Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe
Assemblée parlementaire
1. Le 21 mars 2014, deux propositions de résolutions sur les pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie ont été soumises à l’Assemblée parlementaire. La première, signée par 74 membres, appelle au réexamen, en vertu de l’article 9.1.a du Règlement de l’Assemblée, des pouvoirs ratifiés de la délégation russe pour des raisons substantielles (Doc. 13457). Condamnant « sans réserve la violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie au début du mois de mars 2014 », et se déclarant « extrêmement préoccupé[s] par le fait que les membres de la Chambre haute du Parlement russe ont autorisé par avance à l’unanimité une telle action », les signataires expriment leur conviction qu’il y a eu « une grave violation des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe mentionnés à l’article 3 et dans le préambule du Statut ».
2. La deuxième proposition, sur la suspension des droits de vote de la délégation russe (article 9 du Règlement de l’Assemblée) (Doc. 13459 corr.), a été signée par 53 membres. En particulier, les signataires s’y disent « très préoccupés par le manque de respect persistant, par la Fédération de Russie, de ses obligations et engagements », comme le prouvent « les actions menées par les forces militaires russes dans la péninsule de Crimée, ainsi que les menaces explicites d’actions militaires dans le reste du territoire ukrainien ». Ils soulignent de plus que « l’intervention des forces armées sur le territoire de l’Ukraine a été autorisée par le Conseil de la Fédération de Russie le 1er mars 2014 ».
3. L’Assemblée considère que les actions de la Fédération de Russie ayant abouti à l’annexion de la Crimée et en particulier l’occupation militaire du territoire ukrainien et la menace d’une intervention des forces militaires, la reconnaissance des résultats du prétendu référendum illégal et le rattachement, consécutif à cette consultation, de la Crimée à la Fédération de Russie constituent incontestablement une grave violation du droit international et notamment de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final d’Helsinki de l’OSCE. Le lancement d’une action militaire par la Russie a constitué une violation d’un mémorandum signé d’une part par la Russie, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et, d’autre part par l’Ukraine, le Bélarus et le Kazakhstan en 1994, qui sape la confiance dans d’autres instruments internationaux, en particulier les accords sur le désarmement et la non- prolifération d’armes nucléaires.
4. Ces actions sont aussi clairement contraires au Statut du Conseil de l’Europe, en particulier à son Préambule, et aux obligations découlant de l’article 3 ainsi qu’aux engagements pris par la Fédération de Russie lors de son adhésion, énoncés dans l’Avis 193 (1996) de l’Assemblée.
5. L’Assemblée regrette que la Fédération de Russie ait constamment rejeté les efforts diplomatiques de la communauté internationale pour décrisper la situation, en déclinant les propositions de médiation internationale et la mise en place d’une mission d’observation internationale en Crimée, en refusant d’engager un dialogue direct avec les autorités ukrainiennes et en choisissant de ne pas avoir recours aux mécanismes internationaux – dont ceux du Conseil de l’Europe – pour un règlement pacifique du conflit.
6. L’Assemblée considère qu’en violant la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la Russie a fait naître une menace pour la stabilité et la paix en Europe. L’annexion de la Crimée et les mesures qui l’ont précédée ont ouvert une brèche dans laquelle s’engouffrent désormais d’autres régions de l’Ukraine, comme le montrent les développements intervenus depuis le début de la semaine à Donetsk, Charkow et Lugansk.
7. L’Assemblée s’inquiète en particulier de la position adoptée par les membres des deux Chambres du Parlement russe à différents stades du processus d’annexion, y compris le vote à l’unanimité du Conseil de la Fédération autorisant le recours à la force militaire en Ukraine, l’approbation des amendements constitutionnels permettant l’annexion de la Crimée et la ratification du traité illégal de rattachement.
8. L’Assemblée regrette que de nombreux hauts responsables et parlementaires de la Fédération de Russie aient utilisé à des fins politiques, dans leurs déclarations publiques, des informations d’allégations non confirmées de violations contre la minorité russophone et des accusations infondées sur le caractère d’extrême-droite des autorités de Kiev.
9. L’Assemblée s’inquiète vivement de la situation de la liberté des médias et de la liberté d’expression en Russie – en particulier de la partialité avec laquelle les événements d’Ukraine ont été présentés – et même des manipulations qui ont largement contribué à l’instabilité inter-ethnique du pays, ainsi que des efforts visant à étouffer le débat public et toute forme de critique. La répression contre les médias indépendants, y compris les médias en ligne, et les journalistes est extrêmement préoccupante.
10. L’Assemblée est vivement préoccupée par l’absence de mise en œuvre par la Fédération de Russie des Résolutions 1633 (2008), 1647 (2009) et 1683 (2009) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie, par l’occupation des provinces géorgiennes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par des troupes russes et par le refus de la Fédération de Russie d’autoriser des observateurs de l’Union européenne et de revenir sur le nettoyage ethnique.
11. La situation actuelle des minorités en Crimée, en particulier des Tatars et des Ukrainiens, suscite une vive inquiétude. L’Assemblée appelle instamment la Russie, qui contrôle illégalement ce territoire, à veiller à ce que leurs droits ne soient pas violés.
12. L’Assemblée exprime son anxiété quant aux intentions des autorités russes, compte tenu du regroupement constant et observable de forces militaires russes le long de leur frontière avec l’Ukraine. En outre, elle s’inquiète des déclarations publiques de responsables russes au sujet de la situation des minorités russes dans un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe. Dans le contexte actuel, ces déclarations font naître des craintes compréhensibles dans les pays concernés.
