La Cour européenne des droits de l’homme a condamné le dispositif de fouilles institué par la loi britannique anti-terroriste.
La Cour avait été saisie par M. Kevin Gillan et Mme Pennie Quinton. Le 9 septembre 2003, tous deux furent interpellés et fouillés par des policiers agissant en vertu des articles 44 à 47 de la loi de 2000, alors qu’ils se rendaient à une manifestation organisée non loin du salon annuel de l’armement, dans l’Est de Londres. M. Gillan, muni d’un sac à dos, circulait à bicyclette lorsqu’il fut interpellé et fouillé par deux agents de police. Mme Quinton, qui est journaliste, fut interpellée et fouillée par une fonctionnaire de police, qui la somma d’arrêter de filmer bien qu’elle lui eût présenté sa carte de presse. M. Gillan fut autorisé à poursuivre son chemin après avoir été détenu vingt minutes. Le procès-verbal de la fouille dont Mme Quinton fit l’objet indique que l’intéressée fut arrêtée cinq minutes, mais elle-même avait le sentiment que son interpellation avait plutôt duré 30 minutes.
Dans son arrêt du 12 janvier 2009, la Cour a estimé que le recours aux pouvoirs coercitifs prévus par la législation anti-terroriste et permettant d’exiger de tout individu qu’il se soumette à une fouille approfondie de sa personne, de ses vêtements et de ses effets personnels constitue une ingérence flagrante dans le droit au respect de la vie privée. Le caractère public de la fouille, impliquant la gêne occasionnée par le fait d’avoir des informations personnelles exposée à la vue d’autrui, peut même dans certains cas aggraver l’ingérence en y ajoutant un élément d’humiliation et d’embarras. L’ingérence ne saurait se comparer aux fouilles dont font l’objet les voyageurs dans les aéroports. En effet, on peut considérer qu’une personne qui prend l’avion, en choisissant de voyager ainsi, consent à se prêter à une telle fouille. Elle sait que ses bagages sont susceptibles d’être fouillés avant l’embarquement et bénéficie d’une liberté de choix, puisqu’elle peut ne pas prendre avec elle certains effets personnels et partir sans se soumettre à la fouille. Les pouvoirs de fouille conférés par l’article 44 de la loi de 2000 sont de nature différente : toute personne peut être interpellée n’importe où et n’importe quand, sans avertissement préalable et sans avoir le choix de se soumettre ou non à la fouille.
En outre, de l’avis de la Cour, les larges pouvoirs discrétionnaires dont bénéficie la police en vertu de la loi de 2000, tant en ce qui concerne l’autorisation des pouvoirs d’interpellation et de fouille que leur application en pratique, ne sont pas assortis de garanties juridiques suffisantes pour offrir aux individus une protection adéquate contre les ingérences arbitraires.
Tout d’abord, il n’est pas exigé au stade de l’autorisation que le pouvoir d’interpellation et de fouille soit considéré comme « nécessaire », il doit seulement apparaître comme « opportun ». L’autorisation doit être confirmée par le ministre dans un délai de 48 heures et est renouvelable tous les 28 jours. Le ministre ne peut modifier le champ d’application territorial d’une autorisation et, même s’il peut refuser de la confirmer ou en avancer la date d’expiration, il semble qu’en pratique cela ne soit jamais arrivé. En réalité, les restrictions temporelles et territoriales prévues par le Parlement n’ont pas réellement permis de mettre un frein à l’émission des autorisations par le pouvoir exécutif, comme le démontre le fait que l’autorisation initiale accordée pour le district de la police du Grand Londres a été continuellement renouvelée par « rotation » depuis 2001.
L’Autorité indépendante de surveillance (Independent Reviewer) instaurée par la loi de 2000 constitue une garantie supplémentaire. Cependant, ses pouvoirs se limitent à rendre compte de la manière générale dont sont appliquées les dispositions législatives et ne comprennent pas la faculté d’annuler ou de modifier les autorisations, alors même que, dans chacun des rapports qu’elle a présentés depuis mai 2006, elle a clairement exprimé l’avis que « l’article 44 pourrait être moins utilisé et il faut espérer qu’on y aura moins recours ».
Le pouvoir discrétionnaire dont jouit chaque policier à cet égard constitue un autre motif de préoccupation. La décision d’un policier d’interpeller et de fouiller une personne se fonde exclusivement sur un « pressentiment » ou son « intuition professionnelle ». Non seulement il n’est pas tenu de démontrer l’existence d’un motif raisonnable de soupçonner une infraction, mais il n’est même pas obligé d’avoir le moindre soupçon subjectif à l’égard de la personne qui fait l’objet de l’interpellation et de la fouille. La seule condition est que la fouille doit avoir pour but de rechercher des objets de nature à être utilisés à des fins terroristes, ce qui constitue une très large catégorie couvrant de nombreux objets que n’importe quel passant dans la rue peut avoir sur lui. Or le policier ne doit même pas avoir de motifs particuliers de suspecter la présence de tels objets pour procéder à une interpellation, dès lors que celle-ci a pour objectif d’en rechercher.
Eu égard aux éléments statistiques et autres dont elle dispose, la Cour est frappée de voir à quel point les policiers font usage des pouvoirs d’interpellation et de fouille que leur confère l’article 44 de la loi de 2000. Elle estime que l’octroi à tout policier de pouvoirs discrétionnaires aussi larges entraîne un risque manifeste d’arbitraire. Si les présentes affaires ne concernent pas des noirs ou des asiatiques, le risque qu’il soit fait un usage discriminatoire de ces prérogatives est bien réel, et il ressort du reste des statistiques que les pouvoirs en question s’exercent de manière disproportionnée aux dépens de ces catégories de personnes. Par ailleurs, il existe un risque que des pouvoirs aussi largement définis soient utilisés de manière abusive contre des manifestants ou des contestataires, en violation des articles 10 et/ou 11 de la Convention.
Bien que les pouvoirs d’autorisation et de confirmation exercés respectivement par les officiers supérieurs de police et le ministre puissent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, l’étendue des pouvoirs discrétionnaires en jeu est telle que les gens doivent faire face à des obstacles considérables pour parvenir à prouver qu’une autorisation ou confirmation a été émise réellement à des fins anti-terroristes ou constitue un abus de pouvoir. De même, une demande de contrôle juridictionnel ou une action en réparation en vue de contester l’exercice des pouvoirs d’interpellation et de fouille exercés par un policier dans une affaire donnée ont très peu de chances d’aboutir. L’absence de toute obligation pour le policier de prouver l’existence d’un soupçon raisonnable fait qu’il est pratiquement impossible de démontrer qu’il a exercé ses pouvoirs de manière illégitime.
En d’autres termes, la Cour a estimé que les pouvoirs d’autorisation et de confirmation ainsi que les pouvoirs d’interpellation et de fouille prévus par les articles 44 et 45 de la loi de 2000 ne sont ni suffisamment circonscrits ni assortis de garanties juridiques adéquates contre les abus.
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