin, en l’absence de matériel idoine. Les radiographies thoraciques réalisées dans les hôpitaux vers lesquels les patients avaient été aiguillés montraient des œdèmes pulmonaires, selon le témoignage des médecins traitants.
5.43 Les médecins traitants qui ont été entendus ne s’étaient pas munis des registres de patients ou d’autres documents liés à leur traitement. Cependant, plusieurs vidéos d’incidents, enregistrées à différentes dates par les personnes interrogées, ont été fournies à la Mission. Ces vidéos montrent des personnes subissant les effets d’une inhalation de gaz toxiques être décontaminées, traitées et transférées vers d’autres hôpitaux. Les médecins traitants interrogés sont visibles sur ces vidéos.
5.44 Il a été signalé à la Mission que le personnel médical n’avait accès qu’à des masques et gants chirurgicaux pour se protéger et qu’il a également été contaminé par le chlore qui se dégageait des vêtements des blessés. Les symptômes présentés par le personnel médical n’étaient pas graves et se sont dissipés à l’air frais. Cependant, les conducteurs d’ambulances et infirmiers qui avaient participé aux secours et à l’évacuation des blessés vers l’hôpital ont été plus gravement exposés, certains d’entre eux ayant eu besoin d’un traitement à l’oxygène pour soulager leurs symptômes.
5.45 Les membres de deux familles, comptant chacune quatre personnes, sont décédées peu après des attaques distinctes mettant en jeu le produit chimique toxique.
5.46 Lors de l’attaque dans la nuit du 18 avril 2014, le père, la mère et deux adolescents (un garçon et une fille) sont morts. Les parents sont décédés presque immédiatement après l’attaque. Les deux enfants, qui se trouvaient dans un état critique, ont été envoyés dans des hôpitaux situés hors de la République arabe syrienne pour y être mieux soignés et sont morts dans l’hôpital vers lequel ils avaient été aiguillés.
5.47 Dans un autre cas, une mère âgée de 30 ans, sa sœur de 16 ans et deux enfants (une fille de 5 ans et un garçon de 4 ans) appartenant à la même famille sont morts lors d’une attaque. L’autopsie de l’enfant de 4 ans de sexe masculin a été pratiquée le 23 mai 2014, hors de la République arabe syrienne. La mère est morte dans l’ambulance qui la transférait, sa sœur est décédée à l’hôpital de Talmenes et la fille est morte dans celui de Saraqueb.
5.48 Ces deux familles étaient composées de personnes déplacées qui s’étaient réfugiées à Al Tamanah.
5.49 S’agissant des effets sur les animaux, les oiseaux et les plantes, les personnes interrogées ont informé la Mission que les feuilles des arbres et des plantes, à proximité immédiate des lieux où des produits chimiques toxiques avaient été libérés, avaient jauni et s’étaient desséchées. Les animaux d’élevage, les pigeons et les poules des différentes familles ont également été exposés au nuage de gaz et sont morts immédiatement ou peu après leur exposition.
5.50 Une personne de sexe féminin – une femme au foyer – a signalé à la Mission que les vêtements qui avaient été portés s’étaient décolorés et que le tissu ne donnait pas la même sensation au toucher, après lavage. Selon une autre personne de sexe féminin, également une femme au foyer, des taches blanches étaient apparues sur les vêtements de couleur sombre que les membres de sa famille et elle même portaient au moment de l’exposition.
5.51 Les témoins ont remis à la Mission de nombreux clips vidéo qu’ils avaient filmés. Ils ont également dessiné des croquis des munitions et ont localisé les points d’impact sur la carte du village. Un croquis montrant les points d’impact figure à l’appendice 10.
5.52 Le personnel de la Mission a questionné les personnes qui avaient été exposées sur leur état de santé actuel. Aucune des personnes interrogées n’a fait état de symptômes ayant subsisté après l’exposition et toutes étaient en bonne santé physique au moment des entretiens.
5.53 L’un des témoins a fourni à la Mission trois différentes matières prélevées sur l’une des munitions et à proximité de celle-ci. L’un des échantillons était constitué d’une poudre jaunâtre marron (peut-être du nitrate d’ammonium) plongée dans un solvant organique (peut-être du benzène) dégageant une forte odeur ; le deuxième échantillon était constitué de raclures métalliques prélevées sur le corps de la munition ; et le troisième comprenait des brindilles et feuilles provenant d’un arbre tout proche. Pour des questions de garde permanente, il n’a pas été possible d’accepter ces échantillons.
Kafr Zita
5.54 Kafr Zita est une ville au nord de la République arabe syrienne, qui fait administrativement partie du gouvernorat de Hama. Située à 30 kilomètres au nord de Hama, elle comptait, à l’origine, quelque 18 000 résidents, mais ce nombre a diminué suite au conflit. Cette ville n’est pas contrôlée par le Gouvernement syrien. La plupart des maisons du village sont à un seul niveau et les éléments d’infrastructure, tels que les routes, l’alimentation en électricité, l’alimentation en eau, sont en mauvais état. Kafr Zita a souvent fait l’objet de rapports relatifs à des attaques mettant en jeu du chlore. Des témoins ont signalé à la Mission que le village avait subi des centaines d’attaques conventionnelles depuis le début du conflit actuel en République arabe syrienne, ainsi que de fréquentes attaques mettant en jeu des produits chimiques toxiques.
5.55 Le personnel de la Mission a interrogé neuf personnes et recueilli leurs témoignages ; il y avait deux médecins traitants, deux infirmiers/premiers intervenants et cinq témoins/blessés. Toutes les personnes interrogées ont également été témoins des incidents. Les témoignages de ce groupe ont été recueillis du 2 au 5 septembre 2014. Toutes les personnes interrogées ont été soit directement exposées au produit chimique, soit ont aidé à évacuer les blessés, ou bien ont reçu des premiers soins ou encore assuré des soins médicaux de suivi. Parmi les personnes interrogées, toutes sauf trois ont accepté d’être interrogées et enregistrées sur des supports audio et vidéo. Les trois qui ont refusé l’enregistrement vidéo ont consenti à un enregistrement audio. Ce groupe comptait deux mineurs (un garçon et une fille – un frère et sa sœur cadette) qui n’étaient pas accompagnés d’un parent ou d’un tuteur. Voyant que le garçon insistait, le personnel de la Mission a accepté d’enregistrer sa déclaration au format audio. L’équipe n’a pas procédé à un contre-interrogatoire de cette personne. Puisque ce garçon était mineur, il n’y a pas eu signature du formulaire de consentement et la discussion a été enregistrée dans ce contexte. Ce garçon fait partie des trois personnes n’ayant consenti qu’à un enregistrement audio de l’entretien. Même si la déclaration du garçon correspondait aux propos des autres personnes interrogées, sa déclaration n’est pas incluse dans les évaluations effectuées par la Mission. La répartition des personnes interrogées selon leur âge et sexe figure au tableau 5.
