La France se présente comme l’avant-garde occidentale dans le combat pour la liberté en Syrie. En réalité, elle bafoue effrontément les principes de base du droit international pour satisfaire son rêve de recolonisation d’un pays qu’elle a occupé de 1923 à 1944. Cette ambition la conduit à soutenir la création d’Émirats islamiques au risque d’ouvrir la porte à une confrontation mondiale.
À la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 25 septembre, le président français François Hollande avait affirmé sa conviction que le changement de régime en Syrie était « certain » et par conséquent que Paris reconnaîtrait « le gouvernement provisoire, représentatif de la nouvelle Syrie, dès lors qu’il sera formé ». Il pensait pouvoir le désigner lui-même en s’appuyant sur le Conseil national, organisation fantoche créée par la DGSE et financée par le Qatar.
Cependant, les États-Unis ont été rapides à reprendre les choses en main. La secrétaire d’État Hillary Clinton a stigmatisé la représentativité du Conseil national, composé de gens qui « ne sont pas allés en Syrie depuis 20, 30 ou 40 ans » et a organisé son sabordage. Lors de la réunion de Doha, tenue le 11 novembre sous les auspices de la Ligue arabe, l’ambassadeur US Robert Ford l’a absorbé dans une Coalition nationale, placée directement sous son contrôle. Cela n’a évidemment pas amélioré la connaissance de la Syrie des personnes qui n’y sont pas allées « depuis 20, 30 ou 40 ans », mais a modifié le jugement que le département d’État porte sur eux : depuis qu’ils obéissent à Washington, ils sont considérés comme légitimes.
Cependant, la France poursuit son rêve de recolonisation de la Syrie. À l’ONU, François Hollande avait demandé que le Conseil de sécurité donne un mandat pour administrer les « zones libérées par les rebelles », sur le modèle du mandat octroyé à la France par la SDN de 1923 à 1944 sur l’ensemble de la Syrie. Poursuivant cette logique, la France et le Conseil de coopération du Golfe ont reconnu la Coalition nationale syrienne comme « seul représentant légitime du peuple syrien » appelé à « constituer un gouvernement provisoire ». En outre, Paris a demandé à l’Union européenne —qui vient de recevoir le Prix Nobel de la Paix– de lever l’embargo sur les armes, de manière à pouvoir approvisionner les « zones libérées ».
Il semble que les dirigeants français, emportés par leurs chimères, n’aient pas réalisé la gravité de leur propos s’ils venaient à être mise en œuvre. Il s’agit ni plus, ni moins de remettre en cause la souveraineté des États-Nations, qui forme le socle du droit international depuis les Traités de Westphalie, en 1648 ; un principe qui est devenu universel en 1945 avec la Charte des Nations unies et la décolonisation qui a suivi.
Que l’on apprécie ou pas Bachar el-Assad, force est de constater qu’il gouverne actuellement l’essentiel du territoire syrien avec l’appui de la majorité du peuple syrien. Or la France prétend s’abstraire de cette réalité et pouvoir définir arbitrairement qui constitue le gouvernement syrien. Sur cette base, elle entend se donner le droit d’administrer et d’armer les « zones libérées » sur lesquelles flotte déjà le drapeau à trois étoiles qu’elle avait imposé jadis à ce pays. Ce procédé était admis avant 1945 pour justifier certaines formes de colonisation, mais il était récusé dans les régions du monde où s’appliquait la souveraineté des États-Nations.
Il y a 73 ans, l’Allemagne imposa un Premier ministre nazi à Vienne et s’appuya sur lui pour annexer l’Autriche. Il s’ensuivit une série de conquêtes territoriales qui ne purent être stoppées que par la Seconde Guerre mondiale. Il ne fait aucun doute que si le raisonnement français était appliqué, il ouvrirait la voie à une Troisième Guerre mondiale, comme l’a souligné Bachar el-Assad dans son entretien du 8 novembre à Russia Today.
Les dirigeants français ne semblent pas non plus avoir réalisé quelle forme pratique prendrait leur projet s’ils l’appliquent. Ce qu’ils appellent « zones libérées » sont des régions aux contours mouvants et incertains contrôlées par des brigades de l’ASL. La seule fois où l’une de ses zones a été stabilisée, ce fut dans un quartier au sud-ouest de Homs, fin 2011-début 2012. La Katiba Al-Farouk y proclama l’Émirat islamique de Baba Amr. Les écoles furent détruites et la charia devint la Loi. Tous les habitants non-sunnites furent chassés et plus de 150 personnes furent condamnées par un « tribunal révolutionnaire » à être égorgées en public.
4 mois après la chute de cet Émirat islamique, le président François Hollande reçut en grande pompe à Paris certains de ses leaders en fuite. C’était le 6 juillet à l’occasion de la réunion du « Groupe des amis du peuple syrien » (sic). Aujourd’hui, la France envisage de soutenir la création de nouveaux Émirats islamiques sur le territoire d’un État souverain, membre des Nations Unies.
Dans ces conditions, la France aurait dû reconnaître l’Émirat islamique d’Afghanistan aux côtés du Pakistan et de l’Arabie saoudite plutôt que d’aller sacrifier 88 de ses soldats à combattre les Taliban. Et on ne voit pas pourquoi elle entretient encore des relations diplomatiques avec la Fédération de Russie au lieu de reconnaître le gouvernement provisoire d’Itchkérie (Tchétchènie).
Laissons de côté ce raisonnement par l’absurde. En 1970, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 2625 explicitant les principes du Droit international édictés dans la Charte. Ce texte proclame : « Tous les États doivent aussi s’abstenir d’organiser, d’aider, de fomenter, de financer, d’encourager ou de tolérer des activités armées subversives ou terroristes destinées à changer par la violence le régime d’un autre État ainsi que d’intervenir dans les luttes intestines d’un autre État » [1]. En tant que président de la République française, il appartient à François Hollande d’être garant du respect de ces principes.
titre documents joints
Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies (A/8082), Résolution 2625 adoptée le 24 octobre 1970, Assemblée générale des Nations Unies, Vingt-cinquième session, New York.
(PDF - 453.8 kio)
[1] Voir Résolutions adoptées sur les rapports de la Sixième commission, Assemblée générale des Nations Unies, Vingt-cinquième session, 1970, New York. PDF, 453,7 Ko, téléchargeable à partir de ce lien.
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