13. L’Assemblée condamne fermement l’atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Fédération de Russie et considère qu’une violation aussi manifeste, par un Etat membre du Conseil de l’Europe, de ses obligations et engagements appelle un message fort de désapprobation.
14. Cependant, l’Assemblée est convaincue que le dialogue politique doit rester la voie privilégiée pour trouver un compromis et qu’il ne faut pas revenir à l’exemple de la guerre froide. La suspension des pouvoirs de la délégation russe rendrait ce dialogue impossible, alors que l’Assemblée constitue une enceinte adéquate pour continuer à obliger la délégation russe à rendre des comptes sur la base des valeurs et des principes du Conseil de l’Europe. Dans cette crise réelle, l’Assemblée parlementaire a le pouvoir et la possibilité de confronter l’un de ses Etats membres – la Fédération de Russie – aux questions et aux faits, et d’exiger des réponses et des comptes.
15. En conséquence, afin de marquer sa condamnation et sa désapprobation face aux agissements de la Fédération de Russie à l’égard de l’Ukraine, l’Assemblée décide de suspendre les droits suivants de la délégation de la Fédération de Russie jusqu’à la fin de la session de 2014 :
15.1. droit de vote ;
15.2. droit d’être représenté au Bureau de l’Assemblée, au Comité des présidents, à la Commission
permanente ;
15.3. droit de participer à des missions d’observation des élections.
16. L’Assemblée se réserve le droit d’annuler les pouvoirs de la délégation russe, si la Fédération de Russie n’amorce pas une désescalade de la situation et ne fait pas marche arrière sur l’annexion de la Crimée.
17. L’Assemblée invite la commission de suivi à envisager la création d’une sous-commission d’enquête chargée d’examiner et de suivre les développements liés au conflit depuis août 2013.
Rapport de Stefan Schennach (Autriche, socialiste)
1. Introduction
1. Le 21 mars 2014, deux propositions de résolution ont été déposées concernant les pouvoirs de la délégation russe. La première (Doc. 13457), signée par 74 membres, demandait à l’Assemblée parlementaire de réexaminer, en vertu de l’article 9.1.a du Règlement de l’Assemblée, les pouvoirs ratifiés de la délégation russe pour des raisons substantielles. Condamnant « sans réserve la violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie au début du mois de mars 2014 » et se déclarant « extrêmement préoccupé[s] par le fait que les membres de la Chambre haute du Parlement russe aient autorisé par avance à l’unanimité une telle action », les signataires faisaient part de leur conviction d’« être en présence d’une grave violation des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe mentionnés dans l’article 3 et dans le préambule du Statut ».
2. La deuxième proposition, qui portait sur la suspension des droits de vote de la délégation russe (article 9 du Règlement de l’Assemblée) (Doc. 13459 corr), a été signée par 53 membres. Les signataires se déclaraient en particulier très préoccupés par « le manque de respect persistant, par la Fédération de Russie, de ses obligations et engagements » comme le prouvaient les « actions menées par les forces militaires russes dans la péninsule de Crimée, ainsi que les menaces explicites d’actions militaires dans le reste du territoire ukrainien ». En outre, ils soulignaient que « l’intervention de forces armées sur le territoire de l’Ukraine a été autorisée par le Conseil de la Fédération de Russie le 1er mars 2014 ».
3. Conformément à l’article 9.2 du Règlement, le Bureau de l’Assemblée, lors de sa réunion du 7 avril 2014, a proposé de renvoyer les deux propositions à la commission de suivi pour rapport et à la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles pour avis. Ce renvoi a été confirmé par l’Assemblée à l’ouverture de la deuxième partie de session.
4. J’ai été désigné rapporteur par la commission de suivi lors de sa première réunion pendant la partie de session, le 7 avril 2014. Il était convenu qu’afin de satisfaire aux exigences de la procédure accélérée, un projet de rapport et de résolution serait soumis à la commission pour examen et adoption dès le 8 avril 2014.
5. Il semble approprié de souligner que mon mandat est spécifiquement limité à la question des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe, à savoir, s’ils doivent être ou non confirmés, annulés ou confirmés sous réserve de restrictions comme prévu à l’article 9.4.a, b ou c, à la lumière des développements récents qui sont mentionnés dans les deux propositions déposées.
6. Le présent rapport ne porte donc pas sur la situation en Crimée et ne fera référence aux événements en Ukraine que si cela est directement utile à l’appréciation des actions menées par les autorités de la Fédération de Russie et du respect de leurs obligations et engagements découlant de leur appartenance au Conseil de l’Europe.
7. Il convient de mentionner qu’un rapport spécifique sur la situation en Ukraine, préparé par les corapporteures sur ce pays, sera présenté par la commission de suivi pour débat selon la procédure d’urgence au cours de la présente partie de session de l’Assemblée. Lorsque cela est pertinent, je fais référence à ce rapport.
8. Il va sans dire que je n’ai pas mandat pour évaluer de manière générale le respect par la Russie de ses obligations et engagements, ce qui est la tâche des corapporteures sur la Russie. En conséquence, je ne me réfère qu’aux obligations et engagements qui présentent un intérêt direct pour l’objet du présent rapport.
