Les États-Unis auraient placé sur écoutes les délégations du Conseil de sécurité de l’ONU. Selon The Observer, qui publie une note interne de la NSA, la décision aurait été prise par Condoleezza Rice, au Conseil national de sécurité. Mais l’application de cette décision, qui nécessite la mise en œuvre du système Échelon, requière l’approbation des gouvernements membres de ce dispositif de renseignements.
Si les interceptions de communications diplomatiques ne sont pas exceptionnelles, elles sont cependant formellement prohibées à l’encontre d’États alliés. En l’occurrence, l’odre de surveiller les délégations française et allemande est dirigé contre des pays membres de l’OTAN.
Selon une enquête de The Observer du 2 mars 2003, le Conseil national de sécurité des États-Unis aurait placé sur écoutes les domiciles, les bureaux et les connexions informatiques des délégations du Conseil de sécurité de l’ONU. Le journal publie à l’appui de ses dires le texte d’un courrier électronique interne de la NSA. Ce document serait parvenu à l’hebdomadaire à l’occasion du changement de direction des services d’interception britannique. The Observer assure avoir opéré les vérifications nécessaires et pouvoir certifier l’authenticité du document. Après publication, plusieurs spécialistes, dont James Bamford, auteur de référence sur la NSA, ont également indiqué qu’il leur paraissait authentique. Des diplomates ressortissants de délégations différentes au Conseil de sécurité ont confirmé à notre correspondant à l’ONU qu’ils se savaient écoutés avec des techniques particulièrement sophistiquées. Les autorités états-uniennes se sont refusées à tout commentaire.
Selon nos confrères de The Observer, la décision aurait été prise au plus niveau : par le Conseil de sécurité nationale, réuni sous la présidence de Condoleezza Rice. L’opération aurait été mise en place dès le 31 janvier, soit quatre jours après le premier rapport des inspecteurs en désarmement, et devait être intensifiée après l’intervention de Colin Powell devant le Conseil de sécurité. Elle aurait eu pour but de violer le secret des démarches entreprises par la France, l’Allemagne et la Russie auprès des membres non-permanents du Conseil et de déterminer les possibilités de pression sur eux. La note précise que des efforts particuliers doivent être déployés à l’encontre des délégations qui paraissent encore indécises (Angola, Cameroun, Chili, Bulgarie, Guinée et Pakistan).
Si ce document est authentique, et tout porte à penser que c’est le cas, il mérite d’être examiné sur le fond.
La mise en œuvre de cette décision du Conseil de sécurité nationale états-unien mobilise l’ensemble des cinq partenaires du pacte UKUSA (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande) de 1948. À ce stade de l’enquête, seule l’activité des deux premiers paraît établie, mais celle des trois autres est en principe quasi-automatique. La participation des cinq partenaires dans une opération sur une telle cible suppose une approbation politique par chaque gouvernement. Au minimum, celle du ministre de la Défense.
Les interceptions de communications diplomatiques sont toujours interprétées comme des actes hostiles. Elles violent les conventions internationales et le statut diplomatique. Il est néanmoins admis que ces pratiques discourtoises ne sont pas exceptionnelles, sauf vis-à-vis d’États alliés à l’encontre desquels elles sont formellement prohibées.
Pendant la Guerre froide, les États-Unis avaient installé dans la tour n°7 du World Trade Center un centre d’écoutes téléphonique, disposant de technologies classiques, pour écouter les délégations du bloc soviétique et non-alignés à l’ONU. Ce centre dépendait de la CIA. Il a été détruit, selon des modalités inconnues, le 11 septembre 2001. En outre, les Nations Unies ont parfois été espionnées par la NSA en utilisant des techniques sophistiquées d’interception par satellite. Des bases d’écoutes ont été installées dans divers points du globe en collaboration avec le GCHQ britannique, le DSD australien, le GSB néo-zélandais et le CSE canadien. En temps normal, ce système global, connu sous le nom d’Échelon, intercepte, trie et interprète tout ce qui peut l’être. Sur commande spéciale, le système peut être orienté vers des cibles particulières. On sait par exemple, que des moyens satellitaires considérables furent mobilisés pour espionner les délégations présentes aux négociations de Marrakech sur le commerce mondial. Cependant, ce ciblage est très onéreux et ne peut être mis en œuvre qu’à titre exceptionnel. C’est de ce type d’opération dont il s’agit aujourd’hui.