5.56 La ville de Kafr Zita disposait jusqu’à récemment de deux hôpitaux appelés les hôpitaux Est et Ouest, conformément à leur situation géographique dans la ville. On les connaît également sous l’appellation d’hôpitaux nos 5 et 6, respectivement. Le 22 mai 2014, l’hôpital Ouest (l’hôpital no 6) a subi une attaque perpétrée avec des produits chimiques toxiques, au cours de laquelle le personnel médical a également souffert de symptômes engendrés par l’exposition. Selon des témoins, l’hôpital Est (l’hôpital no 5) a subi une attaque conventionnelle le 22 juin 2014 et a été intégralement détruit. Kafr Zita ne compte actuellement qu’un hôpital fonctionnel, l’hôpital Ouest, même si les étages supérieurs de ce bâtiment de trois niveaux sont inutilisables.
5.57 L’hôpital Ouest a été établi il y a 10 ans environ mais a récemment été converti en hôpital général lorsque le conflit a éclaté. Les soins médicaux sont dispensés à tous les habitants de la région et l’établissement prend également en charge les patients de Zour Al-Hisa, près de la région d’Al-Rayd située entre Taybat Al-Imam et Latamneh, de Halfaya et de Morek. Au rez-de-chaussée de l’hôpital se trouvent trois salles d’opération : l’une pour la chirurgie générale, une deuxième pour la chirurgie orthopédique et la troisième pour la gynécologie. À cet étage on compte également une unité de soins intensifs pourvue de trois lits, une salle avec deux lits, une salle de radiographie et une salle réservée aux urgences. Il y a une salle d’attente au centre de l’hôpital. Les premier et deuxième étages ne présentent ni fenêtres ni portes, suite aux dégâts causés par l’explosion d’une munition conventionnelle à environ 15 mètres de l’hôpital. Au premier et au deuxième étages se trouvent respectivement six lits, mais les patients ne sont généralement pas admis à ces étages. Afin de prévenir tout autre dommage matériel dans l’hôpital, un mur de renfort a été érigé autour du rez de chaussée et deux murs en rochers ont été dressés devant l’établissement.
5.58 L’hôpital dispose de ressources très limitées en matériel, médicaments et autres fournitures médicales. Ainsi, l’hôpital ne dispose au total que de 30 bouteilles d’oxygène. Ce nombre a récemment augmenté après le 11 avril 2014, date à laquelle, à l’issue d’un appel, des donateurs ont fourni des bouteilles d’oxygène, des nébuliseurs, des antidotes, de la cortisone et des masques de protection. Le personnel médical compte 1 cardiologue, 2 chirurgiens généralistes, 2 chirurgiens orthopédistes, 2 médecins d’établissement, 2 internes, 2 techniciens en radiographie, 2 techniciens en anesthésie, environ 10 infirmiers, 3 employés chargés du ménage et 1 cuisinier. Le parc de véhicules comprend six ambulances et quatre camionnettes qui sont utilisées pour l’évacuation médicale. Un conducteur et un assistant sont associés à chaque ambulance. Lorsqu’il y a besoin d’un plus grand nombre d’ambulances, elles sont réquisitionnées auprès des hôpitaux voisins de Kafr Nabouda et Latamnah, et de l’hôpital Al Rahma, à Sheikh Mustafa.
5.59 Kafr Zita et ses environs ont été la cible de quelque 17 attaques mettant en jeu des produits chimiques toxiques ; la première attaque étant intervenue la nuit du 10 avril 2014 et le dernier incident ayant été signalé à la Mission le 30 août 2014. Du fait que ces attaques sont fréquentes et que les témoins vivent constamment dans une zone en guerre, les témoins ne se souviennent pas des dates et heures des divers incidents. Ils ont informé la Mission que toutes les attaques s’étaient passées de nuit, sauf une (qui est intervenue le 11 avril 2014 entre 18 heures et 19 heures). Selon une opinion exprimée, dans la zone de Kafr Zita, l’air ne circule que très peu la nuit, ce qui permet au chlore de stagner plus longtemps. De plus, la nuit offre une sécurité relative aux attaquants. Selon les descriptions données, les conditions météorologiques, les jours des attaques, étaient typiques de la saison, avec des températures comprises entre 20 et 30° C. Les détails de ces attaques, qui ont été confirmées par de nombreuses personnes interrogées, figurent dans le tableau 6.
5.60 Les témoins ont signalé à la Mission que des produits chimiques toxiques avaient été utilisés sous forme de bombes-barils qui ne correspondaient pas à un modèle classique et semblaient improvisées. Certains avaient vu et photographié ces bombes, tant celles qui avaient explosé que celles qui n’avaient pas fonctionné comme prévu. Ces bombes-barils peuvent être de différents modèles, mais leurs composants essentiels comprennent une enveloppe externe présentant des ailettes à l’extrémité arrière ; un cylindre interne généralement peint en jaune, rempli de chlore et, dans certains cas, marqué du symbole « CL2 ». Les bombes-barils présentent une longueur d’environ 2 à 2,50 mètres et un diamètre intérieur d’environ 1 mètre. Le mécanisme de détonation comprend un ou plusieurs détonateurs. Les bombes-barils de fabrication récente présentent également un récipient contenant un liquide et une substance pulvérulente de couleur jaunâtre marron. Une vidéo d’un dispositif de ce type a été fournie à la Mission. Cette vidéo montre un cylindre, un récipient de liquide marqué « H2SO4 pur à 97 99 % » et une substance pulvérulente jaune clair marron. Le présentateur de la vidéo n’a pas pu confirmer le nom de la substance pulvérulente car il n’y avait aucune capacité d’analyse au plan local. Un croquis et une capture d’écran de cet assemblage particulier formant bombe-baril, réalisés par une personne interrogée, sont fournis à l’appendice 19.
5.61 Les personnes interrogées ont signalé à la Mission que, lorsqu’ils sont largués depuis des hélicoptères, les cylindres qui tombent produisent un sifflement semblable au bruit d’un avion de combat qui ferait un vol piqué. Plusieurs de ces dispositifs n’ont pas explosé. Ceux qui ont fonctionné ont produit une explosion étouffée/de faible intensité, fracturant le baril externe et endommageant la valve des cylindres de chlore. Les dégâts causés aux structures ne sont visibles qu’au point d’impact direct ; les autres structures dans les alentours n’ont pas été touchées. Une vidéo du point d’impact fournie à la Mission montre un cratère de 3,6 mètres de diamètre et de 1,4 mètre de profondeur, les immeubles avoisinants n’ayant subi que des dégâts minimes. Une capture d’écran d’une vidéo d’un tel site d’impact, remise par une personne interrogée, figure à l’appendice 21.
5.62 La plupart des habitants de cette ville qui ont été interrogés ont signalé avoir été témoins de l’attaque diurne. Selon les personnes interrogées, le gaz diffusé lors de cette attaque était de couleur jaune. Le nuage de gaz s’est tout d’abord élevé jusqu’à une hauteur de 50 à 60 mètres, puis est redescendu en direction du sol, poussé dans la direction du courant d’air. Généralement, l’odeur du gaz était décrite comme forte, âcre et semblable à celle du chlore, certaines personnes interrogées la comparant à l’odeur d’un produit d’entretien ménager, en nettement plus intense. Il a été signalé à la Mission que l’odeur spéciale se remarquait de très loin. Cette odeur a disparu de la zone, dans des conditions météorologiques normales, au bout de 30 à 45 minutes environ.
5.63 Il a été signalé à la Mission que le public avait été informé d’attaques imminentes grâce à des messages relayés par des radios portatives. Habituellement, des guetteurs communiquent des informations sur des mouvements d’avions. Lorsqu’elle reçoit ces informations, en particulier pour la région de Kafr Zita, la population locale s’enfuit pour chercher refuge dans des caves et se protéger des attaques fréquentes mettant en jeu des munitions conventionnelles. Une fois l’attaque intervenue, un autre message est à nouveau relayé par les guetteurs des environs, indiquant le lieu et le type d’attaque et donnant de plus amples instructions sur les précautions à prendre.
5.64 Selon les témoins de ce groupe, la fréquence des attaques, l’isolement et l’absence de services de base représentaient des conditions extrêmement stressantes. Ils n’ont pas pu se souvenir des dates de toutes les attaques ; les données compilées par la Mission ont été fondées sur une analyse de tous les témoignages et ont également été extraites des registres médicaux fournis par les médecins traitants.
5.65 Un incident a été raconté en détail par les membres d’une famille et un proche du foyer dont la maison avait été touchée par la munition ; il a été corroboré par d’autres personnes interrogées. Cet incident, tel que communiqué à la Mission, est décrit ci après.
5.66 L’incident est arrivé le 27 juillet 2014, « un jour avant la fin du ramadan et quelques minutes avant la rupture du jeûne quotidien », à environ 19 heures. La bombe a frappé la maison du parent de l’un des témoins. La famille qui a été exposée aux produits chimiques toxiques et interrogée s’était réfugiée dans la cave de la maison, pour se protéger d’une attaque conventionnelle. La bombe contenant le produit chimique toxique est tombée à environ 50 mètres de l’abri. L’explosion n’a pas fait de bruit. Cet abri souterrain, qui mesure environ 10 m x 10 m, comprend deux portes, une ouverture au nord et une autre ouverture au sud-est. Cette dernière donne sur une rue qui est plus élevée que celle située au nord. Après le dégagement toxique, un message a de nouveau été envoyé à la population sur des radios portatives en lui conseillant de rejoindre un terrain plus élevé, plutôt que de rester dans les caves. Les personnes qui ont tenté de s’échapper par la porte au nord ont pénétré dans le nuage de chlore porté par le courant d’air qui se déplaçait dans un sens nord-sud. En conséquence, ces personnes ont été exposées à des concentrations supérieures de chlore et ont développé des symptômes plus graves. Cet abri souterrain a été détruit le lendemain, lorsqu’il a été touché directement par une bombe conventionnelle et par une bombe à sous-munitions.
5.67 Les documents médicaux remis à la Mission par les médecins traitants contiennent des précisions sur les noms des patients, les dates des attaques, les lieux, les diagnostics, les traitements administrés et le nom du médecin traitant. Un exemple de ces documents médicaux figure à l’appendice 28. La compilation de ces documents médicaux figure au tableau C (voir pièce jointe), qui montre que 122 personnes ont été traitées à Kafr Zita à diverses dates. Toute référence aux noms des blessés a été supprimée.
5.68 Chaque attaque aux produits chimiques toxiques a fait de nombreuses victimes qui se sont plaintes de symptômes d’insuffisance respiratoire. Les personnes exposées ne portaient aucune trace de blessure physique sur leur corps, à l’exception d’un homme âgé. Il présentait des symptômes liés à l’inhalation de gaz toxique et une chute de gravats l’avait blessé à la tête ; il est mort au cours de son transfert hors de la République arabe syrienne où il avait été envoyé pour être traité. Sa fille de 25 ans, qui avait été exposée à des concentrations élevées de chlore lors du même incident, est décédée quelques jours après, alors même qu’elle avait été transférée et traitée hors de la République arabe syrienne.
5.69 Les symptômes des personnes touchées étaient bénins, modérés ou graves, en fonction de la proximité du point de dégagement du produit chimique toxique, de la quantité de gaz inhalée et de la durée de l’exposition. Chez les patients jeunes et âgés, les symptômes étaient relativement plus prononcés. La plupart des personnes qui se sont présentées dans les hôpitaux pour y être traitées avaient été faiblement à modérément exposées, mais quelques-unes présentaient de graves symptômes.
5.70 Parmi les signes cliniques couramment observés figuraient les symptômes suivants : toux, difficultés à respirer, respiration rapide, pouls rapide et palpitations, écume à la bouche, rougeurs oculaires, sensation de brûlure dans les yeux, larmoiement, vomissements, gorge douloureuse, enrouement, démangeaisons dans le nez et sur la peau exposée, anxiété, endormissement, maux de tête et pertes de connaissance. Les cas les plus graves présentaient une hémoptysie, avec une oxymétrie de pouls affichant une valeur inférieure à 80 % et les médecins traitants ont signalé à la Mission que les radiographies thoraciques montraient des œdèmes pulmonaires non cardiogènes. Ces personnes ont développé un syndrome de détresse respiratoire aiguë. La plupart des personnes gravement touchées présentaient également un antécédent immédiat de perte de connaissance. Tous les cas graves ont dû être pris en charge dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital et certains ont eu besoin d’assistance respiratoire. Quelques personnes ont été exposées plus d’une seule fois à des incidents similaires et, la seconde fois, présentaient des symptômes plus graves et ont dû être traitées plus longtemps.
5.71 Le lavage à l’eau et au savon des parties de la peau exposées était la méthode de décontamination disponible pour tous. L’hôpital de Kafr Zita ne dispose pas de procédure établie ni d’installations pour entreprendre une décontamination de masse.
