La "directive Bolkestein" vient de retentir tel un coup de tonnerre chez les défenseurs du traité constitutionnel, qui sont affolés car cette directive met en évidence la réalité de la construction européenne ou, plus exactement, de sa dérive que les souverainistes dénoncent avec justesse. Ce texte vise à établir un cadre juridique qui supprime tous les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services entre les États membres. Contrairement à ce qu’on a dit, il ne s’agit pas du fruit d’un dysfonctionnement de la Commission Prodi : c’est l’expression de la logique de cette commission. Ce texte a d’ailleurs reçu le soutien de l’ensemble des États européens qui ont approuvé le rapport de la Commission intitulé "Une stratégie pour le marché intérieur" (décembre 2000) et des commissaires Michel Barnier et Pascal Lamy.
Ce texte s’inscrit dans le dogme du tout-concurrence qu’on retrouve dans de nombreux traités et notamment le traité constitutionnel qui confère des pouvoirs propres à la Commission en matière de concurrence. Mais il s’inscrit surtout dans le cadre de la réalisation du marché intérieur et de la suppression de tout obstacle à la libre circulation des personnes, de leur droit d’établissement et de la libre circulation des biens et services. Contrairement à ce qu’on entend, ce texte ne viole pas le principe de subsidiarité, il est parfaitement conforme aux droits "abandonnés" et transférés à l’Union européenne par les États. Le roi est nu !
Mais, au-delà des transferts de compétences, ce texte est révélateur des conséquences du mécanisme du passage systématique à la majorité qualifiée. La France n’aura plus les moyens de défendre ses spécificités sociales et les professions organisées en ordre vont voir le droit qui les régit passer sous la toise de la libre concurrence. La France n’a plus la minorité de blocage pour s’y opposer. Le roi est nu une deuxième fois ! La France ne peut plus rien, hormis crier qu’il faut revoir ce texte dans la perspective du référendum. L’Allemagne, qui a compris le risque de rejet du texte, est venue à son secours en demandant également une modification profonde du texte. A l’évidence, Paris et Berlin vont tout mettre en œuvre pour faire oublier ce fâcheux "avatar" qui révèle leur impuissance à maîtriser le système. Mais rassurez-vous, en juillet, la Grande-Bretagne présidera l’Union et reprendra le texte pour le faire adopter, quitte à porter quelques modifications si cela se révèle nécessaire. Cela ne fait aucun doute ! Si le traité constitutionnel est adopté, le processus mis en œuvre par la directive Bolkestein sera démultiplié. Ce texte est un "divin piège", mettant à nu la réalité du projet de traité constitutionnel que ses tenants présentent sous un jour lénifiant, alors même qu’il dépossède complètement les États de leurs compétences et contraint les Français à abandonner leur modèle de société.
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.
« "Bolkestein", le divin piège ! », par Jacques Myard, Le Figaro, 1er mars 2005.
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