À aucun moment depuis les grandes crises de la Guerre froide, le monde n’a été plus près d’une confrontation planétaire. Ce qui est étrange, c’est le caractère parfaitement évitable des évènements qui ont conduit au péril actuel. Les attentats du 11 septembre 2001, attaque d’une minorité agissante, n’avaient pas vocation à se transformer en un choc des civilisations, mais les États-Unis ont fait preuve d’activisme borné et d’incompétence sans borne en Irak tout en rejetant la « feuille de route ». Cela a provoqué le rejet massif du monde arabe. Il est désormais à craindre que cette haine de l’Amérique ne débouche sur des crises de régime au Moyen-Orient au profit d’un intégrisme militant et anti-occidental.
L’étrangeté, c’est aussi l’incapacité de la communauté internationale, et tout spécialement de l’Europe, à s’organiser face à la menace que représente l’hyperterrorisme dont est porteuse Al Qaïda. Les attentats de Madrid du 11 mars attestent qu’Al Qaïda n’est pas affectée par le travail des forces de sécurité et qu’elle a trouvé dans le rejet de l’Amérique un levier puissant de recrutement. Tôt ou tard, elle disposera d’armes de destruction massive. Pour empêcher cela, nos services redoublent d’efforts, mais en termes de budget et d’organisation, les États occidentaux en sont restés aux schémas de l’avant 11 septembre.
Cette double étrangeté nous fait courir à la catastrophe alors que le soutien à Al Qaïda dans le monde arabe se massifie d’après les sondages. Que faire pour empêcher la catastrophe ? Tout d’abord, l’Europe doit éviter d’être associée à la politique de l’administration Bush. Il est dans l’intérêt de tous, y compris des Etats-Unis, que l’Occident ne soit pas rejeté dans son ensemble. Il faut donc refuser le déploiement de l’OTAN en Irak et le projet de « Grand Moyen-Orient ». Il faut soutenir le processus de paix israélo-palestinien contre la politique américaine.
C’est avec beaucoup de tristesse que je demande à la veille de l’anniversaire du 6 juin 1944 une dissociation que j’espère temporaire avec la politique américaine. Il faut nous souvenir que l’administration Bush n’est pas immortelle. Il faut donc nous différencier de la politique de Washington sans nous mettre à dos la population américaine. L’Union européenne doit adapter ses stratégies de sécurité.
« Accablant 6 juin 2004 », par François Heisbourg, Le Monde, 5 juin 2004
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