5.72 Une odeur de chlore piquante et forte se dégageait des vêtements de toutes les personnes qui se sont présentées à l’hôpital et qui avaient été exposées. Comme les mesures de protection dont disposait le personnel de l’hôpital se limitaient à des gants en latex et à des masques chirurgicaux, certains membres du personnel ont souffert de contamination croisée et des effets de l’inhalation des vapeurs émanant des vêtements des patients. Les premiers intervenants sont rarement équipés de masques à gaz de protection et recourent de ce fait à des méthodes improvisées pour se protéger, notamment à des serviettes humides, quand ils portent secours à la population et l’évacuent. Invariablement, les agents médicaux qui ont joué un rôle essentiel dans l’évacuation des personnes exposées ont aussi ressenti certains effets cliniques. Le personnel de l’hôpital a ressenti des symptômes courants : toux, difficulté à respirer, larmoiement, rougeurs oculaires et maux de gorge. La plupart de ceux qui ont subi une contamination croisée ont souffert de symptômes bénins et ont été soulagés après avoir reçu les premiers secours. Aucun traitement intensif ni transfert vers un établissement plus important n’a été nécessaire pour le personnel ayant subi une contamination croisée.
5.73 Les médecins traitants ont observé les signes cliniques suivants : toux, rhinorrhée, rougeurs oculaires, larmoiement excessif, cyanose, augmentation des sécrétions trachéales, agitation, tachypnée et crépitations bilatérales dans les lobes pulmonaires. Toutes les personnes exposées affichaient des valeurs inférieures d’oxymétrie de pouls : celles qui avaient moins été exposées affichaient des valeurs d’oxymétrie de pouls supérieures à 85 %, tandis que les cas les plus graves affichaient des valeurs d’environ 70 %. Les personnes qui avaient été exposées à de fortes concentrations souffraient de cyanose, d’hémoptysie, de crépitations dans les poumons et d’œdèmes pulmonaires. Dans les cas graves, le taux d’œdèmes pulmonaires observé lors des examens cliniques et radiographies du thorax effectués ultérieurement avait augmenté. Aucune des personnes qui se sont présentées avec des antécédents d’exposition à un agent chimique n’avait de lésion physique sur le corps, exception faite d’un homme âgé, qui a également été blessé à la tête durant l’incident.
5.74 Les cas bénins et modérés ont été autorisés à quitter l’hôpital après avoir reçu les premiers secours. Les cas graves ont été admis à l’hôpital sur place ou bien aiguillés vers des établissements plus importants hors de la République arabe syrienne. Les cas graves ont été gardés à l’hôpital et ont subi un traitement intensif durant jusqu’à trois semaines parfois.
5.75 Les personnes qui avaient été exposées ont essentiellement bénéficié des traitements suivants : inhalation d’oxygène, exposition à l’air libre, administration de bronchodilatateurs par nébulisation, administration d’hydrocortisone et de dexaméthasone par voie intraveineuse, solutions intraveineuses et anti-émétiques. La plupart des personnes présentant des symptômes bénins ont été traitées en ambulatoire avant d’être autorisées à partir. Celles qui souffraient de symptômes modérés ont également reçu des soins ambulatoires mais ont dû revenir pour suivre une thérapie par nébulisation pendant plusieurs jours, afin de contribuer à améliorer les efforts respiratoires.
5.76 Outre les dommages infligés aux êtres humains, le produit chimique toxique a également tué le bétail et les oiseaux domestiques, y compris les poules et les pigeons. Les arbres du voisinage ont également souffert, leur feuillage virant au jaune et se desséchant, et les fruits des arbres sont tombés au sol. En outre, les objets ménagers, tels que les matelas et les vêtements, ont absorbé l’odeur de chlore et sont devenus inutilisables.
5.77 Les personnes qui ont été interrogées et avaient été exposées aux produits chimiques toxiques ne se sont plaintes d’aucun problème médical persistant après l’incident, si ce n’est de quintes de toux occasionnelles et de faiblesse généralisée. Au moment des entretiens, aucune de ces personnes ne poursuivait les traitements prescrits à l’origine. Après s’être entretenus entre eux, les spécialistes médicaux de la Mission ont conclu qu’aucun examen médical de ce groupe ne donnerait de résultat.
6. DISCUSSION DES INCIDENTS
6.1 La Mission a compilé des données statistiques en exploitant les témoignages des personnes interrogées. Ces statistiques sont présentées dans le tableau 7 ci-dessous.
Sur un total de 37 personnes interrogées, 32 ont vu ou entendu l’hélicoptère survolant le village au moment de l’attaque menée avec des bombes barils contenant des produits chimiques toxiques. Vingt six personnes ont entendu le bruit (sifflant) distinctif de la chute des bombes barils contenant des produits chimiques toxiques. Les personnes qui n’ont pas vu ou entendu l’hélicoptère ou le bruit de chute de la bombe-baril se trouvaient à l’intérieur.
6.2 Seize personnes, pour la plupart des hommes, se sont rendues par la suite sur le site de l’impact et ont vu la bombe-baril ou ses débris.
6.3 Quinze personnes interrogées ont décrit le niveau sonore de l’explosion des bombes barils contenant des produits chimiques toxiques comme étant relativement faible comparé à la forte explosion d’une bombe conventionnelle. Les habitants de ces localités sont habitués aux bruits des différentes explosions et ont clairement distingué l’intensité des bruits.
6.4 Vingt six personnes ont décrit la couleur du nuage de gaz qui s’est dégagé après l’impact au sol de la bombe baril contenant des produits chimiques toxiques. D’après les descriptions faites, cette couleur variait de la couleur miel à la couleur jaune – voire jaune au centre et blanchâtre à la périphérie – à la couleur verdâtre. Vu qu’un nombre élevé d’attaques se sont produites de nuit, certaines personnes interrogées n’ont pas été en mesure de livrer des observations sur la couleur du nuage de gaz. Un grand nombre de personnes – soit 29 – a senti l’odeur caractéristique du nuage de gaz. Cette odeur a été essentiellement décrite comme étant intense, rappelant le chlore, semblable aux produits d’entretien utilisés pour nettoyer les toilettes mais bien plus forte, une odeur qui se dissipe dans l’air au bout de quelque temps, mais subsiste plus longtemps dans les matériaux absorbants, comme les matelas.
6.5 Trente personnes interrogées ont fourni des informations sur le nombre élevé de victimes des attaques perpétrées à l’aide de bombes barils contenant des produits chimiques toxiques. Tout le personnel médical, depuis les conducteurs d’ambulances jusqu’aux médecins traitants, a parlé d’un grand nombre de blessés. Ces blessés ont été enregistrés dans les différents hôpitaux où ils avaient recherché une aide médicale. La principale raison qui explique le nombre élevé de pertes humaines est le fait que les gens n’avaient pas les connaissances requises pour se mettre à l’abri en aval et en hauteur, et la population a fini par se cacher dans des caves et autres endroits similaires où le chlore, qui est plus dense que l’air, a stagné. En outre, la prise de conscience tardive des attaques menées de nuit et le fait que les bombes soient tombées sur des quartiers résidentiels ont également contribué à l’augmentation du nombre de victimes. Dans tous ces incidents, le personnel médical a particulièrement noté l’absence de lésions physiques chez ceux qui avaient été exposés et en a informé la Mission.
