Haïti est plongé dans le chaos. Jean-Bertrand Aristide est parti et on ne sait pas s’il s’agissait d’un dictateur ou d’un apprenti sorcier, mais que valent les nuances quand elles se paient en centaines de vies humaines ? Les massacres de civils sont une fâcheuse, mais tenace tendance en ces contrées insolites où les croyances animistes intoxiquent les religions révélées, où l’on se défroque comme d’autres se déchaussent, où le désordre escorte toujours les départs des maîtres blancs.
Haïti n’est elle pas la caricature de cette propension des anciens opprimés, esclaves et colonisés, à démontrer, comme disait Hegel, que « tout en eux n’est que sauvagerie » ? Haïti déprime tout le monde, ceux qui la méprisent et ceux qui l’admirent. Je scrute et décrypte Haïti depuis la Guyane de mes ancêtres et je l’embrasse aussi en nomade pour ce qu’elle m’a apporté. Il reste encore à enseigner au monde, à l’Europe et à la France, la grandeur et la splendeur d’Haïti.
Cela doit d’abord passer par un rappel aux experts en Droits de l’homme qu’ils eurent bien peu d’égard envers les résistants de toutes les époques, qu’ils n’émirent pas un souffle quand le Parlement fut démantelé et qu’ils ne virent que faits divers dans les disparitions d’étudiants. Rappelons aussi que la première constitution d’Haïti accordait liberté et nationalité à toutes personnes foulant son sol débarrassé de l’esclavage par la grâce d’une insurrection victorieuse. Haïti a apporté sa part au monde en donnant corps à la citoyenneté en faisant vivre la déclaration des Droits de l’homme qui avait oublié les femmes et les esclaves.
Le courage politique exige que nous prenions en compte les méfaits des règles hypocrites de la diplomatie et que soient récusées les règles cyniques de la realpolitik. Il faut que la France et les États-Unis cessent de jouer aux échecs le sort d’Haïti.
« Cesser de jouer aux échecs le sort d’Haïti », par Christiane Taubira, Le Monde, 4 mars 2004.
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