La faille la plus criante dans la Constitution, celle qui garantit à elle seule que la résistance n’aura aucun mal à recruter ces prochaines années, est celle autour de l’Article 108 qui ne comporte pas de clause indiquant qu’aucune puissance étrangère ne peut être autorisée à maintenir des bases sur le sol irakien. Cette clause est le sine qua non absolu pour mettre fin à la rébellion sunnite et ramener le calme chez les milices de Moqtada al-Sadr. Sans une pareille clause, la violence n’est pas prête de s’éteindre.
Cet oubli n’est pas surprenant, étant donné que les États-Unis n’ont aucune intention de se retirer intégralement à moyen terme. Toutes les déclarations ne concernent que des « réductions » de troupes, c’est à dire de les ramener à un niveau acceptable (pour les Américains) d’environ 20 à 30 000 hommes, qui seront barricadés dans une demi-douzaine de bases en dur dont la construction est impossible à ignorer pour quiconque s’est déjà retrouvé coincé dans les embouteillages par des convois massifs de camions de chantier.
Cette dynamique place la nouvelle équipe dirigeante irakienne devant un dilemme inextricable. Elle ne peut survivre sans une présence états-unienne massive et ne peut donc exiger le départ des troupes ; mais tant qu’elle ne le fera pas, des millions d’irakiens la considéreront comme illégitime, peu importe les élections et constitutions.
Un autre point est le pétrole et l’économie. Durant son année de règne direct sur l’Irak, L. Paul Bremer a émis un certain nombre "d’ordonnances" qui privatisèrent les grandes entreprises d’État, autorisèrent les sociétés étrangères à détenir 100 % d’une société (sauf dans le pétrole), offrirent aux entreprises étrangères les mêmes privilèges que les locales et autorisèrent sans restriction et sans aucune taxation les transferts des profits hors du pays. La constitution ne mentionne pas ces "ordonnances" et il est donc fort probable qu’elles deviendront de fait des Lois, votées par personne. D’ailleurs, mis à part l’Article 23 concernant la propriété foncière, il n’y a aucune restriction à ce que des entreprises étrangères soient propriétaires à 100% de ce qu’elles veulent dans le pays, y compris le pétrole. Quelques articles mentionnent bien que le pétrole est un bien collectif ou tempèrent la répartition de ses fruits entre régions Kurdes et chiites qui en sont riches et régions sunnites, qui n’en ont pas - mais rien n’interdit au "peuple" irakien de céder cette propriété collective.
Cette constitution contient donc les outils permettant un contrôle significatif des États-Unis sur l’Irak, même à l’avenir, par chemins détournés. Les articles 25 et 26 renforcent encore ce contrôle en inscrivant dans la constitution l’obligation pour l’Irak à mettre en place un programme de réformes structurelles selon un modèle qui, aux dires même de la Banque Mondiale, a déjà causé des catastrophes économiques dans d’autres pays, notamment en Afrique et au Moyen Orient. Mais l’Irak devra s’y plier par ordre constitutionnel si elle veut obtenir l’allègement de la dette contractée par Saddam ainsi que des fonds pour sa reconstruction.
Tant que des millions d’Irakiens considèrent que les militaires états-uniens ainsi que les multinationales anglo-saxonnes sont les vrais détenteurs du pouvoir en Irak - et cette constitution ne fait pas grand chose pour les convaincre du contraire - alors le pays et ses habitants continueront à souffrir.
« Catch-22 : the new Iraqi constitution », par Mark LeVine, AlterNet, 21 octobre 2005. Ce texte est adapté d’une interview.
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