6.6 La plupart du personnel médical a présenté certains symptômes d’exposition lorsqu’il transportait les blessés ou leur est venu en aide. Il était courant de constater que le personnel médical était affecté par la très forte odeur de chlore qui émanait des vêtements des personnes qui avaient été exposées pendant une attaque. Il convient de noter que les patients n’étaient pas décontaminés avant d’être amenés à l’intérieur de l’hôpital ; le personnel médical ne disposait pas d’équipement de protection spécifique contre les produits chimiques et devait utiliser des masques chirurgicaux et des gants en latex qui n’offrent aucune protection contre les produits chimiques toxiques. L’intensité des symptômes manifestés par le personnel médical était légère à modérée, la plupart faisant état de larmoiements et de rhinorrhée. Ces symptômes ont été soulagés dans tous les cas dès que les personnes ont été exposées à l’air frais. Cependant, les symptômes présentés par les conducteurs d’ambulances étaient relativement plus intenses que ceux ressentis par le reste du personnel médical, du fait qu’ils transportaient, lors d’un même voyage et dans l’espace confiné d’une ambulance, plusieurs blessés qui provenaient directement du lieu de l’attaque.
6.7 Douze personnes interrogées ont décrit la force destructrice et les dégâts causés par les bombes barils contenant des produits chimiques toxiques et ont comparé ceux-ci aux munitions conventionnelles. Les dégâts étaient minimes et se limitaient aux structures adjacentes contrairement aux attaques mettant en jeu des munitions conventionnelles, où de nombreuses habitations sont détruites dans le quartier. De nombreuses vidéos des sites d’impact fournies à la Mission permettent de constater l’absence de dégâts importants causés aux structures avoisinantes. La capture d’écran de la vidéo relative au point d’impact, présentée à l’appendice 21, permet de le constater. Plusieurs personnes interrogées ont également comparé l’effet d’éclatement observé avec les munitions conventionnelles aux bombes barils contenant des produits chimiques toxiques, qui en principe « s’ouvrent et ne se désintègrent pas ». L’on trouvera à l’appendice 16 une capture d’écran tirée d’une vidéo d’une bombe baril ouverte de ce type.
6.8 Neuf personnes qui habitaient sur les lieux de l’impact et dans le voisinage ont décrit la mort du bétail et des oiseaux. Dans ces habitations, les oiseaux (poules et pigeons) sont morts immédiatement, dès leur exposition au gaz. Les animaux de petite taille, tels que les veaux, les chèvres et les moutons, sont également morts en quelques minutes ou dans l’heure qui a suivi leur exposition aux produits chimiques toxiques, tandis que les animaux de plus grande taille, les vaches adultes, sont morts 8 à 10 heures plus tard.
6.9 Seize personnes interrogées, principalement des personnes qui vivaient dans les maisons où les bombes barils contenant des produits chimiques toxiques sont tombées ou dans les maisons adjacentes, en ont décrit les effets néfastes sur l’environnement. Ces effets ont entraîné, immédiatement ou peu de temps après, le desséchement, le flétrissement et le changement de couleur des feuilles des arbres virant au jaunâtre, ainsi que la chute des fruits tombant des arbres. Dans sa déclaration, un témoin décrit ces effets en disant qu’« il semblait que les arbres n’avaient jamais été arrosés ».
6.10 Cinq personnes interrogées ont mentionné la décoloration des vêtements de couleur sombre que portaient les membres de leur famille au moment des incidents.
6.11 Il ressort des témoignages détaillés fournis à la Mission que les personnes, tout en ayant vécu le même événement, ont cependant mis l’accent sur certains aspects en fonction de leur formation, rôle social ou profession. Ainsi, les femmes au foyer ont décrit la décoloration des vêtements foncés qui se sont éclaircis comme s’ils avaient été blanchis, une famille a remarqué la rouille excessive/rapide/inhabituelle des récipients ménagers quelques semaines plus tard et un pompier a constaté l’absence d’incendies durant ces attaques.
7. DISCUSSION DES SYMPTÔMES, SIGNES ET TRAITEMENTS MÉDICAUX
7.1 Les symptômes d’exposition, les signes observés par les médecins traitants et le traitement administré aux blessés sont discutés ci dessous. Ils découlent des témoignages des personnes interrogées ainsi que des dossiers médicaux remis à la Mission.
7.2 Suite à l’exposition aux produits chimiques toxiques, les blessés présentaient la gamme des symptômes suivants : toux, essoufflement, sensation d’oppression dans la poitrine, suffocation, rougeurs oculaires, sécrétions buccales et nasales accrues, voix rauque, agitation ou désorientation, faiblesse, perte de connaissance, crampes abdominales, nausée et vomissements. Dans quelques cas, il a été fait état d’irritation de la peau (démangeaisons avec ou sans éruption cutanée). Le tableau 8 ci-dessous indique la répartition de la fréquence des symptômes rapportés. Les symptômes qui sont similaires mais expliqués à l’aide d’une terminologie différente sont regroupés.
7.3 Les symptômes communs signalés par les médecins traitants, les infirmiers ou ceux que les témoins ont observés ne sont pas inclus dans ces statistiques. Seuls les symptômes que les personnes interrogées ont ressentis suite à leur exposition aux produits chimiques toxiques sont rapportés ici. La Mission n’a posé aux blessés aucune question suggestive sur leurs symptômes et seuls les symptômes qui ont été évoqués par les blessés lors du récit de leur expérience sont consignés.
7.4 La gamme et l’intensité des symptômes ressentis par les blessés variaient selon la distance qui les avait séparés du point d’impact, la durée de leur exposition, leur position (en aval ou en amont), selon qu’ils avaient utilisé des mesures de protection et reçu un traitement, en termes de temps écoulé et de disponibilité des traitements. Les personnes qui étaient plus près du point d’impact des barils contenant des produits chimiques toxiques ont ressenti des symptômes plus variés et plus intenses.
7.5 Selon les valeurs cumulées : 13/17 toussaient, 16/17 avaient de la difficulté à respirer, 14/17 ressentaient une sensation de brûlure dans les yeux et souffraient de larmoiement, 6/17 ressentaient une sensation de brûlure dans le nez ou sur la peau exposée, 11/17 souffraient de nausées ou de vomissements et 9/17 avaient perdu connaissance.
7.6 Il ressort clairement de l’analyse des données que le produit chimique toxique utilisé à Talmenes a touché de manière prédominante les yeux et le système respiratoire, tandis que dans les villages d’Al Tamanah et de Kafr Zita, les blessés ont également fait état de symptômes gastro intestinaux. Les symptômes gastro intestinaux, tels que la nausée et les vomissements, sont soit le résultat d’une réaction réflexe à l’exposition comme le montrent les incidents de Talmenes, soit pourraient être dus à un mélange de produits chimiques, comme on le constate à Al Tamanah et à Kafr Zita, où une forte proportion de blessés a signalé de tels symptômes.
