L’histoire, sa réalité et ses mythes, sont des enjeux politiques permanents. Quinze ans apres l’effondrement du Mur de Berlin, et alors que les objectifs et les frontières de l’Union europenne, de l’OTAN se perdent dans le flou, notre lecture de la Seconde Guerre mondiale détermine notre vision du monde multipolaire à venir. À l’occasion du 60è anniversaire de la victoire sur le nazisme, la Russie remet en cause les mythes atlantistes, commme l’explique l’historien Valentin Faline à Viktor Litovkine, journaliste à RIA-Novosti.
Au fur et à mesure que les Anglo-Saxons étendent leur influence en Europe centrale et orientale, intégrant les anciens États du Pacte de Varsovie dans l’Union européenne et l’OTAN, ils procèdent a une révision historique de la Seconde Guerre mondiale. L’objectif de Londres et de Washington est de s’arroger l’exclusivité de la victoire contre le nazisme, de se poser en parangons de la démocratie, et d’assimiler communisme et nazisme dans une même opprobre. Les crimes du stalinisme sont placés en équivalence avec ceux de l’hitlérisme, tandis que ceux de la colonisation sont purement effacés. Répondant à cette offensive à l’occasion du 60è anniversaire de la victoire alliée, la Russie entreprend a son tour une révision de l’Histoire officielle. Elle révèle que, contrairement a ce qu’ils prétendent aujourd’hui, les Anglo-Saxons ne se sont pas engagés dans la Seconde Guerre mondiale pour vaincre le fascisme, mais pour substituer leur domination a celle des nazis, et qu’ils ont volontairement laissé durer les combats dans l’espoir d’être débarrassés de l’URSS par l’Axe. Pour comprendre le point de vue russe négligé par les médias atlantistes, nous reproduisons un entretien avec le professeur Valentin Faline recueilli par Viktor Litovkine, de l’agence RIA-Novosti.
Viktor Litovkine : Dans l’historiographie moderne, l’étape terminale de la Seconde Guerre mondiale est décrite différemment. Certains spécialistes prétendent que la guerre aurait pu s’achever bien plus tôt, c’est ce qui ressort, entre autres, de la lecture des mémoires du maréchal Tchouïkov. D’autres estiment qu’elle aurait pu durer au moins un an encore. Qui est plus proche de la vérité ? En quoi réside cette dernière ? Quel est votre point de vue sur cette question ?
Valentin Faline : C’est vrai, ce thème est débattu dans l’historiographie de nos jours. Mais pendant la guerre aussi, à partir de 1942, on s’était livré à des estimations sur la durée du conflit. Pour être plus précis, les politiques et les militaires s’étaient penchés sur cette question dès 1941, quand la grande majorité des hommes d’État, dont Franklin Roosevelt et Winston Churchill, estimaient que l’Union soviétique tiendrait au maximum de quatre à six semaines. Seul Edvard Benes affirmait que l’URSS résisterait face à l’invasion nazie et finirait par écraser l’Allemagne.
Si je me souviens bien, Edvard Benes était le président de la Tchécoslovaquie en exil. Après les Accords de Munich de 1938 et l’occupation de son pays il se trouvait en Grande-Bretagne ?
Valentin Faline : Oui. Ensuite, lorsqu’il s’est avéré que ces estimations et, si vous le permettez, ces calculs étaient erronés, quand l’Allemagne a subi devant Moscou son premier revers stratégique dans la Seconde Guerre mondiale, les points de vue ont brusquement changé. En Occident, d’aucuns ont commencé à redouter de voir l’Union soviétique sortir trop forte de la guerre. Car si effectivement elle était trop forte, c’est elle qui déterminerait le visage de la future Europe. Ainsi parlait Adolph Berle, le sous-secrétaire d’État États-unien chargé de la coordination des services de renseignement US. C’est ce que pensait aussi l’entourage de Churchill, dont des gens fort compétents qui avant et pendant la guerre avaient élaboré la doctrine des actions des forces armées britanniques et de toute la politique britannique.
Cela explique dans une grande mesure l’obstination de Churchill à ne pas vouloir ouvrir le deuxième front en 1942. Et ce alors que Beaverbrook et Cripps au sein de la direction britannique et, surtout, Eisenhower et d’autres concepteurs des plans militaires états-uniens estimaient que des possibilités matérielles et autres existaient pour infliger aux Allemands une défaite dès 1942. Selon eux il fallait profiter que le gros des forces armées allemandes se trouvait sur le front oriental et que 2.000 kilomètres de littoral français, néerlandais, belge, norvégien et aussi allemand étaient ouverts aux armées alliées. A cette date les nazis ne possédaient aucuns ouvrages défensifs permanents le long du littoral atlantique.