2. Sujets d’inquiétude à propos des actions de la Fédération de Russie
9. Depuis novembre 2013, à la suite d’une décision inattendue du Président Ianoukovitch de ne pas signer un accord d’association avec l’Union européenne à Vilnius, d’immenses manifestations ont eu lieu quotidiennement à Kiev et dans d’autres régions de l’Ukraine. Plus de 80 personnes ont perdu la vie au cours de ces manifestations. Le 21 février 2014, dans une tentative pour calmer la situation, les ministres des Affaires étrangères allemand, français et polonais, en présence de M. Loukine pour la Fédération de Russie, négocient un compromis prévoyant notamment une élection présidentielle anticipée en décembre 2014. Le 22 février 2014, cependant, le Président Ianoukovitch disparaît. La Verkhovna Rada vote par conséquent à la majorité des deux tiers : a) de revenir aux amendements constitutionnels de 2004 ; et b) de destituer le Président Ianoukovitch. Le 23 février 2014, la Verkhovna Rada élit un président par intérim et, le 27 février 2014, un nouveau gouvernement de coalition par intérim est formé à Kiev. Une élection présidentielle anticipée est prévue pour le 25 mai 2014. Cela met fin à trois mois de manifestations antigouvernementales et aux effusions de sang.
10. Alors qu’une majorité écrasante de la communauté internationale, dont l’Union européenne, les Etats- Unis et les Nations unies, reconnaît sans réserve les nouvelles autorités ukrainiennes, la Fédération de Russie refuse de le faire, qualifiant le nouveau gouvernement d’« illégitime » et refusant tout dialogue direct. Le Président destitué Ianoukovitch, qui est réapparu en Fédération de Russie le 28 février 2014, est autorisé à organiser une conférence de presse, au cours de laquelle il annonce qu’un « coup d’Etat » a eu lieu dans son pays et demande de l’aide au Président russe.
11. Je suis confiant que, dans leur rapport, les corapporteurs sur le suivi des obligations et des engagements de l’Ukraine feront une analyse approfondie et équilibrée des développements eu égard au fonctionnement des institutions démocratiques dans ce pays, et je ne vais pas interférer dans leur travail. Je suis certain qu’ils tiendront pleinement compte de la complexité de la situation et qu’ils évalueront les actions – et peut-être les erreurs – des nouvelles autorités de transition en Ukraine.
12. Dans le présent rapport, cependant, je souhaite souligner qu’en ces temps très difficiles, dès le tout début de la mise en place des nouvelles autorités à Kiev, et même avant, les autorités russes n’ont pas ménagé leurs efforts pour discréditer – au moyen d’accusations injustifiées – le consensus politique fragile. En particulier, elles ont fait de nombreuses déclarations qui, en dépit de l’absence de preuves matérielles, n’ont cessé de se référer à la nature « fasciste » et « néonazie » du Gouvernement ukrainien et des forces qui l’ont amené au pouvoir, l’accusant d’actions qui n’ont par la suite pas été confirmées et attisant ainsi les peurs de la population russophone [1].
13. Dans son discours prononcé devant les deux chambres du Parlement russe le 18 mars 2014, le Président Poutine déclare : « Des nationalistes, des néo-Nazis, des antisémites et des russophobes sont les principaux responsables du coup d’état et même aujourd’hui, ce sont eux qui décident principalement de la vie en Ukraine ».
14. De même, de nombreux responsables russes se réfèrent à des présumées violences et menaces de violence contre la population russophone, ainsi qu’à des cas présumés de violations des droits de l’homme et des droits des minorités. De nombreux éléments de preuve apportés par la société civile nationale et internationale, par des organisations comme l’OSCE et par des journalistes indépendants, ainsi que des déclarations des personnes concernées sont venus réfuter ces graves accusations, qui généralisaient quelques cas isolés et comportements marginaux.
15. Pour illustrer ce phénomène, j’aimerais attirer l’attention sur la déclaration faite par le représentant russe, M. Vitaly Tchourkine, au Conseil de sécurité des Nations Unies lors de sa réunion extraordinaire du 3 mars 2014, au cours de laquelle il a cité une présumée attaque du célèbre monastère des grottes à Kiev, qui a fait l’objet d’une large couverture dans les médias russes. Cependant, avant même cette déclaration, les autorités du monastère avaient déclaré qu’aucune attaque n’avait eu lieu.
16. Répondant aux questions sur le prétendu antisémitisme pendant les manifestations en Ukraine, le Grand Rabbin d’Ukraine, Iakov Dov Bleich, a déclaré le 4 mars 2014 que la principale menace pour les juifs ukrainiens était les « provocations » mises en scène par la Russie, ajoutant : « de la même façon que les Nazis lorsqu’ils voulaient entrer en Autriche et qu’ils avaient créé des provocations ».
17. Plus récemment, le caractère infondé de ces accusations a été confirmé par le rapport ad hoc du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe, qui a effectué une visite ad hoc en Ukraine du 21 au 26 mars 2014, à la suite de la décision du Comité des Ministres prise le 14 mars 2014, pour revoir, à la lumière des développements récents, la situation des minorités nationales en Ukraine. Dans ses conclusions, le Comité consultatif a déclaré qu’il n’a « observé aucune menace directe visant l’exercice des droits des minorités dans la situation que connaît actuellement la partie continentale de l’Ukraine ». Il a toutefois fait part de sa préoccupation concernant « les conséquences négatives que peut avoir la couverture de ces événements par certains médias, au plan national ou international, sur les relations interethniques en Ukraine. Les informations, souvent sans fondement – d’après ce qu’a cru comprendre la délégation –, que relaient régulièrement les médias et qui font état de violations constantes des droits de l’homme et des droits des minorités en Ukraine suscitent des tensions et un sentiment de peur au sein de la population, ce qui ne contribue pas à un climat d’apaisement et s’avère particulièrement inopportun dans le contexte pré-électoral actuel. Cette situation exige de la part des acteurs nationaux et internationaux une attention immédiate pour éviter une nouvelle escalade ». Ces conclusions du mécanisme de suivi du Conseil de l’Europe lui-même doivent susciter la plus vive préoccupation.