7.7 En faibles concentrations, les produits chimiques toxiques solubles dans l’eau (tels que le chlore) irritent et ont des propriétés corrosives et, au contact des yeux, de la peau humide ou à l’inhalation, réagissent essentiellement avec les membranes muqueuses/l’épithélium et engendrent une irritation sensorielle créant une sensation de brûlure, des démangeaisons, des larmoiements et une rhinorrhée. Ce sont ces symptômes qui ont été le plus fréquemment signalés.
7.8 Les symptômes respiratoires chez les blessés sont apparus presque immédiatement après l’exposition aux produits chimiques toxiques et ont persisté pendant quelques heures et, dans certains cas, pendant quelques jours. La toux était non productive dans la majeure partie des cas. Les toux productives accompagnées d’expectorations blanchâtres à jaunes, voire dans certains cas d’expectorations teintées de sang (hémoptysie), ont été remarquées chez ceux qui avaient été exposés à de fortes concentrations. Une toux sèche survient suite à une irritation des voies respiratoires supérieures. Les gaz toxiques, quand ils agissent sur les voies respiratoires inférieures, engendrent une production excessive de fluides inflammatoires qui entraînent une expectoration. Le bronchospasme est l’une des réactions immédiates à l’exposition à des produits chimiques toxiques (irritants ou corrosifs), où les muscles lisses irrités des bronches induisent une contraction et la lumière des voies respiratoires se rétrécit. Dans le cas du chlore, ses propriétés oxydantes et la formation d’acides hypochloreux et chlorhydrique résultant de la réaction du chlore avec l’eau entraînent la lésion du parenchyme des poumons. L’endommagement du parenchyme des poumons rempli de fluide inflammatoire associé au bronchospasme réduit la capacité d’échange d’oxygène. Le rétrécissement de la lumière des voies respiratoires crée également une respiration sifflante, le son sifflant produit par des voies respiratoires rétrécies. S’ensuivent des symptômes d’essoufflement, de fréquence respiratoire élevée, d’oppression thoracique ou de douleur thoracique, et d’expectoration. Le bronchospasme ainsi induit est habituellement soulagé dès que cesse l’exposition à la substance toxique. Cependant la lésion du parenchyme des poumons, entraînant l’œdème pulmonaire, selon sa gravité, peut nécessiter une ventilation assistée pendant une période prolongée.
7.9 Bien que la Mission ne puisse déterminer les dosages et les durées d’exposition, d’après la littérature disponible, on peut sentir le chlore à une concentration de 0,1/0,2 ppm . Une exposition à 1-3 ppm de chlore produit essentiellement une irritation du nez pouvant durer jusqu’à une heure, à 5 ppm une irritation des yeux, à 5 15 ppm une irritation de la gorge et des maux de tête, à 30 ppm une douleur thoracique, des nausées, des vomissements, de la toux et des difficultés à respirer et des concentrations de 40-60 ppm entraînent un œdème pulmonaire. De fortes doses de plus de 400 ppm peuvent causer la mort en moins de 30 minutes et une dose supérieure à 1 000 ppm est mortelle en moins d’une minute. Les enfants sont plus gravement atteints parce qu’ils inhalent de plus grandes quantités de gaz du fait qu’ils présentent un rapport « surface pulmonaire/poids du corps » supérieur et un rapport « débit volume/poids » plus élevé.
7.10 La réduction de l’oxygénation mène également à l’hypoxie du système nerveux central (manque d’oxygène dans les tissus), les patients se plaignant de symptômes de désorientation, d’agitation, de faiblesse, de maux de tête et de niveaux de conscience altérés.
7.11 Vivre dans une zone de conflit où se produisent des incidents d’emploi de produits chimiques toxiques a des conséquences psychologiques ; elles expliquent l’état de panique dans lequel se sont présentés de nombreux blessés, comme l’ont signalé les médecins traitants.
7.12 Les traitements fournis comportaient l’oxygénothérapie, l’administration de fluides par voie intraveineuse, une thérapie broncholytique et une stéroïdothérapie.
7.13 L’oxygène était le principal élément des traitements administrés pour soulager les blessés en l’espace de quelques minutes. L’oxygène calme l’hypoxie chez les patients exposés et rassure ceux qui sont en état de panique, leur apportant ainsi un soulagement immédiat. L’efficacité de l’administration d’oxygène est évidente à la lecture des taux de saturation périphérique en oxygène visibles sur les vidéos des hôpitaux disponibles, qui montrent l’amélioration des valeurs SpO2 suite à l’inhalation d’oxygène.
7.14 Les bronchodilatateurs utilisés détendent les voies aériennes rétrécies, améliorant ainsi l’oxygénation et soulageant les symptômes. L’efficacité des stéroïdes n’est pas prouvée mais ils sont fréquemment utilisés après l’exposition à des gaz toxiques du fait de leurs propriétés anti inflammatoires.
7.15 L’utilisation de fluides intraveineux (« sérum ») signalée par un grand nombre de blessés et de médecins sert plus à offrir un accès rapide aux vaisseaux périphériques pour administrer des médicaments par voie intraveineuse. La reconstitution des fluides dans le traitement des effets de l’exposition à des gaz ou à des vapeurs toxiques semble avoir moins d’importance parce que le mécanisme d’action de ces substances toxiques n’engendre pas de perte ou de déplacements significatifs de fluides dans le corps. De plus, dans les cas d’œdème pulmonaire, l’administration de fluides doit être justifiée et soigneusement pondérée.
7.16 D’autres médicaments ont été utilisés dans les traitements, tels que des antibiotiques, des analgésiques et des anti émétiques. Le recours à ces médicaments était déterminé par les symptômes du patient, son état médical et la disponibilité des médicaments.
7.17 Pour les cas exposés à de fortes concentrations de produit chimique toxique qui ont développé un œdème pulmonaire, il a été nécessaire de recourir à un traitement intensif des voies aériennes (intubation) et à une ventilation artificielle. Un tel traitement n’était pas disponible dans les hôpitaux de campagne mais dans des établissements plus importants, notamment à Saraqueb et à Bab Al-Hawa, ou à l’extérieur de la République arabe syrienne.
7.18 Dans deux cas, lors d’incidents et dans des villages distincts, les personnes blessées étaient enceintes. Les deux bébés sont nés normalement à la date prévue pour l’accouchement et étaient en bonne santé.
7.19 L’exposition aux produits chimiques toxiques utilisés s’est révélée mortelle dans 13 cas (3 à Talmenes, 8 à Al Tamanah et 2 à Kafr Zita). Une personne est décédée immédiatement, neuf lors de leur transfert vers des établissements plus importants et trois dans un hôpital spécialisé hors de la République arabe syrienne. Toutes ces personnes se trouvaient à proximité du site d’impact des munitions contenant des produits chimiques toxiques.
