A l’occasion du débat budgétaire à l’Assemblée nationale, le rapporteur sur la politique de défense, le député Yves Fromion, a rappelé —comme chaque année— la dramatique faiblesse du renseignement français par rapport à ses homologues européens. Nous reproduisons ici un extrait de son rapport qui, bien que laconique, donne un aperçu du problème.
La priorité que constitue le renseignement face à l’émergence de menaces nouvelles et très mouvantes est devenue un lieu commun. Pourtant, par-delà un discours très consensuel sur ce point, il faut bien constater que le dispositif français de renseignement n’a pas fait l’objet de l’attention nécessaire sur un plan financier. Certes, la compétence des personnels et la mise en œuvre d’une coordination accrue et pragmatique ont permis de pallier les lacunes avec quelque succès. Mais l’honnêteté commande de reconnaître que l’on atteint désormais les limites de l’exercice. Le projet de loi de finances en témoigne à sa manière, puisque les évolutions que l’on peut déplorer ou saluer ligne par ligne jouent sur des sommes et des effectifs des plus modestes, en tout cas hors de proportion avec la réalité des enjeux de souveraineté et de sécurité. C’est à une tout autre échelle d’ambition et de financements qu’il faudra se situer lors de la prochaine loi de programmation militaire, tant sur le plan des équipements que sur celui, essentiel, des ressources humaines.
Un budget de transition
La mission « Défense » comprend les crédits de trois services de renseignement placés sous la tutelle de ce ministère. Le programme 144 retrace au travers de l’action « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » les moyens affectés à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ainsi que ceux de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Les crédits accordés à la direction du renseignement militaire figurent pour leur part au programme 178 « Préparation et emploi des forces », au sein de la sous-action 11 « Renseignement d’intérêt militaire ». L’étude conjointe de l’ensemble de ces crédits autorise une meilleure vision de l’effort consenti en faveur du renseignement. Elle est de plus rendue nécessaire par le travail de mutualisation entrepris depuis plusieurs années par la DGSE et la DRM dans le domaine des équipements d’interception.
Le tableau suivant récapitule l’évolution des crédits consacrés au renseignement au sein de la mission « Défense » par programme, sous-action et titre. Il fait apparaître une progression d’ensemble très modeste des autorisations d’engagement (+ 0,3 %) et un peu plus grande des crédits de paiement (+ 2,4 %).
Évolution des crédits consacrés au renseignement (en millions d’euros)
Programme, sous action et titre | AE-LFI 2007 | AE-PLF 008 | AE-Évolution en % | CP-LFI 2007 | CP-PLF 2008 | CP-Évolution en % |
---|---|---|---|---|---|---|
Sous-action 31 Renseignement extérieur | 428,75 | 425,56 | - 0,74 | 444,75 | 440,16 | - 1,03 |
titre 2 dépenses de personnel | 291,95 | 280,15 | - 4,04 | 291,95 | 280,15 | - 4,04 |
titre 3 dépenses de fonctionnement | 36,45 | 33,41 | - 8,35 | 33,81 | 33,41 | - 1,19 |
titre 5 dépenses d’investissement | 100,34 | 112,00 | 11,62 | 118,99 | 126,60 | 6,40 |
Sous-action 32 Renseignement de sécurité de défense | 92,23 | 93,88 | 1,79 | 93,00 | 93,78 | 0,83 |
titre 2 dépenses de personnel | 80,24 | 81,82 | 1,97 | 80,24 | 81,82 | 1,97 |
titre 3 dépenses de fonctionnement | 7,64 | 7,55 | - 1,18 | 7,64 | 7,55 | - 1,18 |
titre 5 dépenses d’investissement | 4,34 | 4,50 | 3,64 | 5,12 | 4,40 | - 14,01 |
Total programme 144 | 520,97 | 519,44 | - 0,29 | 537,76 | 533,94 | - 0,71 |
Sous-action 11 Renseignement d’intérêt militaire | 127,82 | 131,54 | 2,91 | 129,72 | 149,34 | 15,13 |
titre 2 dépenses de personnel | 108,55 | 114,08 | 5,10 | 108,55 | 114,08 | 5,10 |
titre 3 dépenses de fonctionnement | 7,70 | 7,00 | - 8,99 | 6,27 | 6,75 | 7,79 |
titre 5 dépenses d’investissement | 11,57 | 10,45 | - 9,68 | 14,90 | 28,50 | 91,28 |
Total programme 178 | 127,82 | 131,54 | 2,91 | 129,72 | 149,34 | 15,13 |
Total général | 648,79 | 650,98 | 0,34 | 667,47 | 683,28 | 2,37 |
Source : documents budgétaires
On notera toutefois que les évolutions sont très différenciées entre la DRM et les deux services financés par le programme 144.