Qui plus est, les militaires états-uniens s’employaient à convaincre Roosevelt (Eisenhower avait adressé plusieurs mémorandums à ce sujet au président états-unien) que l’ouverture du deuxième front raccourcirait de beaucoup la guerre en Europe et obligerait l’Allemagne à capituler. En 1943 au plus tard.
Cependant, de tels calculs n’étaient pas faits pour convenir à la Grande-Bretagne et aux conservateurs qui ne manquaient pas aux États-Unis.
Qui avez-vous en vue ?
Valentin Faline : Par exemple, le Département d’État au complet, dirigé par Cordel Hull, était farouchement hostile à l’URSS. Cela explique pourquoi Roosevelt ne s’était pas fait accompagné par son secrétaire d’État à la conférence de Téhéran et que les procès-verbaux de la rencontre des « Trois grands » lui avaient été communiqués six mois après Téhéran. Pour la petite histoire, disons que les services de renseignement politique du Reich avaient déposé ces documents sur le bureau d’Hitler trois ou quatre semaines après. La vie est pleine de paradoxes.
Après la bataille de Koursk, en 1943, qui s’était soldée par une défaite de la Wehrmacht, les chefs d’état-major des États-Unis et de la Grande-Bretagne, ainsi que Churchill et Roosevelt s’étaient réunis le 20 août à Québec. A l’ordre du jour figurait le retrait éventuel des États-Unis et de la Grande-Bretagne de la coalition antihitlérienne et leur entrée en alliance avec les généraux nazis pour combattre ensemble l’Union soviétique.
Pourquoi ?
Valentin Faline : Parce qu’en vertu de l’idéologie de Churchill et de ceux qui la partageaient à Washington, il fallait « contenir ces barbares russes » le plus loin possible à l’Est. Car si l’on ne peut briser l’Union soviétique, il faut au moins l’affaiblir. Par Allemands interposés. C’est ainsi que la tâche était posée.
Ce dessein avait toujours obnubilé Churchill. Il avait développé cette idée avec le général Koutiepov dès 1919. Les États-uniens, les Anglais et les Français subissent des revers et ne sont pas en mesure de se rendre maîtres de la Russie soviétique, disait-il. Il faut confier cette mission aux Japonais et aux Allemands. Churchill avait tenu le même langage en 1930 avec Bismarck, le premier secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Londres. Pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands avaient vraiment manqué de jugeote, affirmait-il. Au lieu de concentrer leurs forces en vue de défaire la Russie, ils avaient engagé la guerre sur deux fronts. S’ils ne s’étaient occupés que de la Russie, alors l’Angleterre aurait neutralisé la France.
Pour Churchill il s’agissait moins de la lutte contre les bolcheviks que de poursuivre la guerre de Crimée de 1853-1856, au cours de laquelle la Russie s’était efforcée tant bien que mal de mettre un coup d’arrêt à l’expansion britannique.
Au Caucase, en Asie centrale, au Proche-Orient riche en pétrole...
Valentin Faline : Naturellement. Par conséquent, lorsque nous évoquons les différentes façons de faire la guerre à l’Allemagne nazie, il ne faut pas oublier la diversité des comportements vis-à-vis de la philosophie d’alliance, des engagements que l’Angleterre et les États-Unis avaient pris devant Moscou.
Je m’écarte un instant. En 1954 ou en 1955, Gand avait accueilli un colloque de religieux consacré au thème : les anges s’embrassent-ils ? Après plusieurs jours de débats ils en étaient arrivés à cette constatation : ils s’embrassent, mais sans passion. Au sein de la coalition antihitlérienne, les rapports d’alliés rappelaient un peu un caprice angélique, pour ne pas dire un baiser de Judas. Les promesses étaient sans engagements ou, ce qui était pire, quand il y en avait, c’était pour induire en erreur le partenaire soviétique.
