L’administration Bush multiplie les manœuvres pour dissoudre le droit international et réduire l’ONU au rang de simple administration humanitaire. Préparant le prochaine bataille de cette guerre diplomatique, la Chambre des représentants s’apprête à adopter une proposition de loi enjoignant l’ONU de se plier à 38 réformes structurelles sous peine de saboter son budget.
L’administration Bush n’a cessé de le faire dire par les journalistes néo-conservateurs : elle ne comprend pas pourquoi elle devrait se plier au droit international, c’est-à-dire à des règles fixées collégialement, alors qu’elle peut décider de tout toute seule. Vu des États-Unis, le monde est unipolaire et son centre est à Washington. La loi du plus fort n’est pas une mauvaise chose lorsque l’on est le plus fort et que l’on se croit béni de Dieu.
Après avoir placé sous écoutes le secrétaire général des Nations-Unies [1], avoir délibérement menti devant le Conseil de sécurité [2], avoir colonisé l’Irak [3], la Maison-Blanche met en œuvre un plan de destruction de l’ONU.
Move America Forward, composée de républicains proches de l’administration Bush, a lancé des campagnes de publicité sur les télévisions états-uniennes pour discréditer les Nations-Unies en les présentant comme des soutiens du terrorisme et des ennemis des États-Unis [4]. L’association a demandé la fermeture du siège de New York et l’expulsion de l’organisation.
Puis le président Bush a nommé John Bolton ambassadeur des États-Unis à l’ONU [5]. Le « diplomate » est connu pour avoir publiquement plaidé pour qu’on en finisse avec cette organisation qui freine l’action états-unienne. Cette nomination ayant été contestée jusque dans les rangs républicains, Move America Forward a pris sa défense jusqu’à sa confirmation par le Sénat.
De son côté, le Congrès, dominé par les républicains, n’est pas en reste. En décembre 2004, il a voté un crédit d’1,5 millions de dollars à l’Institut états-unien pour la paix (USIP) pour la création d’un groupe bipartisan de travail chargé de rédiger un rapport sur le fonctionnement de l’ONU. La loi précise que les parlementaires ont pris cette décision parce qu’ils « sont profondément troublés par l’inaction des Nations unies sur de nombreux fronts, notamment en ce qui concerne le génocide au Darfour (Soudan) et les allégations de corruption du programme pétrole contre nourriture » [6]. Le groupe de travail, qui devra rendre ses conclusions définitives dans les prochains jours, est co-présidé par le républicain Newt Gingrich et le démocrate George Mitchell. Il comprend une dizaine de membres dont l’inévitable R. James Woolsey et le général Wesley K. Clark, ainsi que de nombreux experts désignés par les six principaux think-tanks en la matière [7].
Indépendamment de cet audit, le représentant Henry J. Hyde, président de la Commission des relations internationales à la Chambre, a déposé une proposition de loi à la Chambre. Loin d’être une initiative personnelle, comme la présente la presse états-unienne, cette proposition de loi reflète -selon nos informations- le point de vue développé collectivement au sein du groupe bipartisan de travail de l’USIP par les républicains. Cette position commune étant elle-même en retrait face aux propositions plus radicales encore de certains membres, comme Edwin Feulner, président de la Heritage Foundation [8] .
La proposition a donné lieu à des auditions à la Chambre des représentants, le 19 mai 2005. Introduisant les débats, Henry J. Hyde a souligné que tout le monde, y compris les défenseurs de l’ONU, s’accorde pour dire qu’une réforme est nécessaire. Affirmant son attachement à cette institution, il a expliqué que sa démarche visait uniquement à mettre un terme à une gabegie et à la corruption. Mais, malgré ces précautions oratoires, il n’a pu s’empêcher de mettre l’ONU qui serait, selon lui, en proie depuis des décades à un violent anti-américanisme.
La proposition Hyde est rédigée comme un ultimatum. Elle énumère 38 propositions et stipule que si 32 d’entre elles ne sont pas mises en œuvre, les États-Unis diminueront de moitié leur contribution financière, pourtant fixée par les traités, et refuseront de s’impliquer dans toute nouvelle mission de maintien de la paix. Bref, l’ONU est priée « de se soumettre ou de se démettre ».
Avec une contribution fixée à 439 millions de dollars pour 2006, les États-Unis sont le premier contributeur de l’organisation, dont ils financent 22 % du budget. Pour se faire obéir, les parlementaires veulent donc toucher l’ONU au portefeuille. Leur principale idée est que la contribution US ne doit servir qu’à financer des actions soutenues par Washington. Aussi exigent-ils le retrait de 18 programmes et agences de la compétence générale de l’organisation, tout en acceptant leur survie sur la base des contributions volontaires des autres États membres. En outre, l’ONU ne serait plus autorisée à émettre des appels de fonds en cours d’année, sauf accord unanime et dans des limites précises.
Considérant que l’ONU est mal gérée et corrompue, M. Hyde exige la création d’un bureau d’audit indépendant (Independent Oversight Board - IOB) et d’un Bureau d’éthique qui veille à l’absence de conflits d’intérêt pour les fonctionnaires internationaux.
