Les travaux de la Convention européenne ont souvent été présentés au public comme une opposition entre les États les plus peuplés et les moins peuplés d’Europe. Voilà qui a accrédité l’idée d’une manœuvre des quatre pays les plus peuplés (Allemagne, France Italie et Royaume-Uni), éventuellement avec l’aide de l’Espagne et de la Pologne, pour soumettre les « petits » pays.
L’Union européenne rassemble des États de tailles très diverses. Cette dispersion de population est beaucoup plus importante qu’aux États-Unis, et il s’agit d’une difficulté à prendre en compte. Toutefois la querelle entre grands et petits États n’est apparue que dernièrement alors que le Luxembourg est un membre fondateur de l’Union européenne. En réalité l’émergence de cette question montre que les nouveaux pays membres peinent à admettre que la participation à la construction européenne exige un compromis entre les exigences strictement nationales et les règles de fonctionnement de l’Europe.
Il faut remarquer que, curieusement, les conventionnels issus des pays les moins peuplés n’ont pas cherché à limiter les compétences de l’Union alors que cela aurait pu permettre de freiner les pressions des grands États qu’ils risquent de subir. La prise de décision dans les domaines de compétences de l’Union passe par une adoption par le Parlement européen et par le Conseil européen des proposition de la Commission européenne. Au Parlement, chaque pays dispose d’un nombre d’élu proportionnel à sa population et au Conseil européen, où les gouvernements sont représentés, le nombre de voix est fonction de la taille du pays (dix voix pour les grands, cinq pour les moyens, deux pour les petits). Du fait de l’adhésion de beaucoup d’États petits et moyens, les quatre grands pays ne disposaient plus que de 56 % des voix alors qu’ils abritent 74 % de la population. Nous avons donc instauré le principe de double majorité exigeant que, pour qu’une loi soit adoptée à la majorité qualifiée, elle dispose de l’accord de la moitié des États membres représentant les trois cinquième de la population de l’Union. Cette règle est apparue aux conventionnels comme un moyen de respecter à la fois l’égalité entre États et entre citoyens, malgré les réserves de deux pays attaché au barème de Nice.
Autre source d’inquiétude des petits pays, les accessions aux postes clés de l’Union européenne sont pourtant, historiquement, souvent confiés à des personnalités de pays moyens et le futur président du Conseil européen sera désigné en vertu de la règle de double majorité, ce qui exclu une nomination qui déplairait aux petits pays.
Opposer petits et grands est une analyse hâtive de l’Union européenne et au fil du temps ce sont d’autres groupements qui apparaîtront.

Source
Le Monde (France)

L’Europe demain : la fausse querelle des « petits » et des « grands »
Cette tribune est la première d’une série de « papiers de la Convention européenne » rédigés par les trois auteurs pour préciser les intentions de la Convention européenne lors de la rédaction de son projet.