La lecture du dernier livre de Richard Perle laisse penser que la période néo-conservatrice est peut-être terminée. Les néo-conservateurs ne perdent pas seulement leur emprise sur le pouvoir, mais leur contact avec la réalité. En effet, dans son livre An End to Evil : How to Win the War on Terror, il affirme dès l’introduction que la guerre au terrorisme doit être gagnée ou bien nous disparaîtrons en tant que nation et ferons face à un « Holocauste ». Comment cela est-il possible alors qu’aucun Américain n’est mort dans un attentat terroriste sur notre sol depuis le 11 septembre ? Il affirme que les militants de l’islam veulent renverser notre civilisation pour imposer leur religion et leurs lois, mais comment les gars de Tora Bora parviendraient-ils à nous faire prier cinq fois par jour vers La Mecque ?
Affirmer que David Frum et Richard Perle sont hors sujet ne signifie pas que nous sous-estimons le danger terroriste. Nous savons que lors du pire attentat terroriste que nous ayons subi, nous avons perdu 3000 personnes. Si c’est horrible, nous devons noter que nous avons perdu bien plus de concitoyens pendant les guerres que nous avons menées par le passé et cela ne nous a pas détruits. Nous faisons face à un ennemi faible : le terrorisme est l’arme des faibles. Le temps est de notre côté car là où l’islamisme prend le pouvoir, il échoue, comme le prouve les exemples afghan, soudanais et iranien. Quand bien même les 22 États arabes deviendraient islamistes, nous devrions noter que la somme de leur PIB n’excède pas celui de l’Espagne et que leurs exportations, si on enlève le pétrole, ne dépassent pas celle de la Finlande. Si la mort arrive en Occident, c’est parce que nous avons adopté une culture de mort en limitant nos naissances et en autorisant l’avortement.
Perle et Frum ont surtout besoin de la peur pour justifier leur guerre. Ils continuent donc contre toute vraisemblance d’affirmer que l’Irak était une menace imminente. Ils affirment également que leur livre est un manuel de la victoire contre le terrorisme, comme si cela était possible. Le terrorisme est simplement le meurtre de non-combattants à des fins politiques. Il a toujours été utilisé. Les auteurs affirment cependant qu’on peut y parvenir en traquant les terroristes avant qu’ils agissent et tous les régimes l’utilisant contre qui que ce soit. Nous devrions alors combattre une bonne part des 192 pays de la planète, mais la liste des pays à combattre dans le livre n’est pourtant, à l’exception de la Corée du Nord, que celle des pays qu’aurait pu fournir le ministère de la Défense israélien. Ils veulent que nous fassions la guerre à Al Qaïda, au Hezbollah et au Hamas, mais que nous ont fait ces deux derniers mouvements, pourquoi serait-ce à nous de les détruire ? Ils affirment que nous devons attaquer la Syrie, la Libye, l’Arabie saoudite et l’Iran. Pourquoi ? Les deux seigneurs de guerre de l’American Enterprise Institute veulent également renverser le régime de Pyongyang, mais accepteraient un régime communiste vassal de la Chine. Il faudrait également traiter la France comme un ennemi.
Les deux auteurs regrettent que la combativité décline à Washington. Leur promesse non tenue sur la conduite de la guerre a en effet refroidi George W. Bush. Selon eux, les difficultés en Irak proviennent des réticences du département d’État à soutenir l’Iraqi National Congress et Amhed Chalabi pour ne pas déplaire aux Saoudiens. Écrit à la va vite, ce livre est également une tentative pour excuser les mensonges qui nous ont entraîné dans le plus grand désastre depuis le Vietnam. Perle avait affirmé que l’Irak disposait d’un programme nucléaire et entretenait des liens avec les terroristes. Les néo-conservateurs ont eu la guerre qu’ils voulaient, mais comme elle ne se déroule pas comme prévu, ils cherchent une excuse et ils stigmatisent la couardise du département d’État, de la CIA, du FBI, des anciens généraux et d’anciens diplomates qui seraient vendus à l’Arabie saoudite. Ces affirmations tendent à faire croire que les néo-conservateurs sont effectivement en train de perdre le pouvoir et qu’ils ne font plus ce qu’ils veulent. Il semble qu’ils n’arriveront plus à convaincre la population et le Congrès de mener une nouvelle guerre et on parle d’un retour de James Baker dans l’administration qui suivrait un départ de Wolfowitz. Karl Rove s’est fixé comme mot d’ordre : « pas de guerre en 2004 ».
C’est pour trouver une justification à de nouvelles interventions que les néo-conservateurs parlent d’holocauste et de menace pour notre civilisation. En réalité, ils veulent surtout rendre le Proche-Orient plus sûr pour Ariel Sharon. Notre ennemi est Al Qaïda, pas la Syrie, la Libye ou l’Arabie saoudite et nous devons isoler ce mouvement en collaborant avec ces pays. Perle et Frum veulent au contraire profiter du 11 septembre pour étendre indéfiniment la liste des ennemis et inclure tous ceux d’Israël pour constituer un empire au Proche-Orient. Le tout en ignorant nos alliés traditionnels.
La guerre contre Al Qaïda est trop importante pour laisser les néo-conservateurs la transformer en guerre pour l’hégémonie. Ce n’est pas la guerre de l’Amérique. Frum n’est même pas américain, il est canadien et il n’a pris la nationalité que quand il a trouvé un boulot à la Maison-Blanche. Il s’est fait virer au bout d’un an après que sa femme eut révélé sur internet qu’il avait inventé la phrase sur l’« Axe du Mal ». Perle est, lui, un acteur important depuis l’époque de Nixon, mais c’est son rapport « a Clean Break » qu’il a co-rédigé qui l’ a rendu célèbre. Il était alors conseiller en politique étrangère de Bob Dole, mais cela ne l’empêchait pas de conseiller un gouvernement étranger de faire capoter un accord de paix soutenu par son gouvernement. Aujourd’hui, tout en étant membre du Pentagone, il demande d’attaquer quatre ou cinq pays dont l’Arabie saoudite, un ami des États-Unis.
En perte de vitesse et attaqué de toute part, les néo-conservateurs affirment que tous leurs détracteurs sont antisémites. Il ont même accusé le général Zinni, un héros du Vietnam. Sils voient dans toutes les critiques à leur égard une motivation ethnique, il semblerait juste de creuser dans cette direction et de remarquer que la pierre angulaire de leur doctrine est le soutien à Sharon. Pour eux le sionisme est une seconde nature et ils deviennent fou quand l’historien britannique Tony Judt propose la création d’un État binational en Palestine. Il faut pourtant comprendre que depuis la fin de la Guerre froide, les intérêts d’Israël et des États-Unis ne concordent plus forcément et que si nous continuons à défendre ce pays, nous ne devons pas soutenir toutes ses initiatives sous peine de nous mettre en danger.
« No End to War », par Patrick J. Buchanan, The American Conservative, 1er mars 2004.
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