18. Aux déclarations des officiels russes vient s’ajouter une couverture partiale de la situation par les médias russes contrôlés par l’Etat, notamment la télévision publique. Dès le début des manifestations à Kiev, les médias russes en général se sont employés à faire naître de l’anxiété parmi la population russophone, la convaincant que la « révolte fasciste » visait les Russes et les russophones et que, pour cette raison, il fallait « protéger » la Crimée, peuplée d’une majorité de locuteurs russophones.
19. La télévision d’Etat russe s’est employée à forger une image des manifestants comme appartenant à un mouvement d’extrême droite dont le but ultime était de déstabiliser la Russie. Là encore, pour illustrer cette manipulation, j’aimerais citer les informations diffusées par la chaîne de télévision russe « ORT » le 1er mars 2014, montrant des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens qui auraient fui en Russie. Lors d’une interview, un responsable du Service fédéral des gardes-frontières de Russie a déclaré qu’environ 675 000 Ukrainiens avaient déjà fui l’Ukraine et qu’on craignait une aggravation de cette crise humanitaire. Cependant, les images des files d’attente formées à la frontière utilisées pour illustrer ces affirmations se sont révélées être les images des files d’attente habituelles qui se forment à la frontière ukraino-polonaise de Shegni-Medyka. Il n’y a depuis plus eu aucune trace de ces prétendus « réfugiés ». Le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve de migrations inhabituelles à la frontière, mais la chaîne de télévision n’a jamais rectifié ses « informations » trompeuses. La commission ukrainienne sur l’éthique du journalisme a déposé une plainte à Moscou contre un journaliste de la télévision russe particulièrement malhonnête, Dmitry Kiselyov.
20. Il convient de souligner que cette réduction injustifiée du mouvement démocratique populaire en Ukraine à une « révolte inspirée par les Nazis » par les responsables russes et les médias contrôlés par l’Etat a largement contribué à l’escalade des affrontements dans la péninsule de Crimée, où le facteur ethnique est d’une importance particulière.
21. Dans ce contexte, depuis la mise en place des nouvelles autorités à Kiev, d’importants mouvements militaires des unités de la flotte russe de la mer Noire basée en Crimée, y compris de chars et d’hélicoptères, ont pu être observés. A cela est venue s’ajouter une présence de plus en plus importante de soldats lourdement armés en uniforme mais sans insignes, qui ont occupé les bâtiments publics et, le 27 février 2014, ont envahi le parlement régional. Leur équipement et leur discipline de toute évidence militaire était clairement en contradiction avec les affirmations selon lesquelles ils faisaient partie d’unités d’autodéfense. Un grand nombre d’éléments confirment que ces soldats sans insignes étaient en fait des forces militaires russes.
22. C’est en présence de ces hommes lourdement armés que, le 28 février 2014, le Parlement de Crimée a remplacé le Premier Ministre par Sergueï Axionov, un extrémiste pro-russe dont le parti a remporté 4 % des voix lors des élections régionales de 2010. Le 1er mars 2014, le nouveau Premier ministre de Crimée, Sergueï Axionov, a déclaré publiquement que des troupes de la flotte russe de la mer Noire étaient déjà déployées dans la péninsule pour surveiller des sites stratégiquement importants, [2] confirmant ainsi l’importance cruciale des manœuvres militaires russes dans l’évolution de la situation en Crimée. Le 6 mars 2014, le Parlement de Crimée a décidé d’organiser un référendum sur l’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, en violation flagrante de la Constitution ukrainienne et de la Constitution de Crimée. Le 11 mars 2014, il a déclaré l’indépendance de la Crimée vis-à-vis de l’Ukraine.
23. Je ne m’étendrai pas ici sur le déroulement des événements qui ont conduit au prétendu référendum ; je suis confiant qu’ils seront minutieusement repris dans le rapport sur l’Ukraine. Je partage pleinement la conviction des corapporteurs que le « soulèvement populaire » en Crimée a été orchestré depuis la Russie.
24. Malheureusement, certains membres du Parlement russe ont joué un rôle important dans ce processus, se rendant en Crimée dès février 2014 et contribuant à la déstabilisation de la situation. Notre collègue de l’Assemblée, M. Leonid Slutsky, qui préside la commission de la Douma sur les affaires de la CIS, l’intégration eurasienne et les relations avec les compatriotes, est arrivé en Crimée dès le 24 février 2014 et a promis en public que son gouvernement protégerait les compatriotes russophones.
25. Mentionnant le projet de loi autorisant une procédure de naturalisation simplifiée pour les citoyens ukrainiens d’origine russe soumis à la Douma par son parti (Parti libéral-démocrate) quelques jours auparavant, il a promis devant les caméras des passeports à tous les russophones. En outre, il a déclaré publiquement : « S’agissant de l’affiliation de la Crimée à la Russie, si cela est l’avis du référendum ou du Conseil suprême de Crimée, nous étudierons la situation, et nous l’étudierons vite. Si les habitants de Crimée annoncent leur décision, nous pourrions œuvrer ensemble pour trouver un terrain commun et des mesures concrètes afin de la mettre en œuvre ». Cette déclaration a été faite avant la décision du Parlement de Crimée d’organiser un référendum illégal.
