La crise ouverte par la guerre en Irak n’est pas près de se résorber. On peut désormais parler de véritable rupture, une rupture qui n’aura pas les mêmes conséquences pour les deux partenaires.
Il y a un an, la France n’a pas seulement milité pour la paix, position parfaitement défendable, mais elle a milité contre l’Amérique en promettant de mettre son veto quelles que soient les circonstances, en renvoyant Tony Blair dans les cordes et en faisant une tournée africaine pour rameuter le plus de voix possible à l’ONU. Il s’agit d’un véritable activisme contre un pays ami que nous avons poignardé dans le dos. Il y a longtemps que des intellectuels de cour, souverainiste ou ex-gauchiste, souhaitaient cette rupture avec l’ « hyperpuissance », une rupture également voulue par l’extrême droite.
Malheureusement pour nous, nous sommes bien seul dans notre « rébellion » contre l’Empire yankee. Pour beaucoup de pays européens, la rupture avec Washington et l’alliance avec Moscou ne va pas de soi. Même l’Allemagne et la Russie ne sont pas fiables. Une majorité de nos voisins se méfient de la France qui déteste l’Amérique car elle partage son arrogance, mais pas sa puissance. La France s’est comportée avec les pays européens qui n’étaient pas d’accord avec elle comme un maître d’école dépositaire du bien suprême. Paris s’est affranchi du lien transatlantique tout en rejetant ses engagements européens, difficile dans ces conditions d’affirmer vouloir créer un contrepoids à Washington.
L’Amérique agit, mal peut-être, mais elle obtient de temps à autre des résultats alors que la France ne fait que vitupérer. La France est en train de s’isoler. Il faut qu’elle retrouve ses partenaires.

Source
Le Monde (France)

« L’ivresse du seul contre tous », par Pascal Bruckner, Le Monde, 29 janvier 2004.