Le lendemain du début des bombardements de la première Guerre du Golfe en 1991, le général Norman Schwarzkopf a déclaré que l’armée états-unienne ne se livrerait pas à un décompte des morts. Son intention était alors d’éviter la dérive de la Guerre du Vietnam où l’on avait assisté à un accroissement systématique du nombre des morts adverses pour maintenir le soutien de la population à un conflit qu’il était impossible de gagner. Toutefois, les principes personnels de Schwarzkopf ont évolué pour devenir un moyen pour les politiciens d’évacuer toutes discussions sur les victimes de guerre, y compris américaines.
Aujourd’hui, avec l’affaire de la censure par le Pentagone de la photo des cercueils des morts en Irak et en Afghanistan, les principes de Schwarzkopf sont encore poussés plus loin. L’administration Bush affirme que c’est une marque de respect pour les familles, John Kerry prétend que c’est une atteinte au droit à l’information des Américains. Coincé au milieu de cette controverse, les proches des militaires en Irak ne savent pas comment réagir : la loyauté envers ceux qu’ils chérissent les pousse à soutenir sans question la politique états-unienne, mais pour beaucoup de soldats, censurer ces photos, c’est dénier à ceux qui ont fait le sacrifice ultime le droit aux honneurs qu’ils méritent.
En 1991, Schwarzkopf affirmait que le nombre de morts était un chiffre qui en lui-même ne signifiait rien et qu’il servait souvent à faire des comparaison sans objet. En fait, la supériorité militaire de la coalition en 1991 était telle que révéler le nombre de morts ennemis aurait pu être embarrassant politiquement et moralement. En ce qui concernait les morts états-uniens, si on révélait un trop petit nombre, la guerre aurait été perçue comme d’une asymétrie intolérable. Et révéler un grand nombre de morts serait apparu comme un succès de l’ennemi. Cela a conduit l’armée à finalement mener une politique qui risque de ternir encore une fois son image.
Pourtant, quelle que soit l’image de cette guerre, les États-Unis soutiennent leurs troupes et il faut respecter les morts en ne censurant pas les images. Ceci étant dit, je demanderai à Kerry de cesser sa fixation sur le Vietnam dans son discours, surtout qu’il ne propose pas une politique fondamentalement différente de celle de Bush.
« Censorship Dishonors the Dead — and the Truth », par William M. Arkin, Los Angeles Times, 2 mai 2004.
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