Les oranges sont parfois amères et ceux qui portent cette couleur en Ukraine ne sont pas aussi doux que leurs partisans le prétendent. Tout d’abord, ils ne reflètent pas le sentiment national ukrainien mais seulement celui des provinces occidentales d’Ukraine qui n’ont jamais apprécié que le pouvoir vienne des provinces orientales d’où est issu Yanukovych. Ensuite, leurs habitudes ne sont pas toujours plaisantes, certains manifestants chantent des chansons nationalistes et sécessionnistes datant des années antisémites de la seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas non plus une lutte entre la liberté et l’autoritarisme, Viktor Yushchenko a été Premier ministre de Kuchma et certains de ses partisans sont liés aux clans brutaux des privatisations de l’Ukraine post-soviétique.
Sur certaines questions, on peut penser que Yushchenko serait un meilleur président que Yanukovych, mais rien ne dit qu’il transformera la politique et l’économie du pays ou qu’il n’aurait pas également truqué le vote à la place de Kuchma. Les fraudes ont lieu dans beaucoup d’ex-États soviétiques sans soulever les protestations des États occidentaux, ou de façon beaucoup moins sonore. En fait, les protestations sont très pragmatiques et dépendent de l’orientation " pro-occidentale " ou " pro-marché " du candidat sortant. En Ukraine, Yushchenko a bénéficié de l’aide occidentale. Les États-Unis ont payé pour des sondages de sortie des urnes, poussant la Russie à faire de même mais apparemment à une moindre échelle. L’élection états-unienne de ce mois a montré à quel point les sondages de sortie des urnes peuvent se tromper, mais ils ont une grande capacité de mobilisation de la population en assurant qu’il y a eu fraudes si les résultats officiels divergent.
Intervenir dans les élections étrangères sous couvert d’organisations civiques aidant la société civile est devenu le moyen pour la CIA de mener des coups d’État post-modernes. En Ukraine, elle joue avec le feu car cela pourrait dégénérer en guerre civile et il s’agit d’un voisin important de la Russie, pays accusé exagérément d’impérialisme. Les États-Unis ont transformé l’Ukraine en pays stratégique. Vladimir Poutine n’a rien contre un régime plus démocratique en Ukraine, mais il ne veut pas d’un régime anti-russe. L’Union européenne doit offrir un compromis en proposant un plan d’adhésion à l’Ukraine, ce qui a bien plus de chances de démocratiser le pays que toutes les promesses de Yushchenko ou Yanukovych.
« Ukraine’s postmodern coup d’etat », par Jonathan Steele, The Guardian, 26 novembre 2004.
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