A l’issue de la guerre, les formations politiques ayant défendu le Liban face à l’agression étrangère disposent d’un soutien populaire massif, tandis que la majorité parlementaire est conspuée pour son inertie durant les jours de malheur. Privé de légitimité constitutionnelle depuis trois semaines, le gouvernement s’accroche illégalement au pouvoir avec le soutien des États-Unis et d’une partie du gouvernement français. 800 000 Libanais ont manifesté le 1er décembre 2006 pour exiger le départ du gouvernement et 5 000 personnes campent jour et nuit pour bloquer l’accès au palais gouvernemental. Nous reproduisons le discours du général Michel Aoun, porte-parole de l’opposition.
Grand peuple du Liban !
En ces moments historiques, je m’adresse à vous dans une atmosphère pleine d’espoir et non d’appréhension, car nous avons la conscience tranquille et nous cherchons à atteindre nos objectifs nationaux de façon à garantir la sécurité, la souveraineté et l’indépendance de notre patrie.
Aujourd’hui, nous concrétisons ensemble les concepts nationaux et éthiques qui ne sont plus des slogans creux mais une réalité vécue dans chaque maison et dans tous les cœurs.
Nous consolidons aujourd’hui l’unité nationale qui est devenue un mode de vie que nous choisissons pour l’avenir.
Nos valeurs ne reposent pas sur un discours politique et si d’autres s’expriment mieux que nous, nous avons en effet démontré que nous respectons nos engagements et tenons nos promesses plus que tout autre parti.
Nous ne sommes pas aujourd’hui à la croisée des chemins comme ils le prétendent, mais sur une voie toute droite laissant derrière nous la crainte, l’angoisse et les rumeurs.
Je salue les présents, mais je voudrais aussi saluer les absents et je précise que nous aurions été bien plus heureux si ce Sérail [1] était présent parmi nous grâce à ses ministres.
Nous ne cherchons pas à les isoler ni à monopoliser le pouvoir, ni à réaliser des intérêts personnels ou partisans, mais à consolider aujourd’hui la patrie sur ses bases essentielles sans lesquelles elle ne peut exister.
Nous avons suffisamment de détermination, de patience et de sagesse pour chercher à obtenir le retour du fils prodigue à ce grand peuple qui n’aspire qu’à unifier tous ses fils.
En dépit de ses ces périls que nous considérons momentanés, nous remercions les chaînes de télévision, même celles qui, en de telles manifestations nationales où ne flotte que le seul drapeau libanais, possèdent des compteurs confessionnels et dénombrent des milliers de chrétiens et des centaines de milliers de chiites [2]. Nous leur disons : C’est une honte de faire des distinctions entre les Libanais sur des bases confessionnelles. Nous nous sommes réunis sous la bannière nationale et nous en sommes fiers sans aucune honte à ressentir devant le monde entier.
Oui, nous sommes extrémistes pour la préservation de la souveraineté et de l’indépendance, la sauvegarde du libre arbitrage et dans notre attachement à la modération. La modération ne signifie pas renonciation au droit ni à la souveraineté et l’indépendance. Elle ne signifie pas non plus la recherche d’une décision perdue dans les capitales proches ou lointaines. Nous voulons aujourd’hui libérer cette décision.
La décision libre est de nous rencontrer entre Libanais et par l’entente sur la politique intérieure, la politique étrangère et celle de défense, nous obtenons notre libre décision et cela ne peut se faire que par l’entente des Libanais sur la politique intérieure, la politique étrangère et la politique de défense du pays.
Et cette libre décision ne change pas géographiquement entre les régions libanaises ni entre celles-ci et d’autres régions à l’étranger.
Nous comptons préserver nos amitiés et établir des liens d’amitié avec tout le monde, à l’Est comme à l’Ouest, à condition que ceux-ci respectent notre volonté nationale et nous laissent décider de nos questions internes.
Nous considérons que tout appui au gouvernement Siniora de quelque État qu’il vienne n’est point un soutien amical mais vise à provoquer des confrontations au sein de la société et que le complot vise le Liban et son unité nationale.
Nous ne cherchons pas à retrouver une place au pouvoir, ni à gagner un siège ministériel que ce soit le tiers plus un ou dix ou autre, nous cherchons à participer à la décision nationale pour qu’elle soit conforme à la société libanaise, et non à paralyser cette décision ni à la saboter comme le prétendent certains ministres et responsables.
Nous ne voulons pas mettre les bâtons dans les roues, mais faire de la bienséance une base à toute décision concernant les Libanais et le territoire national.
Quand je m’adresse au Premier ministre, ce n’est pas à un sunnite que je parle, pas plus que je ne m’adresse au président de la République comme à un maronite ni au président de la Chambre comme à un chiite. Je m’adresse au Premier ministre du Liban, car il n’y a pas de communautarisme dans la résolution des affaires publiques, et le président du Conseil n’a d’autre qualificatif que celui d’être libanais et d’être pour tous les Libanais.