26. Sergueï Mironov, membre de la Douma, chef du parti de l’opposition Russie Juste, à l’origine d’un projet de loi controversé sur l’admission de nouveaux sujets dans la Fédération de Russie, qu’il a présenté à la Douma le 26 février 2014 en vue de faciliter l’annexion de la Crimée [3], s’est rendu à Sébastopol le 27 février 2014. Lors d’une visite distincte le même jour, un certain nombre de parlementaires russes célèbres, dont le champion de boxe Nicolaï Valuev, l’ancienne patineuse artistique Irina Rodnina et la première femme à aller dans l’espace, Valentina Terechkova, sont arrivés à Sébastopol et ont rencontré des manifestants pro-russes, pas encore très nombreux à l’époque – « quelques dizaines », selon les médias russes. Il a également été annoncé [4] que, lors du rassemblement, les orateurs « ont condamné le nouveau régime de Kiev comme étant fasciste et ont appelé à une intervention russe ».
27. Par ailleurs, le 1er mars 2014, les présidents des chambres haute et basse du Parlement russe ont appelé le Président Poutine à « stabiliser » la situation en Crimée et à protéger les citoyens russes. La Présidente de la Chambre haute du Parlement, Mme Valentina Matviyenko, a déclaré que le recours à la force militaire pourrait être justifié « à la demande du gouvernement de Crimée ». M. Sergueï Naryshkine, le Président de la Douma d’Etat, a déclaré que « tous les moyens disponibles devraient être déployés pour protéger les citoyens russes ».
28. Le même jour, la chambre haute du Parlement russe a approuvé à l’unanimité une demande du Président Poutine soumise quelques heures plus tôt de déployer des forces militaires au prétexte qu’il y avait une menace pour les vies des ressortissants russes et des forces militaires dans les bases navales de la péninsule méridionale de l’Ukraine. Cette décision du Conseil de la Fédération est arrivée au milieu d’informations rapportant d’importants mouvements de troupes russes en Crimée. Le Kremlin a annoncé que des troupes resteraient déployées jusqu’à ce que « la situation politique et sociale du pays soit normalisée ».
29. En réaction à la décision du Conseil de la Fédération, le Président par intérim de l’Ukraine, Oleksandre Tourtchinov, a annoncé qu’il considérait la conduite de la Russie comme un « acte d’agression directe contre la souveraineté de l’Ukraine » [5]. Les autorités ukrainiennes ont accusé la Russie de chercher à provoquer un conflit et ont exhorté le Kremlin à rappeler tous les soldats dans les bases navales russes sur les rives de la mer Noire.
30. La menace d’intervention militaire et le renforcement du dispositif militaire en Crimée se sont poursuivis pendant toute la période précédant le prétendu référendum, malgré la condamnation des dirigeants mondiaux qui ont exprimé leur vive préoccupation face aux mouvements de troupes russes et averti que la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine serait fortement déstabilisante et aurait de graves conséquences.
31. La déclaration d’indépendance vis-à-vis de l’Ukraine adoptée par le Parlement de Crimée le 11 mars 2014 et le prétendu référendum qui lui a fait suite le 16 mars 2014 ont été considérés comme illégaux, illégitimes et inopportuns par l’écrasante majorité de la communauté internationale, y compris les gouvernements de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, l’Union européenne et le Parlement européen, les Secrétaires généraux des Nations Unies et de l’OSCE. La Russie a été prévenue par plusieurs pays ainsi que par l’Union européenne que le résultat du référendum ne serait pas reconnu et que la position de la Russie sur l’Ukraine serait sanctionnée.
32. Le Conseil de l’Europe a condamné le référendum dans plusieurs déclarations des Délégués des Ministres (les 27 février 2014, 14 mars 2014, 20 mars 2014 et 3 avril 2014) et dans les déclarations de la Présidente de l’Assemblée des 17 et 18 mars 2014. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a adopté un avis dans lequel elle indique sans ambiguïté qu’elle considère le référendum envisagé comme inconstitutionnel et illégal [6].
33. Le 15 mars 2014, la Russie a opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies dénonçant comme non valide le référendum annoncé sur le statut futur de la République autonome de Crimée et invitant instamment tous les Etats à ne pas reconnaître ses résultats. Treize autres membres du Conseil de sécurité ont voté en faveur de la résolution ; la Chine s’est abstenue.
34. A ce jour, les efforts diplomatiques intensifs déployés par les dirigeants européens et américains pour inverser le processus d’annexion en mettant un terme au renforcement militaire russe et aux actions compromettant et menaçant l’intégrité territoriale de l’Ukraine ont échoué. La mission d’observation de l’OSCE s’est vu refuser l’entrée en Crimée le 6 mars 2014, l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Crimée a été contraint d’écourter sa mission à la suite de violentes menaces dirigées contre lui. Les Russes ont persisté à rejeter toute proposition de dialogue avec l’Ukraine ou de mise en place d’un groupe de contact. Ils ont refusé la proposition émise le 5 mars 2014 par le Secrétaire d’Etat américain en vue d’une désescalade du conflit, qui prévoyait de ramener les effectifs des forces au niveau d’avant la crise, de désarmer les milices « d’autodéfense » et d’envoyer en Crimée et dans d’autres régions d’Ukraine des observateurs internationaux chargés de protéger la minorité russe et les autres minorités contre les supposées violences. A aucun moment du conflit la partie russe n’a cherché à faire appel aux mécanismes intergouvernementaux à sa disposition pour rechercher une solution pacifique et négociée eu égard à ses engagements bilatéraux et multilatéraux.
