Question : Comment voyez-vous le rôle à part entière de l’ONU dans le règlement du problème irakien ?
I.S.Ivanov : Pour résoudre avec succès le problème irakien, de notre point de vue, on a besoin, premièrement, de la confiance du peuple irakien, deuxièmement, de la participation active de la communauté internationale, de la légitimité des mesures qu’ils déploient dans l’intérêt de l’Irak.
De notre point de vue, ce qui se passe aujourd’hui, y compris les mesures du transfert partiel du pouvoir aux représentants irakiens, ne répond pas pleinement aux critères dont je viens de parler. Si l’on n’a pas la confiance du peuple irakien, il sera très difficile d’espérer que les autorités provisoires créées seront considérées par le peuple irakien comme légitimes. C’est pourquoi le besoin de la participation active de l’ONU s’impose.
Nous n’en parlons pas de manière abstraite, mais partant de la pratique que l’on a eue, par exemple, dans le cas de l’Afghanistan. Nous avons tenu à Bonn la conférence internationale pour l’Afghanistan sous l’égide de l’ONU. Actuellement, nous proposons de tenir, sous l’égide de l’ONU, la conférence pour l’Irak, à laquelle participeraient les représentants des différentes couches de la société et des milieux politiques irakiens, qui, avec les représentants de l’ONU et, disons, des états voisins, pourraient élaborer un plan conjoint du règlement, qui serait ensuite examiné au Conseil de Sécurité de l’ONU. Puis, on pourrait présenter ce plan au peuple irakien. Auquel cas, ce ne sera plus le plan d’un ou de deux pays, mais celui de la communauté internationale, approuvé par l’ONU. Ensuite, nous le croyons, l’organe provisoire du pouvoir exécutif de l’Irak pourrait, avec les représentants de l’ONU, entamer la période constitutionnelle, la préparation de la constitution, le recensement de la population, la préparation d’autres conditions nécessaires pour la tenue des élections.
Nous estimons nécessaire la présence en Irak, pendant une certaine période, des forces internationales de sécurité, dont la mission devra être clairement définie par le Conseil de Sécurité de l’ONU.
J’ai décrit le rôle que doit et peut jouer l’ONU dans l’intérêt du règlement irakien. Est-ce que cela contredit les intérêts des USA ou de l’Irak ? Je suis persuadé que non. Nous sommes tous intéressés au règlement irakien pour éviter les victimes dans cette situation gravissime, pour que l’Irak ne soit pas transformé en un foyer de terrorisme international. Nous ne sommes pas là adversaires, mais partenaires. Mais pour que nos pas soient efficaces, nous devons dialoguer. L’endroit le plus préférable pour ce dialogue serait le Conseil de Sécurité de l’ONU. Nous croyons que le rôle de l’ONU est tout à fait évident et, qui plus est, dans cette situation, irremplaÑxable.
Question : Ne croyez-vous pas que les membres de l’ONU auraient des difficultés pour revenir en Irak à la suite de la politique menée par les USA ?
I.S.Ivanov : Ils auront des difficultés s’ils reviennent tout simplement aujourd’hui, mais s’ils reviennent dans le contexte des pas dont j’ai parlé, - après la conférence internationale, l’approbation, par le Conseil de Sécurité de l’ONU, du plan du règlement et du mandat des forces internationales de sécurité, le retour de l’ONU sera logique. Auquel cas, il ne sera pas perçu par le peuple irakien comme la décision d’un seul pays, mais comme celle de l’ONU. Je suis persuadé que cette opération jouira de la confiance de la part de la population locale.
Question : Quand cela peut-il se passer ?
I.S.Ivanov : Il m’est difficile de parler en termes de dates, puisque aujourd’hui, les événements se développent selon un autre scénario. Le plan qui a été proposé par nos partenaires américains ces derniers jours, ne définit même pas le rôle de l’ONU. Mais je suis persuadé que nous en arriverons tous à ce que l’ONU aille jouer le rôle leader dans le règlement irakien. Plus vite cela se fera, plus rapide sera le processus du règlement, moins il y aura de victimes.
Question : Mais est-ce que les Américains ne nient pas non plus le rôle de l’ONU ans le règlement irakien ?
I.S.Ivanov : Aujourd’hui, le représentant des USA a de fait sur plusieurs problèmes le droit de veto aux décisions du Conseil d’administration provisoire de l’Irak. Il est évident que le représentant des USA définit dans une grande mesure les décisions du CAP. Dans cette situation, l’ONU ne peut pas jouer le rôle qui lui est destiné. L’ONU doit jouer un rôle autonome et déterminé. Quand on dit rôle déterminé, cela ne veut pas dire que l’ONU doit dicter les conditions, mais accomplir la mission qui lui incombera par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Le rôle clé dans le règlement du problème irakien devra aller aux institutions irakiennes, qui seront créées avec l’assistance de l’ONU, et qui ne peut pas les remplacer. L’ONU ne peut que leur prêter assistance et conférer la légitimité. C’est là le rôle exceptionnel de l’Organisation.
Question : Est-ce que la Russie va participer au processus du règlement irakien ?
I.S.Ivanov : Nous avons toujours souligné que la Russie est prête à participer au processus du règlement irakien. Si aujourd’hui nous n’y participons pas, comme beaucoup d’autres pays, ce n’est que parce que le processus qui se développe actuellement ne répond pas aux principes dont j’ai parlé. Si l’on tient compte de ces principes, certes, la Russie va y participer. Nous y avons des intérêts stratégiques. Nous observons avec anxiété l’Irak sombrer toujours plus dans une situation incontrôlée, le pays se transformer toujours plus en un centre de la concentration de diverses organisations terroristes. Et chaque jour, ce problème sera plus difficile à résoudre. Plus vite nous aurons uni nos efforts, plus vite nous obtiendrons le but commun.