La croissance des crédits de paiement de la sous-action « Renseignement d’intérêt militaire » atteint en effet 15,1 %, tout particulièrement en raison de la très forte progression de ses dépenses d’investissement (+ 91,3 %). Celle-ci s’explique en fait par un phénomène de rattrapage : ces crédits sont inscrits pour assurer le paiement à la livraison de plusieurs matériels destinés à améliorer les capacités de ROEM terrestre, pour lesquels les marchés ont été passés lors des exercices antérieurs. On ajoutera que, si la croissance est forte en 2008, en valeur absolue les crédits du titre 5 de la DRM restent modestes.
La situation est nettement moins satisfaisante s’agissant du programme 144 puisque les deux sous-actions concernant la DGSE et la DPSD voient leurs crédits de paiement baisser de 0,7 % (- 0,3 % pour les autorisations d’engagement). Cette évolution s’explique avant tout par la baisse de 1 % des crédits de paiement de la DGSE. Les dépenses d’investissement de cette dernière progressent en 2008, en raison de la poursuite de travaux d’infrastructure et de réalisation d’un nouveau centre de calcul. Toutefois, cela ne suffit pas à compenser la baisse des dépenses de fonctionnement (- 1,2 %) et surtout de personnel (- 4 %).
En ce qui concerne les personnels, la DRM dispose d’un plafond d’emplois autorisés de 1 769 équivalents temps plein travaillé, mais les effectifs réalisés s’établissent à 1 686 personnes (soit un écart d’environ 5 %).
S’agissant de la DGSE et de la DPSD, elles se sont vues appliquer pour 2008 les mêmes règles que les autres services du ministère de la défense pour l’ajustement technique du plafond d’emplois, consistant en un alignement sur les effectifs réalisés. Il en résulte une baisse de ce plafond de 180 équivalents temps plein travaillé pour la DGSE et de 118 pour la DPSD. Pour la DGSE, ce mouvement a été très partiellement compensé par la création de quelques emplois au titre de l’extension en année pleine des créations décidées en 2007 (soit 7,5 équivalents temps plein travaillé). Au total, le plafond d’emplois autorisés de la DGSE s’élève à 4 400 équivalents temps plein travaillé et celui de la DPSD à 1 304.
Des lacunes préoccupantes
Le besoin évident d’un renseignement adapté aux menaces d’aujourd’hui et capable d’annoncer celles de demain se passe de longs argumentaires. Force est pourtant de constater que le dispositif français ne s’est pas adapté dans les proportions voulues pour des raisons liées essentiellement à l’insuffisance de moyens. Celle-ci devient d’autant plus préoccupante que la comparaison avec nos principaux partenaires n’est pas à notre avantage. De plus, si de nouveaux matériels ont pu être déployés avec succès, dans certains domaines l’érosion des capacités est réelle.
• Dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2007, le rapporteur avait décrit précisément l’état des capacités britanniques et allemandes en matière de renseignement. S’il n’est pas utile de reproduire une nouvelle fois l’ensemble de ces informations, il faut cependant souligner la grande différence avec la France, tout particulièrement si l’on considère les services du Royaume-Uni, renommés pour leur efficacité.