Cette tactique, rappelons-le, avait torpillé des pourparlers de l’URSS, de la Grande-Bretagne et de la France au mois d’août 1939, alors qu’il était encore possible de faire quelque chose pour empêcher l’agression nazie. Les dirigeants soviétiques avaient donc été contraints de conclure démonstrativement un traité de non-agression avec l’Allemagne. Nous avions été désignés comme cible privilégiée de la machine de guerre nazie. Je me réfère à la situation telle qu’elle avait été formulée au sein du cabinet Chamberlain : « Si Londres ne peut éviter un accord avec l’Union soviétique, la signature britannique que comportera le document ne devrait pas signifier que les Anglais prêteront assistance à la victime de l’agression et déclareront la guerre à l’Allemagne. Nous devons nous réserver la possibilité de déclarer que la Grande-Bretagne et l’Union soviétique interprètent les faits différemment ».
On sait qu’en septembre 1939, quand l’Allemagne avait attaqué la Pologne, un allié de la Grande-Bretagne, Londres avait déclaré la guerre à Berlin, mais sans pour autant entreprendre la moindre démarche pour accorder une assistance tant soit peu réelle à Varsovie.
Valentin Faline : Dans notre exemple il n’avait même pas été question d’une déclaration de guerre formelle. Les « tories » pensaient que le rouleau compresseur allemand prendrait la direction de l’Oural. Et qu’ensuite il n’y aurait plus personne pour dénoncer la perfidie d’Albion.
Ce lien du temps, ce lien des événements existait pendant la guerre. Il donnait matière à réflexions. Et dans celles-ci, il me semble qu’il y en avait qui n’étaient pas très optimistes pour nous.
Mais revenons à la charnière des années quarante-quatre -quarante-cinq. La guerre aurait-elle pu ou non prendre fin avant le mois de mai ?
Valentin Faline : Posons la question de cette façon : pourquoi le débarquement des alliés avait-il été programmé pour quarante-quatre ? Il est curieux que personne ne mette l’accent sur ce fait. Or, cette date n’avait pas du tout été choisie au hasard. En Occident, on avait pris en compte que devant Stalingrad nous avions perdu une énorme quantité de soldats, d’officiers et aussi de matériel. D’immenses sacrifices aussi avaient été consentis sur le saillant de Koursk... Les pertes soviétiques en chars avaient été plus importantes que les pertes allemandes.
En quarante-quatre, le pays mobilisait déjà des gars de dix-sept ans. La campagne avait pratiquement été dépeuplée. Les jeunes nés en 1926-1927 étaient épargnés uniquement dans les usines de guerre, d’où les directeurs ne les laissaient pas partir.
En évaluant les perspectives, les services de renseignement états-uniens et britanniques estimaient qu’au printemps de 1944 le potentiel offensif de l’Union soviétique serait épuisé. Que ses réserves humaines seraient entièrement taries et que l’Union soviétique ne serait pas à même de porter à la Wehrmacht un coup de la puissance de ceux qu’elle avait assenés lors des batailles de Moscou, de Stalingrad et de Koursk. Il s’avère donc qu’au moment du débarquement des alliés dans la guerre contre les nazis nous avons abandonné l’initiative stratégique aux États-Unis et à la Grande-Bretagne.
Le débarquement des troupes alliées sur le continent a coïncidé avec le complot contre Hitler. Les généraux arrivés au pouvoir dans le Reich devaient dissoudre le front occidental et ouvrir devant les États-uniens et les Anglais un espace pour l’occupation de l’Allemagne et la « libération » de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Yougoslavie, de l’Autriche... L’Armée Rouge devait être arrêtée aux frontières de 1939.
Je me souviens, les États-uniens et les Anglais avaient même effectué un débarquement en Hongrie, dans le secteur du lac Balaton, avec pour objectif la prise de Budapest, mais les Allemands les avaient décimés...
Valentin Faline : Il ne s’agissait pas d’un débarquement, c’était plutôt un groupe de contact pour établir une liaison avec les forces antifascistes magyares. Mais ce n’est pas uniquement cela qui avait échoué. Après l’attentat Hitler était toujours en vie et Rommel, grièvement blessé, était sur la touche, alors qu’en Occident on misait beaucoup sur lui. Les autres généraux avaient manqué de courage. Il s’est passé ce qui s’est passé. Pour les États-uniens il n’y a pas eu de marche en fanfare à travers l’Allemagne. Ils se sont engagés dans des combats, parfois durs comme ceux qu’ils ont livrés pendant l’opération des Ardennes. Quoi qu’il en soit, ils ont mené à bien leurs missions. Parfois même avec assez de cynisme.
