Messieurs le président W. Bush et le sénateur John Kerry.
Le 2 novembre, l’un d’entre vous sera élu président des États-Unis et compte tenu de la puissance de votre pays, des milliards d’hommes et de femmes qui ne sont pas conviés à voter seront profondément affectés par le choix effectué par les électeurs américains. Nous, membres du Collegium international éthique, c’est en tant que citoyens de la planète, électeurs sans bulletin de vote, que nous vous adressons cette lettre pour vous rappeler que ans cette ère d’interdépendance, votre responsabilité ne s’exerce plus sur votre seul État. Du réchauffement planétaire au marché mondial, du crime internationalisé à la technologie, l’interdépendance est généralisée dans notre monde, mais c’est le terrorisme qui a mis au jour la fatale interdépendance qui caractérise notre vingt et unième siècle. Les abominables attaques du 11 septembre 2001 et celles qui ont suivi ont montré qu’aucune nation n’est plus apte à préserver, à elle seule, sa sécurité intérieure et sa souveraineté.
L’interdépendance nous oblige à mettre en place une architecture mondiale qui assure une pleine équité dans la répartition des ressources économiques, des bénéfices sociaux et du développement humain. Les États-Unis doivent reconnaître les besoins et principes fondamentaux que notre Collegium a mis au cœur de ses préoccupations :
– La nécessité que la démocratie s’instaure à l’échelle planétaire.
– La nécessité de reconnaître les biens publics de notre monde, et de les protéger comme patrimoine commun, qu’il s’agisse des biens immatériels comme l’accès aux connaissances, des technologies de l’information et de la communication, ou des ressources non renouvelables telles que l’eau potable et les énergies fossiles.
– La nécessité de formuler et d’établir des valeurs communes et interdépendantes.
– La nécessité d’affirmer que les libertés politiques sont inséparables de la définition de droits économiques, sociaux, et culturels dont la portée s’étend à travers les cultures et les générations.
Nous pensons vous avoir ainsi exprimé les préoccupations fondamentales des citoyens du monde qui devront vivre avec les conséquences du leadership américain sans avoir pu prendre part au vote. En tant que leaders de votre grande nation, vous êtes également porteurs d’espoir, capables d’utiliser le pouvoir que vous a conféré le peuple américain pour en faire profiter le genre humain tout entier. Les États-Unis ne trouveront pas la paix et la justice sans coopérer de manière multilatérale avec le reste du monde.
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.
« Une responsabilité mondiale », par les membres du Collegium international éthique, Libération, 24 septembre 2004.
[1] Milan Kucan, ancien président de la Slovénie, et Michel Rocard, ancien Premier ministre de la France, coprésidents du Collegium international.
Andreas Van Agt, ancien Premier ministre des Pays-Bas ; Henri Atlan, bio-physicien et philosophe, France ; Lloyd Axworthy, président de l’université de Winnipeg, ancien ministre des Affaires étrangères, Canada ; Fernando Henrique Cardoso, ancien président du Brésil ; Manuel Castells, sociologue, Espagne ; Mireille Delmas-Marty, professeur de droit, Collège de France ; Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération helvétique ; Gareth Evans, président de l’ICG, ancien ministre des Affaires étrangères, Australie ; Malcolm Fraser, président de l’InterAction Council, ancien Premier ministre, Australie ; Bronislaw Geremek, ancien ministre des Affaires étrangères, Pologne ; Bacharuddin Jusuf Habibie, ancien président de l’Indonésie ; S.A.R. Hassan bin Tallal, Jordanie ; Vaclav Havel, ancien président de la République tchèque ; Stéphane Hessel, ambassadeur de France ; Alpha Oumar Konaré, ancien président du Mali ; Claudio Magris, écrivain, Italie ; Edgar Morin, philosophe, France ; Sadako Ogata, ancien Haut Commissaire pour les réfugiés aux Nations Unies, présidente de l’Agence de coopération internationale du Japon ; Jacques Robin, philosophe, fondateur de « Transversales », France ; Mary Robinson, ancien Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’homme, ancienne présidente de l’Irlande ; Wolfgang Sachs, économiste, Allemagne ; Mohamed Sahnoun, ambassadeur de l’Algérie ; George Vassiliou, ancien président de la République de Chypre ; Richard von Weizsäcker, ancien président de la République fédérale d’Allemagne ; Huanming Yang, directeur et professeur, Institut du génome de Pékin, Chine
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