Selon les informations fournies par le ministère de la défense, les cinq services et agences britanniques qui œuvrent dans le renseignement emploient 13 400 personnes en 2007-2008 (4). Les effectifs du seul GCHQ (Government Communications Headquarters), chargé des écoutes, représentent 5 140 personnes, soit davantage que la DGSE. Le contraste est également patent en matière de renseignement d’intérêt militaire puisque le Defense Intelligence Staff (DIS) emploie 4 200 personnes. S’agissant des moyens budgétaires, ils représentent en tout pour l’exercice 2007-2008 un montant de 3,31 milliards d’euros.
En Allemagne les trois services de renseignement fédéraux emploient 16 500 personnes, dont 3 750 pour le renseignement militaire.
Les services français comptent pour leur part 9 500 personnes pour un budget de 743,5 millions d’euros (5).
En matière de renseignement, la capacité à obtenir des informations de la part de partenaires étrangers repose sur la possibilité d’en fournir en échange. Avec des services français de qualité mais dont la taille et les budgets sont sensiblement inférieurs à ceux des deux autres principaux acteurs dans le domaine en Europe, c’est la possibilité même de travailler sur un plan d’égalité qui finira par être remise en question.
• S’agissant des capacités techniques des services de renseignement, le bilan de la loi de programmation 2003-2008 est contrasté.
D’une part, elle a permis de renforcer les moyens du renseignement d’origine image de manière significative avec l’arrivée en service du premier satellite Hélios II, qui fournit des images très haute résolution et dispose d’une capacité infra rouge. En matière de ROEM, le Dupuy-de-Lôme a été mis en service en juillet 2006. Quant aux capacités de la DGSE en matière d’interception et de potentiel de calcul, les investissements consentis durant la LPM ont permis une remise à niveau en termes de renseignement technique. Toutefois, cette dernière est seulement transitoire au regard de la rapidité des évolutions technologiques, particulièrement en matière de télécommunications.
D’autre part, dans le domaine du renseignement d’intérêt militaire, de nombreux matériels ont été retirés du service et n’ont pas été remplacés. La capacité de renseignement image aéroportée a été affectée par le retrait du Mirage IV en 2005 et le fait que le pod Reco-NG ne sera disponible qu’avec l’arrivée du Rafale au standard F3. Pour le ROEM, la capacité aéroportée a souffert considérablement de l’arrêt du DC8 Sarigue (système automatisé de recueil de guerre électronique) en août 2004. Celui-ci figurait pourtant parmi les capacités essentielles du modèle d’armée 2015 actualisé figurant dans la LPM. Le coût d’entretien de cet appareil était certes très élevé, mais la capacité de mise à jour des données concernant les dispositifs radar et antiaériens adverses sur les théâtres d’opérations est un facteur essentiel de sécurité aérienne lors des opérations extérieures. Sans cette connaissance, il n’est pas possible de prévoir les contre-mesures électroniques adaptées.
Enfin et peut-être surtout, alors que la France nourrissait de légitimes ambitions en matière de drones, le bilan de la loi de programmation est des plus limités dans ce domaine pourtant essentiel. Ces engins ont fait la preuve de leur utilité sur les théâtres d’opérations en raison de leur souplesse d’emploi, de leur permanence sur zone et de la capacité de suivi en temps réel qu’ils peuvent offrir.
Prévu dans le modèle d’armée 2015 actualisé, le projet de drone HALE a été arrêté au stade de la préparation. Le programme de drone MALE, dont une première commande de douze exemplaires était prévue dans la LPM pour une livraison à partir de 2009, a connu le même sort en raison de l’échec du projet Euromale. Quant au projet de drone tactique multicapteurs multimissions (MCMM) dont on rappellera que la LPM prévoyait la commande de 40 engins et 10 stations, avec une première livraison dès 2008, il a été abandonné en 2004. L’ensemble de ces mesures concernant les drones a permis une économie d’autorisations d’engagement par rapport aux prévisions de la LPM s’élevant à près de 290 millions d’euros.
Au total, le résultat est bien éloigné des espérances : les armées françaises attendent toujours la mise en service du système intérimaire de drone MALE (SIDM), avec un retard de cinq ans, et les seuls drones français opérationnels sont le CL 289, désormais âgé, et le système de drone tactique intérimaire (SDTI), dont les performances restent modestes.
Donner sa pleine dimension au renseignement
Pour répondre aux besoins réels, il est désormais nécessaire de changer d’échelle. Les commentaires sur les évolutions de crédits et d’effectifs inscrits sur les programmes 144 et 178 au titre du renseignement en témoignent à leur manière par leur aspect quelque peu dérisoire. Ce ne sont pas quelques dizaines de postes ou millions d’euros supplémentaires qui modifieront la donne. La rédaction du Livre blanc sur la défense et la sécurité et la préparation de la prochaine loi de programmation militaire constituent l’occasion de se donner enfin les moyens d’une véritable politique de développement du renseignement. Pour être pleinement efficace elle doit prendre en compte l’ensemble des facteurs contribuant à l’efficacité du renseignement.
En matière d’investissements, l’importance décisive du secteur spatial a déjà été soulignée plus haut. Une politique active dans ce domaine doit être complétée en matière de renseignement d’intérêt militaire par le développement de moyens aéroportés permettant de faire face aux besoins de renseignement électromagnétique sur les théâtres d’opérations. Compte tenu des contraintes budgétaires, il est sans doute peu raisonnable de penser à un ou des appareils spécialisés dans ce type de mission. C’est davantage vers la réalisation d’ensembles modulaires pouvant être embarqués sur des appareils comme l’A400M, par exemple, qu’il faudra probablement s’orienter. Enfin, la DGSE devrait bénéficier d’un nouveau cycle d’investissement pour adapter ses outils d’interception, plus ambitieux que celui consenti au cours de la loi de programmation 2003-2008.
Ce dernier point appelle une observation sur l’évolution des crédits de fonctionnement. Ceux de la DGSE sont restés au même niveau en valeur depuis cinq ans, ce qui pèse d’autant plus sur sa capacité d’action que la mise en service du nouveau centre de calcul conduit à une augmentation des besoins en énergie. Il sera absolument nécessaire à l’avenir de desserrer la contrainte en matière de fonctionnement, sans quoi il sera illusoire d’attendre une amélioration des performances.
Enfin, c’est une véritable politique des ressources humaines du renseignement qui devra être mise en place, tant il est vrai que dans ce domaine plus encore que dans d’autres c’est la qualité des personnels qui fait toute la différence. Sur un plan strictement quantitatif, les effectifs de nos services ne sont à la hauteur ni des besoins, ni des ambitions actuelles de suivi de l’ensemble des zones géographiques et de crises de plus en plus nombreuses. Sur le plan qualitatif, il faudra améliorer la souplesse de gestion pour pouvoir rémunérer des spécialistes parfois très convoités par d’autres employeurs sur le marché du travail. Au sein des armées, une meilleure prise en compte du renseignement dans la politique d’affectations et de gestion des carrières devra mettre fin à la persistance d’une certaine forme de dévalorisation de ces filières. L’état-major des armées a mis en place un groupe de travail sur la politique des métiers du renseignement depuis un an, mais pour l’instant les travaux sont semble-t-il restés cantonnés à une « cartographie » des emplois et n’ont pas encore abordé les questions relatives à l’identification des besoins ou à la fidélisation.
De manière plus générale, l’efficacité du dispositif dépendra beaucoup de la diffusion d’une culture du renseignement au sein de l’ensemble des armées et des administrations concernées. Elle supposera aussi de s’orienter vers une plus grande hiérarchisation des priorités assignées aux services, comme l’ont fait la plupart de nos partenaires européens.
Source : « Avis présenté au nom de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées sur le projet de loi de finances pour 2008. Tome II - Environnement et Prospective de la politique de Défense », Assemblée nationale, Doc n° 280, T II
Le budget 2008 du Renseignement français :
– « La fusion des services de renseignement civils », par Michel Diefenbacher
– « La nécessité d’une adpatation à la menace », par Yves Fromion
– « La recherche et l’exploitation du renseignement par la DGSE et la DPSD », par Jean-Michel Fourgous
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