Un exemple concret. Les troupes états-uniennes étaient arrivées aux approches de Paris. Une insurrection avait éclaté dans la ville. Les États-uniens s’arrêtèrent à une trentaine de kilomètres de la capitale de la France et attendirent que les Allemands liquident les insurgés, parce que la plupart d’entre eux étaient des communistes. Selon diverses estimations, les pertes ont été de 3 à 5 000 morts. Mais lorsque l’insurrection a triomphé, les allies ont pris Paris [1]. La même chose s’est produite dans le midi de la France.
Mais revenons là où nous avons engagé notre discussion.
Valentin Faline : Oui. En automne quarante-quatre, plusieurs conférences avaient eu lieu en Allemagne, animées par Hitler et placées ensuite sous la présidence Jodl et de Keitel. Les dirigeants allemands pensaient que si une bonne correction était infligée aux États-uniens, les États-unis et l’Angleterre seraient plus enclins à reprendre les pourparlers qui avaient été menés en 1942-1943 à l’insu de Moscou.
L’opération lancée dans les Ardennes avait été conçue par Berlin non pas en vue d’obtenir la victoire dans la guerre, mais comme une opération destinée à saper l’alliance entre l’Occident et l’Union soviétique. Les États-unis devaient comprendre que l’Allemagne était encore suffisamment forte et que pour les puissances occidentales elle présentait un avantage dans leur confrontation avec l’Union soviétique. Elle devait aussi montrer aux alliés qu’ils n’auraient ni les forces, ni la volonté suffisantes pour arrêter les « rouges » à l’approche de l’Allemagne.
Hitler avait souligné que personne ne discuterait avec un pays se trouvant dans une situation difficile. On ne prendra langue avec nous que lorsque la Wehrmacht aura montré sa force.
L’atout décisif était l’effet de surprise. Les alliés avaient pris leurs quartiers d’hiver, ils estimaient que l’Alsace et les Ardennes étaient de magnifiques endroits pour la détente et convenaient très mal à des opérations de guerre. Pendant ce temps, les Allemands s’apprêtaient à percer en direction de Rotterdam et à priver les États-uniens de toute possibilité d’utiliser les ports néerlandais. Ce qui devait décider de toute la campagne occidentale.
Le début de l’opération des Ardennes fut reporté à plusieurs reprises. L’Allemagne manquait de forces. Elle fut lancée à un moment où en hiver quarante-quatre l’Armée Rouge livrait de durs combats en Hongrie, dans le secteur du lac Balaton et devant Budapest. Ce qui était en jeu, c’étaient les dernières sources de pétroles en Autriche et quelque part en Hongrie, contrôlées par les Allemands.
C’était là une des raisons pour lesquelles Hitler avait décidé de défendre la Hongrie coûte que coûte. C’est à ces fins qu’au plus fort de l’opération des Ardennes et avant le début de l’opération d’Alsace il avait commencé à prélever des forces sur l’axe occidental pour les transférer sur le front soviéto-hongrois. Le fer de lance de l’opération des Ardennes -la 6-e armée blindée SS, avait été retirée des Ardennes et transférée en Hongrie...
Dans le secteur de Hajmasker.
Valentin Faline : Au fond, le redéploiement avait commencé avant que Roosevelt et Churchill ne lancent un appel paniqué à Staline, dont la traduction du langage diplomatique serait approximativement celle-ci : nous sommes dans de sales draps, aidez-nous.
Quant à Hitler, il pensait -des preuves existent pour confirmer ce que je dis -que si nos alliés avaient tant de fois livré l’Union soviétique aux coups et attendu ouvertement dans l’espoir de voir Moscou et l’Armée Rouge s’effondrer, nous pourrions nous aussi avoir le même comportement. Comme en quarante et un, ils avaient attendu la chute de la capitale de l’URSS, comme en quarante-deux non seulement la Turquie et le Japon, mais encore les États-unis avaient attendu la chute de Stalingrad avant de décider de réviser leur politique. Car les alliés ne nous communiquaient même pas les informations collectées par leurs services de renseignement, par exemple concernant les offensives allemandes du Don vers la Volga et plus loin en direction du Caucase, etc., etc.
Si ma mémoire ne me trahit pas, ces renseignements nous avaient été communiqués par le légendaire « Orchestre rouge ».
Valentin Faline : Les États-uniens ne nous transmettaient aucune information, alors qu’ils en avaient à profusion. Notamment en ce qui concerne la préparation de l’opération « Citadelle » sur le saillant de Koursk...