De manière récurrente, les républicains soulignent que les 128 États les plus pauvres ne cotisent au total que pour 1 % du budget de l’organisation alors qu’ils disposent chacun d’une voix. Il leur paraît insupportable de payer pour financer des actions que d’autres décident. Un raisonnement qui revient à remettre en cause le principe d’égalité entre États membres pour instaurer, de facto, un suffrage censitaire.
C’est surtout sur la réforme de trois activités particulières que se concentre la proposition Hyde :
– Alors même que les États-Unis ont adopté la Déclaration universelle des Droits de l’homme, mais n’ont signé aucun des Pactes relatifs aux droits civils et politiques, culturels et sociaux, les parlementaires ne conçoivent pas que la Commission des Droits de l’homme de Genève et que le Haut-Commissaire puissent critiquer « le pays de la liberté » et relativiser les violations perpétrées par des « États voyous ». Ils exigent donc que les États ayant commis des manquements graves ne soient plus éligibles à cette commission. Mais qui osera dire que les États-Unis sont aujourd’hui l’un des États les plus critiquables en la matière avec leur record mondial d’incarcération, leur Goulag de Guantanamo et leur pratique de la torture ?
– Sachant que l’Agence internationale de l’énergie atomique leur a résisté lors de la préparation de l’invasion de l’Irak et qu’elle continue à leur résister à propos d’une nouvelle aventure militaire en Iran, les parlementaires US exigent de déshabiller le Comité des gouverneurs de ses prérogatives et de les transférer à un Comité d’experts sur lequel ils pourraient avoir une influence comparable à celle qu’ils exercèrent sur les inspecteurs en désarmement.
– D’autre part, s’appuyant sur des crimes attestés commis par des casques bleus en Afrique et dans les Caraïbes, les parlementaires souhaitent limiter le recours à des forces multinationales qui leur échappent. De cette manière, ils s’arrogeraient le monopole de la police du monde.
Enfin, cachées au milieu de nombreuses préconisations, M. Hyde a glissé quelques idées originales. Ainsi, assurant vouloir rééquilibrer les poids respectifs d’Israël et de la Représentation palestinienne, il exige de couper les financements de la Division pour les droits des Palestiniens (Division for Palestinian Rights), du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien (Committee on the Exercice of the Inalienable Rights of the Palestinian People) [9], du Coordinateur spécial pour le Proche-Orient et des ONG concernées. Plus distrayant encore, M. Hyde demande qu’Israël ne soit plus considéré comme un État du Proche-Orient, mais d’Occident, de sorte qu’il soit rattaché au même groupe que les Européens et les USA.
Ce tour d’horizon ne serait pas complet sans évoquer le dépôt, au sein de la même Commission des relations internationales, d’une résolution, émanant cette fois de la représentante Ileana Ros-Lethinen. Si ce texte était intégré au sein de la proposition Hyde, il ajouterait une exigence politique explicite à ce chantage financier : les parlementaires conditionneraient alors le versement de la cotisation annuelle des États-Unis à l’ONU à la suspension de tout État membre dont les ambassadeurs tiendraient des propos anti-Israéliens dans l’enceinte de l’organisation.
Le chantage des parlementaires états-uniens menace le fonctionnement de l’ONU et par voie de conséquence la carrière de ses fonctionnaires. Une partie d’entre eux, le secrétaire général en tête, pourrait avoir la tentation de trahir leur fonction pour préserver leur avenir. La défense du droit international ne viendra donc pas de l’intérieur des administrations internationales, mais uniquement des États membres. Or, nul ne peut neutraliser la pression US s’il n’est pas en mesure de garantir l’équilibre budgétaire des Nations unies.
[1] « Washington et Londres placent l’ONU sur écoutes » par Thom Saint-Pierre, Voltaire, 4 mars 2003.
[2] « Discours de Colin L. Powell devant le Conseil de sécurité », 5 février 2003.
[3] « Qui gouverne l’Irak ? » par Thierry Meyssan, Voltaire, 13 mai 2004.
[4] « Qui veut bouter l’ONU hors des États-Unis ? », Voltaire, 23 novembre 2004.
[5] « John Bolton et le désarmement par la guerre », Voltaire, 30 novembre 2004.
[6] « The conferees are deeply troubled by the inaction of the United Nationson many fronts, especially in regard to the genocide in Darfur, Sudan and the allegations of corruption regarding the Unites Nations oil-for-Food program ». Public Law 108-447.
[7] Il s’agit de l’American Enterprise Institute, la Brookings Institution, le Center for Strategic and International Studies, le Council on Foreign Relations, la Heritage Foundation et la Hoover Institution.
[8] Pour la position de la Fondation Heritage, on se reportera à The United Nations Reform Act of 2005 : A Powerful Lever to Advance U.N. Reform par Brett D. Schaeffer, WebMemo #759, Heritage Foundation, 10 juin 2005.
[9] Ce comité a été créé pour veiller à ce que jamais le « droit au retour » ne puisse être bafoué. Celui-ci ne signifiant pas que les Palestiniens doivent physiquement revenir sur les terres dont ils ont été chassés, mais qu’ils doivent au minimum en être justement indemnisés.
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