Le 4 juin, Jalal Talabani, premier président démocratiquement élu d’Irak, a assisté à Irbil à l’inauguration de l’Assemblée nationale kurde. Dans cette ville d’un million d’habitants, on ne trouve pas toutefois un seul drapeau irakien et beaucoup de parlementaires kurdes devant prêter serment en faveur de l’unité de la région du Kurdistan d’Irak oubliaient la partie « d’Irak » dans leur serment. Dans le même temps, le représentant des services de renseignement iranien à Irbil se réjouissait de l’arrivée au pouvoir en Irak des personnes soutenues par Téhéran.
George W. Bush a décrit la lutte en Irak comme un combat entre les Irakiens épris de liberté et les terroristes. Mais cette lecture n’est pas la bonne. Il n’y a pas d’insurrection irakienne, il y a une insurrection arabe sunnite. Or cette dernière n’a aucune chance de gagner en Irak car elle ne pourra jamais rassembler derrière elle les Kurdes et les chiites. Dans son discours du 28 juin, George W. Bush a mis au centre de sa stratégie irakienne la construction d’une armée irakienne et la rédaction d’une constitution. La mise en place d’une armée nationale dans un pays sans sentiment d’appartenance nationale est une gageure. Les Kurdes et les chiites soupçonnent, souvent à raison, les officiers sunnites d’être en lien avec l’insurrection et les responsables politiques chiites ou kurdes font assurer leur sécurité par leur propre milice. Les Américains ne comprennent pas que les chiites et les Kurdes ne veulent plus des associés de Saddam Hussein, qui ont du sang sur les mains, dans l’armée.
L’élection en Irak a amené au pouvoir une liste chiite qui comprenait des laïcs, comme Ahmed Chalabi, mais où le vrai pouvoir appartient aux religieux. Aujourd’hui, ces partis veulent imposer un État islamique faisant de l’islam la principale source de la loi, limitant les droits des femmes et ceux des autres croyances. Déjà, les milices de ces partis se comportent comme la police religieuse iranienne dans les villes du Sud. Le parti Daawa et le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak ne font pas qu’appliquer une politique à l’iranienne, ils soutiennent les intérêts de l’Iran. Téhéran peut aussi s’appuyer sur ses hommes infiltrés dans les forces armées irakiennes. Le 7 juillet, un accord a été signé entre l’Iran et l’Irak, qui fait de l’Iran l’un des pays se chargeant de la formation des militaires irakiens.
Dans le même temps, le Kurdistan avance vers son indépendance. Massoud Barzani est devenu président du Kurdistan. Le parlement kurde l’a également fait commandant en chef des forces kurdes. Ce titre est limité par le fait que les forces kurdes ne peuvent pas sortir du territoire kurde. En revanche, aucune force armée irakienne non kurde ne peut pénétrer au Kurdistan sans autorisation du parlement kurde. En outre, les Kurdes ont massivement voté en faveur de l’indépendance lors d’un référendum informel.
Le débat autour du fédéralisme est en fait une lutte entre Kurdes et chiites sur l’indépendance du Kurdistan. Dans ces conditions, il est illusoire d’imaginer un accord rapide sur la constitution. Dans ce débat, les Kurdes refusent de transiger sur le sécularisme, le droit des femmes et le fédéralisme. Il serait ironique que les États-Unis ne les soutiennent pas dans ces objectifs, compte tenu de leurs objectifs affichés pour l’Irak avant la guerre. Il aurait été possible en théorie qu’une constitution théocratique s’installe dans tous l’Irak sauf au Kurdistan, mais L. Paul Bremer avait rendu cette option caduque.
Bien plus que l’insurrection, ce qu’il faut craindre en Irak c’est un rapprochement avec l’Iran. Pour l’empêcher, il faut faire de l’Irak une fédération aux liens lâches.
« Iraq : Bush’s Islamic Republic », par Peter W. Galbraith, New York Review of Books, 14 août 2005.
« In Iraq, Bush is laying the foundations of an Islamic Republic », Daily Star, 15 août 2005.
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