Évidemment, nous étions fondés de surveiller dans quelle mesure nos alliés savaient se battre, dans quelle mesure ils voulaient le faire et étaient disposés à réaliser leur plan principal sur le continent, le plan Rankine. Car le plan essentiel ce n’était pas Overlord, mais Rankine, qui prévoyait l’instauration d’un contrôle anglo-états-unien sur l’ensemble de l’Allemagne, sur tous les États d’Europe orientale, de manière à ne pas nous y laisser entrer.
Quand il avait été nommé commandant des forces du deuxième front, Eisenhower avait reçu cette directive : préparer Overlord, mais sans jamais perdre de vue Rankine. Si des conditions favorables se présentent pour la réalisation du plan Rankine, alors laissez tomber Overlord et lancez toutes les forces dans la réalisation du plan Rankine. C’est dans le cadre de ce plan que l’insurrection de Varsovie avait été déclenchée. Et beaucoup d’autres choses avaient suivi.
À cet égard quarante-quatre, la fin de quarante-quatre et le début de quarante-cinq ont été des moments de vérité. La guerre était menée non pas sur deux fronts, oriental et occidental, mais pour deux fronts. Formellement, les alliés menaient des opérations de guerre importantes pour nous, elles immobilisaient des forces allemandes non négligeables, c’est incontestable. Cependant leur dessein majeur était d’arrêter l’Union soviétique dans la mesure du possible, comme le disait Churchill, et de « stopper les descendants de Gengis Khan », pour reprendre le langage plus imagé de certains généraux états-uniens.
Au demeurant, cette idée avait été formulée dans des termes antisoviétiques grossiers par Churchill au mois d’octobre quarante-deux, avant le début de notre contre-offensive le 19 novembre devant Stalingrad : « Il faut arrêter ces barbares le plus loin possible à l’est ».
Lorsque nous évoquons nos alliés, en aucun cas je ne voudrais amenuiser les mérites des soldats et des officiers des troupes alliées qui ont combattu tout comme nous, sans être au courant des intrigues politiques et des machinations de leurs dirigeants. Ils se sont battus honnêtement et avec esprit d’abnégation. Je ne voudrais diminuer en rien la portée de l’aide accordée dans le cadre de Land Lease, même si ce n’est pas nous qui en avons profité le plus. Je voudrais simplement dire combien notre situation avait été complexe, contradictoire et dangereuse tout au long de la guerre. Et combien il était difficile parfois de prendre des décisions. Lorsque non seulement on nous menait par le bout du nez et aussi quand on continuait de nous livrer à tous les coups.
Alors, la guerre aurait-elle pu prendre fin avant le mois de mai quarante-cinq ?
Valentin Faline : Pour répondre en toute franchise à cette question, je dis oui. Seulement ce n’est pas la faute de notre pays si elle ne s’est pas terminée en quarante-trois. Si nos alliés avaient consciencieusement rempli leur devoir, s’ils avaient respecté les engagements pris devant l’Union soviétique en quarante et un, en quarante-deux et au début de quarante trois. Mais comme ils ne l’ont pas fait, la guerre a duré deux ans de trop pour le moins.
Mais l’essentiel, c’est que sans les atermoiements dans l’ouverture du deuxième front, les pertes soviétiques et alliées, surtout en Europe occupée, auraient été de 10 à 12 millions de personnes moins élevées. Auschwitz n’aurait pas existé, car il n’a commencé à fonctionner à plein régime qu’en quarante-quatre...
(à suivre...)
Une autre histoire de la Seconde Guerre mondiale
Entretien en 3 partie avec l’historien russe Valentin Faline
L’histoire, sa réalité et ses mythes, sont des enjeux politiques permanents. Valentin Faline expose une lecture de la Seconde Guerre mondiale du point de vue russe, souvent méconnue du public occidental :
– 1ère partie :
La Seconde Guerre mondiale aurait pu prendre fin en 1943
– 2ème partie :
Si l’Armée rouge n’avait pas pris Berlin...
– 3ème partie :
La Conférence de Yalta offrait une chance qui n’a pas été saisie
[1] Ce sont les troupes françaises du général Leclerc qui ont délivré Paris, ce qui était indispensable à la stratégie politique du général De Gaulle qui faisait ainsi passer la France du côté des vainqueurs. Mais pour M. Faline, ce point importe peu. Il s’attache uniquement à considérer que les Anglo-Saxons ont contenu Leclerc le plus longtemps possible. NdlR.
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