En le critiquant, ce n’est pas la communauté sunnite que nous attaquons comme il plait à certains de le décrire, mais au Premier ministre du Liban qui a commis beaucoup d’erreurs et doit démissionner. Qu’un autre sunnite plus expérimenté et qui connaît mieux le tissu social libanais et ses causes nationales le remplace.
Nous souffrons aujourd’hui au sein de notre société de plusieurs fléaux. Ils ont fait de la corruption notre destin, mais je vous dis que celle-ci n’est point un destin et nous pouvons réformer la société, la purifier de la corruption [3].
[L’orateur est interrompu par la foule qui scande « Siniora démission ! »]
Ceci est votre volonté et nous sommes d’ailleurs là pour l’exprimer. Le Liban restera libre pour tous ses citoyens. La cohabitation [entre communautés] n’a nul besoin d’être défendue, elle existe et nous la vivons chaque jour. C’est un mode de vie et non un slogan vide de tout contenu.
Je vous appelle à appuyer la marche du changement et de la réforme, la marche pour la consolidation de la liberté et la consolidation des droits de tous les citoyens. Les droits du citoyen ne sont pas soumis aux fois religieuses, ni au communautarisme, ni aux partis politiques. Ce sont des droits acquis que doivent préserver tous les gouvernements, et qui appartiennent à tout le monde, qu’on soit au pouvoir ou dans l’opposition.
Nous souffrons aujourd’hui d’une marginalisation systématique et certains partis au pouvoir veulent provoquer une atmosphère de confrontation que nous ne cherchons pas. Nous autres, nous sommes ouverts au dialogue et nous cherchons toute accalmie qui nous conduirait à une unité nationale où tous les Libanais participeraient à l’élaboration de ses décisions.
Nous ne pouvons pas admettre que le gouvernement actuel est un gouvernement d’union nationale. Il a clairement bafoué les textes constitutionnels [4]. Nous souhaitons que le Premier ministre et les ministres lisent à nouveau ces textes afin qu’ils soient convaincus, devant cette marée humaine, que leur situation est devenue anticonstitutionnelle.
Nous savons tous que la violation de la Constitution est un crime puni par la loi.
J’aurai souhaité que le Premier ministre et les ministres soient avec nous aujourd’hui et ne se cachent pas derrière les fils barbelés et les blindés de l’armée [5]. Ceux qui ont l’appui du peuple n’ont nul besoin de fils barbelés, ni de blindés. Ils peuvent avoir recours à une garde rapprochée pour les protéger contre un éventuel aliéné ou un marginal de mauvaise nature, mais on ne se protège pas de tout un peuple.
J’appelle le Premier ministre et ses ministres à démissionner afin de mettre fin à la crise actuelle et d’ouvrir la voie à la formation d’un gouvernement d’union nationale qui traitera les problèmes épineux.
Nous ne sommes pas ici pour donner des explications, ni les détailler, mais l’unique issue restante est la démission du gouvernement.
Aujourd’hui, nous avons commencé le sit-in [6] et je demande à ce que tous ceux qui y participent continuent et persistent.
Il est clair que ce ne sera pas avec le même nombre, mais nous aurons d’autres rencontres similaires. J’invite tout le monde à poursuivre ce sit-in continu jusqu’à parvenir aux objectifs que nous nous sommes fixés.
Vive le Liban !
[1] Le Sérail est le siège du gouvernement.
[2] La manifestation était retransmise par de nombreuses télévisions. Pour CNN, elle rassemblait 200 000 personnes, majoritairement des chiites et quelques chrétiens et communistes. La chaîne états-unienne présentait des plans fixes limitant le champ de vision de la foule. Ses images étaient commentées par un conseiller du Premier ministre libanais. Pour Al-Jazeera, elle réunissait 800 000 Libanais de toutes confessions. La chaîne qatarie présentait des vues aériennes pour prendre la dimension de la manifestation et donnait la parole à de nombreuses personnalités représentatives des diverses communautés et à des citoyens anonymes.
[3] Le Premier ministre, Fouad Siniora, est l’ancien fondé de pouvoir des sociétés du clan Hariri. Son fondateur, Rafik Hariri, s’est rendu indispensable en participant à la solution de la guerre civile (accord de Taëf) et a profité de sa situation pour accumuler une fortune personelle de 16,7 milliards de dollars tout en faisant du Liban le pays le plus endetté au monde (38,6 milliards de dollars avant l’offensive israélienne).
[4] Depuis la démission de tous les ministres chiites (deux membres du Hezbollah, deux membres d’Amal, une personnalité indépendante), le 11 novembre 2006, puis du représentant de la communauté grecque orthodoxe, le gouvernement n’est plus représentatif de la diversité du Liban comme l’exige l’article 95A de la Constitution.
[5] Pour sa sécurité, le Premier ministre vient de constituer une garde prétorienne, entièrement financée et équipée par les États-Unis.
[6] 5 000 volontaires se relayent nuit et jour pour bloquer l’accès au Sérail.
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