Q - La position de la France est-elle tenable face à l’éventualité de l’intervention américaine en Iraq ?
R - Nous pensons vraiment que, face aux troubles du monde, il faut resserrer l’unité de la communauté internationale en renforçant nos règles de droit. C’est pour cette raison que nous sommes attachés à la position commune exprimée par la résolution 1441. Une guerre peut toujours, hélas, être déclenchée sans l’ONU mais il n’y a pas de paix qui puissent être conclue sans elle. Pour la France, l’adversaire numéro un est le terrorisme. Notre position est bien comprise, notamment dans les pays concernés. Il nous semble que nous défendons une bonne cause. Il s’agit de vraiment considérer la guerre comme une décision ultime qui ne peut être prise qu’après que toutes les autres formes de pression auront été tentées. C’est le sens de la déclaration commune de la France avec l’Allemagne et la Russie.
Q - Mais que doivent comprendre les Français ? La France ira-t-elle jusqu’au bout ? Exercera-t-elle son droit de veto au Conseil de sécurité ?
R - La France porte trois messages. 1. Poursuivons les pressions sur l’Iraq pour obtenir l’assurance de son désarmement. 2. Confortons le Conseil de sécurité de l’ONU comme lieu de la décision. 3. Refusons la guerre autrement que comme la dernière extrémité. Cela implique que nous soyons prêts à renforcer l’action de l’ONU sur l’Iraq. Avec ses convictions, en toute circonstance, la France restera libre de sa décision.
Q - Dominique de Villepin, le ministre des Affaires étrangères, n’est-il pas allé trop loin en invoquant l’usage du droit de veto pour la France au Conseil de sécurité de l’ONU ?
R - La force de la France réside dans l’indépendance de son jugement et dans la liberté de son action. C’est la responsabilité du ministre des Affaires étrangères de protéger l’une et l’autre. Il y met tout son talent.
Q - Comment abordez-vous cette période qui s’annonce particulière difficile ? Entre la guerre avec l’Iraq, la réforme des retraites, le retour des licenciements, du chômage, le chemin est étroit…
R - Sur le plan économique et social, nous mesurons bien que nous aurons un retour tardif de la croissance car nous sommes face à un immense attentisme de tous les acteurs internationaux dans la perspective de la guerre. Tout cela ne nous facilite pas la tâche. Mais je dirais que les réformes de la société française, nous devons les mener quelles que soient les circonstances. Evidemment, il eût été plus heureux qu’on les fasse pendant une période de croissance !
Q - Vous êtes au pouvoir depuis neuf mois, le temps d’une gestation. On se demande, au fond, de quoi vous avez accouché pendant ce temps.
R - Votre appréciation ne serait-elle pas un peu rapide ? D’abord, nous avons inversé l’action publique en ce qui concerne l’autorité républicaine sur ses trois piliers - la sécurité, la justice et la défense. Dans la situation internationale tendue que nous connaissons aujourd’hui, nous ne pouvions pas avoir, comme c’était le cas, quatre hélicoptères sur dix dans l’incapacité de décoller parce qu’ils n’avaient pas de pièces de rechange, ou encore des navires dans un état insuffisant de préparation. Nous avons donc reconstruit une politique de défense crédible fondée sur une vraie stratégie en partenariat avec nos industries de défense et nos centres de recherche. Trois lois de programmation ont été élaborées pour la défense, la sécurité mais aussi la justice. Ensuite, nous avons rebâti les conditions du développement des entreprises. Il n’est pas normal que, pendant la période de croissance passée, le nombre de créations d’entreprises ait baissé et qu’il manque aujourd’hui un million d’entreprises en France par rapport à l’Angleterre.
(…)
Q - Vous pensez que les critères de Maastricht sont objectifs ?
R - Nous adhérons aux principes de la discipline budgétaire européenne. C’est le prix de l’euro. Mais tout comme le chancelier Schroeder, je pense qu’il ne faut pas être dogmatique. Nous ferons les efforts nécessaires sans toutefois freiner le retour de la croissance. Je sais que ce sont souvent les plus fragiles qui sont victimes des "tours de vis".
(…)
Q - Justement à propos de la "vieille Europe", ça ne vous fait pas mal, vous qui êtes très européen, quand vous voyez plusieurs dirigeants européens comme Aznar et Berlusconi se rallier à la position de Bush sur l’Iraq ?
R - Quand l’Europe n’est pas unie, elle est décevante. C’est vraiment là que l’on s’aperçoit que, sans volonté politique, il ne peut y avoir d’Europe. Tout ce qui a été notre histoire nous a souvent séparés. Nous nous sommes entre-déchirés, nous ne nous sommes pas compris, nous avons été à l’extrême de la violence les uns contre les autres. La géographie nous sépare, nos cultures sont diverses. Au fond, seul le fait de penser qu’il faut que l’Europe soit rassemblée pour peser dans le monde nous conduit à faire l’Europe. Et la Grande Europe, ce n’est pas une unité culturelle. Ce n’est pas une unité géographique, ce n’est pas une unité politique. C’est vraiment "la communauté de destin", comme la définissait Edgar Morin. Ce qui impose l’Europe, ce sont les défis de l’avenir. Ce qui impose l’Europe, c’est que si on continue à se disperser, on n’existera pas dans le monde multipolaire. Nous avons là une nouvelle manifestation de la difficulté de bâtir l’Europe. Raison de plus pour mettre notre énergie au service d’une nouvelle Europe, avec des institutions plus fortes et plus stables.
Q - Le désaccord entre l’axe franco-allemand et les autres va encore se manifester sur l’Iraq.
R - L’ambition de l’axe franco-allemand n’est pas la domination mais l’impulsion. Il faut mettre de la cohérence dans l’Europe. Mais, par exemple, une présidence du Conseil qui tourne tous les six mois ne favorise pas la cohérence. L’objectif, pour moi, de la "Nouvelle Europe" est cette recherche de cohérence face à un destin commun. A côté de la puissante Amérique mais aussi de l’Asie émergente, l’Europe a une mission d’équilibre du monde. Ensemble, Allemands et Français ont des raisons de proposer la paix, condition de cet équilibre. (…)./.
Source : service de presse du Premier ministre
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