DESCRIPTION OF EVIDENCE
1. Video MAH02613 : A casualty discussing his medical condition after exposure to toxic chemicals.
2. Video MAH02649 : A treating physician at an intensive care unit of the hospital taking a sample of tracheal secretions from a patient. The tracheal secretions in his opinion have dissolved blood.
3. Video MAH02650 : A treating physician at an intensive care unit of the hospital taking a sample of tracheal secretions from another patient.
4. Video MAH02656 : A treating physician at an intensive care unit of the hospital taking a sample of tracheal secretions from the third patient. The tracheal secretions in his opinion have dissolved blood.
5. Video MAH02657 : A treating physician discussing the case of one casualty who has hypoxemia after exposure to toxic chemicals.
6. Video MAH02667 : A treating physician discussing the case of another casualty who has hypoxemia after exposure to toxic chemicals.
7. Video MAH02708 : A treating physician, an intensive care specialist, discusses the case of a 35-year-old woman who is on assisted ventilation after exposure to toxic chemicals.
8. Video MAH02709 : A treating physician discussing the case of another casualty who has hypoxemia after exposure to toxic chemicals. The chest radiograph, in his opinion, shows extensive bilateral pulmonary oedema.
9. Video MAH02710 : A treating physician describing the condition of a pregnant woman who was among the casualties that were exposed to toxic chemicals.
10. Video MAH02745 : Interview with the mother of a casualty giving her account of what happened to her daughter.
11. Video MAH02746 : Continuation of video MAH02745.
12. Video MAH02747 : A witness whose parents were exposed to toxic chemicals providing his account of the incident.
13. Video MAH02748 : Continuation of video MAH02745.
14. Video MAH02753 : A witness talks about the use of toxic chemical agents in Kafr Zita, the region of Hama, and in Talmenes, in the suburbs of Idlib.
15. Video MAH02754 : A witness’s video records of his travel between the village of Kafr Zita and Bab Al-Hawa.
16. Video MAH02755 : Continuation of video MAH02754.
17. Video MAH02756 : A witness video records his detailed plan about documenting his travel to the places where toxic chemicals were used.
18. Video MAH02757 : Treating physicians account of casualties that reported to their hospital after one incident wherein toxic chemicals were used.
19. Video MAH02767 : Continuation of video MAH02755.
20. Video MAH02768 : Continuation of video MAH02767.
21. Video MAH02769 : Continuation of video MAH02768.
22. Video MAH02770 : A treating physician discusses the casualties of 11 April 2014 after their exposure to toxic chemicals.
23. Video MAH02771 : A treating physician discusses the casualties of 11 April 2014 after their exposure to toxic chemicals.
24. Video MAH02772 : Continuation of video MAH02771.
25. Video MAH02773 : This video shows the point of impact of barrels.
26. Video MAH02774 : Continuation of video MAH02773.
27. Video MAH02775 : Video of the remnants of barrel bombs.
28. Video MAH02776 : The impact point of barrel bombs on 18 April 2014.
29. Video MAH02777 : Continuation of video MAH02776.
30. Video MAH02778 : A witness travelling from one village to another.
31. Video MAH02779 : The impact point of barrel bombs on 11 April 2014.
32. Video MAH02780 : The village of Kafr Zita.
33. Video MAH02781 : A witness heading towards Talmenes.
34. Video MAH02782 : A witness travelling from one village to another.
35. Video MAH02783 : A witness travelling from one village to another.
36. Video MAH02786 : A treating physician discussing the casualties that were exposed to toxic chemicals.
37. Video MAH02787 : The impact point of barrel bombs on 21 April 2014.
38. Video MAH02788 : Impact point of the first barrel bomb in Talmenes village.
39. Video MAH02790 : Travel video of a witness.
40. Video MAH02791 : Video from the Bab Al-Hawa hospital.
41. Video MAH02807 : A pregnant casualty describes the incident and her exposure to toxic chemicals.
42. Video entitled “Coverage of the attack with chlorine toxic gases — The Syrian Media Centre” : A video about the attack with barrel bombs containing toxic chemicals.
43. Video entitled “Talmenes — suburbs of Idlib — injury of children due to the attack with chlorine toxic gases” : Casualties being treated at the hospital.
44. Video entitled “Attack on Talmenes village in the suburbs of Idlib with chlorine toxic gas” : A video about the attack on the Talmenes village with toxic chemicals.
45. Video entitled “Attack on Talmenes village in the suburbs of Idlib with chlorine toxic gas 2” : Same as the previous video.
46. Video 3 : The video shows the village of Mashashyah.
47. Video 00050 : Video of casualties after exposure to toxic chemicals.
48. Video 00051 : Video of casualties after exposure to toxic chemicals.
49. Video 00052 : A witness describes the incident of the use of toxic chemicals.
50. Video 00053 : Casualties being treated at the hospital.
51. Video 00054 : Casualties being treated at the hospital.
52. Video 00056 : Casualties evacuation to the hospital.
53. Video 00057 : A treating physician discussing the casualties that were exposed to toxic chemicals.
54. Video 00058 : A treating physician discussing the casualties that were exposed to toxic chemicals.
55. Video 00060 : Casualties being treated at the hospital.
56. Video 00061 : A casualty being treated at the hospital.
57. Video 62 : A hospital staff member talking about mass casualties at the hospital after an incident involving toxic chemicals.
58. Video 100_2177 : Casualties being treated at the hospital.
59. Video 100_2180 : Casualties being treated at the hospital.
60. Video 100_2181 : Casualties being treated at the hospital.
61. Video 100_2184 : Casualties evacuation to the hospital.
62. Video M2U00331 : The video shows the impact point of a barrel bomb at Al Tamanah village on 12 April 2014.
63. Video 100_2270 : Casualties being treated at the hospital.
64. Video 100_2271 : Video about panic among the public after suspected exposure to toxic chemicals.
65. Video 100_2272 : Casualties being treated at the hospital.
66. Video 100_2273 : Casualties being treated at the hospital.
67. Video 100_2274 : Casualties being treated at the hospital.
68. Video 100_2275 : Casualties being treated at the hospital.
69. Video 100_2276 : Casualties being treated at the hospital.
70. Video 100_2277 : Casualties being treated at the hospital.
71. Video M2U00330 : The video shows the impact point of a barrel bomb.
72. Video entitled “Abu Mohamed Al-Sousi” : A video showing an unconscious casualty.
73. Video entitled “Ismail” : A casualty being treated at the hospital.
74. Video M2U01555 : Casualties evacuation to a hospital on 22 May 2014.
75. Video 100_2603 : Casualties being treated at the hospital.
76. Video 100_2604 : Casualties being treated at the hospital.
77. Video 100_2610 : Casualties being treated at the hospital.
78. Video 100_2613 : Casualties being treated at the hospital.
79. Video 100_2614 : Decontamination of a casualty at the hospital.
80. Video 100_2615 : Continuation of previous video 100_2614.
81. Video 100_2616 : Transfer of casualties to higher medical echelons.
82. Video 102_2350 : Casualties being treated at the hospital.
83. Video 102_2351 : Casualties being treated at the hospital.
84. Video 102_2353 : Casualties being treated at the hospital.
85. Video 102_2354 : Casualties being treated at the hospital.
86. Video M2U01556 : Casualties being treated at the hospital.
87. Video M2U01576 : A barrel bomb containing toxic chemicals that failed to function.
88. Video entitled “Giving first aid to an injured woman and her son who inhaled toxic gases dropped by helicopters in Al Tamanah on 29 April 2014” : Casualties being treated at the hospital.
