La majorité des Libanais ont été consterné par l’alignement de la France sur les États-Unis dans sa tentative de déstabilisation du Liban par la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Cette position est incompréhensible quand on se souvient qu’en 1996, c’est la France qui avait réussi à convaincre les États-Unis à reconnaître la légitimité de la résistance du Hezbollah au sud du Liban. C’est également la France qui, il y a deux ans, a organisé le sauvetage financier du Liban. C’est, enfin, encore la France qui s’oppose depuis trois ans à la politique des États-Unis au Proche-Orient.
Aujourd’hui pourtant, la France participe à une déstabilisation de tout le pays en approuvant un texte qui demande le désarmement du Hezbollah (que les États-Unis considèrent comme un groupe terroriste, contrairement à 90 % des Libanais) et des groupes palestiniens. Dans le même temps, on demande à la Syrie de retirer son armée alors qu’elle est une force de stabilité du pays et qu’aucun désarmement de ces groupes n’est possible sans elle. La résolution exige enfin des parlementaires libanais qu’ils refusent l’amendement de la Constitution libanaise, même si la procédure constitutionnelle est respectée, qui permettrait l’extension ou le renouvellement du mandat de l’actuel président de la République, le général Emile Lahoud. Sur ce plan déjà, le Parlement libanais a enfreint la résolution.
Pourquoi agir ainsi aujourd’hui ? Pourquoi vouloir empêcher la prolongation du mandat d’Émile Lahoud et ne pas protester devant les régimes arabes dont les dirigeants sont là depuis des années ? Est-ce pour le punir de son soutien au Hezbollah qui a libéré le Sud du pays ? Est-ce que les États-Unis cherchent à amplifier leurs pressions sur la Syrie en utilisant la carte libanaise ? Dans ce cas, pourquoi la France, traditionnelle alliée du Liban s’y associe-t-elle ? Cette attitude est dangereuse car elle réveille chez certains chrétiens l’envie d’une « protection » occidentale et chez les musulmans la rancœur vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Le président de la République français a des liens étroits avec le Premier ministre libanais qui s’est fortement opposé au maintien en poste de Lahoud, mais on a du mal à penser qu’une politique étrangère pourrait être dictée par des liens personnels. La France a-t-elle attrapé la fièvre coloniale en provenance des États-Unis et du Royaume-Uni ? La France a-t-elle été influencée par le manifeste de Beyrouth publiée de façon surprenante à la une du Monde et qui laissait penser qu’il reflétait l’opinion de la majorité des Libanais ?
On aurait aimé, en tout cas, que ce souci pointilleux de démocratie et de constitutionnalisme, exprimé dans la résolution 1559, ait été aussi ardent lorsque nous avons eu deux présidents élus sous la menace des canons israéliens entourant le Parlement en 1982 ou lorsque l’État d’Israël durant vingt-deux ans n’a pas respecté la résolution 425 du Conseil de sécurité lui enjoignant de retirer toutes ses troupes du sud du Liban occupé en 1978. Le Liban quoi qu’il en soit ne se laissera pas intimider.
« Pourquoi la France change-t-elle d’attitude au Liban ? », par Georges Corm, Le Monde, 15 septembre 2004.
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