Question : L’Iran a accompli les exigences avancées par les USA. Mais les USA sont toujours mécontents. C.Powell, Secrétaire d’état des USA, a aujourd’hui déclaré que l’Iran entendait tout de même fabriquer les armes nucléaires. Comment voyez-vous l’évolution de la situation ?
I.S.Ivanov : Avant tout, je ne connais aucun pays au monde qui prône que l’Iran possède les armes nucléaires. Nous nous sommes tous prononcés contre l’apparition en Iran d’armes nucléaires, pour que les programmes nucléaires de l’Iran soient à caractère uniquement pacifique. Là était notre position initiale, à laquelle nous nous sommes tenus.
L’AIEA a adopté la résolution qui contenait trois stipulations. Primo, que l’Iran présente l’information complète sur tous ses programmes nucléaires précédents et actuels, réalisés dans le pays. Secundo, que l’Iran signe le protocole supplémentaire sur les garanties de l’AIEA. Tertio, que l’Iran arrête le processus de l’enrichissement de l’uranium.
La Russie, avec les autres pays, a activement travaillé avec l’administration iranienne pour obtenir l’application de toutes ces stipulations. Nous notons avec satisfaction que l’Iran a donné son accord à leur application. Il a déjà présenté à l’AIEA l’information concernant les programmes nucléaires précédents et actuels, qui est à présent étudiée par les inspecteurs de l’AIEA. Nous attendrons leurs estimations. L’Iran a informé l’AIEA par écrit qu’il adhérait au protocole supplémentaire sur les garanties. A Moscou, le représentant des autorités iraniennes a déclaré que l’Iran arrêtait le processus de l’enrichissement de l’uranium. C’est pourquoi nous croyons que toutes les conditions qui n’avaient pas été avancées par la Russie, les USA ou la France, mais par l’AIEA, sont créées.
Aujourd’hui, notre tÑrche consiste à fixer l’Iran sur cette position. Si quelqu’un n’est pas satisfait de quelque chose dans la position de l’Iran, il est important de comprendre, de quoi précisément. Je crois qu’il ne faut pas maintenant aggraver la situation artificiellement, il est important d’obtenir que l’Iran respecte les obligations dont il s’est chargé. Pour cela, il faut un contrôle ferme qui sera réalisé par l’AIEA. Nous allons nous guider sur les conclusions et analyses que feront les représentants de l’AIEA.
Question : Pourquoi alors les USA expriment-ils quand même leur mécontentement ?
I.S.Ivanov : Il m’est difficile de le dire. Je crois que les décisions qu’a prises l’administration iranienne ont été dans une certaine mesure inattendues pour Washington. Il est compliqué pour les USA d’abandonner la ligne qu’ils avaient menée au cours des dernières années.
Question : Alors, l’Iran a-t-il fait trop dans ce domaine ?
I.S.Ivanov : Au moins, pour certains, cela est devenu une surprise.
Question : Comment voyez-vous l’idée de l’instauration des sanctions contre l’Iran ?
I.S.Ivanov : Je ne vois actuellement aucune raison pour instaurer les sanctions contre l’Iran. Au contraire, s’il s’acquitte de toutes les obligations qu’il a prises vis-à-vis de l’AIEA, la communauté internationale, en conformité avec les accords internationaux, devra aider l’Iran au développement des programmes nucléaires à des fins pacifiques. C’est l’obligation de la communauté internationale. La Russie continuera sa coopération avec l’Iran, y compris dans le domaine nucléaire.
Question : Quelles craintes la situation en Géorgie provoque-t-elle ?
I.S.Ivanov : Nous sommes inquiets par la situation actuelle en Géorgie, surtout par le fait qu’elle soit maintenant hors contrôle. Certes, les élections parlementaires méritent une sérieuse critique. En parlent les observateurs internationaux qui se trouvaient en Géorgie. Cependant, nous appelons E.A.Chévardnadzé, Président de la Géorgie, et toutes les forces politiques du pays, à ne pas laisser aller les émotions, mais prendre ensemble une décision et corriger les erreurs faites au cours des élections et maintenir le processus dans le cadre de la Constitution.
Cela répond aux intérêts non seulement de la Géorgie, mais de la Russie. La Géorgie est notre voisin. Nous avons une situation compliquée à la frontière avec la Géorgie. C’est pourquoi, plus la situation en Géorgie sera stable, plus on aura de possibilités de garantir la sécurité de notre frontière. Partant de cela, la Russie est intéressée à ce que la Géorgie sorte de la crise par voie constitutionnelle. Pour notre part, nous allons y contribuer.
Question : Comment la Russie entend-elle y contribuer ?
I.S.Ivanov : Ce n’est pas un secret que la situation en Géorgie est tellement tendue que beaucoup de politiques craignent les altercations, la violence. C’est pourquoi A.Abachidze, Président de l’Adjarie, qui avait soutenu E.A.Chévardnadzé, Président de la Géorgie, a visité les états voisins - la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, afin d’avoir leur soutien en faveur de la solution de tous les problèmes par voie constitutionnelle.
En Géorgie, trop de problèmes s’accumulent, liés avec le crime organisé, l’infiltration des terroristes, qui peuvent provoquer l’aggravation de la situation. Nous en avons parlé auparavant également. Malheureusement, notre voix n’a pas été entendue. Malgré tous les différends que nous avons eus avec l’administration de la Géorgie, nous prônons le règlement de tous les problèmes dans le cadre du champ de droit. Pour nous, avant tout, c’est la stabilité de la Géorgie qui importe.
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