89. Video entitled “Al Tamanah chlorine gas” : Casualties being treated at the hospital.
90. Video entitled “Helicopter dropping barrel containing chemicals on Al Tamanah on 19 July 2014, [no injuries]” : The incident of 19 July 2014.
91. Video entitled “Chemicals” : Impact point of 22 May 2014.
92. Video entitled “Removing the barrel containing chlorine gas in Al Tamanah on 26 May 2014” : A barrel bomb with toxic chemicals being removed from the impact site.
93. Video entitled “Dismantling the barrel containing chlorine gas dropped on Al Tamanah on 26 May 2014” : A barrel bomb with toxic chemicals being dismantled.
94. Video entitled “Helicopters dropping barrels containing toxic gases on Al Tamanah on 22 May 2014” : The incident of 22 May 2014.
95. Video entitled “The moment the container was dropped by the helicopter on Al Tamanah in Rif Idlib on 28 December 2013” : The incident of 28 December 2013.
96. Video entitled “Injured people as a result of the toxic gas attach on Al Tamanah on 22 May 2014” : A hospital staff member talking about the incident of 22 May 2014.
97. Video entitled “The site where one of the containers with toxic chlorine gas was dropped but did not explode in Al Tamanah on 26 May 2014” : A barrel bomb from the incident of 26 May 2014 that failed to function.
98. Video entitled “The site where the second barrel containing toxic chlorine gas was dropped on Al Tamanah on 30 April 14” : The impact site of a barrel bomb containing toxic chemicals on 30 April 2014.
99. Video entitled “The site where a chemical barrel was dropped on Al Tamanah on 13 April 2014” : The incident of 13 April 2014 wherein a barrel bomb containing toxic chemicals was used.
100. Video entitled “The site where a chemical barrel was dropped on Al Tamanah on 13 April 14” : The same as the previous video.
101. Video entitled “The site where a chemical barrel was dropped on Al Tamanah on 13 April 2014” : The same as the two previous videos.
102. Video entitled “The site where a chemical barrel was dropped on Al Tamanah on 13 April 2014” : The same as the three previous videos.
103. Video entitled “The site where a barrel containing chlorine gas was dropped on Al Tamanah on 26 May 2014” : The impact site of a barrel bomb containing toxic chemicals on 26 May 2014.
104. Video entitled “Transport of casualties of toxic gases in Al Tamanah on 22 May 2014” : Voice of the commentator : Casualty evacuation after the incident of 22.05.14.
105. Video entitled “Important media material — Commander of the Mohamed Sawt Al-Haqq engineering brigade giving explanations on one of the chlorine barrels dropped on Kafr Zita — suburbs of Hama” in Arabic : A commentator explaining an improvised barrel bomb containing a mixture of chemicals along with a gas cylinder.
106. Video 20140414_230306 : Casualties being treated at the hospital.
107. Video 20140414_230526 : Casualties being treated at the hospital.
108. Video 20140416_224606 : A treating physician discusses casualties after exposure to toxic chemicals.
109. Video 20140513_081734 : Kafr Zita on 13 May 2014.
110. Video 20140828_210336 : Casualties being treated at the hospital.
111. Video 20140901_113728 : A commentator discussing improvised barrel bombs containing toxic chemicals.
112. Video M2U00088 : Casualties being treated at the hospital.
113. Video M2U00090 : Casualties being treated at the hospital.
114. Video M2U00091 : Casualties being treated at the hospital.
115. Video M2U00092 : Casualties being treated at the hospital.
116. Video M2U00093 : Casualties being treated at the hospital.
117. Video M2U00094 : Casualties being treated at the hospital.
118. Video M2U00095 : Continuation of the previous video.
119. Video entitled New — New — 2014522_201352 : Casualties being treated at the hospital.
120. Video entitled New — New — 20140522_201915 : Casualties being treated at the hospital.
121. Video entitled New — New — 20140522_201935 : Casualties being treated at the hospital.
122. Video entitled New — New — 20140522_202114 : Casualties being treated at the hospital.
123. Video entitled New — New — 20140522_202328 : Casualties being treated at the hospital.
124. Video entitled New — New — 20140522_202504 : Casualties being treated at the hospital.
125. Video entitled New — New — 20140522_210106 : A treating physician discusses casualties after exposure to toxic chemicals.
126. Video entitled New — New — M2U00030 : Casualties being treated at the hospital.
127. Video entitled New — Part II of the suffocation cases (in Arabic) : Casualties being treated at the hospital.
128. Video entitled New — New — M2U00031 : Casualties being treated at the hospital.
129. Video entitled New — New — M2U00032 : Casualties being treated at the hospital.
130. Video entitled New — New — 20140522_202328 : Casualties being treated at the hospital.
131. Video entitled New — New — 20140522_202504 : Casualties being treated at the hospital.
132. Video entitled New — New — 20140522_210106 : A treating physician discusses casualties after exposure to toxic chemicals.
133. Video entitled New — New — M2U00030 : Voice of the commentator : “22.05.14. Casualties being treated at the hospital.
134. Video entitled New — (Part II of the suffocation cases) : Casualties being treated at the hospital.
135. Video entitled New — New — M2U00031 : Voice of the commentator : “22.05.14. Casualties being treated at the hospital.
136. Video entitled New — New — M2U00032 : Voice of the commentator : “22.05.14. Casualties being treated at the hospital.
137. Video entitled New — New — M2U00033 : Continuation of the previous video.
138. Video entitled New — Report on chlorine in Kafr Zita (in Arabic) : Treating physician discusses casualties after exposure to toxic chemicals.
139. Video entitled “A physician speaking in English about gases” (in Arabic) : A treating physician discusses casualties after exposure to toxic chemicals.
140. Video entitled “Suffocation among children” (in Arabic) : A treating physician discusses casualties after exposure to toxic chemicals.
141. Video entitled New — Part II of the suffocation cases (in Arabic) : Casualties being treated at the hospital.
142. Video entitled “The moment of the explosion of a toxic gas container” (in Arabic) : The video shows the moment of the explosion of a barrel bomb containing toxic chemicals.
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