Les États-Unis préfèrent un Irak démocratique et unifié, mais on pourrait voir le pays se scinder en deux avec un départ des Kurdes. Pourtant, un État fédéral kurde au nord de l’Irak serait un plus significatif pour les États-Unis et la Turquie.
La Turquie craint les intentions des États-Unis dans le nord de l’Irak où les Kurdes vivent en autonomie. Les Turcs et leurs médias sont convaincus que les États-Unis vont soutenir un Kurdistan indépendant pour diviser la Turquie et les théories de la conspiration sur ce sujet abondent. La frustration des Turcs est née à la veille de la guerre. Un responsable turc s’est récemment plaint auprès de moi que le prince Bandar bin Sultan bin Abdulaziz Al Saud, ambassadeur saoudien aux États-Unis avait été averti des plans d’attaques de l’Irak, mais que la Turquie n’avait pas du tout été prévenue, tout comme elle est privée d’informations sur le transfert de pouvoir qui s’opèrera le 30 juin. C’est la conséquence de la méfiance que suscite Ankara à Washington. Ankara ne veut pas d’un État kurde dans le Nord de l’Irak et s’inquiète du sort des Turkmènes, mais cet intérêt soudain de la Turquie pour cette population soulève la suspicion aux États-Unis et en Irak. Cela a conduit à l’arrestation de membres des forces spéciales turques dans le Nord de l’Irak. Une humiliation qui n’a pas été oubliée par la Turquie.
Il faut toutefois noter que les deux pays sont en train de faire des efforts pour passer outre la suspicion mutuelle car un échec des États-Unis en Irak serait désastreux pour la Turquie. Il faut aider la Turquie à abandonner son obsession kurde. Le gouvernement turc a déjà compris que développer les conditions d’existence des Kurdes en Turquie était un moyen d’entrer dans l’Union européenne et les Kurdes irakiens, résolument pro-occidentaux, savent qu’une Turquie dans l’Europe serait un bon pont pour les relier à l’occident. Un Kurdistan autonome dans le nord de l’Irak entretenant de bonnes relations avec Ankara est dans l’intérêt de la Turquie pour régler son problème kurde et dans l’intérêt des Kurdes irakiens qui seraient ainsi protégés par Ankara de toute attaque pouvant être conduite par un nouveau gouvernement à la Saddam Hussein à Bagdad. De leur côté, les États-Unis doivent régler la question des guérillas kurdes turques dans les montagnes en Irak, demander aux Kurdes d’abandonner leur rhétorique nationaliste et démontrer à Ankara qu’il compte dans les politiques de Washington tout en rassurant les militaires turcs.
John Negroponte devra s’y employer rapidement.

Source
Los Angeles Times (États-Unis)

« A Kurdish State Within Iraq Would Benefit the Region », par Henri J. Barkey, Los Angeles Times, 20 juin 2004.