La renaissance de la Chine fascine et inquiète l’Europe. La Chine est en train de redevenir cette grande puissance qu’elle était avant 1800 en se basant sur une main d’œuvre bon marché peu qualifiée, mais aussi sur des cadres de haut niveau. L’Europe et la France doivent s’adapter à cette nouvelle donne en développant avec la Chine des relations équilibrées, de puissance à puissance. Nous devons davantage tirer profit des opportunités qu’offrent les nouveaux pôles de croissance mondiale et c’est le sens de ma visite là-bas : aider l’implantation des PME et de nos « champions nationaux ». La Chine est intéressée par la mise en place d’un partenariat. Ce souci de rééquilibrage des échanges nous guide dans la gestion du dossier textile. Les Chinois se sont montrés responsables et annoncent de nouvelles taxes sur leurs exportations. Nous respecterons les règles de l’OMC tout en étant fermes sur la sauvegarde de notre industrie.
Pour discuter avec la Chine, il faut une Europe forte. En 2005, la mondialisation prend une dimension accélérée. À l’émergence rapide de la Chine et de l’Inde viennent en effet s’ajouter un choc pétrolier ainsi que des déficits budgétaires et extérieurs américains considérables, qui fragilisent le dollar. La croissance européenne est soumise à ces chocs à la fois forts et simultanés. C’est le vrai visage de la mondialisation : de nouvelles potentialités de croissance durable, mais aussi des tensions sur les prix des matières premières et les taux de change qui retardent l’Europe. Tous les continents sont touchés par ces phénomènes et la Chine et l’Inde sont partagés entre régions en pleine ascension et celles encore en phase de reconversion.
Dans ce contexte, il faut construire une Europe forte, tout retard se paiera comptant. Grâce à l’euro, nous sommes à l’abri des turbulences monétaires, grâce à l’élargissement, nous avons atteint la « masse critique » nécessaire. Nous devons encore construire l’Europe politique et pour cela nous devons ratifier le traité constitutionnel. Seule l’Europe politique nous permettra de parler d’égal à égal avec les puissants. L’Europe politique nous protégera, mais cette protection ne se justifie qu’à condition de nous permettre d’organiser une stratégie de reconquête industrielle. Face à la mondialisation, le repli sur soi et le protectionnisme conduiraient à une inéluctable marginalisation. Dans cette optique de reconquête, le gouvernement français entend faire de 2005 l’année où les fruits des réformes entreprises depuis trois ans seront récoltés. La France joue aujourd’hui, avec l’Allemagne, un rôle actif pour que l’Europe équilibre sa politique de la concurrence par une politique industrielle plus volontariste. La France œuvre pour une Europe qui soutient et pilote des grands programmes, comme hier Ariane ou Airbus, demain ITER et Galiléo. Nous devons également développer les emplois hautement qualifiés et peu délocalisables chez nous. Tout cela ne se fera pas au détriment de notre politique sociale.
L’Europe politique, le volontarisme industriel et l’adaptation de notre modèle social constituent les axes de réponse que le gouvernement apporte aujourd’hui à la mondialisation. Face aux États-Unis, à la Chine, et bientôt à l’Inde, notre chance sera la force de l’Europe pour éviter la guerre des emplois.

Source
Le Monde (France)

« Retour de Chine », par Jean-Pierre Raffarin, Le Monde, 28 avril 2005.