35. La Russie est restée indifférente aux appels de la communauté internationale et a activement soutenu les préparatifs et la conduite du prétendu référendum – lequel, en plus d’être contraire au droit national et international, n’était nullement conforme aux lignes directrices régissant l’organisation de ce type de consultation. Mené dans une situation d’occupation et dans des circonstances absolument incompatibles avec un processus démocratique, il ne saurait être considéré comme reflétant la volonté de la population de Crimée. Il est particulièrement regrettable qu’une mission d’observation parlementaire russe conduite par M. Slutsky n’ait relevé aucune violation relative à ce prétendu référendum.
36. En dépit de la très large condamnation du prétendu référendum et de la non-reconnaissance de ses résultats, le Président Poutine a signé, le 17 mars 2014, un décret reconnaissant la Crimée comme un Etat indépendant.
37. En guise de protestation contre le soutien apporté par la Russie à la Crimée, l’Union européenne, les Etats-Unis, le Canada et quelques autres pays ont imposé des sanctions à l’encontre de hauts responsables russes, consistant notamment en des interdictions de visas et des gels d’actifs. C’est la première fois que l’Union européenne imposait des sanctions à la Russie depuis la fin de la guerre froide. Elle avait auparavant suspendu la libéralisation des visas et les négociations commerciales dans le cadre d’une première série de sanctions.
38. Le 18 mars 2014, le Président Poutine s’est adressé aux deux chambres du Parlement, ainsi qu’aux dirigeants des régions russes et aux représentants des organisations publiques lors d’une assemblée extraordinaire réunie au Kremlin. Il a justifié sa décision dans un discours ponctué par des applaudissements nourris, déclarant que la période de transition avant l’adhésion pleine et entière de la région séparatiste à la Russie durerait jusqu’en 2015.
39. Plus tard dans la même journée, la Douma a adopté une déclaration, approuvée par tous les groupes politiques, saluant la décision du peuple de Crimée de rejoindre la Fédération de Russie et qualifiant le référendum de « libre manifestation de la volonté du peuple ».
40. Le même jour, le Président russe et les dirigeants de la Crimée ont signé un traité sur le rattachement.
41. Le 19 mars 2014, à la suite d’une demande officielle du Président Poutine sollicitant une évaluation de
la constitutionnalité de l’accord signé le 18 mars 2014, la Cour constitutionnelle russe a tenu une séance d’urgence au cours de laquelle elle a jugé à l’unanimité que le traité réunifiant la région ukrainienne séparatiste de Crimée à la Russie était légale et conforme à la Constitution russe.
42. Plus tard dans la même journée, la Douma a ratifié le traité par 443 voix pour, une voix contre et aucune abstention. Au cours de la même séance, le Président Poutine a soumis à la Douma un projet de loi constitutionnelle fédérale précisant les conditions d’admission des deux nouveaux sujets (la Crimée et la Ville de Sébastopol) dans la Fédération de Russie. La chambre haute a voté en faveur du traité le 21 mars 2014.
43. Tout ce processus d’annexion illégale, dans lequel sont intervenus des institutions et des responsables politiques russes, s’est accompagné d’une répression accrue de la liberté d’expression et de l’élimination des quelques médias indépendants qui subsistaient et tentaient de faire entendre leur voix dans le flot de propagande produit par les médias sous contrôle de l’Etat. Le 12 mars 2014, Galina Timtchenko, rédactrice en chef du populaire site d’information russe indépendant Lenta.ru a été licenciée après avoir interviewé un membre du groupe nationaliste ukrainien Secteur de droite. De nombreux journalistes du site web ont démissionné en signe de protestation ; on pouvait lire dans leur déclaration : « Le problème n’est pas que nous ayons perdu notre emploi. Le problème est que vous n’ayez plus rien à lire. »
44. La seule chaîne de télévision indépendante, Dojd, qui avait couvert de façon objective les manifestations anti-gouvernementales de Kiev, a été exclue de tous les grands réseaux câblés en février ; des sites d’information ont été bloqués ; le directeur général de la radio libérale Echo de Moscou, Iouri Fedoutinov, a été licencié.
45. Le 14 mars 2014, le Procureur général a ordonné le blocage de plusieurs sites internet bien connus au motif qu’ils auraient « appelé à se livrer à des activités illégales et à participer à des manifestations de masse organisées en violation de l’ordre établi ». Les sites bloqués comprenaient notamment : Grani.ru ; Kasparov.ru ; EJ.ru ; le site web de la station de radio Echo de Moscou et le site web LiveJournal.com, qui hébergent de nombreux blogs populaires, dont celui d’un célèbre pourfendeur de la corruption, M. Alexeï Navalny. Les sites visés sont ceux qui proposaient des informations indépendantes et des opinions différentes, et en particulier des renseignements détaillés sur le référendum.
46. L’arrestation de centaines de manifestants anti-guerre les 1er et 2 mars 2014 a été une autre manifestation du durcissement de la répression contre la liberté d’expression et de réunion en Russie. Le 3 mars 2014, un tribunal de Moscou a ordonné le placement en détention pendant cinq jours de deux manifestants sur la base d’accusations d’ordre administratif. Amnesty International a considéré qu’ils étaient des « prisonniers d’opinion » [7]. Vingt-huit manifestants protestant contre l’intervention militaire russe en Ukraine ont été arrêtés devant le ministère de la Défense et sur la place Manejnaïa. Plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées à Saint-Pétersbourg.