La décision d’interception des communications des délégations française et allemandes est dirigée contre des pays alliés, membres de l’OTAN.
L’objectif est de disposer de renseignements permettant de manipuler les États membres du Conseil de sécurité de l’ONU, juges suprêmes du droit international. En effet, pour le clan Bush, le droit international n’est pas issu d’un contrat entre nations, mais d’un rapport de forces et, précisément, les États-Unis sont les plus forts.
On se souvient, qu’en 1991, lorsque l’ambassadeur du Yémen (alors membre non-permanent du Conseil) avait voté contre la Première guerre du Golfe, l’ambassadeur des États-Unis s’était levé pour venir lui dire à haute voix : « Vous venez de prononcer le "Non" le plus coûteux de l’histoire de votre pays ». Immédiatement Washington annulait les 70 millions d’aide à ce pays pauvre.
Maniant à la fois la carotte et le bâton, les États-Unis ont, au cours des dernières semaines, proposé à chaque membre non-permanent des aides économiques et proféré des menaces de rétorsion. Ainsi, le Pakistan s’est-il vu proposé l’annulation d’une dette d’un milliard de dollars et le Chili s’est-il vu menacé de surtaxes à l’importation. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Ari Fleischer, ne fait pas mystère de ces pratiques et a tourné en dérision ceux qui s’en effarouchent. Dans un point de presse, le 25 février, il s’est taillé un beau succès et a provoqué l’hilarité générale en persiflant à un journaliste qui l’interrogeait à ce sujet : « Pensez aux implications de ce que vous dites. Vous dites que les dirigeants d’autres nations sont achetables. Et ce n’est pas une proposition acceptable ». Plus franc, l’ancien ambassadeur des USA à l’ONU, Allan Gerson, revendiquait cette méthode dans une tribune libre publiée le 28 février dans le Los Angeles Times. Il rappelait que les États-Unis la pratique depuis une vingtaine d’années, après que le Conseil de sécurité eut condamné leur invasion de la Grenade et le renversement du gouvernement Bishop en 1983.
Pour obtenir l’aval du Conseil de sécurité à leurs guerres contre l’Irak, Washington et Londres n’ont ménagé aucun effort :
En 1991, la délégation états-unienne avait fait auditionner un témoin anonyme par le Conseil de sécurité pour relater les crimes de guerre prétendument commis par l’armée irakienne au Koweït. Ce témoignage était essentiel à la démonstration du point de vue britanno-états-unien selon lequel il s’agissait d’une guerre de conquête et non pas de la réunification d’un pays artificiellement divisé par les Britanniques en 1963. C’est sur la base de ce témoignage que le Conseil autorisa l’opération « Tempête du désert ». On sait aujourd’hui que ce témoignage (« l’affaire des couveuses ») était un faux, mis en scène par le bureau new-yorkais de l’agence de communication Hill & Knowlton’s, dont la directrice, Victoria Clarke, est aujourd’hui porte-parole du Pentagone.
En 1998, ils avaient acquis à leur cause le chef des inspecteurs, Richard Butler, qu’ils avaient chargé d’espionner l’Irak et de créer des incidents. La gravité de l’affaire avait contraint les Nations Unies à dissoudre l’organe d’inspection, puis à en créer un nouveau.
Le 8 décembre 2002, les États-Unis ont intercepté le rapport de l’Irak au Conseil de sécurité et n’en ont donné des copies aux autres membres permanents qu’après expurgation des pièces relatives aux livraisons d’armes qu’ils avaient effectuées à l’Irak durant la guerre contre l’Iran.
Plus récemment, le 4 février 2003, la délégation britannique distribuait au Conseil un rapport imputant à l’Irak d’avoir institué un système de dissimulation de son armement, avant d’admettre que ce document se fondait sur des informations obsolètes.
Enfin, le 5 février 2003, le général-secrétaire d’État, Colin Powell, tentait d’intoxiquer le Conseil de sécurité au cours d’un long exposé. Il s’appuyait sur des déclarations tronquées d’Hussein Kamel, recueillies en 1995, et sur des photographies satellitaires abusivement interprétées. Ces accusations avaient été démenties par le résultat d’inspections immédiatement effectuées.
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter