Comme je l’avais dit à Yasser Arafat et comme je l’ai dit à Ariel Sharon, la France veut agir pour régler le conflit israélo-palestinien, mais nous voulons agir en Européens. Les 25 pays de l’Union sont unanimes sur l’analyse de cette crise et le chemin pour en sortir : application de la « feuille de route », création d’un État palestinien en garantissant la sécurité d’Israël, plan d’accompagnement du retrait de Gaza, dans toutes ses dimensions politique, économique et sécuritaire, et bien sûr fin des violences. Nous voulons également aider les Palestiniens à organiser les élections. Il y a trois scrutins que nous sommes prêts à aider à organiser. L’élection présidentielle, qui va avoir lieu dans les soixante jours, les élections municipales, en décembre, et les élections générales. Il est très important qu’Israël facilite l’organisation de ces élections et la participation de tous les Palestiniens, y compris à Jérusalem-Est.
Les 25 sont unanimes pour dire aux États-Unis qu’il est temps d’agir avec nous, les Russes et l’ONU. Contrairement à ce que certains disent, je ne pense pas que la France soit disqualifiée pour jouer un rôle au Proche-Orient à cause des actes antisémites commis sur son sol, ce n’est pas non plus ce que j’ai entendu en Israël. Nous devons créer un État palestinien le plus vite possible. George W. Bush a souhaité que cela se fasse avant la fin de son second mandat, mais il ne faut pas attendre 2009. Après tout, la feuille de route parlait de 2005.
Nous avions souhaité que la conférence de Charm el-Cheikh sur l’Irak intègre les pays de la région et les forces politiques irakiennes qui doivent être le plus nombreuses possibles à s’engager dans un processus politique et démocratique. J’espère que cela aura lieu car il faut préparer la fin du mandat de l’ONU en 2005. Nous voulons aider à la reconstruction politique et économique de l’Irak pour sortir de ce « trou noir » qui peut emporter toute la région, mais nous ne pensons pas que la présence de l’OTAN soit la bienvenue en Irak.
Colin Powell était devenu pour moi un ami et un partenaire attentif, toujours ouvert au dialogue. Condoleezza Rice qui va le remplacer est une femme de caractère, mais cela ne veut pas forcément dire que nous aurons un durcissement de la politique étrangère états-unienne, je ne veux pas faire de procès d’intention. Je plaide pour que les Américains jouent un jeu plus multilatéral, mais le vrai point de désaccord est probablement dans l’idée que la France et les États-Unis se font du nouvel ordre mondial. La France souhaite un monde multipolaire et pense que pour combattre le terrorisme il faut aussi combattre ces racines : les guerres, la pauvreté, les injustices. Pour relancer le dialogue, il serait bon que la France et les États-Unis renouent le dialogue via la constitution d’un groupe bilatéral de haut niveau chargé de réfléchir à une nouvelle alliance.
Concernant l’Union européenne, mon souci est l’efficacité des institutions et la Constitution est un vrai progrès objectif, même si j’aurai préféré qu’on aille plus loin dans certains domaines. C’est pour cela que je n’arrive pas à comprendre les raisons de ceux qui se prétendent Européens et qui s’y opposent. Je n’imagine pas un instant que mon pays, qui a fait partie des six membres fondateurs de l’Union européenne, puisse refuser ce texte même si le débat sera difficile et que rien n’est gagné d’avance. Je pense que les négociations avec la Turquie s’ouvriront après le référendum.
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.
« Un État palestinien ne peut pas attendre », par Michel Barnier, Le Figaro, 17 novembre 2004.
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