47. Toute critique a été éliminée, comme le montre le cas du professeur Andreï Zoubov qui a fait paraître le 1er mars 2014 dans le journal Vedomosti un article comparant l’annexion potentielle de la Crimée par Poutine à l’annexion de l’Autriche en 1938. Le 3 mars 2014, il a été renvoyé de son poste à l’université (MGIMO).
48. Malgré cette propagande omniprésente, il existe une opposition à l’annexion de la Crimée au sein de l’opinion publique, comme il ressort des manifestations des 1er et 2 mars et de celle du 15 mars 2014 lors de laquelle des milliers de personnes ont défilé à Moscou.
49. Le 26 mars 2014, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a adopté une déclaration sur la situation en Ukraine ainsi libellée : « [Le Congrès] n’accepte pas la validité du référendum, organisé le 16 mars dernier sans les garanties démocratiques minimales qui doivent entourer tout scrutin (...) Cette pseudo-consultation ne saurait en aucune façon ouvrir la voie à un changement de frontière entre la Russie et l’Ukraine. (...) Le Congrès condamne donc l’annexion de la Crimée et de Sébastopol par la Russie en violation du droit international. »
50. Le 27 mars 2014, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté à une écrasante majorité une résolution qualifiant de non valide le référendum sur la sécession de la Crimée et condamnant son annexion par la Russie. Cent pays ont voté en faveur de la résolution, 58 se sont abstenus et 10 ont soutenu la Russie, résultat qui met une fois de plus en évidence l’isolement de la Russie sur la scène internationale pour ce qui est de son action en Ukraine. Les dix voix opposées à la résolution étaient celles de l’Arménie, du Bélarus, de la Bolivie, de Cuba, du Nicaragua, de la Corée du Nord, du Soudan, de la Syrie, du Venezuela et du Zimbabwe. A la surprise générale, le représentant russe auprès des Nations Unies a proclamé lors d’une conférence de presse que le vote était une « victoire » : « Le résultat est assez satisfaisant pour nous, car nous avons remporté une victoire morale et politique. Cela démontre clairement que la Russie n’est pas isolée. »
3. Préoccupations pour l’avenir
51. La situation actuelle des minorités en Crimée sous l’occupation russe ne laisse pas d’être préoccupante. Dans son rapport ad hoc, le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a noté que « [l]a sécurité des personnes appartenant à la communauté des Tatars de Crimée, de même que l’accès aux droits qui sont les leurs, posent des problèmes graves et immédiats ». Il a par ailleurs souligné la nécessité d’une présence internationale afin de surveiller l’évolution de la situation sur le terrain en Crimée.
52. La mobilisation de forces armées russes le long de la frontière orientale avec l’Ukraine a augmenté et continue d’augmenter régulièrement et sensiblement à proximité des régions habitées par la population russophone. Les agences de sécurité des Etats-Unis et européennes estiment que les unités militaires et les milices déployées par la Russie représentent au total plus de 30 000 hommes ; on observe aussi un afflux continu de forces russes le long de la frontière ukrainienne. Bien que la Russie soit, sur le plan juridique, en droit de déployer ses troupes sur son propre sol, cela ne contribue pas à l’apaisement de la situation mais peut être considéré comme une tentative d’intimidation, sinon une menace directe de poursuite du démembrement de l’Ukraine.
53. Le 28 mars 2014, dans sa déclaration diffusée par la chaîne publique Rossiya 24 News, le Président évincé Victor Ianoukovitch a appelé les régions d’Ukraine à tenir un référendum en lieu et place de l’élection présidentielle prévue le 25 mai 2014, sapant ainsi les efforts démocratiques entrepris par le pays avec le soutien plein et entier du Conseil de l’Europe. Il est regrettable que la télévision publique russe serve de plate- forme à cette initiative irresponsable.
54. Des informations partiales et des déclarations tendancieuses de la part de responsables russes continuent de nourrir les peurs parmi les russophones d’Ukraine. Les propositions de la diplomatie russe concernant la création d’un « groupe de soutien » international qui « aiderait le pays à élaborer une nouvelle Constitution, à conduire un référendum, puis à organiser des élections à l’échelon national », assorties de déclarations sur la nécessité d’une fédéralisation de l’Ukraine, ne peuvent qu’alerter sur les intentions réelles de leurs auteurs.
55. Une inquiétude compréhensible règne dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe qui comptent de fortes minorités russes sur leur territoire. A n’en point douter, ces Etats suivront très attentivement le débat sur les pouvoirs de la délégation russe : si le recours au prétexte fallacieux de la nécessité de protéger une minorité peut rester impuni même dans la « Maison de la démocratie », cela augure mal de leur avenir.
56. La République de Moldova est concernée au premier chef. Les troupes russes massées à la frontière ukrainienne sont ressenties comme une menace pour la Transnistrie, région séparatiste russophone qui a proclamé son indépendance vis-à-vis du reste de la République de Moldova en 1991.
57. Le 26 mars 2014, lors d’une rencontre à Moscou avec une délégation de Gagaouzie, M. Leonid Slutsky a fait l’éloge d’un référendum illégal sur l’intégration à une Union douanière pilotée par Moscou, organisé un mois plus tôt dans cette région autonome de la République de Moldova, le qualifiant d’« événement opportun ». « Nous approuvons pleinement ce scrutin », a-t-il déclaré.
4. Les obligations remises en cause
58. Les actions des forces militaires russes en Crimée, la reconnaissance des résultats de ce « référendum » illégal et l’annexion consécutive de la Crimée par la Fédération de Russie constituent incontestablement une violation du droit international, et notamment de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final d’Helsinki de l’OSCE. Le lancement d’une action militaire par la Russie contrevient au traité de Budapest signé par la Russie, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Ukraine en 1994.
59. Ces actions sont de surcroît manifestement contraires au Statut du Conseil de l’Europe, en particulier son Préambule et les obligations découlant de son article 3, ainsi qu’aux engagements contractés par la Fédération de Russie lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, énoncés dans l’Avis 193 (1996) de l’Assemblée.
60. Les menaces explicites d’action militaire, usant d’arguments fallacieux et portant des accusations infondées visant à déstabiliser le pays et à porter atteinte à sa souveraineté et à son intégrité territoriale, sont incompatibles avec les principes et les valeurs régissant cette Organisation, qui défend les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit.
61. Les déclarations de hauts responsables russes qui, en généralisant des incidents isolés, ont contribué à l’instabilité politique dans un pays voisin qui tente désespérément de surmonter ses difficultés, n’ont pas leur place dans un Etat membre du Conseil de l’Europe.
62. Dans ce contexte, le rôle joué par les membres des deux chambres du Parlement russe est particulièrement préoccupant. Le vote unanime de la chambre haute du Parlement autorisant le recours aux forces armées sur le territoire ukrainien appelle une réaction ferme de la part de l’Assemblée parlementaire. L’approbation inconditionnelle des différentes mesures qui ont conduit à l’annexion de la Crimée – adoption des modifications constitutionnelles, ratification du traité de rattachement, disposition à adopter toute loi facilitant une annexion illégale – doit elle aussi être vigoureusement condamnée. Il en va de même des déclarations de membres russes du Parlement, en particulier dans les toutes premières phases du conflit, qui ont contribué au processus illégal.
63. La propagande trompeuse et les manipulations auxquelles se livrent les médias russes sous contrôle de l’Etat, y compris la télévision publique, l’élimination de toute critique des politiques officielles par la répression de la liberté d’expression et de la liberté de réunion constituent d’autres violations graves de la part de la Russie.
5. Conclusions
64. Toutes les violations évoquées aux paragraphes 58 à 63 du présent rapport peuvent avoir de très graves conséquences pour la stabilité et la paix non seulement en Ukraine, mais aussi dans d’autres pays voisins et même dans l’ensemble de l’Europe. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe sont concernés.
65. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe représente non seulement les valeurs communes reposant sur le respect de l’Etat de droit, des droits de l’homme et de la démocratie, mais aussi un cadre de dialogue politique entre les Etats membres. Les préoccupations de l’Ukraine, comme de tout Etat membre, doivent être prises au sérieux. C’est pourquoi la proposition de mettre en place une commission d’enquête – tout en faisant entendre clairement qu’un Etat membre a franchi les limites de ces valeurs communes – laissera aussi la porte ouverte au dialogue politique, c’est-à-dire à l’instrument le plus évolué dont disposent les parlementaires. Avec des délais définis et la possibilité d’un réexamen, nous espérons pouvoir miser sur la force du dialogue politique pour ne pas retomber dans les vieilles habitudes de confrontation.
66. Cependant, afin de marquer la condamnation et la désapprobation de l’Assemblée face aux agissements de la Fédération de Russie à l’égard de l’Ukraine, je propose que l’Assemblée décide de confirmer la ratification des pouvoirs de la délégation russe tout en suspendant ses droits de vote jusqu’à la fin de la session de 2014, comme le prévoit l’article 9.4.c de son Règlement.
[1] Cette regrettable rhétorique de responsables russes a pu être constatée pendant toute la période des manifestations à Kiev. Ainsi, le porte-parole adjoint Iouri Vorobyov a déclaré que les manifestants à Kiev étaient entraînés en Pologne et en Lettonie avec de l’argent des Etats-Unis et que si la Russie n’intervenait pas militairement, ce serait une tragédie pour le peuple ukrainien. Le Président Poutine, lors d’une conférence donnée le 4 mars 2014, a déclaré « Les personnes œuvrant à Kiev ont été très bien entraînées dans des camps spéciaux en Pologne et en Lituanie. Elles ont été entraînées par des structures spéciales ».
[2] Ria Novosti, 1er mars 2014.
[3] La Douma d’Etat a annoncé le 12 mars 2014 qu’il ne serait pas nécessaire d’adopter une nouvelle loi sur l’intégration à la Fédération de Russie si la majorité des citoyens de Crimée souhaitait rejoindre la Russie. Les lois en vigueur permettent de faire de la Crimée une partie de la Russie sur la base d’un référendum. En conséquence, le projet de loi soumis par Mironov a été retiré.
[4] Ria Novosti, 27 février 2014.
[5] Ria Novosti, 1er mars 2014.
[6] Avis sur « whether the decision taken by the Supreme Council of the Autonomous Republic of Crimea in Ukraine to organise a referendum on becoming a constituent territory of the Russian Federation or restoring Crimea’s 1992 constitution is compatible with constitutional principles », CDL-AD(2014)002, adopté par la Commission de Venise à sa 98e Session plénière (Venise, 21-22 mars 2014).
[7] Déclaration de Sergueï Nikitine, directeur du bureau de Moscou d’Amnesty International, le 3 mars 2014. M. Nikitine a également déclaré : « La répression des manifestations anti-guerre par le gouvernement est tout à fait alarmante. Dans plusieurs villes, des personnes ont été prises pour cible pour avoir participé à des manifestations. Il s’agit de harcèlement et d’intimidation approuvés par l’Etat. »
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